22.

Nous avons fait le plein de vivres avant d'entrer sur le territoire de la meute de San Francisco, hors de questions de descendre du véhicule avant d'être devant les grilles de la maison de la meute.

Notre lien mental est complètement opérationnel, Hemza semble mobile dans ce schéma, je ne sais pas si c'est pareil partout, je réalise avec étonnement que je n'ai jamais vu ni senti ce qui se passait près d'Alec quand je faisais partie des siens. En tant qu'enfant, j'étais tout en bas de l'arbre que représentait le lien de meute, je ne voyais pas l'encrage dans Alec. Par contre, je suis certain de n'avoir jamais eu de lien avec les bêtas, ni même que mes parents en aient eu. À force d'y réfléchir, j'en ai conclu que c'était parce qu'il y avait trop de membres et que les dominants devaient privilégiés certains loups plutôt que d'autres.

Je gare le van devant l'immense grille du terrain encadrant la grande bâtisse. Dans les rues de la ville, nous avons été suivis. En un claquement de doigts, nous sommes entourés des gardes et il y en a beaucoup.

Hemza est près de moi, Jam et Myron juste derrière nous et Vael derrière eux pour les protéger. Nous affichons tous un sourire carnassier et une confiance qui ébranle la vingtaine de personnes qui nous encercle.

— Lyas ?! s'étonne l'un d'eux. Ton retour te condamne à mort, tu es stupide.

— Pardon ? grondé-je en déployant mon aura. Comment oses-tu me parler de cette façon ? Avertis Alec que je suis là pour sa place, je lui dispute son rôle d'alpha.

Il y a des geignements plaintifs, car mon aura les percute sans discontinuer. Même mes frères ont du mal à rester stoïque alors que mentalement, je fais tout mon possible pour ne pas les écraser.

Une seconde passe. Une deuxième. Puis une dizaine sans qu'aucun ne réponde ou ne bouge.

— Alors ?

Mes frères grondent pour ponctuer mon énervement grandissant et j'y prends goût. Je me sens puissant comme jamais auparavant, plus grand, plus fort, plus tout.

Certains de San Francisco tentent de répliquer avec agressivité, mais je leur fais rapidement baisser la tête.

L'un d'eux fini par reprendre contenance, un bêta, Ezra.

— J'ai averti Alec, il arrive, mais je te conseille de partir Lyas.

— Ezra, tes conseils, ne me forcent pas à te les faire regretter. Je ne suis pas mes parents que vous avez lâchement condamnés. Peter est mort pour ça, c'est le tour d'Alec et de tous ceux qui oseront se mettre en travers de notre route. Vous étiez supposés les protéger ! ma rage et ma tristesse me font hurler.

— Tu nous as trahi, réplique la voix d'Alec dans mon dos.

— Trahi ? C'est comme ça que tu comptes essayer de te sauver, Alec ? Tu m'as chassé. Les solitaires se sont retrouvés traqués partout, nous avons été là où on nous tolérait et tu parles de trahison ? Maintenant que je suis revenu, essaie de me tuer Alec, c'est bien ce que tu m'avais promis, non ?

— Oui. Tu es devenu un alpha présomptueux comme tous ceux qui ont essayé avant toi de me prendre ma place et c'est pas ta piteuse meute qui va changer quoi que ce soit.

— Bien alors, je ne devrais être qu'une formalité pour toi, arrêtons de parler et qu'on en finisse. Je te dispute ta place d'alpha de la meute de San Francisco, Alec.

— Qu'il en soit ainsi, suis-moi.

Je lui emboîte le pas, mes frères sur les talons, eux-mêmes suivis de quelques gardes. Nous traversons le hall sous les yeux de quelques badauds.

Puis nous nous enfonçons dans le sous-sol, là où se trouvent entre autres les salles d'entraînements et les casiers des familles pour ranger d'éventuelles affaires. Le dernier endroit où j'ai été, quand j'avais volé le téléphone de mon père, que je n'ai gardé qu'un mois avant de le revendre pour avoir un peu de liquidité.

Nous nous rendons dans la grande salle d'entraînements.

Plusieurs bêtas se mettent sur les bords, ainsi que mes frères. Je n'attends pas une seconde et me déshabille. Nous ne sommes tellement pas pris au sérieux que peu de gens viennent voir. Alec déploie son aura, il tente de m'écraser et il jette un coup d'œil à mes frères qui restent stoïques. Cette impassiblité leur coûte, quand je me battrai je ne gaspillerai pas mon attention à les protéger, mais là, j'ai besoin que tous contemplent ma force, alors qu'Alec n'arrive pas à les protéger de mon aura et qu'ils finissent par tous baisser la tête, à cause de la mienne.

Alec déchire son tee-shirt dans la précipitation pour se mettre nu aussi, il n'a pas aimé cette démonstration.

— Tu vieillis, tu es faible Alec. C'est la fin de ton temps.

— Je pensais vite te finir, par respect pour ton passé parmi nous qui t'avons élevé, mais je pense que je vais me raviser.

— Bien, je n'aurai aucun scrupule à te faire souffrir à la hauteur de la douleur que mes parents ont ressenti d'être rejetés de la meute. Tu es un alpha pitoyable Alec, ta meute sera soulagée sans toi.

— Tu dis ça uniquement parce que toi tu es incapable de t'entourer d'autant de loups forts, alors tu chéris même des omégas bons à rien.

— Mon oméga est droit alors que tes bêtas baissent la tête, répliqué-je en augmentant la pression de mon aura arrachant des plaintes à ses bêtas.

Alec gronde.

— Finissons-en !

Il a à peine fini de parler qu'il se jette sur moi.

Je l'avais espéré son mouvement, mais je ne m'étais pas imaginé qu'il se transformerait en l'air et c'est son énorme loup qui me percute. J'ai à peine le temps d'interposer mon bras gauche pour l'empêcher de me mordre à la gorge. La pression de sa mâchoire me brise l'os. Je parviens néanmoins à le projeter loin de moi. Ainsi blessé me transformer va être compliqué. Mince.

La douleur est lancinante, mais elle reflue petit à petit, heureusement, car Alec charge à nouveau. De ma main intacte, j'arrive à saisir son museau, sauf que je n'avais pas prévu qu'il reviendrait sous forme humaine. Je chancèle en perdant ma prise et c'est la main d'Alec qui se referme sur ma gorge.

Son aura me frappe violemment, blessé et acculé je ne protège pas mes frères dont les jappements me parviennent, ainsi que les éclats de rire des membres de la meute présents.

— Je me ferai un plaisir de briser ta piteuse meute, Lyas.

Mobilisant ma force et ma rage je transforme uniquement ma mâchoire et ma main droite. Il était temps, car il avait commencé à serrer et l'air ne parvenait plus à atteindre mes poumons. Distrait par mes dents qui tentent de le mordre il ne remarque pas mes griffes avant qu'elles ne lui lacèrent le ventre.

Alec recule précipitamment et j'ai un mal de chien à ne pas me mettre à genou pour reprendre mon souffle. Il me faut me mettre debout ! Et j'y parviens.

— Tu as du talent Lyas, avec une dizaine d'année de plus tu aurais pu devenir un grand alpha, tu as gâché tes capacités en te précipitant ici.

Un grondement féroce me quitte alors que je bondis et, faisant fi de la douleur à mon bras, je me transforme. Alec m'imite et je constate que mon loup est plus grand que le sien. Sur trois pattes, je prends mon élan et me jette tout croc dehors sur mon adversaire, il expose son flan pour protéger son cou. Mes griffes lacèrent son échine. Il tente de me mordre, j'esquive en reculant un peu, puis je m'élance à nouveau sur lui. La force de l'impact nous fait rouler. Auras, grondements et coups se déchaînent. Nous essayons tous deux de prendre le dessus, je peine avec ma patte, je n'arrive jamais à m'imposer.

Une fois encore, Alec me fait basculer sous lui. Mais cette fois, j'arrive à mordre son épaule profondément, alors que jusqu'à maintenant je n'avais réussi qu'à faire des égratignures superficielles. Je secoue ma tête de droite à gauche pour tenter de lui arracher de la chair, je n'en ai pas le temps, je lâche prise pour éviter à sa gueule de se refermer sur ma jugulaire.

La peau est toujours solidaire, mais la plaie que je lui ai causée est moche, le sang coule sur mon museau. Il n'a plus de force dans sa patte avant droite, nous voilà à peu près à égalité. Avec son équilibre précaire, il se déplace libérant l'accès à son ventre pour mes pattes arrières qui, d'un violent coup, le lacèrent. Puis je renverse la tendance et fais rouler Alec au sol et je m'impose sur lui. Je tente de mordre son cou, il se débat mais cette fois-ci il ne me domine plus, mon aura se déploie, pendant que je jubile elle sature la pièce alors que la sienne s'amenuise tout comme ses forces, je parviens à mes fins. Os, cartilage, muscles, rien ne me résiste et dans une dernière expiration étouffée, Alec s'immobilise contre le béton.

Et le tsunami bruyant de consciences désemparées me percute. Inquiet, mon premier réflexe c'est de vérifier que mes frères vont bien et c'est le cas, alors que moi je chancèle, submergé. Je me dégage du cadavre maladroitement pendant que mon corps reprend péniblement forme humaine, mon bras cassé n'appréciant pas se nouveau changement d'état. J'ai aggravé ma fracture, mais dans l'immédiat, c'est pas le plus important. Je me redresse péniblement. Les membres de la meute de San Francisco se tiennent tous la tête, la douleur s'accentue aussi dans la mienne.

Mon lien s'étire à la limite du supportable, la liaison avec la meute est à vif et surchargée par le besoin qu'ont les membres de se rassurer de ce que je perçois de toutes ses intrusions. Ils essaient tous de me parler, j'en ai des vertiges. C'est à ce moment-là que Sam l'ancien premier bêta de la meute fait son entrée. Je ne l'avais pas revu depuis qu'il était venu négocier chez Peter et une colère sourde me hurle de le tuer. Sauf que je n'en ai pas l'énergie.

— Toi ? hurle-t-il en avisant le spectacle.

Hemza s'interpose.

— Laisse-moi passer le rouquin, où je te tue.

— J'aimerais bien voir ça, gronde Hemza.

— Ça suffit vous deux, dis-je en m'approchant. Respecte la hiérarchie Sam, sinon je te tuerais.

— La hiérarchie ? gronde ce dernier.

Les membres de la meute reprennent leurs esprits, malgré mon mal de tête et ma faiblesse, je déploie mon aura. Ils baissent tous la tête, mais les bêtas les plus forts luttent. Ils sont nombreux, par le lien je sens peser leur rébellion.

— Laisse-moi défier Sam, s'il te plaît Lyas, demande Hemza en chuchotant, alors que l'intéressé, c'est rapproché du corps.

— Oui, il mérite de mourir et ça calmera les autres, répliqué-je.

J'accepte, car je ne suis pas certain en l'état actuel de le dominer et que Hemza a aussi besoin de se faire respecter.

Myron, toujours aussi gentil, me tend mes habits et m'aide à les enfiler.

— Lyas, je te défie, s'énerve Sam alors que j'ai arrêté de lui prêter attention.

— C'est moi que tu n'as pas respecté, s'interpose Hemza, c'est moi qui te défie, je suis le premier bêta de la meute et je ne tolère pas ton attitude.

— Très bien, et après t'avoir tué, je te tuerais Lyas, aucun des loups que tu as amenés avec toi ne m'en empêchera.

Pour toute réponse, je lui lance un sourire hautain, le genre que Suny avait quand il montrait son assurance.

Je prends appui contre le mur en essayant de paraître nonchalant au lieu d'épuiser. La cacophonie de voix ne diminue pas, j'en ai la nausée. Je n'arrive pas à communiquer en retour et à leur intimer le silence, la connexion n'est pas encore complètement formée.

Ezra et Ryan ont dégagé le corps d'Alec du milieu de la pièce pour que mon frère et Sam puissent s'affronter.

Jeune, je trouvais Sam impressionnant physiquement. Il l'est toujours, mais je constate avec un certain plaisir que Hemza l'est plus. Comme moi, il a des cicatrices partout et il s'est toujours relevé, je n'ai pas peur pour lui.

Sam se transforme, mais Hemza ne l'imite pas, il attend. Il projette le grand loup loin de lui quand ce dernier lui saute dessus. Il est tellement différent lui aussi sans les freins et les entraves de notre tout. Il n'a pas le sourire gentil habituel, il y a le sadisme que Suny aurait eu et la force tranquille de Run dans sa façon d'être, mais ce petit sourire supérieur ne lui va pas si mal.

— Viens Sam, je t'attends, provoque mon frère.

Le loup gronde et bondit, Hemza l'évite et se transforme à son tour en se jetant sur son adversaire de dos. Sam a senti l'entourloupe arriver et réagit assez rapidement, les crocs de mon frère se referment sur son épaule, alors qu'il visait sûrement la nuque, mais même s'il a raté sa cible, le jappement de douleur qui échappe à Sam montre que l'attaque n'était pas vaine. Il se secoue éjectant mon frère qui se réceptionne mal offrant une ouverture. Mon cœur se serre, je reste suspendu à la scène. La mâchoire de Sam passe à un cheveu de la gorge de Hemza qui se redresse promptement et donne un violent coup d'épaule pour le déstabiliser.

Les deux adversaires reculent en grondant, ils commencent à se tourner autour en retroussant leurs babines. Hemza prend l'initiative de l'assaut, il est rapide et j'espère que ce duel se terminera vite, j'ai besoin de m'isoler pour ne plus gaspiller mon énergie à me montrer fort alors que les angoisses de centaines de personnes me harcèlent.

Hemza prend petit à petit le dessus, il parvient à faire tomber Sam qui a du mal à se dégager et, à force, les crocs de mon frère mettent un terme définitif à l'échange.

Il se relève fièrement sur ses deux jambes toisant les autres autours. La meute se tait, nous venons de faire prendre un tournant à leur vie qu'ils n'avaient pas envisagé. J'essaie de contacter Hemza par le lien télépathique, mais je n'y parviens pas, je veux l'avertir que j'ai besoin d'aide. Ça me tue de devoir l'admettre, je n'étais pas assez fort. La partie des loups de la meute que j'ai sous les yeux ne semble plus souffrir du nouveau lien, ils ont eu l'air en peine les premières minutes, mais plus maintenant, alors pourquoi leurs cris ne cessent pas ?

Je suis obligé de prendre sur moi encore un peu, je me décolle du mur qui me soutenait et m'avance de quelques pas.

— Demain matin, je veux tous les membres de la meute dans la grande salle à huit heures tapantes, sans exception, même les gardes des frontières et ceux qui ont des impératifs de travail. Jusque-là vous avez quartier libre, je vais m'installer dans la chambre de votre ancien alpha, si vous me cherchez pour des sujets qui ne peuvent pas attendre demain.

Je m'exhorte de mettre un pas devant l'autre pour quitter la pièce, je sais que la chambre est loin et je ne suis pas certain d'y arriver, la tension dans mon crâne augmente, je suis à deux doigts de vomir et mon bras me fait souffrir.

Mes frères me suivent, le trajet est long, il y a trois étages à monter et c'est épuisé que je parviens enfin au palier. La maison de la meute grouille de personnes, ils me regardent tous apeurés, mais je n'ai pas le cœur de leur parler, encore moins pour les rassurer alors que c'est les responsabilités qui m'incombent.

Je pousse l'une des portes de la suite d'Alec, mes frères m'imitent et referment, ils tirent les rideaux et vérifient qu'il n'y a personne.

— Tu peux t'écrouler, me sourit Hemza avec le sourire plein d'empathie et de douceur qu'il a toujours avec nous.

Et j'obéis, je me précipite aux toilettes pour vomir.

— Ça va aller Lyas, me soutient Hemza en me caressant le dos.

Je devrais m'insurger qu'il se montre si maternel, si protecteur, mais en fait, son attitude me rassure tellement que ne peux éprouver que de la gratitude. Quand mes spasmes se calment, je demande enfin :

— C'est normal, tu crois, que je sois si mal ?

— Oui, tu es le premier à tuer un des grands alphas, aucun d'eux n'a hérité d'une meute aussi grosse, ils les ont construites, ils ont ajouté petit à petit des groupes de loups.

— Pourtant Max était en forme, répliqué-je amèrement.

— Max avait déjà le lien existant, on n'a fait que supprimé le seul loup au-dessus de lui.

— Je ne veux pas de cette meute.

— Je sais, tu peux la dissoudre, si tu veux. C'est pour ça que tu les as convoqués ?

— Je les ai convoqués parce que c'était la chose à faire, mais je ne sais pas ce que je vais leur dire !

— Tu veux garder la meute, ou non ? me questionne Vael en s'asseyant sur le bord du lavabo.

— Non, je veux aller tuer Max.

— Voilà qui est clair, tu ne peux pas prendre le risque de tuer Max en ayant déjà le contrôle d'une meute aussi grande que celle de San Francisco, la charge mentale te tuerait.

— Je compte découper tous les liens entre tous les loups, hors de questions qu'ils arrivent à se reformer, je veux mettre fin aux grandes meutes.

Vael rigole, mais pas pour se moquer de moi et il déclare :

— J'aime les projets fous ! Je marche avec toi.

Je regarde Hemza.

— Faisons ça, il y en a assez de cette course à la puissance complétement démesurée.

— Je vous mets en danger, ça fait de moi un très mauvais chef.

— Tu dis n'importe quoi, me sourit Jam. On a subi toute notre vie ce système et on a eu la chance de devenir assez forts pour empêcher à d'autres dominants puissants et à d'autres omégas nés de subir le rejet qu'on a dû endurer. Puis qu'est-ce qu'on pourrait faire d'autres ? On a tué Peter, on vient de tuer Alec, on va aller tuer Max, tu ne penses pas qu'après ça les autres te verrons comme une menace ? Tu vas systématiquement dissoudre les meutes ce qui te rend dangereux.

— Il a raison, intervient Hemza, si tu n'as pas de meute, non seulement tu deviens une cible facile, mais en plus ça te rend libre d'en convoiter d'autres.

— C'est réglé alors, mais Myron, tu n'es pas obligé, lui dis-je en souriant.

— Je n'ai rien dit parce que je suis d'accord, tout simplement.

— Bien, je vais me reposer, veillez sur moi.

— Évidemment, réplique Hemza avec un clin d'œil.

Et sans plus attendre, sans me déshabiller, je vais m'affaler sur l'immense lit.

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