Chapitre 2 (partie 2)

Le lit grinça.

Il se crispa. Si la vieille femme s'était réveillée, elle ne pouvait pas ignorer les crissements de métal. Elle allait débarquer d'un instant à l'autre pour remettre de l'ordre. À grands coups de bâtons, comme à l'orphelinat, ou avec d'autres moyens. Quels qu'ils soient, il ne comptait pas se retrouver blessé quand l'heure viendrait de quitter les lieux.

Un des morceaux de terre cuite avait atterri près de son pied gauche. Il le lança vers la fillette. Surprise dans sa tentative de fuite, elle se pétrifia, avant de se rendre compte que celui qui l'avait prise sur le fait était également attaché. Les lèvres d'Aldavir remuèrent en un « chut » muet, et, d'un signe de tête, il lui indiqua le lit de leur bourreau. Elle attendit simplement que le tintamarre régulier reprenne pour se remettre à la tâche. Lui ne voyait que le débris aiguisé, qui finirait par ne plus l'être à force d'être maltraité. Il n'avait aucune envie de voir son unique moyen de fuite lui échapper aussi sottement.

— Donne-le-moi ! l'invita-t-il, en tirant sur ses liens.

Il avait murmuré assez fort pour se faire entendre, malgré la distance qui les séparait. Elle l'ignora.

— Fais pas l'idiote ! Comment espères-tu te libérer avec ce truc ? C'est une clef qu'il te faut ! Je sais où elle se trouve !

Il sentit son hésitation. Elle n'avait pas confiance en lui. À juste titre. Cependant, il devait la convaincre, et, pour cela, il fallait d'abord l'amadouer.

— Je m'appelle Aldavir. Et toi ?

Les sourcils de la fillette se froncèrent, mais elle demeura muette. Finalement, le plan s'annonçait plus compliqué. Il allait devoir jouer avec la sensibilité de la petite. C'était une gamine, ce serait un jeu d'enfant. Elle avalerait ses mensonges comme un verre de lait bien chaud. Il prit une mine attristée et aimable.

— Je t'ai trouvée dans la forêt. Tu étais blessée...

Elle le fixa d'un regard sévère qui lui fit comprendre qu'il allait devoir la jouer encore plus finement. Il prit une profonde inspiration pour dissimuler son impatience, puis se força à se montrer plus inquiet pour elle qu'il ne l'était en réalité.

— Tu avais du sang partout. Tu m'as fait très peur. J'ai essayé de t'aider, mais cette vieille carne nous est tombée dessus par surprise. Comment te sens-tu ? Qui t'a mis dans cet état ? Pourquoi cette femme t'a-t-elle attachée ainsi ?

Il s'en moquait royalement. Toutefois, le jeu prenait, à sa plus grande satisfaction. Il la vit se mordre la lèvre inférieure, indécise.

— Tu n'as aucune raison d'avoir peur de moi. Comment t'appelles-tu ?

Finalement, les lèvres de la prisonnière remuèrent, sans qu'aucun son ne lui parvienne, mais il en devina deux. Elle aurait tout aussi bien pu murmurer, la vieille femme n'aurait pas été plus dérangée.

— I... da. Ida ? Tu t'appelles Ida ? Tu es muette ?

Elle acquiesça, par deux fois.

Aldavir se sentit un instant coupable de lui mentir.

Oh ! Après tout, c'est pas ma faute si elle est handicapée !

Il lui adressa un sourire des plus enjôleurs.

— Ida, donne-moi ce débris, s'il te plaît. Une fois que je me serai détaché, je pourrai t'aider à enlever ces menottes. La vieille dort, on pourrait s'enfuir tous les deux loin d'ici.

Elle hésita encore.

Allez, magne-toi ! On n'a pas toute la nuit !

Contre toute attente, elle lui lança l'objet au ras du sol. Il s'en empara tant bien que mal avec le bout des orteils et se contorsionna avec difficulté pour que ses doigts parviennent enfin à le toucher. Gagné !

Il gratta les mailles de sa cordelette comme un forcené. Il lui sembla qu'un temps interminable s'était écoulé avant qu'elles ne cèdent enfin. Il se releva et, le bas du corps dissimulé dans la couverture, il attrapa ses vêtements, ainsi que ses bottes, et les enfila à la va-vite. Ida s'était détournée en toute hâte, le rouge aux joues.

Enfin, il rassembla en vitesse un nécessaire de survie. Il s'empara d'un couteau émoussé trouvé dans un tiroir, le glissa à sa ceinture et enfila le large manteau en peau de loup. Il n'aurait pas aimé croiser l'animal de son vivant. À en juger la taille du vêtement, la bête devait être un vrai colosse.

La fillette le fixait ; elle attendait. Fébrile. Nerveuse. Inquiète.

Fâchée.

Il sentait son regard sur lui, sur son dos. Le handicap de la gamine était finalement une chance inouïe pour fuir en toute discrétion loin d'ici !

Sauve ta peau et ne te préoccupe pas d'elle. Elle saura se débrouiller. Ou non.

Il déposa la bandoulière de son sac sur une épaule.

Bah, si la gamine a réussi à fuir cet endroit une fois, elle saura recommencer. Elle apprendra de ses erreurs. Ce qui a péché la première fois lui servira d'instruction pour la suivante. Chacun sa vie, chacun ses problèmes.

Les siens commenceraient dès le seuil de la porte d'entrée franchi.

Sans un regard en direction de la captive, il se dirigea en toute hâte vers la sortie. Il avait la main sur le verrou, quand le bruit de chaînes secouées violemment contre le sol le pétrifia. Ida ne comptait pas le laisser filer sans rien faire. Ses yeux étincelaient de colère. L'idiote !

Il attrapa les anneaux de fer avant qu'elle ne renouvelle son manège. Elle lui décocha un sourire glacial et vengeur. La petite garce ! S'il voulait fuir en catimini, il n'avait pas d'autre choix que de l'assommer ou de l'emmener avec lui. La première solution le tenaillait. Avoir cette fillette dans ses pattes ne ferait que le ralentir – le village était à une journée de marche, à en croire la vieille. Il valait mieux pour lui s'en débarrasser ici et maintenant.

Ida fronçait des sourcils, et ses lèvres remuaient rapidement. Elle était furieuse et comptait bien le lui faire savoir.

— Tu perds ton temps, grogna-t-il sans la relâcher, je ne lis pas sur les lèvres.

La gifle lui fit voir trente-six chandelles.

— Comme ça, c'est plus clair, siffla-t-il entre ses dents serrées.

Sa joue lui brûlait ; la petite avait plus de force qu'il ne l'avait soupçonné. Raison de plus pour qu'il ne s'embarrasse pas d'une tête brûlée et d'un caractère de cochon.

— Je comprends mieux pourquoi la vieille t'a attachée.

Elle lui montra les dents comme un chiot menaçant. Il soupira, agacé : il n'avait pas vraiment le choix sur la conduite à tenir. Il ne lui restait qu'une seule solution : se débarrasser de la gamine une fois dehors et continuer seul son chemin.

— Ça va, j'ai compris. Tu viens avec moi. Mais attention : pas de coups fourrés. Je reviens, ne fais pas de bruit.

Elle lui lança un regard soupçonneux, aussi mima-t-il une clef qu'on tourne dans une serrure. Il lui ordonna à nouveau de ne pas se faire remarquer. Il lui rappela que, contrairement à lui, elle était encore menottée. Cette vérité convainquit Ida de rester immobile. Il approuva son attitude et, à pas de loup, s'avança vers le rideau fermé.

Les ronflements lui indiquaient que son hôte dormait toujours. Du moins, il l'espérait. Quand il tira le tissu, il croisa son regard et eut un sursaut d'effroi. Cependant, la vieille n'eut aucune réaction. La couverture qui la réchauffait se soulevait au rythme paisible de sa respiration. Dans son sommeil, la main tenant le couteau s'était entrouverte. Il s'empara de l'arme, hésita un instant, puis, contre toute attente, renonça à sa première pulsion. S'il haïssait les adultes, il n'était pas pour autant prêt à tuer quelqu'un dans son sommeil. Surtout si cette personne lui avait offert un toit et de la nourriture, qu'elle soit sorcière ou non. Elle lui avait apporté plus d'attention en une nuit que l'orphelinat n'en avait eue durant toute son enfance.

Il vérifia l'emplacement de la clef. Elle était toujours là, et, comble de joie, l'accroche était accessible. En habile et rusé voleur, il défit la chaîne sans trop de difficulté.

Ida s'agita fébrilement lorsqu'il exhiba son trésor.

— Pas de coups fourrés, lui rappela-t-il. Sinon, je t'assomme.

Elle hocha la tête, impatiente. Sans perdre plus de temps, il la libéra et l'aida à se relever. Un vertige la saisit ; il la rattrapa avant qu'elle ne s'effondre par terre. Son odeur lui monta aux narines ; elle sentait mauvais. Sa dernière toilette intégrale devait remonter à plusieurs semaines. Il se força à réprimer son dégoût et l'encouragea à se reprendre et à avancer.

Le vent du dehors leur glaça le visage. Aldavir leva sa lanterne bien haut et avança vers le côté de la maison, sur l'ordre exprès de la fillette. Une petite grange abritait un unique cheval. Tout comme sa propriétaire, il n'était plus très jeune. Il s'efforça de l'apaiser et de le seller. À ses côtés, Ida perdait patience. Elle craignait à tout moment que la vieille femme surgisse. Une fois en selle, il lui posa une couverture épaisse sur le dos. Elle lui fit part de son mécontentement face à cette maigre protection contre le froid.

— Il va falloir faire avec ce qu'on a, ronchonna-t-il, n'étant pas prêt à céder pour autant son manteau.

— Erma ! rugit une voix masculine dans les ténèbres. Ouvre cette porte !

Ida s'était figée d'angoisse. D'un regard autoritaire, Aldavir lui intima de ne pas faire de bruit. Maintenant, des coups violents martelaient la porte en bois. Avec tout ce vacarme, la vieille femme avait dû bondir hors de son lit et constater leur disparition. Ils ne devaient pas perdre de temps. Le cœur battant la chamade, il s'avança silencieusement dans la nuit, murmurant à l'oreille du cheval de faire de même.

En effet, très vite, un rai de lumière chassa l'obscurité.

Ils étaient sept. Sept grands guerriers montés sur des chevaux de belle allure et, surtout, armés jusqu'aux dents. Quand la porte s'entrouvrit, un homme au casque d'acier en forme de tête de loup la repoussa dans la maison. Sa voix leur parvint, rauque et autoritaire. Il était venu chercher Ida.

— La petite est partie, vociféra Erma.

— Quand ?

— Si je le savais, je ne serais pas ici à te le dire ! Il faut la rattraper. Ce garçon a dû l'emmener avec lui.

Elle lui donna une brève description du ravisseur : mince, les cheveux châtains en bataille, la peau claire. Une balafre au menton et sur le nez.

— De toute façon, ils n'iront pas loin ! Avec cet hiver glacial, ils mourront avant d'atteindre le village !

— Ils sont là !

Un homme se tenait non loin des deux fuyards ; il brandissait une arbalète. Une brûlure indescriptible envahit Aldavir lorsque le carreau s'enfonça dans son épaule. C'était trop tard pour la fuite en catimini. Les larmes aux yeux, il monta en catastrophe derrière Ida.

— BAISSE-TOI ! lui hurla-t-il.

Le carreau suivant lui frôla le crâne. Ignorant sa souffrance, il fonça droit devant, à bride abattue.

Dans son dos, les voix furieuses des hommes accompagnèrent le hennissement de leurs chevaux.

Ils les prenaient en chasse. 

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