Chapitre 17 : Le Gorille Johan (Corrigé)
Avachi sur ma paillasse, je regardai mes moustaches caresser délicatement le bois de table. A mes côtés, George et Jeane ne semblaient pas vouloir m'adresser la parole, et j'en étais bien content ; en leur tournant ainsi le dos, j'espérai qu'ils ne se risqueraient pas à m'adresser la moindre remarque. Je n'étais pas d'humeur.
Je balayai la salle de classe du regard, las, et vis que la chaise de Sinna était inoccupée. Elle doit être avec son petit-ami, en déduisis je, et à cette pensée ma gorge se serra. Cet idiot provocateur avait été transporté à l'infirmerie dans un état second. Quoi de plus normal ; il devrait même me remercier d'avoir remis son cerveau à l'endroit.
Mais cela ne m'accorda aucune satisfaction. J'avais honte de l'avoir battu à ce point. Honte de m'être emporté ainsi. Je donnai une raison supplémentaire aux élèves de me détester davantage.
La porte de la salle de classe s'ouvrit alors et un imposant Gorille y pénétra, la mine dure. Sous sa fourrure noire de jais saillaient des muscles puissants, et le regard patibulaire qu'il me jeta signifiait très clairement qu'il ne m'appréciait décidément pas. Je me souvins alors qu'il avait été l'un des responsables de la répartition des élèves lors de la rentrée. Les professeurs effectuaient-ils une ronde pour se charger de cette tâche accablante ou bien lui assignait-on toujours ce rôle des plus déplaisants ? Si c'était le cas, il était à plaindre. Je n'aurai supporté d'avoir à la charge une centaine de nouveaux surexcités.
-Bonjour à tous, fit-il d'une voix bourrue, qui me sembla étrangement sage pour un Erkaïn de son envergure. Je suis Johan, professeur en Sciences et Histoire de la Magie.
Il balaya la salle de classe d'un regard concentré, et ses yeux noirs se posèrent sur la chaise vide de Sinna :
-Il y a une absente ?
Mais personne ne sembla trouver le courage de lui répondre. Je sentis les regards se tourner dans ma direction, et mon pelage se hérissa ; avaient-ils peur de moi ?!
-Elle est partie à l'infirmerie, déclarai-je en agitant les oreilles, agacé.
Je détestai devoir me rendre ainsi.
-Je vois, souffla-t-il, pensif, les yeux plissés.
Il demeura un temps immobile, le regard dans le vide. Puis, il sembla soudainement s'éveiller et claqua des mains, comme si c'était nous et non lui qui nous étions endormi.
-Vous connaissez tous le parcours éducatif de la Section Erkaïn normalement, n'est-ce pas ?
Il eut des échanges de regard perplexes dans la salle. Visiblement, personne ne semblait au courant de cette particularité.
-Niru ne vous a pas expliqué ? insista Johan, surpris.
Cette fois-ci, ce fut des non catégoriques de la truffe qui furent adressés au Gorille. Je réprimai un sourire ; il semblerait que Niru soit encore plus à la traîne que ce que j'avais supposé.
-Bien, alors... soupira notre professeur en se frottant le visage de la patte. Ce n'est pas très complexe. Vous avez un tronc commun, à savoir toutes les matières que vous avez actuellement. L'année prochaine, vous choisirez les matières que vous voulez conserver. Vous devrez supprimer au maximum la moitié de vos matières actuelles. L'année suivante, il vous faudra en garder trois. Lors de votre dernière année, à savoir la quatrième, vous choisirez plusieurs métiers en accord avec la dernière matière que vous avez. Vous partagerez votre temps entre des stages, des travaux pratiques, thèses et cours à la fois extérieurs -donc directement sur les lieux de travail- ou en salle de classe. Vous passerez ensuite l'examen final qui vous permettra d'avoir votre diplôme d'Enohria et aurez accès à tous les emplois associés à votre choix d'orientation.
-Et si on rate l'examen ? demanda George à mes côtés d'une petite voix.
Johan pouffa :
-Vous quittez Enohria sans diplôme. Il y a un grand examen à chaque fin d'année. Si vous avez en dessous de la moyenne, vous partez. Le Roi vous l'a dit à la rentrée ; son école est extrêmement sélective. Seuls les plus doués d'entre vous réussiront à obtenir un diplôme. Mais une fois que vous l'avez, vous être certains de pouvoir faire tout ce que vous voulez.
Je déglutis ; je commençai mal. Je commençai très mal.
-Le Directeur de la Section Erkaïn, Aïru, à savoir votre professeur d'Initiation et Maîtrise de l'Art de la Guerre -je vais appeler ça IMAG, pour faire plus court-, à fait ses études ici. Suite à l'obtention de son diplôme, il a été embauché par le Ministère de la Guerre et a tout de suite fait ses preuves. Il est devenu l'un des plus grands généraux de Stellarium.
Je fronçai les sourcils et me redressai sur ma paillasse. Attendait-on de moi que je suive le même parcours ? Etait-ce pour cette raison que Kaï avait interdit mon renvoi ?
Le souvenir de ma discussion avec lui me revint en mémoire, et une pierre chuta au fond de mon estomac. Je ne voulais pas de ce traitement spécial. Je refusai même à croire de posséder un Don.
Je redressai alors les oreilles :
-J'ai une question à vous poser.
Il arqua un sourcil, surpris de mon intervention, et m'invita à poursuivre :
-Allez-y.
-Combien de Phoenicien ayant un Don ont obtenu un diplôme à Enohria ?
A mes côtés, George et Jeane pivotèrent dans ma direction, les yeux écarquillés, et Johan resta interdit quelques secondes. Il me fixa un instant, pensif, avant de déclarer :
-Deux ou trois, il me semble. Le plus connu est sans doute Mistral des Chats, qui a été l'un des plus brillants avocats de Stellarium. Son Don était de décerner la vérité du mensonge. Mais il a été renvoyé de son poste quand on a apprit qu'il avait une liaison avec une Panda-Roux. Je crois qu'il est mort sur les champs de bataille de la Première Guerre des Trônes.
J'acquiesçai en silence. Même si je savais désormais qu'il était possible de réussir avec un poids magique sur les épaules, il y avait là une grande différence : le Don de ce Mistral n'était pas encombrant. Il ne brûlait ni ne détruisait pas.
La sonnerie se fit alors entendre, et les élèves quittèrent vivement leurs places. La prochaine salle de cours n'étant pas bien loin, je pris plus de temps pour ranger mes affaires. George et Jeane demeurèrent face à moi, bien déterminés à m'arracher la vérité.
-Tu as un Don, n'est-ce pas ? murmura l'Ours, les yeux écarquillés. C'est ce qui s'est passé dans le bureau de ton père ? Il s'est déclaré ?
J'agitai les moustaches et rétorquai d'une voix sèche :
-J'ai pas envie d'en parler.
-Alors c'soir tu nous expliques, ok ? insista Jeane.
Toute peur ou colère semblait avoir été oubliée. La curiosité devait probablement l'emporter sur le reste. Je soupirai et m'en retournai vers la sortie, lâchant au passage :
-Si vous y tenez tellement...
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