6.

— Lyas, souffle la voix de Myron.

Des odeurs de sang me parviennent en même temps que la douleur, je ne sais plus où je suis, ni pourquoi je me sens si mal.

Une couverture est tirée sur mon corps, ma tête est sur les genoux de Myron et la main de Jam est sur ma tête. J'ai trop mal au crâne pour ouvrir pleinement les yeux. Tout ce que je discerne ce sont mes deux compagnons appuyés contre le mur et ils sont en mauvais état. En les voyant, tout me revient, je tente de me redresser, mais Jam me maintient couché.

— Tout va bien, repose-toi. Les autres arrivent.

Une soudaine honte me saisit, je me sens nul. Cet échec me pèse. L'état des autres m'incombe, mais mon corps épuisé vainc les turpitudes de mon esprit et je sombre rapidement.

Un grognement de colère pure me réveille, m'effrayant. Mon cœur manque exploser. Jam et Myron me rassurent, ils sont toujours contre moi. J'essaie de regarder ce qui se passe, mais je réalise que mon visage à subit des dégâts, un de mes yeux ne s'ouvre pas et l'autre que péniblement. Run et Suny grognent, je remarque Hemza lutter contre sa colère.

— Les salopards, jure Suny. Les fils de putes, je vais les tuer !

Myron et Jam se font tout petits, ils ont peur que quelque chose empire l'état des autres. Je réalise qu'ils culpabilisent autant que moi de la dérouillée que nous avons prise.

Vael est le premier à s'agenouiller près de nous.

— Vous avez menti, constate-t-il en fixant tour à tour l'un, puis l'autre

— Pas vraiment, explique Jam, on vous a dit qu'on était entiers et qu'ils étaient partis et que tout allait bien maintenant.

Je me redresse, pendant que Vael aide Jam et Myron à se relever. Je ne sais pas s'il a senti que s'il m'aidait, j'allais mal le prendre, mais je le remercie silencieusement de ne pas l'avoir fait. Mon égo ne supporterait pas l'aide d'un dominant en l'état actuel. En prenant appui sur le mur j'arrive à me mettre sur mes jambes. La couverture qui me couvrait retombe au sol, dévoilant mon corps entièrement nu. Sous mes aisselles des empreintes profondes de griffes entourées de bleu montre la poigne féroce du bêta. Elles me brûlent comme les lacérations à mes fesses. Je fais mine de rien et vérifie l'état des quatre autres. Ils n'ont pas une égratignure.

— Vous vous êtes pas battus ? demandé-je surpris.

Ma voix est sortie basse, faible me faisant honte.

Tous me fixent, je ne comprends pas pourquoi et j'ai du mal à tenir sous le feu d'autant de regards.

— Quoi ?

— C'est pas vraiment le moment de se préoccuper de ça. Tu as vu ton état ?! s'exclame Run. Que tous vos membres tiennent encore ensemble, tire du miracle. Pourquoi vous n'avez rien dit ? exige-t-il de comprendre des deux autres qui se tassent sur eux même.

— Vous étiez cernés, si vous vous étiez battus, vous vous en seriez pas sortis et de ce que vous nous disiez, ils vous bloquaient simplement le passage le temps de fouiller ici. Ils ne savaient pas qu'on pouvait communiquer par télépathie, mais si vous aviez su ce qui se passait réellement vous n'auriez pas réussi à cacher vos émotions et ils auraient imaginé qu'on était une meute, ce qu'ils semblaient déjà soupçonner, argumente Jam. Ils nous malmenaient, mais ils ont par cherché à nous tuer, vous étiez en train de négocier, ça allait bien finir par s'arrêter...

— Il a raison, grogne Suny. Ils voulaient nous intimider. Ces bâtards viennent de nous pisser dessus.

De honte, je baisse la tête. Run me surprend en posant ses mains sur mes épaules avant de m'attirer dans ses bras. Pendant une seconde son geste me met en colère, je me sens faible d'avoir besoin de ce réconfort avant de comprendre et de ressentir la réelle inquiétude de Run.

— Tu n'as rien fait de mal, Lyas, ils étaient cinq, à vous trois vous ne pouviez pas avoir le dessus. Ils n'ont pas su ce que tu étais, c'est tout ce qui importe. Ils se doutent qu'il y a sûrement un loup capable de défier un alpha parmi nous, mais ils n'imaginent certainement pas ce qu'il en est réellement, murmure-t-il en inspirant profondément, avant de parler d'une voix plus claire. On remet tout en ordre. Hemza tu t'occupes des blessures et Vael tu nettoies les taches de sang, et nous on range.

Dans la salle de douche après nous être rincés nous passons à l'atelier couture, tous assis à même le sol, même si justement, je suis le seul qui ne suis pas assis, car c'est mes fesses que Hemza recoud.

— Il n'y est pas allé de main morte, commente ce dernier en tirant sur un fil pour tester la solidité de son point.

Je grommelle, je trouve ce moment assez humiliant. J'essaie de me concentrer sur ce que fait Myron sur l'épaule de Jam. Il m'explique comment recoudre efficacement une plaie pour que nous cicatrisions plus vite. Avec le peu de temps que j'ai déjà vécu parmi eux, j'imagine aisément que ce savoir me sera utile.

— Vous vous êtes bien défendus. Ils ont laissé des traces de sang dans les escaliers. Tu as eu à te transformer ? demande Hemza.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai le sentiment que cette question en cache une autre, mais je suis trop las pour réfléchir.

— Non, enfin oui, j'ai profité du fait d'être nu.

Je sens une certaine tension émaner de Jam et Myron, mais ils ne parlent pas et Hemza hésite.

— Il se passe quoi ? demandé-je à court de patience.

— Jam et Myron ont été inconscients tous les deux à un moment, m'explique Hemza, ils se sont fait assommer quand ils ont essayé d'empêcher les autres de te déshabiller, de ce qu'on a compris, car dialoguer était compliqué, la tension rendait le lien instable.

— Ils lui ont arraché ses vêtements, pendant qu'ils le rouaient de coups, on a cru que le bêta allait le tuer de colère.

Je comprends mieux pourquoi j'ai des blessures que je ne me souvenais pas avoir reçues. Une part de moi s'en veut qu'ils se soient senti le devoir de me défendre.

— Merci.

— De quoi ? s'étonne Myron.

— D'avoir tout fait pour m'aider.

— Donc on doit te remercier aussi ? sourit-il, sa façon de me faire comprendre que nous nous défendions tous, que ce n'était pas un acte qui méritait d'être noté.

— Tu es vraiment très fort pour ton âge, enchaîne Jam avec sérieux. S'ils n'avaient été que deux face à toi, tu aurais eu le dessus, malgré le fait que l'un d'eux soit un bêta. Tu étais très impressionnant.

— Je n'avais pas vraiment le choix...

J'essaie de chasser l'aigreur que je ressens, car j'ai eu de la chance. Ils auraient pu faire de moi ce qu'ils voulaient et je ne l'accepte pas, mais je ne veux pas blesser les autres.

Une fois que Hemza a fini de s'occuper de nous et que nous ressemblons à des momies, nous partons nous reposer dans la chambre. Myron et Jam n'ont pas la force ou l'envie de monter dans leur lit superposé respectif et c'est sans commentaire que je les laisse s'installer dans le mien. J'ai chaud, j'ai mal d'être collé à eux, mais je n'échangerais pas mal place.

Quand nous nous levons, Suny a fait le repas du soir, c'est gargantuesque et délicieux.

— On n'aura pas la paix avec la meute de Chicago, pas vrai ?

J'ai formulé ma phrase sous forme de question, mais je connais la réponse.

— J'en doute, réplique Run.

— De toute façon, je n'arriverais pas à les croiser sans finir par les frapper, répond Suny dont les yeux sont cernés de fatigue.

— On ne peut pas repartir de suite, explique Hemza, on est à sec. Si on doit vraiment finir par aller à New York, il faut qu'on soit préparés, vraiment préparés. Si on a des problèmes à se faire une place ici, on n'y arrivera pas là-bas. La meute a dit que si on se montrait pas, ils nous laisseraient tranquille, pour le moment...

— On peut vendre des choses, répond Run. Je doute qu'ils nous laissent tranquilles longtemps. Le groupe qui est venu ici va chercher à se venger, le bêta ne laissera pas passer de pas avoir pu punir Lyas correctement. Il reste un bêta, à part venant des alphas ils supportent mal de ne pas avoir le dessus.

— Hemza, Vael, Jam, Myron et Lyas resteront à l'appart et nous on se démerde, on ramène du blé rapidement, quitte à devoir faire des choses pas très légales, affirme Suny.

— On parle d'au moins quinze mille dollars, tu te rends compte ? demande Hemza.

— En une semaine ça peut se faire.

— Non, on ne va pas voler un dealer, la dernière fois ça a failli super mal finir, grogne Run dont la colère couve.

Les deux s'affrontent du regard, plus personne n'ose respirer, même moi.

— Qu'est-ce que tu proposes, alors ? Livrer des pizzas ? Faire la manche ? Nettoyer des voitures ? Se prostituer...

La dernière proposition a été dite d'un ton menaçant, alors que durant les autres la colère était montée crescendo.

— S'il faut, réplique Run avec assurance.

Hemza n'intervient pas, Jam, Vael et Myron se font tout petits sur leur siège et moi j'ai du mal à assimiler ce que je viens d'entendre. Cette discussion avec la tournure qu'elle a prise, j'ai le sentiment que ce n'est pas la première fois qu'elle vient sur le tapis.

Suny grogne, une fréquence basse d'avertissement alors que le duel de regard n'a pas encore pris fin. À mon plus grand étonnement, il détourne la tête et arrête de le menacer. Je me demande si en silence, ils se sont échangés d'autres mots ou pas.

— Je ne veux pas me disputer avec toi, Run. Mais tu connais déjà ma réponse.

— Tu resteras ici avec les autres, Hemza et moi on s'occupera de l'argent pour cette fois. De toute façon, moins on est à traîner dans les rues, moins la meute de Chicago se sentira menacée.

Je n'ose pas intervenir, et pourtant, j'ai envie de m'énerver. De leur dire qu'il est hors de question que je les laisse vendre leur corps pour que nous ayons de l'argent. Mais je n'ose pas.

La discussion semble close, tout le monde se remet à manger comme si de rien était, il me faut du temps pour quitter mon état de sidération. Les autres l'ont remarqué, mais ne disent rien.

Une part de moi est soulagée que je n'aie pas à me prostituer, que d'autres s'en chargent pour moi. Mais en même temps, je me sens lâche de ne pas m'assumer et je déteste ça. Malgré tout, je ne me risque pas à intervenir.

— Sans rire, j'en peux plus de ce silence. Y'a pas mort d'homme. Vael t'as pas une connerie à dire ? tente Run.

— Content de voir que je suis apprécié à ma juste valeur, râle ce dernier, arrachant quelques sourires. Mais arrêtez de me regarder comme ça, vous me mettez la pression.

— C'était pas très drôle, commenté-je, voyant qu'il ne parle plus.

Vael me lance un faux regard assassin et tout le monde finit par se dérider et les conversations reprennent normalement.

À la fin du repas, j'ai de plus en plus de mal à cacher à quel point je suis fatigué, il ne me tarde qu'une chose rejoindre mon lit et dormir pendant au moins une semaine. Mais Suny m'intercepte quand je me lève de table. Ses mains refermées sur mes épaules, il me retourne et me dirige au centre de la pièce. Je ne comprends pas. Tous se réunissent autour de moi et certains laissent échapper un rire devant ma mine inquiète.

— Tu penses qu'on veut te bouffer ou quoi ? m'interroge Vael avec un regard lubrique dont il a le secret.

— On va tenter de créer un lien entre toi et nous, m'explique Hemza.

— Et on doit procéder comment ? demandé-je.

Ils arborent tous des têtes mystérieuses, un peu menaçante, je suis très peu sûr de vouloir entendre la réponse à la question que j'ai posé.

— Bordel, que t'es drôle autant flippé, se marre Vael.

— Détends-toi, m'ordonne Run, amusé lui aussi.

Ces idiots, se payaient ma tête. Run s'approche de moi, imité par les autres. Je ferme les yeux, prêt à écouter les conseils, pendant qu'ils posent tous une main sur ma tête.

— Détends-toi, répète Run.

Je suis détendu, j'essaie d'écouter avec mon esprit, espérant sentir cette présence qui me manque tant depuis des mois. Les fils des autres consciences, la lumière chaleureuse du tout que j'ai l'habitude de voir.

Mais pour le moment, c'est le noir.

La respiration de mes amis semble devenir plus profonde, je n'ose pas ouvrir les yeux. Je ne sais pas combien de temps dure la scène au juste, mais plusieurs dizaines de minutes passent. J'essaie de refouler ma déception, j'ai un besoin viscéral de faire partie de leur tout.

Je le vois pas, me parvient une voix difficilement discernable.

Je l'ai senti, répond une autre.

— Laisse-toi faire, me parvient clairement celle de Run, me faisant réaliser, que le premier échange que j'ai entendu était dans ma tête.

J'essaie de raccrocher ces sons familiers, mais ce sont des choses inconnues qui arrivent. J'ai le sentiment que ma tête pèse de plus en plus lourd.

— Ne te débat pas, Lyas, c'est normal.

Mon esprit essaie de fuir ce qui tente de le prendre d'assaut. Je transpire. J'essaie de ne pas opposer de résistance, j'ai confiance. Malgré tout, j'ai conscience que je ne les laisse pas faire. Je ne les entends pas, mais je les sens à l'orée de mon esprit. Des mains tremblent sur ma tête. Il y a de légers grognements, j'entends même une plainte. Je ne veux pas les faire souffrir, alors je tente de me laisser aller, comme si j'essayais de me faire engloutir par des vagues.

Lyas ?

Oui.

C'est Hemza. Tu te débats trop, on fatigue, on ne te fera rien, continue à faire ce que tu fais, laisses les autres se mêler à notre échange.

Il en a de bonnes... Je n'ai pas la moindre idée de comment faire ni de comment Hemza a réussi à me parler.

J'ai le sentiment que mon cerveau est aspiré dans une centrifugeuse, j'ai la nausée, mais finalement, j'arrive à lâcher prise. Puis je me mets à voir autre chose que le noir. Une masse lumineuse m'entoure, des sortes de nuages de couleurs différentes semblent se mouvoir à l'intérieur. Je m'étends vers cet amas accueillant. Quand j'entre en contact avec lui c'est tellement bruyant que j'en ai le souffle coupé.

Il est là ! reprennent en cœur plusieurs voix.

Ce son résonne partout en moi. C'est trop douloureux, j'essaie de reculer, mais je m'aperçois que quand je tire dans l'amas dans lequel je suis englué tout le reste se désolidarise. Je panique.

— Ça va aller, me vient la voix de Run déformée par la souffrance dans le monde réel. Détends-toi.

J'obéis, je me mets à sentir des intrusions dans mes souvenirs, dès que je pense à quelque chose, à une image, je vis les émotions qu'elle fait naître chez les autres et je ne comprends pas. Puis c'est à mon tour de me mettre à voir des scènes, à ressentir des émotions que je n'interprète pas. C'est confus. Je perçois fugacement des choses sans les saisir. Les autres ne parlent plus, mais je les sens avec une précision irréelle. Je pourrais me perdre et ne plus savoir ce qui est à moi.

Je finis par arrêter de lutter contre les sensations, je suis trop épuisé pour ça. Et à force, tout cesse.

Bonjour, Lyas, me salue sarcastiquement Suny, je le sens dans les intonations.

On a réussi, s'enthousiasme Myron.

Je regarde, cherchant les fils que j'avais l'habitude de voir dans la meute, mais c'est toujours le nuage multicolore que je vois et dans lequel je baigne.

Mince alors !

Comme tu dis, raille Suny. Bienvenu dans un monde où tu n'auras plus jamais d'intimité.

Je n'ose pas ouvrir les yeux de peur de perdre le contact, les autres ont toujours les mains sur ma tête.

— Et maintenant ? demandé-je.

— Maintenant on peut tous te lâcher et aller au lit, annonce Run en enlevant en premier ses doigts de mes cheveux.

Malgré l'absence de leur membre sur mon crâne je sens toujours la pression.

— On s'y habitue, chantonne Vael en passant son bras autour de mes épaules.

— Tu as entendu mes pensées ! m'exclamé-je.

— Vaguement, j'ai plutôt senti ce qui te gênait. Comme toi, si tu fais attention tu verras que j'ai très envie de pisser, rit-il.

— Mais comment on fait pour ne pas devenir fou ?

— À force ça deviendra un bruit de fond, comme une clim mal réglée. Puis tu apprendras à cacher les choses et à ne pas être intrusif, mais ça viendra avec le temps. Donc te formalise pas si tu as accès à des choses gênantes, on finit par tout savoir les uns des autres.

J'acquiesce me rendant compte que dès que je pense à l'un d'eux, je me sens attiré par ses pensées, sans vraiment les comprendre. Mais je connais leur humeur, si quelque chose les travaille et en effet Vael a envie de faire pipi.

— Va aux toilettes, j'ai l'impression que je vais souiller mon pantalon.

Vael va dans la salle de douche en rigolant.

Suny est agité, même s'il tente de le dissimuler, j'essaie de ne pas penser à lui, mais ça ne fonctionne pas. Je vois qu'il me fixe, il doit sentir que mentalement je suis braqué sur lui. Et le voir me regarder ne m'aide pas à penser à autre chose.

— Arrête de le taquiner, Suny, dit Vael en revenant des toilettes, t'es en train de l'angoisser et j'aime dormir sereinement.

Je me soustrais à l'échange et part dans la chambre m'affaler sur mon lit. Une heure s'est écoulée pendant qu'ils me faisaient entrer dans leur groupe pour de bon.

Tout le monde finit par rallier sa couche, en évitant de me marcher dessus. Je suis le seul à avoir le matelas par terre, les autres sont répartis dans leurs lits superposés.

Myron et Jam s'endorment vite, je le sais à la sensation bizarre que leur assoupissement m'a fait, comme un vent froid sur mon crâne. Je distingue les nuages jaune et rose leur correspondant, ils sont plus ternes et il y a comme une barrière autour. Si je forçais je pourrais passer, mais j'imagine que je les réveillerais. Les tentacules de leur conscience restent mêlés à tout le monde. Je ne pourrais pas parler aux autres sans passer par eux. Je comprends mieux certaines allusions passées, soit nous parlons tous, soit nous ne parlons pas, nous ne pouvons exclure personne des échanges.

Les autres s'endorment tour à tour et je finis par me retrouver seul. Malgré la fatigue, avec la douleur je n'arrive pas à dormir et surtout je suis subjugué par ces six nouvelles présences.

Les émotions de leurs rêvent filtres, certaines sont très violentes, notamment celles de Suny qui ont tendance à contaminer celles des autres. Il y a comme une vague sombre qui court de conscience en conscience. Elle rencontre Hemza, j'ai l'impression que le phénomène s'arrête, mais ce n'est pas le cas, il continue jusqu'à toucher de plein fouet Run qui lui résiste. Je les entends s'agiter dans leur sommeil. J'ai peur de tenter des choses et de faire n'importe quoi, malgré tout, je lâche un peu de mon aura, ma conscience rayonne, je m'aperçois que je suis rouge dans cet amas de couleur. C'est étrange, je n'avais jamais pu constater mon influence dans des liens psychiques, donc je ne m'en étais jamais aperçu. Je pense à Suny, je perçois des brides de ce qui habite ses songes. Un grand loup, un alpha, lui aussi à l'apparence d'un Husky, il ne fait qu'apparaître, je sens énormément de peine et finit par réaliser que c'est son père. La déchirure dans l'esprit de Suny quand il est parti de sa meute me brûle, ravivant la douleur de quand Alec a coupé mon lien avec la sienne. J'essaie d'envoyer du réconfort à Suny, de l'amour, ou quelque chose qui s'en rapproche. Et la tentative semble fonctionner. Tous finissent par se calmer et moi je suis exténué.

Je me lève et vais à la salle d'eau pour boire et me rafraîchir.

Le reflet que me renvoie le miroir me fait peur. Les œdèmes se sont déjà un peu résorbés, mais les bleus sont bel et bien présents, ainsi que les plaies. J'enlève mon tee-shirt, défais les bandes qui couvraient tout mon buste et lève les bras autant que je peux pour voir les plaies en forme de demi-lune sous mes aisselles. Certaines sont peu profondes, mais d'autres sont fermées par un point, les griffes sont passées entre les côtes à ces endroits. Il aurait pu me percer un poumon et sur le moment, je ne m'en suis même pas aperçu. J'entrevois les griffures au bas de mon dos, je me retourne et me contorsionne en étouffant la douleur. Je ne baisse pas mon boxer, je suis déjà glacé de l'intérieur en pensant à ce qui aurait pu arriver. Si je ne l'avais pas estropié, il l'aurait fait avant même que je ne reprenne connaissance.

Suny se réveille, il pense à moi, la sensation est très étrange. Je ne suis pas surpris de le voir arriver. Je me dépêche de me couvrir, mais sans un mot il m'en empêche. Ses doigts frôlent les plaies les plus importantes.

— Je n'arrive pas à savoir. Est-ce que ce bâtard a eu le temps de te violer ? finit-il par demander.

Je blêmis, entendre ce mot à voix haute, savoir que je n'aurais rien pu empêcher me panique plus que je n'aurais pu l'imaginer.

— Non.

— Tu n'as pas à me mentir, Lyas, je saurais le cacher aux autres si c'est ce qui te pose un problème.

— Non, vraiment il n'en a pas eu le temps, ils sont repartis avant, confessé-je, baissant les yeux ne digérant toujours pas.

— Regarde-moi, ordonne Suny en me relevant le menton. Personne n'est infaillible ou imbattable. On aimerait le croire, surtout les gens comme nous, mais il y a toujours plus fort, plus rapide, plus malin. C'est pour ça qu'on vit ensemble. Pour le groupe Jam et Myron ont eu raison de ne pas nous avertir avec les détails. Avec le recul, c'était la chose à faire, car si on s'était battus aussi ils n'auraient pas fini par partir d'eux-mêmes et nous n'aurions jamais réussi à revenir. Mais, et écoute-moi bien Lyas, la prochaine fois, tu auras le droit de nous avertir, même le devoir, on aurait réussi à gérer l'information, j'en suis intimement persuadé, tu n'es plus seul maintenant. Je ne dis pas ça en l'air. Jam et Myron ont eu peur qu'on ne sache faire que réagir violemment, mais on n'est pas des muscles sans cerveau. Je ne peux pas te promettre que ça n'arrivera plus jamais, mais tu n'auras pas à gérer ça seul, la prochaine fois.

Il me fixe. Il regarde mes réactions extérieures et intérieures, je n'ai jamais été autant vulnérable devant une personne, je n'ai aucun repli. Il se contente de me scruter sans rien dire. Il récupère les bandes et me les remets. Je suis tellement troublé par ce qu'il m'a dit que je ne bronche pas. J'ai peur de ne pas être à la hauteur et de les entraîner dans ma chute. J'ai peur d'être trop faible pour leur être d'une quelconque aide. J'ai peur de ne pas avoir la force de résister aussi bien qu'eux à cette vie.

Une vague de réconfort enveloppe mon être, me forçant à retrouver le contact avec les yeux de Suny.

— Tu penses réellement tout ça ? Tu nous penses si mauvais juges ? Tu sais qu'avant notre rencontre assez sportive, je le reconnais, on t'avait déjà observé ? On t'a vu te faire ta place, virer certains dominants en place depuis un moment. S'ils ne sont pas revenus à la charge c'est parce que tu les as effrayés. Tu te sous-estimes terriblement.

Le voir me parler, sans grossièreté, sans sarcasme, renforce le fait qu'il semble sérieux en me disant tout ça et je finis par le croire.

— Il te faut dormir, Lyas, te reposer et arrêter de vivre ce qui s'est passé aujourd'hui comme une défaite. Si les places avaient été inversées, aucun de nous n'aurait pu battre les cinq loups dans l'appartement. Parfois la victoire, c'est simplement de rester en vie.

Il pose sa main sur mon épaule dans un dernier acte de réconfort et retourne se coucher et je finis par l'imiter.

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