Chapitre 19

Joyeuses fêtes à tous ! J'espère que vous avez passé un bon réveillon et un bon nouvel an. Aujourd'hui on se retrouve pour un nouveau chapitre, un petit cadeau de ma part pour fêter cette nouvelle année. Bonne lecture !

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Dieu merci, Baya ne me laisse pas mariner dans mon désespoir longtemps. Dès le lendemain matin, et étonnement tôt pour un samedi, je reçois un message de sa part.

Baya : s'il a pas les couilles de s'engager, il en vaut pas la peine. T'es trop vieille pour donner sa chance à un morveux.

Je regrette aussitôt de lui avoir demandé conseil, même si je suis partagée entre le rire et les larmes. Enfin, sur certains aspects, elle a raison : je suis censée être une adulte, même si je n'y crois pas moi-même. Je ne peux pas laisser les peurs et les angoisses des autres m'atteindre comme si elles étaient les miennes. C'était déjà à la limite du raisonnable quand j'étais au collège, mais j'ai appris à me protéger. En tout cas, je veux le croire.

Comprendre les raisons de Léo et les respecter ne m'empêche pas de me protéger. Je peux entendre la voix de Cheyenne me seriner de penser à moi avant tout. Self-care, Shéra. Self-care.

Le week-end m'offre l'occasion de traîner à la maison. À Paris, je suis très casanière. Je n'aime pas sortir, je n'aime pas rentrer tard. Ici, il y a toujours quelque chose à faire, quelqu'un à voir. C'est épuisant. Je passe donc mon samedi en pyjama à lire et regarder une série, ou cuisiner avec Nora. Elle se méfie d'abord, car la dernière fois que j'ai passé autant de temps à "ne rien faire" c'était sous le coup de la déprime.

Rapidement, je me mets à penser à Léo, à ses excuses de la veille. J'ignore ce que je devrais faire. Une grande partie de moi crève d'envie de lui pardonner, de céder à ses avances, même si derrière il n'y a aucune promesse. Et une autre refuse de se contenter des miettes. J'aurai Léo entièrement, ou je ne l'aurai pas du tout. Jusqu'au dimanche, je me fixe sur une décision, puis passe à l'autre. Je suis incapable de trancher.

Ma libération se présente le dimanche soir sous la forme de ma tante, qui vient voir comment je me porte dans ma chambre.

— Ça va ma puce ? Tu n'as pas trop chaud ?

Il n'y a pas de clim dans cette maison, et l'unique ventilateur se trouve dans le salon. Je vis difficilement dans cette chaleur, mais je vis.

— Ça va. Tu veux parler ?

Ma tante ne vient jamais dans ma chambre à moins que quelque chose la tracasse. Encore un avantage de vivre chez sa tante : elle respecte votre vie privée, contrairement à votre mère.

Comme si elle n'attendait que ça, Nora se glisse dans la pièce et vient s'installer sur le lit, très mignonne dans sa djellaba. Elle sort ce vêtement quand les journées sont caniculaires.

— Tu ne me parles pas beaucoup ces temps-ci, et j'ai l'impression que tu vis beaucoup de choses compliquées. Je voulais juste te dire que si quelque chose ne va pas, tu peux m'en parler. Si c'est à cause de la vente de la maison, je...

— Ce n'est pas ça, tata. Je m'en suis remise, depuis le temps.

Même si pour ça il a fallu que je fasse un scandale. Elle et moi échangeons un sourire complice. J'abandonne mon téléphone et me redresse, l'invitant à s'installer avec moi contre le mur.

Son visage défiguré par l'inquiétude me serre le cœur. Et soudain, je suis prise d'une idée de génie. Ma quête pour des conseils en amour n'aboutit pas, et je viens de réaliser que j'ai devant moi une femme qui a vécu la plus belle histoire d'amour que je connaisse.

— Okay, si tu promets de ne pas rire, je te raconte, lui annoncé-je, l'air grave.

Son corps est secoué d'un reniflement outré. Difficile à imaginer, mais très comique.

— Quand est-ce que je me suis déjà moquée de toi, Shéra ?

— Jamais, je te taquine.

— Est-ce que c'est important pour toi ?

— Plutôt, oui.

— Alors attends, je vais faire du thé.

Elle s'éclipse avant que j'aie pu la retenir. Je ne comprendrai jamais pourquoi le thé est la première réponse en cas de problème, mais je ne dirais pas non à un bon thé à la menthe. Nora revient quelques minutes plus tard avec deux tasses fumantes.

Nous nous installons confortablement, et je lui raconte tout. De ma rencontre avec Léo aux sentiments que j'éprouve depuis maintenant des semaines, de nos disputes à nos réconciliations. Je lui explique ce qui me tord les boyaux ces temps-ci. Elle m'écoute avec attention, son regard vide de jugement sauf lorsqu'il s'agit des autres.

— Pour conclure, Léo fait tourner ta nièce adorée en bourrique, finis-je.

— Je vois ça.

— Qu'est-ce que je devrais faire, d'après toi ?

Nora prend mes mains dans les siennes. J'ai envie de lui dire que le numéro de la vieille maghrébine ne marche pas pour une personne de son âge, mais c'est totalement faux. Son visage respire la sagesse et ses yeux sont pleins de compassion. Elle donne l'impression que tout peut être réglé avec une boîte de makrout et des proverbes.

— Ma chérie, tu dois d'abord penser à toi. Ce n'est pas grave de faire des erreurs, et tu ne peux pas regretter tant que tu n'as pas fait de choix. Quand j'ai épousé ton oncle, toute ma famille était contre. Un blanc gringalet, sans argent, ce n'était pas le gendre idéal. Mais je n'ai jamais regretté ma décision.

— Ne compare pas mon amourette à ton drame romantique s'il te plaît, râlé-je. J'ai juste... peur d'être blessée, à la fin. Et puis c'est peut-être le dernier été que je passe à Nice, alors...

— Ce n'est pas en ayant peur d'être blessée que tu accompliras quoi que ce soit d'important, Shéra. Il y a plein de raisons pour lesquelles tu ne devrais pas t'accrocher à Léo. Mais s'il y en a au moins une pour que tu persévères, alors fonce.

Le soir venu, au lieu de dormir, je réfléchis. Je réfléchis aux mille raisons qui font que je devrais abandonner Léo. Elles sont si nombreuses que c'en est ridicule. Léo est inconstante. Malade. Elle vit à des centaines de kilomètres de chez moi. Je suis sûre de finir meurtrie à la fin. Trop de raisons pour que le choix inverse soit rationnel.

Et si tu trouvais une seule raison de le faire ?

Mes cheveux flottent comme un nuage sombre autour de mon visage alors que je dévale la pente en vélo, à pleine allure. Il est presque deux heures du matin, je devrais dormir, mais impossible de fermer l'œil. Au moment où j'ai trouvé ma réponse, j'ai enfourché mon bolide et me voilà en chemin vers les regrets.

Lorsque j'arrive chez Léo, mes poumons menacent d'exploser. Je compose son numéro, essaie de calmer mon souffle erratique. Quand elle décroche, je lui dis de descendre. En attendant, j'essuie mes mains moites sur mon jogging, le cœur complètement emballé.

C'est de la folie.

Et si tu trouvais une seule raison de le faire ?

Une raison ne suffit pas. C'est trop risqué.

Une seule raison face à mille autres. Qu'est-ce qui vaut vraiment le coup ?

J'en sais rien, bordel.

Léo finit par descendre. Son pyjama et ses yeux bouffis ne suffisent pas à la rendre laide.

— Shéra ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Je ne réponds pas et l'attire vers moi. Quand mes doigts s'enroulent autour de son poignet, je sais que je ne voudrai jamais les en déloger. Elle se laisse faire, trop surprise peut-être, et je ne prends pas le temps d'examiner son visage lorsque je ferme les yeux et l'embrasse.

C'est la chose à faire. La seule qui vaille vraiment le coup.

Toutes mes inquiétudes disparaissent quand nos lèvres se caressent. Soudain, je peux énoncer un million de raisons pour ce choix.

Nous nous écartons, et je me demande quel visage je dois faire pour la voir si bouleversée. Mais le moment n'est pas à l'hésitation.

— Sors avec moi, Léo, murmuré-je. Même si c'est pour un mois ou pour un an, même si tu as peur, même si tu dois me briser le cœur à la fin, sors avec moi. Fais-moi vivre un conte des mille et une nuits.

La référence la fait sourire. Je jurerais que mes yeux sont au bord des larmes tant je suis gonflée de courage. Mes mains trouvent les siennes, mes yeux ne quittent pas les siens.

— Sors avec moi, répété-je. Je te pardonne tout ce que tu as fait et fera, alors sors avec moi, Léo.

Le silence qui suit opprime ma poitrine jusqu'à l'étouffement. Je n'entends plus rien hormis sa réponse et son souffle contre mes lèvres lorsqu'elle m'embrasse en retour.

— D'accord.

— Viens.

Elle m'entraîne chez elle. Nous nous faisons silencieuses en montant jusqu'à sa chambre et en s'installant dans son lit. Mon cœur bat toujours à un rythme effréné, l'excitation oblitérant complètement le reste de mes émotions. Je ne résiste pas à sa voix lorsqu'elle me propose de dormir ici, de m'allonger près d'elle. J'en ai rêvé depuis cette nuit où nous nous sommes embrassées pour la première fois.

Cette fois, tout est différent – du moins j'aimerais le croire.

— À quoi tu penses ?

À toi. À tout. À mon futur cœur brisé, et aux prochains jours que je passerai à tes côtés. À notre première fois.

Je lui souris, nous nous faisons face.

— À rien, lui dis-je. Je suis heureuse, c'est tout.

Elle embrasse mon nez et je ne vois plus que ses yeux pleins d'une émotion que je ne peux pas inventer.

— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? lui demandé-je.

Nous parlons bas pour ne pas rompre l'ambiance feutrée de la chambre. L'unique lumière nous vient de la lune, qui déverse ses éclats argentés par la fenêtre. L'instant me semble magique.

— Je n'ai pas envie de manquer une bonne expérience à cause de mauvais souvenirs. Et Emilie est partie à cause de mes propres erreurs. J'ai juste à ne pas les reproduire.

Son aveu me fait du bien. J'aurais aimé la féliciter de reconnaître sa part de responsabilité dans sa rupture, mais je ne suis pas sa psy. Je me contente donc de l'attirer dans mes bras. Son odeur emplit mes narines et je frissonne de plaisir.

Nous nous enlaçons longtemps, et je me sens comme la femme la plus heureuse du monde. Mais même si j'aurais adoré m'endormir là, je me force à me lever quand mon téléphone affiche trois heures du matin.

— Je dois y aller, chuchoté-je à Léo.

Elle gémit dans un demi-sommeil et ouvre les yeux pour me contempler.

— Tu t'en vas ? bougonne-t-elle.

Je lui souris et caresse ses cheveux.

— Oui. Ma tante va me tuer si elle apprend que j'ai découché sans la prévenir. Et pas sûre que tes parents apprécient de me trouver dans ta chambre le matin.

Elle n'argumente pas. Je lui offre un baiser avant de récupérer mes affaires et m'éclipser. J'arrive par le plus grand des miracles à ne réveiller personne en sortant et récupère mon vélo échoué sur le côté. Ce n'était pas très intelligent de le laisser là mais j'ai agi sur le moment.

Malheureusement, j'ai moins de chance en arrivant à la maison. Nora m'attend de pied ferme dans le salon, la mine inquiète. J'ai sous-estimé la fréquence de ses insomnies et je vois déjà s'afficher trois appels manqués sur mon téléphone pendant que je roulais.

— Hello tata, tenté-je en la rejoignant.

— Où étais-tu ? je suis venue voir si tu dormais et j'ai trouvé ta chambre vide.

— Désolée. J'étais occupée.

— Occupée à quoi, en plein milieu de la nuit ?!

Sa colère agit comme une douche froide après l'état euphorique dans lequel je me trouvais.

— Écoute, je suis désolée de ne pas t'avoir répondu, mais j'avais un truc urgent à faire.

— Ta mère n'aimerait pas savoir que tu sors à ces heures-là sans prévenir personne.

La mention de ma mère me fait tiquer immédiatement.

— Ne mêle pas maman à ça. Elle ne sait rien de ce que je fais ici et elle n'en saura jamais rien. Et j'espère que tu me penses assez mature et responsable pour prendre soin de moi et ne pas le rapporter à ma mère.

Je la dépasse, mon humeur définitivement gâchée et pars m'enfermer dans ma chambre. Malgré tout, en me rallongeant, les souvenirs de cette nuit me reviennent et rétablissent le sourire sur mon visage.

Je n'arrive pas à croire ce qu'il vient d'arriver. Comment j'ai pu avoir assez de courage pour dire tout ça ? Et plus encore, la réponse de Léo me semble trop belle pour être vraie. J'espère ne pas avoir rêvé.

La porte de la chambre de Nora qui claque me convainc que tout ceci n'est pas un songe, mais la plus pure et belle des réalités. Comme si elle lisait dans mes pensées, Léo m'envoie un dernier message avant que je m'endorme :

Léo : Je ne ferai pas d'erreurs. Je te le promets. 

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