Chapitre 7

Nous avons décidé de marcher jusqu'au café où nous avions rendez-vous. Louis voulait apparemment rattraper le temps perdu loin du soleil, de la plage, et surtout de son copain. Il nous a fallu bien vingt minutes pour arriver, mais ça a été l'occasion pour moi de contempler, avec une mélancolie nouvelle, la ville de mes rêves.

La nuit dernière, je me suis fait une raison. Avec le déménagement inévitable de Nora, c'était un pan important de ma vie qui va disparaître. Il est probable que ma mère ne me laisse plus descendre dans le sud pour les vacances, puisque je vais sûrement devoir arrêter de bosser à la librairie.

Aujourd'hui, j'aborde ce tournant dramatique avec une fausse sérénité qui n'a pour but que de leurrer ma tante, Louis, et n'importe qui d'autre qui aurait parié sur une crise de nerf. Désolée les gars, mais vous n'aurez pas le numéro de drama queen que vous attendez tous. Personne n'a besoin de savoir que j'ai passé le reste de la nuit à pleurer.

Comme c'est notre première sortie de groupe après deux semaines de boulot, j'ai fait un effort vestimentaire, même si à côté de la tenue de Louis, j'ai l'air d'une nonne. Il rayonne dans ses vêtements moulants, ses baskets hors de prix, les bijoux qui brillent chaque fois qu'il se place en plein soleil. Et moi, je ris de le voir si libre à nouveau. D'autant que son jean lui fait vraiment un cul de l'enfer.

La robe bleu ciel, que j'ai enfilé après de longues hésitations, me gratte et ne me ressemble pas. Louis et Nora ont beau me répéter qu'elle me va très bien, je me sens ridicule. Les petits imprimés de pâquerette qui la parsèment sont très mignons, et les bretelles fines idéales pour l'été, mais je me demande encore comment j'ai pu penser à l'acheter.

Pour compenser un peu mon grand saut dans l'inconnu, j'ai décidé d'enfiler mes Dr Martens, peu importe que j'ai failli cuire dedans la dernière fois.


Le café que nous avons choisi se trouve dans le vieux centre de Nice. Situé sur une place très mignonne, avec une fontaine en son centre, c'est le café préféré d'Éloïse parce que Marc y travaille.

Quand nous arrivons, tout le monde est déjà là. Je retrouve avec plaisir Cheyenne et Élo', Marc, et surtout Léo. Louis se jette dans les bras d'Esteban et la blonde me désigne la place à ses côtés. Même si je suis gênée, je m'approche et me faufile entre les tables pour venir m'asseoir.

— Salut, marmonné-je.

— Hey.

Léo dévisage ma tenue sans se cacher et je me triture les ongles, attendant, sans en avoir trop conscience, le verdict. Mais elle ne fait aucun commentaire et, à la place, c'est Cheyenne qui se penche vers moi.

— Crevette, c'est nouveau ton style ! T'es trop mignonne.

— Grave, nous lance Marc de l'autre côté de la table.

Bientôt, je reçois les compliments de chaque personne présente, et le rictus victorieux de Louis en prime.

— I-Il faisait chaud aujourd'hui, alors...

Mon excuse pathétique les fait rire, mais Léo ne me lâche pas du regard. Je n'arrive pas à comprendre si elle est fâchée, pensive, déçue, ou juste si elle s'en fiche. Ça me tue. Alors pour compenser, je souris et me tourne vers elle dans le but évident de faire la conversation.

— Ça va ? (D'accord, on repassera pour le sujet original.)

Son sourcil droit se soulève si haut que c'en est impressionnant. Elle finit par me rendre mon sourire.

— Tu t'es faite belle pour moi ? susurre-t-elle.

— Rêve. C'est Louis l'amour de ma vie.

Mon meilleur ami me souffle un baiser joueur alors même qu'il est perché sur les genoux d'Esteban. Je lui fais un petit signe faussement amoureux, un clin d'œil, et enfin Léo roule des yeux.

Comme il y a du monde ce matin, Marc ne peut pas rester beaucoup avec nous. Après nous avoir apporté nos boissons, il reprend son service. Je profite de son absence pour aborder le sujet épineux avec Éloïse.

— Toujours au point mort ?

Je sais déjà que Louis nous écoute discrètement, et que Léo aussi, même si elle semble occupée sur son téléphone. Éloïse se passe une main sur la nuque et m'offre un soupir lourd de sens.

— C'est toujours la même chose, m'explique-t-elle. J'arrive pas à aborder le sujet avec lui. Je ne sais pas s'il peut comprendre, s'il...

— Si tu lui demandais, tu le saurais. Tu connais Marc, à quoi est-ce que tu t'attends ? Un lynchage public ?

Élo' rit nerveusement et je lui réponds par un sourire plein de compassion. De toute façon je peux bien parler, je n'y connais rien non plus. Quand, des années plus tôt, à l'occasion d'une soirée pyjama, Éloïse nous a avoué être asexuelle, je suis restée conne. Je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était. Depuis, Cheyenne a. k.a professeur LGBT m'a fait une remise à niveau et je pense gérer les bases.

D'après ce que je sais de Marc, ça ne devrait pas poser de problème. Sa famille est adorable et l'une des plus tolérantes que je connaisse, il a un frère homosexuel et son meilleur est noir. Autant vous dire qu'il a été élevé dans la plus parfaite et totale acceptation de l'autre et de ses différences. C'est pour cette raison que Cheyenne et moi encourageons Élo' à tout lui dire, parce qu'il est clair qu'il est raide dingue d'elle.

— De toute façon, si tu ne lui dis pas la vérité tu vas le perdre. Et tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même.

Nous nous tournons de concert vers Léo, qui garde son visage baissé sur son écran.

— Ils sont amoureux depuis le collège, lui répliqué-je. Marc a toujours laissé attendre qu'il attendrait, alors il le fera.

L'ambiance se refroidit d'un coup quand Léo lève les yeux de son écran et me toise avec toute la dureté de la glace.

— Pourtant il avait l'air très amoureux de celle qu'il embrassait, hier soir.

La nouvelle tombe comme une chape de plomb et nous abruti. Plus encore, c'est l'indifférence de Léo qui me choque, qui forme une boule dans mon ventre et provoque mille frissons sur ma peau. Nous regardons tous Élo' se lever et s'éloigner de la place, sans rien dire. Moi, je jette un regard qui, je l'espère, communique toute ma déception à Léo et je me lève pour entrer dans le café.

— Marc, l'appelé-je.

Arrivée à sa hauteur, je désigne l'extérieur.

— Il faut que tu... va la voir. Maintenant. Si tu l'aimes, va la chercher, parce que...

Il ne me laisse pas terminer et s'en va. J'entends vaguement les autres lui indiqué la direction qu'a pris Éloïse, son patron le héler alors qu'il est déjà loin. Mes mains agrippent une chaise et je prends un instant pour respirer et faire le vide dans ma tête.

Je n'en veux pas à Marc, en fait je n'ai pas réfléchi à la situation. Je veux juste que, quoi qu'il se soit passé, lui et Élo' s'expliquent. Parce que ce n'est pas à moi de juger. Quand je reviens à notre table, tout le monde fait la gueule, et probablement à Léo. Moi-même, je ne comprends pas ce qu'il lui a pris. Elle m'avait toujours paru compréhensive, malgré ses airs de je-sais-tout et son autorité. Mais je repense à ce que m'avait dit Éloïse, à cette aversion qu'elle semblait avoir pour les hommes, et peut-être que c'est là que réside toute l'explication. Peut-être qu'elle en veut à Marc d'avoir fait ça, parce qu'elle aussi elle a côtoyé Éloïse, et elle aussi elle a dû se rendre compte de ce qui les liait.

— Pourquoi t'as fait ça, Léo ?

C'est Cheyenne qui pose la question, le ton sec.

— Il valait mieux qu'elle sache. Qu'elle arrête de se faire des idées. Marc est pas différent des autres mecs.

Je jette un coup d'œil nerveux vers "les autres mecs". Louis pince les lèvres et Esteban garde un visage complètement fermé. C'est la première fois que je vois le groupe désapprouver Léo. Et je me doute que ce n'est pas la première fois. Finalement, c'est Esteban qui parle :

— Tu n'as pas à faire payer Marc pour ce que d'autres ont fait. Il a toujours été adorable avec toi.

— Adorable, mon cul oui. Il voulait juste tirer son coup.

— Léo ! s'insurge Cheyenne.

La blonde se lève d'un coup, me faisant sursauter. Elle nous offre un regard furieux et déguerpit presque aussi vite que ne l'a fait Éloïse. Le silence retombe, plus lourd encore, saturé cette fois de rancœur.

— C'est quoi ce délire avec Léo ? Qu'est-ce qu'il lui prend ? jeté-je au reste de mes amis.

Il y avait clairement quelque chose qui n'allait pas dans cette histoire. Quelque chose qui expliquait son comportement. Cheyenne dépose une main apaisante sur mon épaule et je réalise que mes poings sont serrés sur mes cuisses.

— On ne sait pas trop non plus, en fait, m'avoue-t-elle. Mais depuis qu'on la connaît, il lui arrive d'avoir ce genre de discours sur les hommes, comme si elle les détestait du plus profond de son cœur...

— Bah elle est lesbienne, non ?

— Je suis gay mais je ne viens pas traiter les femmes de putes, me contredis Louis.

J'acquiesce dans sa direction et lui adresse un petit sourire d'excuses. C'est vrai que c'était une remarque à la con.

— Bref, reprends Cheyenne, on ne sait pas trop quel est son problème exactement. Elle ne nous raconte jamais sa vie. Mais il lui arrive assez souvent de faire ce genre de choses ; de s'attaquer à un gars, sans raison.

— Une fois, interviens Esteban, j'avais invité tout le monde à une soirée chez moi. Elle est rentrée dans la salle de bain au moment où j'allais pisser et m'a insulté de tous les noms, puis elle est partie en claquant la porte.

— Qui fait ça après avoir vu ton magnifique service trois pièces, franchement ? se moque Louis.

J'aurais pu recracher ce que j'avais dans la bouche si je n'avais pas terminé mon coca. Les autres ricanent, et mon ami embrasse Esteban sur le nez pour se faire pardonner. Mais j'avais compris où il voulait en venir : Léo avait tapé un scandale pour une raison qui leur échappait tous. Et elle venait de recommencer.


On a attendu Marc et Éloïse pendant encore dix minutes, puis ils sont revenus. Éloïse avait le visage rouge de gêne et elle évite de croiser nos regards en revenant s'asseoir. Comme Léo est partie, je rapproche nos chaises et attends que Marc reprenne son service pour me pencher vers elle.

— Alors ?

Tout le monde se tait, très attentif. Élo' nous scrute et je me demande un instant si elle ne va pas fondre en larme. Mais non, elle rit nerveusement et hausse les épaules.

— Bon bah... je lui ai tout dit.

Silence. On attend tous la conclusion, perdus à ses lèvres.

— Et ? la pressé-je.

— Et il m'a proposé de sortir ensemble.

Cheyenne hurle de joie et se jette dans les bras d'Éloïse, presque aussitôt imitée par Louis. Esteban échange avec un moi un rire blasé, mais bientôt nous sommes tous autour de la rouquine pour qu'elle nous raconte les moindres détails.

Plus tard, Marc nous propose d'aller manger quelque part sur le port. Pendant que nous partons, j'envoie un message à Léo pour la tenir au courant, au cas où elle voudrait revenir. Je n'arrive pas à me sortir son attitude étrange de la tête. En marchant jusqu'au port, je prends un peu Éloïse à part.

— Hey, ça va ? Par rapport à ce qu'à dit Léo ?

— Ça va. Marc m'a expliqué qu'il avait bu hier soir et qu'il avait embrassé une fille au pif parce qu'il pensait qu'il n'avait aucune chance avec moi. De toute façon, je m'en fiche tu sais. On n'était pas ensemble, il pouvait bien faire ce qu'il voulait.

Je médite ses paroles et lie mon bras au sien. Après des années à se tourner autour, les savoir ensemble relevait un peu d'un rêve. Mais j'étais heureuse pour eux.

— Je comprends pas pourquoi elle a fait ça, avoué-je.

— Il n'y a rien à comprendre Shéra. Si elle a fait ça, c'est pour une raison, mais on a pas besoin de la connaître. C'est comme ça, c'est tout.

— T'es vachement mature, pour une gamine de vingt ans, lâché-je.

Le beau rire d'Élo' se répercute sur les murs autour de nous. Son rire aussi, me manquera.

— Léo est étrange, Shéra. Je ne ferai pas comme si je la comprenais parfaitement, parfois son attitude m'échappe à moi aussi. Mais qui suis-je, pour juger ce qu'elle fait ? On ne se connait pas si bien que ça, et visiblement c'est ce qu'elle veut. C'est important d'accepter qu'on ne puisse pas toujours comprendre l'autre.

— Tant mieux alors, parce que je comprends que dalle.

Élo' m'échappe quand Marc ralentis pour prendre sa main. Je les regarde s'éloigner et fait un geste pour enfouir les mains dans mes poches, mais me souviens que je porte une robe. Satanée robe.


Nous déjeunons à une crêperie sur le port. Les conversations sont toutes tournées vers Éloïse et Marc, mais je ne peux m'empêcher de penser à Léo, qui n'est pas venue. Où est-elle allée ? J'avais comme un mauvais pressentiment.

J'ai dû paraître vraiment inquiète, car Louis se tourne vers moi pour me parler discrètement.

— Tu veux l'adresse de Léo ? me propose-t-il.

— Tu l'as ?

— En mars je devais venir chez elle pour rédiger un devoir. À la dernière minute elle m'a proposé qu'on aille le faire dans un café. Mais elle m'avait quand même envoyé l'adresse. Alors ? Tu l'as vu ?

— Pas spécialement...

Il ricane et tapote ma tête. Je me retiens de l'envoyer paître.

— Ça se voit, que tu penses à elle. Tu devrais peut-être aller voir comment elle va, et peut-être qu'elle te parlera, à toi. Nous, on a déjà abandonné.

— Elle va juste m'envoyer chier, comme à chaque fois, plaisanté-je.

Louis m'a quand même envoyé l'adresse, et j'ai quand même décidé de m'y rendre après manger. J'ai dit au revoir à tout le monde en prétextant faire un détour pour rentrer, histoire de laisser un peu Louis et Esteban seuls chez moi.

Léo habite vers le quartier Saint-Antoine. J'ai préféré prendre le bus, mal à l'aise dans mes sandales et ma robe. L'adresse mène à une bâtisse assez ancienne, composée de deux étages. Les murs jaunes sont sûrement d'époque, et je devine que les étages offrent une belle vue sur la méditerranée.

Maintenant que je suis arrivée, j'hésite à continuer. Léo n'a probablement pas envie de me voir, encore moins chez elle – elle n'a jamais esquissé l'envie d'inviter qui que ce soit, après tout. En même temps, je ne suis pas venue ici pour rien. Je prends donc mon courage à deux mains et m'avance pour toquer.

Au même moment la porte d'entrée s'ouvre en grand, révélant Léo.





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