Prologue.


Je cours après les autres enfants de la meute dont les exclamations excitées couvrent le bruit des vagues. Avec les plus vieux nous nous amusons à les attraper pour les jeter dans l'océan. Leurs cris de joie remplissent l'air de cette fin de journée estivale.

Je saute pour saisir le jeune Louïs et le plaque avant de me lever pour l'envoyer à l'eau. L'atterrissage du préadolescent dans le Pacifique m'éclabousse. Je ris, tout comme lui quand il émerge de l'onde.

Je me sens bien dans la meute, la bonne humeur ambiante nourrit le bonheur de tous. Même si je n'ai jamais été le premier à initier des jeux, je suis heureux d'y prendre part. Beaucoup me jugent trop sérieux, mais c'est dans ma nature d'être effacé, c'est la place que j'ai toujours occupée.

Les adultes ont commencé à ranger les affaires. Du coin de l'œil, je les observe nous faire signe de retourner aux vans. Les autres ne les ont pas remarqués ou font semblant de ne pas les voir.

— On doit y aller, lancé-je à la cantonade.

Tous m'ont entendu, je le sais, mais ils ne se donnent pas la peine de me répondre. Je me tourne vers Ryan, notre aîné ici présent, il a dix-sept ans. Il me jette un vague regard et je comprends très bien qu'il me prend pour un enquiquineur.

Nos gardiens nous appellent, je devine leur impatience. Je décide d'attraper deux des plus jeunes et de partir vers les véhicules, en espérant que les autres suivent. Les deux petits se débattent, Mia me mord, mais je ne bronche pas en les transportant jusque sur leurs sièges auto. Quand j'ai enfin aidé à faire asseoir et attacher les enfants, je me retourne vers l'eau et constate, contrarié, que personne n'a suivi. Si Ryan et les plus âgés n'amorcent pas d'eux-mêmes l'arrêt du jeu les autres ne viendront jamais.

Marie leur hurle de se rapprocher, elle s'agite, c'est notre première sortie sous sa direction. En cas de retard, l'alpha ne sera pas content, il s'en prendra certainement à elle. La situation me met en colère, un léger grondement m'échappe. Alec est juste, c'est un bon chef, mais notre meute est tellement grande qu'il ne peut rien laisser passer. Je le comprends, je suis surtout en rogne contre ceux qui n'ont rien à faire des conséquences qu'engendrera leur désobéissance.

Marie demande à Liam de surveiller les deux déjà en voiture et elle part chercher les enfants, accompagnée des autres adultes présents ce jour-là. Je les suis aussi, car pour faire venir les treize indisciplinés je sens que la tâche va être compliquée. Je m'impatiente, même si je me contiens. Je reste à ma place, mais j'ai du mal, j'en ai toujours eu, sauf que ces derniers temps c'est de plus en plus dur.

Quand nous arrivons à leur hauteur, les enfants s'excitent davantage – si c'est possible – crient plus fort, courent pour nous fuir. Je suis énervé de voir qu'aucun d'eux ne prend en compte les conséquences de ce qu'ils font.

— On y va, ça suffit maintenant ! les houspille Marie.

Aucun n'obéit.

— Ryan, Tom, venez, ils suivront, recommence Marie avec fermeté.

Le regard arrogant et dédaigneux de Ryan me sort de mes gonds.

— Assez ! On y va.

Le son me surprend, il est fort, caverneux, animal, tout le monde s'est figé et a baissé la tête. Il me faut quelques secondes pour comprendre que c'est moi qui ai lancé l'injonction et qu'ils ont tous obéi sans hésiter. Une sueur froide me recouvre, je connais les conséquences que mon autorité naissante va entraîner et je ne les veux pas. Je ne suis pas prêt. Personne n'a encore bougé, mon aura les écrase toujours. Je reprends le dessus de mes émotions et n'ose plus ouvrir la bouche. Toujours mutique, je repars vers les trois vans.

Ils me suivent, je perçois leur pas, puis une fois leur torpeur passée, ils murmurent. Je me force à ne pas entendre. Je me prépare à la suite, je compte assumer toutes les conséquences, minimisant leurs impacts – sur la vie de mes parents du moins. Il est hors de question de les condamner à errer, voire pire : à mourir.

Une guerre couve au sein de notre espèce dans le pays et même sans elle, la vie de solitaire est difficile. Je ressasse tout le trajet, tantôt essayant de me rassurer, tantôt me préparant à subir la sentence de l'alpha.

Quand nous arrivons aux grilles de la maison de la meute, ma poitrine se serre. Je grave chaque image : les dépendances loin de l'immense bâtiment principal, les gens qui s'affairent, les autres groupes d'enfants qui avaient différentes activités aujourd'hui et qui se pressent d'aller dans le grand salon. J'aperçois l'heure sur le tableau de bord, nous avons peu de temps pour nous laver surtout si les autres désobéissent à nouveau. Je croise le regard de Marie dans le rétroviseur, je suis désolé pour elle, mais elle semble encore plus désolée pour moi, ce qui fait exploser mon niveau d'inquiétude. J'espère arriver à le garder pour moi, ce n'est pas le moment de paraître faible. Plus jamais, si je veux avoir une chance de survivre à la suite...

Une fois les trois vans garés à côté des autres et des voitures, Marie nous ordonne d'aller nous doucher et de nous changer rapidement. Les autres enfants me laissent passer devant, me faisant pester intérieurement, ils me craignent. Je me rends dans la dépendance des douches, l'espace ressemble aux douches communes de certains campings avec son nombre important de cabines et ses carreaux blancs. Il y règne une odeur de javel et de détergeant, mais aussi celle de la meute. Un mélange de fourrure et de soleil, c'est l'impression qu'elle me donne. Je me déshabille, laissant mes affaires dans mon sac au lieu de les mettre dans le bac à linge sale, il y a mon nom dessus, mais une part de moi sait que je n'ai déjà plus ma place ici.

Après m'être nettoyé, j'attrape des vêtements dans la partie dressing, une immense pièce où beaucoup d'habits sont rangés par taille, dont certains portent le nom de leur propriétaire, les autres appartiennent à tous, évitant ainsi les désagréments de devoir avoir des changes avec soi ou d'en trouver des propres.

Je me dépêche, pressé d'arriver au dénouement.

Le temps de rejoindre le salon, je prends l'air ce qui m'aide à évacuer la tension, mais je suis un peu comme déconnecté, je crois que je ne réalise pas tout à fait. Je n'arrive pas à imaginer le après, l'instant ne me paraît réel.

La baie vitrée de la salle commune est ouverte. Les gens ne prêtent pas attention à moi, ce qui me soulage et me fait espérer que cet anonymat demeure. Je prends ma place, près de celle de mes parents et inspire le délicieux mélange réconfortant de nourriture et de la meute.

Nous sommes sur l'une des tables les plus éloignées du chef. Mon père et ma mère n'ont qu'un petit rôle dans la meute ce qui leur va très bien. Ce qui m'allait bien. Ce que j'avais espéré vivre. De plus, ils sont soumis, même pire que ça, ce sont des omégas, le plus bas échelon possible, ceux qui essuient les plâtres en cas de pépin. Et je dois me rendre à l'évidence, même si j'ai tout fait pour me comporter comme eux, je suis un dominant... Un dominant à potentiel d'alpha. Ma situation n'aurait pas pu être pire.

Certains jeunes me jettent des regards en coin quand ils arrivent, les accompagnateurs aussi. Leur comportement me pèse, mais aucune personne extérieure à notre sortie n'agit différemment. Ils n'ont pas parlé.

Alec finit par arriver. Son aura nous percute, nous baissons la tête. Je réalise que je le fais par automatisme plus que par contrainte et que ce n'est vraiment pas bon signe. Malgré tout, j'ai toujours un léger espoir de me tromper sur ce que je suis.

La pression de l'aura de l'alpha diminue, il s'assied, saluant tout le monde. Quatre personnes par table se lèvent pour aller chercher les plats, aidés par les cuisiniers. Pendant ce temps, l'alpha commence le rituel du repas hebdomadaire questionnant chaque responsable assis avec lui. Tout le monde écoute, c'est notre façon de prendre des nouvelles de l'état de la meute, de proposer des solutions à d'éventuels problèmes, de se soucier les uns des autres.

Je scrute le visage de l'alpha et celui de Marie dont le tour n'est pas encore venu, mais plus il approche, plus elle blêmit et Alec le remarque.

— Marie, comment était la journée plage avec le groupe numéro deux ? demande innocemment l'alpha, dont les yeux gris transpercent la pauvre jeune femme.

L'odeur piquante de la peur qui émane d'elle se remarque par tous.

— Très bien. Les membres ont réussi à avoir de beaux moments de cohésion lors de jeux, parvint-elle à dire sans que sa voix ne tremble. On a eu un léger retard pour rentrer, la dynamique de groupe a été trop prononcée, il a été difficile de les calmer.

— J'ai vu que vous étiez arrivé en dernier, avec quinze minutes de retards, mais personne n'a raté le début du repas c'est que tu as quand même réussi à reprendre le contrôle assez vite. Il suffit que ça ne se reproduise pas, déclare Alec, ce n'était pas la peine de te mettre dans de tels états.

Marie jette un regard furtif vers ma table, il a été rapide, je n'ai même pas eu le temps de voir le bleu de ses yeux, mais Alec le remarque.

— Il y a eu un problème avec un jeune en particulier dont tu voudrais me faire part ?

Marie ouvre la bouche, elle ne parle pas un court instant, elle me regarde plus longuement. Je baisse les yeux, résigné. Ma mère qui a remarqué le manège attire mon attention en me pressant la cuisse, ses yeux sont pleins d'interrogations. Je lui fais un pauvre sourire et baisse la tête à nouveau.

— Parle, Marie, tu n'as pas à avoir peur, si un des jeunes pose un problème je le punirai en conséquence, c'est tout à ton honneur de te soucier d'eux, mais chacun doit assumer ses actes.

— Il n'y a eu de problèmes avec personne, commence-t-elle, me faisant espérer son silence.

J'ai un fol espoir d'aller voir Alec en tête à tête après le repas pour lui expliquer la situation et minimiser les conséquences, mais mon illusion se brise quand elle reprend :

— Les enfants n'étaient pas conciliant et refusaient de revenir, Lyas en avait ramené deux quand je les ai appelés, mais aucun autre n'a suivi.

Je retiens ma respiration, l'alpha éprouve mon lien avec lui, cherchant à fouiller mes émotions. Je le laisse faire, ne voulant pas le braquer en me soustrayant à son autorité. Je sens qu'il comprend l'étendue du problème au ton de son « Et ? » quand il encourage Marie à continuer.

— J'ai essayé de faire venir les autres en allant les chercher. Ils ne m'écoutaient pas, mais ils ont écouté Lyas, lâche-t-elle en tentant de garder une voix égale.

— C'est-à-dire ? demande Alec, pour confirmer ce que tout le monde a déjà compris.

— Il a utilisé son autorité et son aura.

Une part de moi est soulagée, je n'en pouvais plus d'attendre que les mots sortent de sa bouche. Tout le monde s'est tourné vers moi, je garde la tête baissée, je ne veux provoquer personne. Je veux continuer à faire partie de la meute.

— Lève-toi, Lyas, viens près de moi.

J'obtempère et rejoins l'alpha qui s'est mis debout pour me faire face.

— Regarde-moi.

J'obéis toujours, même s'il n'a pas usé de son autorité. Une fois que je verrouille ses yeux gris, je sens son aura me percuter pour me faire baisser la tête. Une demi-seconde, c'est le temps pendant lequel j'hésite. Mon côté loup voulait refuser de se soumettre et d'être humilié.

— Tu aurais pu tenir mon regard, pas vrai ? demande-t-il.

— Oui, alpha.

— Depuis quand caches-tu ta nature ?

— Je ne sais pas, dis-je, mais sentant qu'il prend mal ma réponse je précise. Ça s'est fait petit à petit, je crois. Je n'avais jamais vraiment réalisé, je pensais simplement grandir et que mon loup devenait adulte. Je veux rester ici, avec vous.

— Il ne peut pas y avoir deux alphas dans la meute. Je dois soit te chasser, soit te tuer, nos parties loups ne sont pas faites pour cohabiter. Tu as le choix toi aussi, partir ou me défier à mort.

— Je ne convoite pas votre place et ne la convoiterai jamais.

— Pour le moment, mais ton loup va devenir de plus en plus fort et vouloir sa meute.

Comprenant qu'il ne changera pas d'avis, je relève la tête et j'arrête de museler la part de moi qui n'aime pas être soumise.

Mon aura les touche tous, je le sens dans mon lien avec la meute toujours intact. Un poids me quitte. La lourdeur de la retenue et du contrôle que j'exerçais constamment, sans même m'en rendre compte !

— Je te chasse Lyas, tu n'es plus le bienvenu, tu ne fais plus partie des nôtres, énonce-t-il avec autorité.

La paume de sa main gauche vient s'appuyer durement sur mon front. La douleur dans ma tête est déchirante, je retiens une plainte, par fierté. Mon âme se sent nue et seule, car pour la première fois, je ne ressens plus personne.

Haletant, je reprends contact avec la réalité, je suis à genoux et me redresse remarquant ma mère qui s'est approchée, sans oser venir trop prêt, de peur.

— S'il te plaît, Alec, il n'a que quatorze ans, tu ne peux pas faire ça, plaide-t-elle.

— Maman, c'est bon, parviens-je à articuler. Ça va aller.

Elle ne répond pas, je réalise que c'est parce que je lui ai dit d'arrêter, elle se sent obligée de m'obéir et ce constat me déchire le cœur. Mes parents ne survivraient pas sans meute, les solitaires à tendance soumise se font souvent maltraiter par les solitaires plus forts. Les loups soumis ne sont pas faits pour vivre seuls... pas plus que les dominants, mais les dominants sont plus aptes à survivre.

— Je te laisse une heure pour quitter le territoire de San Francisco, tu n'es pas le bienvenu ici, même en tant que solitaire.

Je regarde mes parents essayant de paraître fort, alors que je ne le suis pas du tout. J'ai peur du monde extérieur sans ma meute. Mais je me dépêche, je vais assembler quelques affaires, dont les miennes dans le casier où mes parents ont rangé les leurs. J'espère qu'ils ne m'en voudront pas, j'empoche le téléphone de mon père après avoir retiré sa carte Sim, car j'ai laissé le mien à la maison et je n'ai pas le temps d'aller le chercher. Je prends tout l'argent que je trouve dans leur portefeuille et je quitte la demeure de la meute de San Francisco définitivement.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top