Chapitre 17
Et non, vous ne rêvez pas : en ce doux dimanche de décembre, vous avez non pas un, mais deux chapitres à lire ! C'est pour me faire pardonner du temps astronomique que je mets à écrire et à poster. Et pour vous remercier aussi <3
Bonne lecture !
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Août arrive, et avec lui, une chaleur caniculaire qui vient abrutir les derniers résistants. Les retrouvailles en café le soir se sont transformées en fin d'après-midi sur la plage, à lézarder au soleil pour espérer sentir la plus petite des brises. Je ne peux pas m'empêcher de penser que ces moments me manqueront.
Aujourd'hui, l'équipe est au complet et j'ai même proposé à Justine de nous rejoindre. Je ne suis pas spécialement proche d'elle, mais une séance de baignade dans cette chaleur ne doit pas être limitée par le nombre de personnes. Et je sais que mes amis l'accueilleraient à bras ouverts.
Fait notable : même Léo est présente. En fait, elle vient de plus en plus souvent, mais je fais semblant de ne pas m'en rendre compte. Même si j'aimerais la féliciter de remonter la pente, je me considère toujours en guerre contre elle. En conséquence, nous ne nous adressons pas la parole. Je ne sais pas ce qu'il en est pour les autres ; je n'ai pas l'impression qu'elle se soit confiée à eux. De temps en temps, je croise le regard perplexe de Cheyenne. Je suis sûre qu'elle nous avait déjà réservé une page de couple dans son bullet journal, et je me retiens toujours de lui ricaner au nez : à ce stade, elle peut l'oublier.
Louis fait comme si de rien n'était, et Éloïse n'est pas assez rancunière pour l'ignorer, alors Léo s'est incrustée de façon discrète, comme si elle ne sortait pas de plusieurs semaines de dépression. Son sourire reste inchangé et au bout d'une semaine, plus aucune trace de son état passé n'est lisible sur son visage.
Les premiers jours, j'ai eu du mal à l'ignorer. Chaque fois que nos regards se sont croisés, j'ai dû détourner le mien à regret. Sa personnalité franche et vive m'a donné du fil à retordre, mais au bout de quelques jours elle a finalement compris que je ne voulais plus lui parler. Pour une fois, la rapidité avec laquelle elle s'est adaptée m'arrange. Alors que j'avais détesté qu'elle m'ignore d'elle-même, aujourd'hui je ressens un profond soulagement lorsque je me rends compte que je n'avais pas pensé à elle tel jour. Ça me donne l'impression de me défaire de son emprise.
J'ai parlé de tout ça à Cheyenne, à l'occasion d'une soirée film à deux. Je lui ai confié mes sentiments pour Léo, les récents événements, le chaos émotionnel que tout cela générait. Loin de paraître surprise, elle m'a écoutée avec attention jusqu'à ce que je termine.
— On s'en doutait tous un peu, tu sais, me confie-t-elle ensuite.
— A-Ah ?
— Vous étiez inséparables pendant des semaines. Je ne t'ai jamais vue sortir de ta zone de confort pour quelqu'un d'autre.
Elle entreprend ensuite de m'interroger pendant toute la durée du film. Je réponds à ses questions, même les plus embarrassantes. C'est seulement à la fin, lorsque je suis presque assoupie contre Cheyenne, que je réalise la magie du moment : je me sens apaisée d'avoir établie de vive voix ma relation avec Léo.
— Je ne sais pas si tu as raison de l'ignorer, me confie mon amie, et ça ne me regarde pas de toute façon. Tu es assez grande pour prendre les bonnes décisions.
— Mais j'aime bien recevoir tes conseils, boudé-je.
— OK. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
— Est-ce que c'est insensible de lui en vouloir ? Sachant sa...
— Sa dépression ? Léo a un fort caractère. Crois-moi, elle ne se laissera pas anéantir parce que sa conquête la rejette.
Mon air penaud suffit à lui faire lever les yeux au ciel. Cheyenne étend un peu plus son bras pour me rapprocher d'elle, et je me blottis avec plaisir contre son corps. Pendant quelques secondes nous ne disons rien, alors nos regards se perdent sur l'écran de télévision qui diffuse Le Seigneur des anneaux, même si je n'ai aucune idée duquel il s'agit et de quoi ça parle. Cheyenne les regarde religieusement dès qu'elle en a l'occasion.
— Tu sais, ce n'est pas parce que quelqu'un a un trouble, une maladie, ou une condition spécifique que tu dois tout leur excuser et les ménager tout le temps. Le fait que Léo fasse une dépression n'a rien à voir avec le fait qu'elle t'a brisé le cœur.
Je lève des yeux surpris vers mon amie, qui reste toujours concentrée sur son film. Léo m'a brisé le cœur. Je ne l'avais pas considéré de cette façon.
— J'ai invité ma cousine et quelques amies pour une soirée entre filles la semaine prochaine, ça te dit ? On fera ça chez Éloïse, c'est plus grand qu'ici.
J'accepte avec plaisir. Boire et danser, un programme qui me fera sans doute du bien.
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Quand j'arrive devant la porte, j'hésite. En milieu de semaine, Cheyenne m'a appelée pour me prévenir qu'elle avait invité Léo après avoir bu un coup avec elle. Sur le moment, je lui en ai voulu, mais elles sont amies depuis longtemps, et je n'ai pas envie de gêner Cheyenne en le lui reprochant.
Sauf que maintenant que j'y suis, je stresse. Je n'ai pas envie de revoir Léo. En partie parce que ça va faire quatre jours que je l'évite comme la peste et de façon évidente, mais aussi parce que si, par malheur, elle recommençait à me draguer, je ne sais pas ce que je ferais.
— Ne sois pas débile, me grondé-je. Tu vas rentrer, boire, t'éclater un max et t'endormir sur le super tapis du salon.
Bon, à l'origine ce n'est pas le genre de programme que je suis, mais l'idée de me bourrer la gueule est trop tentante ce soir.
Je finis par entrer, pour découvrir un appartement au niveau sonore beaucoup trop élevé à 19h. Heureusement que l'immeuble est très bien isolé. Éloïse accoure vers moi, un verre en main, et m'indique où déposer mes affaires. Tout le monde est déjà là, mais je ne reconnais que Cheyenne... et Léo. Les trois autres filles sont inconnues au bataillon et mes amis me les présentent brièvement, même si j'oublie instantanément leurs prénoms.
En tout cas, on peut dire qu'elles savent s'amuser. La table basse a été réquisitionnée pour la nourriture et les boissons, et après avoir toutes discuté et bu quelques verres, Manon s'est lancée en première pour une chorégraphie étonnante sur Bad Romance. Même si j'adore cette chanson, je n'ai pas assez bu pour la rejoindre, mais Cheyenne et Julie ne se sont pas fait prier.
Pendant la première heure passée autour de la table, j'eus du mal à ignorer la présence de Léo à ma gauche. J'avais élu domicile sur le tapis – très confortable – et Léo était installée dans le canapé, une bouteille de bière en main.
Plusieurs fois, je crois sentir son regard sur moi. L'esprit festif n'a pas vraiment réussi à déloger la boule dans mon ventre et je me retrouve à enchaîner les verres sans vraiment y faire attention. Dieu merci, je ne tiens pas l'alcool, alors quand je me lève après trois verres, je sais que j'ai eu mon compte. Le trajet salon – toilettes me paraît long et semé d'embûches, mais au bout de plusieurs allers-retours, je ne titube plus l'heure qui suit.
Après mon cinquième passage, les filles sont toujours en pleine compétition de danse au milieu du salon. Comme j'ai clairement la dalle et qu'il est vingt-et-une heures passées, je marmonne à Éloïse que je vais faire des pâtes. Elle acquiesce en riant et me laisse me débrouiller. Je connais bien son appartement pour y être venue très souvent, donc je n'ai pas de difficultés majeures, d'autant plus que m'éloigner du vacarme musical me fait un bien fou. Mes pâtes prêtes, je me sers une assiette et m'affale sur une chaise, paquet de gruyère et crème fraîche en main. Je regrette déjà d'avoir autant bu sans manger autre chose que des chips et j'ai hâte d'offrir à mon estomac quelque chose de plus consistant.
— Je peux ? me demande quelqu'un en entrant.
— Vas-y, il y en a pour tout le monde j'ai fait tout le paquet.
Je ne lève pas les yeux de mon assiette pendant que la personne se sert, et lorsqu'elle s'assied en face de moi, je découvre le visage de Leïla. Je ne sais rien d'elle, hormis que c'est la cousine de Cheyenne et qu'elle est venue en vacances pour le mois. Sa peau est aussi sombre que celle de mon amie et les tresses sur son crâne sont impressionnantes, même si elles n'arrivent pas au niveau des cheveux bleus de sa cousine.
— Salut, lui dis-je, parce que je ne crois pas lui avoir adressé la parole.
Elle m'offre un sourire rapide en assaisonnant ses pâtes.
— Salut. Shéra, c'est ça ?
— Ouaip. Et toi c'est Leïla ?
— C'est ça.
Elle me sourit encore et se reconcentre sur sa nourriture. Pendant bien dix minutes, nous n'échangeons pas un mot et nous contentons d'engloutir notre repas avec appétit. Quand elle avale sa dernière bouchée, elle s'affale contre son dossier et pousse un soupir de soulagement.
— J'avais trop faim ! L'alcool sans manger ça me réussit pas.
Je glousse et pousse mon assiette devant moi.
— Moi je ne peux plus rien avaler.
— Donne, je vais finir.
Elle tend le bras et se saisit de mon plat pour lui régler son compte dans la minute qui suit. Je la regarde en silence, épatée et repue. Ma tête me tourne moins qu'avant, mais le stress ne me quitte pas et je me retrouve incapable de me lever.
Leïla doit sentir mon désarroi car elle se charge de laver rapidement notre vaisselle et ramène sa chaise près de moi.
— Ça va ? T'as pas l'air bien.
Je ferme les yeux et penche la tête en arrière pour inspirer lentement, puis expirer.
— J'ai juste pas envie d'y retourner, expliqué-je.
— À cause de la petite blonde ? Ignore-la.
— Comment tu sais ? M'écrié-je, incrédule.
— Elle n'arrête pas de te jeter des sales regards. Tu lui as fait une crasse ?
Soupir. La perspective de raconter l'histoire depuis le début est plus épuisante qu'autre chose, même si Leïla a l'air d'être une oreille attentive. Je décide de me cantonner à un résumé rapide :
— Elle me drague depuis le début des vacances, et quand je lui ai proposé qu'on sorte ensemble, elle a refusé. La peur de l'engagement, tout ça. Et comme je ne suis pas adepte des coups d'un soir ou de l'amitié avec bénéfice, je lui ai dit qu'on arrêtait là.
— Mmh, et elle t'en veux pour ça ?
— Je pense. Ces temps-ci, j'en sais trop rien. En tout cas, elle a l'air de respecter ma décision.
Je vide un verre d'eau pour mettre fin à la discussion. Autant l'alcool me donne envie de discuter, autant j'aimerais éviter d'étaler mes problèmes à une parfaite inconnue. Je propose donc à Leïla qu'on rejoigne les autres dans le salon.
La soirée bat toujours son plein, même si plus personne ne danse. Je suis sûre que sur les cinq, il y en a au minimum trois qui sont complètement torchées. J'essaie de deviner à la tête : Julie et Éloïse communiquent par fous rires et en frappant le tapis, et Manon est affalée sur le canapé. En me rapprochant, je réalise qu'en fait elle ne dort pas, elle chante.
Bon. Je ne suis pas trop étonnée de constater que les seules à peu près sobres sont Cheyenne et Léo, Cheyenne qui est d'ailleurs en pleine conversation téléphonique sur le balcon. Je me demande comment elle fait pour entendre quoi que ce soit avec le volume sonore.
Je ramène une chaise de la cuisine pendant que Leïla s'installe sur l'unique pouf. Mais plutôt que de me mettre près d'elle, je rejoins Léo, de l'autre côté de la table. Elle lève à peine les yeux de son téléphone en m'entendant arriver.
— T'es sous médocs ? demandé-je sans hésiter.
Elle me regarde comme si j'étais complètement débile – et c'est peut-être le cas – puis retourne à son jeu.
— Yep.
Silence. Je cherche une idée de conversation, quelque chose qui justifierait que je lui adresse la parole, mais je ne trouve rien. À quoi tu t'attendais ? C'est toi qui l'ignore, je te rappelle.
Pour éviter de m'énerver seule, je profite du passage d'une chanson que j'adore pour bondir sur la piste de danse et me trémousser. Même si je suis la seule debout, même si les décibels qui me percent les tympans ne sont certainement pas aussi forts en vrai, je ferme les yeux et m'imagine en boîte, au milieu d'inconnus. Et ça me fait du bien.
Je dois avoir l'air amusante parce que Leïla me rejoint très vite en gloussant.
Dans mon esprit tout l'hiver, je me perds dans tes yeux...
Nous chantons à tue-tête, nos bras habités par une conscience propre. Grimaces et pirouettes, je donne ma meilleure performance.
Je me noie dans la vague de ton regard amoureux...
Une partie de moi imagine que c'est avec Léo que je danse. J'aimerais que ce soit le cas, mais non, Léo est dans ce fauteuil, sur ce foutu téléphone, parce que je l'ignore, parce que je veux sortir avec elle mais il y a cette satanée ex de mes deux, alors tu comprends Shéra, je ne suis pas prête, et moi je comprends, mais je ne peux pas jouer, pas comme elle le veut, alors je coupe les ponts, enfin j'essaie, c'est ce qu'il faut faire mais...
— Shéra !
Le cri de Leïla me ramène au moment présent et je trébuche. Ses bras forts me retiennent et m'attirent contre elle, je fonds dans ses bras, j'inspire son parfum à la cannelle qui me rappelle Cheyenne et je ris. Elle aussi est hilare, elle bafouille qu'on a trop bu. Une seconde plus tard, mon corps rencontre le lit.
— Je suis éclataaaax, gémit Leïla entre deux éclats de rire.
Je me rends compte soudain que c'est Léo qui nous a aidé à nous allonger. Elle apparaît dans mon champ de vision, l'air inquiète. Sa main se pose sur ma joue, pour vérifier que je suis vivante. J'ai l'impression de sourire, mais non.
— Ça va ? me demande-t-elle.
— J'sais pas.
— Shéra...
Je me retourne, lui refusant mon visage. Les bras de Leïla m'enlacent et me rapprochent d'elle, je glousse encore, enivrée par cette rencontre, par cette fille avec qui je m'entends si bien. Ce n'est pas comme avec Léo. Je ne sens pas ma peau brûler, mon ventre se nouer, je n'ai pas envie de me perdre dans ses yeux ou me pendre à ses lèvres.
Je sais que Léo est partie quand j'entends la porte claquer. Il me reste assez de temps pour reconnaître la chambre de Cheyenne avant que mes yeux ne se ferment d'eux-mêmes. Il fait chaud, mais le matelas est si mou que je n'ai qu'une envie : m'y enfoncer complètement. Je ne réalise même pas que je m'endors alors qu'on entend toujours la musique rugir dans le salon.
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