Chapitre 16 : Une rencontre innatendue (Corrigé)

À nouveau changé en Panda-Roux, je passai les lourdes portes du hall d'accueil de la section Erkaïn sans ménagement. Je reniflai bruyamment, sechant les dernières traces de larmes sur mes joues d'un revers de patte.

Je me traînai dans les couloirs en prenant la porte de gauche, sans savoir vraiment où mon coeur me portait. Je n'avais même pas envie de le savoir, à vrai dire. Cette rentrée était un vrai fiasco. Je ne pouvais pas passer deux jours dans un nouvel endroit sans que tous sachent qui j'étais. Ils pensent me connaître, grondai-je intérieurement, les crocs serrés. Mais ils ne savent pas qui je suis. Personne n'était en mesure de comprendre ce que je ressentai, ou même d'envisager pouvoir le comprendre un jour. J'étais bien mieux seul, tout compte fait. George et Jeane ne m'apportaient que des tords.

J'eus un long soupir ; hier matin encore, je quittai mon île pour la première fois. Je découvrais Stellarium, puis l'école, tout ceci dans une tempête de nouvelles odeurs, nouveaux visages, nouveaux lieux. Ensuite, George et Jeane, qui m'avaient surpris sur le toit et avec qui j'avais trouvé d'étranges atomes crochus. Il faut dire que je m'étais probablement trompé. Je n'avais de liens communs avec personne.

Nous avions ensuite passé l'après midi dans un parc d'attraction. Je me revis rire avec eux, et j'eus une grimace ; ce n'était pas moi, ce Panda-Roux armé d'un grand sourire et jouant comme un enfant. Voilà deux jours que j'avais quitté Erkaï, et j'étais déjà soumis à cette forme d'hypocrisie que je détestai tant.

Comment pouvais-je encore prétendre me connaître ? Un monstre venait d'être libéré, avant de regagner son antre. Il vivait en moi ; il y avait toujours vécu. Et je ne m'en étais jamais douté.

Je m'arrêtai soudain, dressant les oreilles ; je pivotai lentement sur moi-même, un sourcil arqué, et scrutai les ombres du couloir. D'où provenait cet étrange bruit de ruissellement ? Je tournai sur moi-même, perplexe, guettant l'endroit où le son me parvenait le mieux. Je finis alors par repérer une grande double porte de bois à quelques mètres ; curieux, je traversai la maigre distance de quelques pas vifs et tournai la poignée.

Je passai la tête par l'embouchure et écarquillai les yeux en découvrant une immense salle, autant de longueur que de hauteur. Je m'avançai sur le parquet verni, impressionné, et pris le temps d'observer les moindres petits détails. Sur tout le pourtour, des dizaines de bibliothèques s'alignaient, longeant l'allée centrale. Quelques tables comblaient les espaces, garnies d'élégantes lampes vertes. Je fis quelques pas, levant la truffe ici et là ; les murs de droite et de gauche étaient vêtus d'immenses fenêtres terminées d'arabesques. Au fond de la salle, au terme de l'allée, un cercle de dix centimètres d'épaisseur, saupoudré d'une traînée de pétales. Une fontaine s'élançait en son centre, parue de végétaux aux délicates fleurs mauves et roses.

Fasciné, je m'avançai et m'assis face à l'étendue d'eau, la queue enroulée autour des pattes. Je déposai mon sac à mes côtés et me penchai doucement, observant mon reflet. Je n'y vis là qu'un Panda-Roux noir, la mine renfrognée et froide, aux yeux verts perçants qui me semblaient décerner quelque chose d'encore inconnu.

Je grimaçai. Qui étais-je ? Je m'aperçus alors que je n'en avais aucune idée. Ce qu'il s'était produit la veille et que je m'entêtai à oublier finissait par me rattraper. Et dire que c'était sur le point de se reproduire avec le copain de Sinna, songeai-je, réprimant un frisson. Tout ceci me prouvait que celui que je voyais dans le reflet, l'animal sauvage à l'âme de monstre, n'était en réalité qu'un inconnu à mes yeux.

Je vis soudain une ombre filer au fond de mes iris et je reculai brusquement d'un pas, terrifié.

Pourquoi avait-il fallu que ce soit moi, et non un autre ? Je ne voulais pas de ce... monstre. De toute cette magie.

Je soupirai et fermai les yeux. Il me fallait un effort considérable pour empêcher les larmes de couler ; le bilan n'était pas très appréciable. J'arrivai dans cette école, encore perdu, je retrouvai mon père, et découvrais qu'un monstre se cachait en moi.

-Bonjour, jeune Panda-Roux.

Je rouvris brusquement les yeux et mon pelage se hérissa. Surpris, je manquai de bondir vers l'arrière ; Je gardai cependant mon calme et ne bougeai pas d'un pouce. J'entrepris alors de lécher mon échine hérissée tout en lâchant d'une voix froide :

-Vous faites exprès ou quoi ?! Dégagez, je ne veux parler à personne.

Mais, à ma plus grande surprise, je perçus l'amusement chez le vieil inconnu :

-Non.

Je sortis les griffes et relevai la truffe vers l'inconnu :

-Qu'est-ce que vous voulez ?!

J'écarquillai soudainement les yeux : voilà, je venais de signer mon renvoi.

Là face à moi se dressai Kaï, le Roi, sous une allure des plus calmes. Ses yeux azur brillaient et un sourire amusé était pendu à ses lèvres, comme si tout ceci n'était qu'un jeu à son goût.

-Et toi, mon jeune ami, que veux tu ? rétorqua-t-il, taquin.

J'ouvris la bouche, cherchant vainement une réplique qui ne témoignerait pas d'irrespect et qui ne me ferait pas paraître faible non plus ; je réprimai un soupir intérieur. Ce genre de réponse n'existait pas. Agacé, je décidai finalement que quoi que je réponde, mon sort était scellé. Je balayai l'air de ma queue, les oreilles plaquées en arrière, et décidai de la jouer franche : :

-Je voudrais que vous me foutiez la paix.

Mais la vieille Tortue m'ignora :

-Tu as un grand cœur rempli de potentiel, jeune Kenfu.

Je montrai les crocs, cependant légèrement inquiet des répercussions de mes paroles :

-Vous ne savez rien de moi.

Il abaissa le regard vers la surface de l'eau, pensif, avant de lâcher :

-Mon nom est Kaï, et je suis Roi de Phoenix. Crois-tu réellement que le Roi ne puisse connaître la vie d'un de ses sujets ? Je te croyais moins naïf.

Je plissai de la truffe ; il ne savait pas mentir.

-Vous mentez. Vous ne pouvez tout savoir d'une personne à moins de... A moins de...

Ma voix s'éteignit sous mes dernières paroles. A moins de n'avoir activement mené des recherches sur lui.

-Voilà, je savais bien que tu n'étais pas si stupide, sourit-il tout en attrapant délicatement une pétale entre ses griffes.

Il la porta à hauteur de ses yeux, prit le temps de l'examiner quelques secondes avant de souffler doucement dessus. Il la regardait s'envoler, flétrir l'air d'élégants mouvements raffinés avant de se poser à la surface de l'eau, comme si elle ne l'avait jamais quittée.

Je ne savais pas quoi lui rétorquer. A vrai dire, il me prenait de court. Mon insolence ne semblait pas le moins du monde le choquer.

-Tu dois te demander pourquoi j'ai empêché ton père de te faire virer ou même pire, de t'envoyer en prison, fit-il d'un air détâché.

Je me raidis :

-Il voulait m'y envoyer ?

-Non, soupira le vieux Roi, comme soudain ennuyé. Mais ses conseillers voulaient qu'il le fasse.

Je refermai la gueule, perplexe. Mon père avait des conseillers qui lui dictaient quoi faire ?

-Ne crois pas que ton Don m'effraie, jeune Panda-Roux, poursuivit-il.

J'agitai les moustaches et sifflai entre mes crocs, froid :

-Je n'ai pas de Don. Et je n'ai jamais supposé que vous ayez peur de moi.

Il coula un regard amusé dans ma direction :

-Ne recommence pas à être naïf : tu sais que ce qui est arrivé dans le bureau hier soir n'avait rien à voir avec l'alcool. Tu as un Don, et il faut l'accepter. Même si je dois avouer que tu n'as pas hérité du plus pratique.

Il pouffa et je lui décrochai un regard noir : voilà qu'à présent, il se moquait. Cependant, il avait tord sur un point ; à mon sens, tous les Dons étaient dérangeants. Ils étaient des formes de magie puissantes et très rares, ainsi celui qui en était victime voyait généralement sa vie entière impactée. Tout dépendait du Don acquit, bien entendu.

-Je refuse de croire que j'ai un Don, insistai-je, incapable de croire une chose pareille.

Ces derniers ne se révélaient en général qu'entre les cinq et quinze ans de la personne concernée. J'en avais vingt, aussi c'était bien trop tard. Il devait forcément y avoir autre chose.

Je relevai la truffe vers le Roi, agacé de son silence, mais fus surpris de voir que j'étais seul ; il avait disparu. Ou bien avais-je rêvé ? Je le cherchai un instant du regard, penché pour jeter un bref coup d'oeil entre les bibliothèques, mais ne vis personne.

J'eus un soupir, attrapai mon sac et m'étirai, avant de tourner les talons. Il était préférable pour moi que mon esprit ait inventé cette discussion : au moins étais-je sur que je n'étais pas propriétaire d'un Don.

Du moins, je l'espérai...

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