4.

Je me repose des jours durant, même quand nous quittons notre squat de fortune : une vieille maison abandonnée dont la vieille rambarde de la terrasse, vermoulue par les années s'était perdue dans les herbes folles du carré de verdure autour de la bâtisse. Les garçons s'occupent de nous loger et des tas d'autres choses que je ne soupçonne pas. Je me sens terriblement inutile et incompétent face à eux. Ils ont la force de l'habitude et leur alchimie fonctionne à la perfection.

— Ton mal-être se sent dans tout l'appartement, constate Run en rentrant dans notre chambre. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Je me redresse du matelas à même le sol sur lequel je suis allongé, sans répondre. Run me voyant gêné ferme la porte et vient s'installer près de moi. Je sais que le battant clos n'empêchera personne d'entendre, mais psychologiquement, ça m'aide à me sentir plus isolé. La pièce ne paie pas de mine, c'est la seule chambre de l'appartement que Suny nous a dégotté, de vieilles tapisseries se décollent de chaque mur, l'air y est tout aussi humide que les cloisons, mais c'est la maison. Même mon matelas au sol dans la pièce où trônes les trois lits superposés à un goût de foyer.

— T'as pas à avoir peur de me parler, m'invite Run.

— Je me sens inutile, lâché-je tout à trac.

— Aucun de nous n'est inutile, chacun sa place, chacun son rôle. Le tien c'est de te remettre. On a tous guéri depuis l'échauffourée de la meute d'Orlando, pas toi, c'est inquiétant, donc tu te reposes.

— Je suis pratiquement remis ! grogné-je, vexé d'être moins bons qu'eux.

— Ne te braque pas, me dit-il en souriant et en ébouriffant mes cheveux. Tu n'es pas un poids, même si c'est comme ça que tu le vis. Honnêtement, tu es tombé à pic, sans toi on ne se serait peut-être pas tous sorti d'Orlando, Suny ne tarit pas d'éloge sur toi.

— On dirait pas, grommelé-je.

— C'est Suny, on finit par s'y faire. Je...

Il s'interrompt, visiblement il entend quelqu'un lui parler. L'odeur piquante de colère émanant de lui me percute. Je le fixe, inquiet, Vael, Suny et Hemza sont sortis. Jam et Myron arrivent dans la pièce, ils ont peur. Run soupire, je le sens plus contrarié qu'effrayé et ce constat me soulage. Mais je ne le lâche pas du regard pour comprendre ce qui cloche.

— Hemza, Vael et Suny ne peuvent pas rentrer, ils sont suivis. Ils étaient en train de nous aménager un spot de replis, ils vont l'occuper. Pas d'inquiétude à avoir pour le moment, je pense que ce sont uniquement des loups curieux qui essaient de savoir à qui ils ont à faire.

Je suis rassuré, mais frustré de ne pas avoir accès à leur communication télépathique et Run semble s'en apercevoir.

— Quand on sera tous les sept, on essaiera de créer un lien entre toi et nous. Il faut que tu nous fasses confiance pour que ça marche et qu'on te fasse confiance aussi. C'est pénible au début, surtout que ça n'a rien de naturel.

— Je comprends. Merci.

— Tu fais partie des nôtres, tu n'as jamais manifesté ta volonté de partir, on attendait simplement de savoir ce que tu souhaitais. Mais tu ne sembles pas vouloir le formuler.

— Partir ne me paraîtrait pas normal, soufflé-je. Mais j'avais peur que vous soyez trop nombreux.

Run se lève en souriant.

— Ça ne me paraîtrait pas naturel non plus que tu partes. On s'habitue vite à ta présence, déclare-t-il en faisant un clin d'œil. Pour le nombre, nous ne sommes pas à un près.

Je me sens où je dois être avec eux, bien qu'inutile pour le moment. J'ai l'impression d'avoir vite trouvé ma place, comme si je m'étais trouvé six frères. Du plus vieux Jam, avec ses cinq ans de plus que moi, qui veille sur nous avec discrétion malgré son côté soumis. Ou Suny qui malgré son année de moins que Jam paraît plus âgé par sa façon imposante d'être parmi nous. Il y a aussi le binôme Hemza et Run, leur manière sérieuse d'être, me fait souvent oublier qu'ils n'ont que dix-huit ans. Et Vael et Myron qui n'ont que deux ans de plus que moi, c'est sûrement pour ça que je me sens proche d'eux différemment des autres. Nous rigolons ensemble, le fossé est moins grand.

Myron vient me rejoindre, je sens son inquiétude, il s'allonge près de moi.

— Vael va aller bien, lui soufflé-je.

— Il a intérêt.

Jam arrive à son tour et s'installe sur mon côté libre. Nous sommes à l'étroit sur le matelas une place, mais je me sens bien, entouré d'eux. Je comprends qu'eux aussi souffrent du manque d'une meute, de la présence constante, rassurante. J'aimais dormir seul dans ma chambre quand je faisais partie de la meute de San Francisco, je n'avais pas ce besoin de contact, je regrette de ne pas en avoir plus profité et je suis réellement heureux d'avoir trouvé des gens qui m'acceptent.

C'était inespéré que je croise la route d'un groupe qui veuille de moi, sans que je n'ai à le formuler. Je suis presque heureux que la meute d'Orlando ait voulu nous tuer. Et qu'ils ne m'aient pas chassé à la première occasion. Je souhaite être à la hauteur de le confiance qu'ils placent en moi.

L'atmosphère s'apaise. Jam a de fortes émotions positives, assez pour que sans lien avec lui, je les sente. Il aime ce genre de contact. Il n'a jamais connu de meutes, il a passé sa vie, trimballé de foyer en foyer quand il ne terminait pas en orphelinat. Son aura de loup est petite et, même s'il ne me l'a pas avoué quand nous avons parlé de nos passés, j'ai compris qu'il pensait avoir été abandonné, car ses parents savaient qu'il serait trop faible. Je n'y crois pas, mais sa confiance en lui souffre de cette histoire. Je pense que comme Hemza et Run sa meute a été décimée par une autre, mais qu'ils n'ont pas eu le cœur de tuer un bébé. Il ne le saura jamais.

Nous finissons par nous assoupir tous les trois dans le réconfort de nos chaleurs ede cette chambre qui nous sert de tanière et qui sent l'odeur de tous.

C'est le rire de Run qui me réveille, mais le froid me fait émerger plus vite. Je me redresse et constate que je suis nu.

— Tu rêves que tu dois te transformer quand tu dors pour te mettre à poil à chaque fois ? me demande Jam, qui me tend mon caleçon qui a apparemment atterri sur lui.

— Je ne sais pas.

Run est à la porte, toujours en train de rire. Ma séance de strip-tease n'a gêné personne – aux têtes ensommeillés de mes acolytes. J'ai du mal à croire que collés comme nous l'étions qu'ils n'aient pas été bousculés pendant que je me déshabillais.

— J'ai préparé à bouffer les marmottes, venez.

Pendant que nous mangeons le riz et le poulet, je remarque Myron qui jette des regards furtifs à Run, j'ai des difficultés à les interpréter. J'ai le sentiment qu'il n'ose pas dire quelque chose. À cause de son aura ? Ou d'autres raisons ? Je ne sais pas ce qui le muselle.

— Il y'a un problème, Myron ? demande Run sans animosité.

— Heu... Tu penses qu'on va devoir se battre ?

Run lâche ses couverts, s'étire, il fait tout pour paraître détendu, mais je ne suis pas réellement sûr que ce soit entièrement vrai. Suny, Hemza et lui laissent toujours paraître une force tranquille, mais je pense qu'ils le font pour tranquilliser le reste du groupe. Les loups au caractère soumis sont facilement inquiets et ont besoin de repères. Ce n'est pas un défaut, c'est nécessaire pour qu'une meute fonctionne, ce sont des personnes douces en général, très agréables, bonnes pour l'équilibre des enfants et la cohésion. Ils sont le ciment indispensable pour tenir les énormes rocs que peuvent être des dominants.

— Je ne sais pas. Je ne pense pas, mais si ça arrive ne t'inquiète pas. Ce sont des solitaires qui espionnent les autres, si jamais ça dégénère, ils pourront régler ça seuls sans difficulté. Aucun groupe de solitaires n'est aussi nombreux que nous. Trois c'est un maximum, quatre à la limite s'il y a des femelles, mais pas sept.

Je ne dis rien, même à sept contre quatre nous pourrions nous faire battre. J'ai déjà vu des solitaires à San Francisco, certains maintenaient à distance tous les autres sur des rues entières. Alec avait été défié par l'un d'eux quand j'étais enfant. Le duel avait été d'une férocité ahurissante, même le solitaire arrivait à faire baisser la tête de certains membres de notre meute quand il tentait d'intimider Alec. Tout en force brute, je suis persuadé que s'il avait visé une meute moins grosse, il en serait devenu l'alpha. Alec était ressorti grandement blessé. En repensant à cette histoire, je réalise que le jeune homme était un dominant chassé de notre meute et qu'Alec l'avait autorisé à rester sur son territoire, erreur qu'il n'a pas voulu recommencer avec moi.

C'est l'aura de Run percutant la mienne qui me ramène à la discussion. Jam et Myron ont les yeux baissés, je comprends que la pointe de colère que j'ai ressentie s'est exprimée physiquement.

— Désolé, bredouillé-je, confus.

Myron et Jam m'assurent qu'il n'y a pas de mal et recommencent à manger. Run me fixe.

— Tu as un problème dont tu veux parler ?

— Non, mon esprit a divagué vers le passé et... je sais pas trop ce qui s'est passé.

— Y'a pas de mal, vivement que tu ais rejoint notre lien, les autres seront moins sensibles à tes assauts. Déjà lors de notre première rencontre, il nous a fallu contrer tes tentatives d'intimidations par nos liens mentaux, ça n'a pas été facile.

— Je ne comprends pas pourquoi ils devraient y être moins sensibles si on partage un lien.

— Parce qu'ils auront accès à tes intentions. Et ton cerveau, à moins que tu décides le contraire, fera une sorte de tri. Et le leur aussi sera habitué à te reconnaître, sans lien de meute les auras dominantes ont un impact sur les loups plus faibles. Pour les autres, il y a l'effet de surprise, mais il est assez facilement surmontable pour n'importe quel loup dominant. Ce qui est un peu différent en cas de lien de meute, car là s'ajoute la pression mentale. Une aura déployée au bon moment peut tout faire basculer. Globalement, toi tu es protégé. À part si tu tombes sur certains grands alphas, mais je te souhaite de ne jamais croiser les chefs des grandes meutes.

Je hoche la tête. Je suis inquiet que certains abusent de ce pouvoir pour paralyser mes nouveaux camarades.

Maintenant il nous reste plus qu'à être patients et attendre le retour des autres. Et il me tarde.

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