21.

Je me réveille côté passager avant de notre van. Une seconde, je puise du réconfort dans l'odeur de notre fratrie, odeur que plus aucun de nous cinq ne porte, mais qui existe encore dans l'habitacle du vieux véhicule. Nous avons abandonné le gros 4X4 voyant dans un quartier assez peu fréquentable, puis avons couru pour rejoindre rapidement le hangar de stockage où était caché notre camionnette. Chacun a puisé dans sa volonté, car nous puons la tristesse et nos corps sont mâchés par les derniers évènements, mentalement par nos liens brisés et physiquement par les coups que nous avons essuyés. Il ne nous a pas fallu faire beaucoup de détours, la meute de New York est complètement désorganisée, ça a été notre chance.

Hemza conduit, c'est son tour, les trois autres dorment sur les banquettes arrière.

— Tu te sens mieux ? me demande Hemza avec sa sollicitude habituelle.

— Oui, je guéri bien.

— Dès que tu t'en sentiras capable, il faudra que tu fasses de nous cinq une meute.

— Pardon ?!

— Tu m'as bien compris. Je peux survivre. Vael peut-être que lui aussi arriverait à intégrer une meute, mais en temps de guerre aucune meute ne recruterait des soumis. Sans soutien mental Jam et Myron sont vulnérables.

— Je ne m'en sens pas capable et je ne saurais même pas comment faire. J'ai le sentiment d'avoir ma psyché en bouillie. Tu es un potentiel bêta de valeur, si tu proposais ta candidature à une meute en les avertissant que tu ne les intègreras qu'avec les autres, ils accepteront.

— Si la meute est petite, oui. Mais si elle est trop petite et que la meute de New York cherche à se venger, elle ne nous protègera pas.

— Mais en quoi, MOI, je peux mieux vous protéger qu'une meute entière !

— Toi, tu vas venger les autres et je veux en être, notre meilleure protection c'est d'attaquer.

— Tu n'as pas la moindre idée de ce que je compte faire !

— Oh si, tu vas défier l'alpha de San Francisco. Et si à ce moment-là, tu as un vrai lien de meute déjà existant tu accuseras mieux le choc de l'intégration de ses membres, réplique-t-il calmement alors que moi je cris presque.

— Mais on n'aura plus jamais la proximité qu'on avait jusqu'à maintenant... dis-je ma voix s'éteignant au fil des mots.

— On marche avec vous, déclare Vael qui est réveillé tout comme les deux autres qui acquiescent.

— Si, vous, mentalement, vous êtes résistants, ce n'est pas mon cas, il me faut plus de temps.

Ils m'assurent qu'eux aussi n'ont pas cicatrisé de la déchirure mentale qui a eu lieu la veille et que nous nous cacherons le temps qu'il faudra pour être assez forts, pour guérir.

Nous nous sommes arrêtés au milieu de nulle part. Je tourne en rond au sein de notre campement de fortune au cœur des bois. Hemza retire les points de sutures des autres, presque tous ont cédé durant les luttes passées. Ils sont inutiles et il n'est plus temps de recoudre, il faudra faire avec. C'est-à-dire des plaies qui vont guérir plus doucement. Tout ce temps libre me donne trop de possibilité de penser et c'est vers Suny, Run et mes parents que mon cerveau est tourné. J'ai le sentiment qu'ils sont morts par ma faute, certains pour m'avoir aimé tout simplement et les autres parce que je n'ai pas été à la hauteur, j'ai été la faille de notre groupe. Sans moi Peter n'aurait jamais su, Alec n'aurait pas envoyé mes parents dans ses pattes. Personne ne serait mort...

Dans le tourbillon de ma culpabilité, je n'ai pas senti Myron approcher, il hésite à avancer plus près, mais quand nos regards se croisent il passe le pas et me serre dans ses bras. Son front vient s'appuyer contre le mien. Son affection me touche. Sa présence plus intime me manque entrelacée avec la mienne. Et d'autant plus fort que nos corps sont aussi proches.

Ma paume se pose par réflexe sur sa tempe. Et je réalise que je la sens. Sa conscience. Mais je n'ose pas franchir le cap et essayer de l'intégrer à la meute que nous voulons construire. Sauf qu'il m'empêche de décoller ma main.

— Fais-le, je te sens, je pense que je suis prêt, murmure-t-il et si tu es capable de me voir c'est que toi aussi, nous ne sommes pas faits pour rester seuls, blessés ou non.

Et j'obéis.

C'est atrocement douloureux, nos esprits sont à vif des dernières épreuves et durant la construction du lien, je prends conscience des deux choix possibles. Le choix évident : me poser en alpha dominant, la place que prend naturellement la tournure d'une intégration, mais je ne sais pas si c'est parce que je sais que c'est possible, toutefois l'autre possibilité, celle d'un tout comme avant, je la vois aussi. Sauf que pour ce que nous avons prévu, je ne peux pas choisir ce chemin là et je suis la voie que n'importe quel alpha choisirait.

Une fois la création du lien finie ce n'est que grâce aux bras des autres que nous ne nous écroulons pas sur la terre.

Ce nouveau lien que je découvre tire fortement et je me sens toujours nu et seul. Je vais détester être un alpha, un vrai qui s'assume. Je souhaite simplement que mes frères n'en pâtissent pas.

Myron dort, collé à Jam et Vael qui veillent sur lui, parce que rien ne changera jamais l'amour qui existe entre nous.

— Tu y es arrivé Lyas, c'est bien, m'encourage Hemza.

— Je ne suis pas prêt à recommencer, l'avertis-je.

— Je me doute, mais il ne faudra pas trop traîner, on n'a des vivres que pour une semaine encore.

— Je sais, je réessaierais demain.

— Comme tu voudras, tu es capable de plus que tu ne le crois. Tu n'en as pas conscience, mais avec nous, comme dans ton ancienne meute, tu t'es toujours adapté pour être en dessous de ceux que tu estimais supérieurs à toi. C'est dans ta nature.

— Ce qui fait de moi un très mauvais alpha... répliqué-je en soupirant.

— Non, ce qui fait de toi un alpha avec une qualité que les autres n'ont pas, tu sais t'effacer, ce que les autres ne savent pas faire et pendant ce temps tu apprends. Et maintenant, tu vas pouvoir être toi-même et faire comprendre leurs erreurs aux autres. On a tous confiance en toi. Suny et Run avaient confiance en toi et, contrairement à ce que tu imagines, rien de ce qui est arrivé n'est de ta faute. Sans toi nous n'aurions jamais tenus aussi longtemps. Arrête de te torturer et repose-toi.

Je ne suis pas étonné d'être aussi transparent pour Hemza, je ne le remercie pas, mais il sait que ses mots m'ont fait du bien.

Fatigué, je trouve du réconfort en me collant à mes frères. Tous les cinq nous faisons bloc comme quand j'étais adolescent et que ma vie a percuté la leur. Je suis nostalgique de nos entassements intempestifs mêlant espièglerie et amour débordant.

Je vais massacrer ceux qui ont détruit la beauté qu'était notre famille, peu importe ce que ça me coûtera.

Malgré tout ce que mon cerveau ressasse, je m'endors rapidement.

Le réveil est compliqué, j'ai perdu l'habitude d'un lien de meute et je suis confronté à ce lien en tant qu'alpha ce qui m'est complètement étranger. Par réflexe en me réveillant je tire dessus en voulant m'en préservé, ce qui réveille Myron.

— Désolé, je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé, dis-je confus.

— Ce n'est pas grave, il nous faut apprendre, que tu aies pu me réveiller prouve que le lien à cicatriser et qu'il est fonctionnel, c'est bien.

Un sourire attendri fend mon visage devant la gentillesse de Myron. Je ferme les yeux et lui aussi, nous inspectons le lien. C'est tellement étrange de devoir faire un effort, minime, mais un effort quand même pour ressentir Myron quand avant c'était pour ne pas le sentir qu'il me fallait faire des efforts.

Tu m'entends ?

— Oui, mais tu sembles me parler de très loin et je dois le vouloir pour te répondre, c'est comme s'il me fallait crier et c'est fatigant, m'explique-t-il.

— Ça l'est pour moi aussi, mais ça finira par devenir plus naturel, même si je doute qu'on discute souvent en aparté. Et je ne sais pas comment ce sera quand vous serez plusieurs.

Tu y arriveras, on te laissera pas tomber.

Myron me fait parvenir son affection par le lien et, pour une première fois, il s'en sort vraiment très bien.

Les autres finissent par se réveiller pendant que nous continuons de scruter le cordon qui nous lie en le mettant à l'épreuve de temps en temps.

Jam sort la nourriture, c'est un moment de normalité où l'absence de Suny pèse lourd. Le voir ajuster les plats en douce c'était une habitude, le genre de moment qui ne paraît pas important et qui pourtant représente tout ce que nous n'avons plus.

Alors que je mange un gâteau Hemza revient à la charge.

— Il faut que tu intègres Jam dans ton lien, tu dois protéger les plus vulnérables.

— Tu aurais pu toi aussi devenir un alpha, même si ça ne t'es pas naturel, pourquoi tu fais tout reposer sur moi ? répliqué-je agacé.

— Parce que comme tu l'as dit, ça n'est pas naturel pour moi et si les meutes ont presque exclusivement toutes de vrais alphas comme chef c'est parce que c'est le lien le plus fort possible.

— Aucun alpha ne vaut quelque chose s'il n'a pas de bons bêtas et de bons omégas, et de bons loups tout court.

— Ça ne répond pas à la question, réplique Hemza gentiment.

— Après manger s'il se sent prêt. Je ne forcerai personne, on est tous assez abimés.

— Toi aussi tu as le temps Lyas, ne te force pas, Hemza ne veut pas te mettre la pression, intervient Jam.

Hemza acquiesce, je sais qu'il est inquiet pour les soumis, et moi aussi je le suis, mais j'ai peur de mal faire les choses ou de les amenés vers une fin prématurée. Myron m'envoie du soutien mentalement et je sens que si je le voulais, sans forcer, je pourrais me couper de sa sollicitude, de lui, sans lui laisser son mot à dire... Un frisson glacial me parcourt à ce constat.

La fin du repas arrive vite, trop vite. Jam s'installe près de moi, je lève la main pour l'appliquer sur son front. C'est familier et un tel manque, que trouver sa conscience ne me demande pas vraiment d'effort. Et par chance pour moi, c'est moins douloureux qu'avec Myron, mais Jam souffre, je le sens. Il reste appuyé contre Myron qui comme toujours est là en soutien.

— Vael, si tu te sens près, moi je le suis.

— T'es sûr Lyas ?

— Oui, ce n'est pas comme la première fois, c'est le même lien qui étend ses ramures ça ne créé pas de nouvelles attaches pour moi, je pense que je pourrais intégrer Hemza aussi, ça nous laissera le temps de nous faire à ce qu'engendre ce nouveau lien.

Et c'est ce que nous faisons.

Le lien tire, j'ai mal à la tête, mais la tension des autres s'est apaisée, ça en valait la peine. Il nous faut guérir et après nous irons à San Francisco.

Hemza apprend vite, ce schéma semble naturel pour lui. Il s'en sert si bien que je me demande vraiment si je ne devrais pas lui laisser la place d'alpha.

— Arrête de te torturer, me rouspète Hemza.

— Comment peux-tu le savoir ?!

— Je n'entends pas tes pensées, par contre on ressent tous une certaine tristesse et elle émane de toi. Tu vas devoir apprendre à maîtriser tout ce que tu ressens et apprendre à dominer. Tu nous cajoles, tu es en haut de notre chaîne, si tu tues Alec tu vas avoir une foule de dominant qui va te tester pour savoir si tu es un alpha méritant.

— Attends ! Tu es en train de me dire que tu veux que je m'entraîne sur toi ? Je n'ai pas envie de te faire souffrir, Hemza, ni toi, ni les autres.

— On a tous choisi d'être là et cette souffrance ne sera rien face à ce que tous ces cons d'alphas nous ont infligé, grogne Vael qui se place devant moi en me défiant.

Je grogne aussi. Il me provoque pour m'améliorer, je lutte pour ne pas laisser transparaitre la vague de gratitude que sa démonstration d'affection me procure.

L'aura de Vael me percute, Hemza se joint à lui. Ils me font face, ils grognent, mon lien mental chauffe.

Je n'ai pas d'hésitation, la part de chef en moi qui est en roue libre depuis que notre lien fraternel a été démoli s'exprime et mon aura se déploie comme jamais, les faisant japper et courber la tête à tous les quatre.

Vael et Hemza luttent, mais c'est peine perdue, je peux peser sur eux mentalement. Il n'y a rien de subtil là-dedans, comme quand je m'invitais dans leurs pensées. C'est primitif. Brutal. Je les écrase.

Quand plus aucune onde de défis n'émane d'eux j'arrête.

Vael éclate de rire, reprenant rapidement pieds.

— J'ai toujours su que tu aimais être au-dessus, commente-t-il avec un de ses coups d'œil salace.

— On reprend la route cette nuit, si c'est bon pour toi Hemza, dis-je mi-amusé mi-déterminé.

— Oui, j'aurais le temps de peaufiner mon lien.

Je suis le premier à conduire. Les autres sont fatigués, ils n'ont pas l'habitude, car même si c'est peu, une partie de leur énergie est déroutée en plein sur moi. Ce n'est pas comme avant où nos énergies s'équilibraient. J'ai peur qu'au lieu de les renforcer notre lien de meute ne les rendent plus faibles pour mon seul profit.

Je jette un œil dans le rétroviseur pour me rassurer.

— Cette fatigue ne durera pas, je suis là pour ça, me rassure Hemza assis à l'avant avec moi.

Je sais qu'il travaille dur ses liens mentaux avec les autres, je les vois les fins filaments qui le relient aux autres. Il arrive à se placer au-dessus petit à petit.

— Si tu te mets en barrage, c'est toi que je vais drainer, ce n'est pas mieux.

— Je saurais accuser le coup, c'est le rôle des bêtas, on existe pour ça et je saurais arrêter le flux si ça ne va pas.

— Comment tu arrives à trouver tout ça naturel ? Je suis encore maladroit avec ce fichu lien.

— Mon père et ma mère était les bêtas de notre meute d'origine à Run et moi. Ils me parlaient beaucoup. Arrête de te faire du souci sur tout cet aspect Lyas, je gère. S'il y a des problèmes que je ne peux pas résoudre, je t'en ferai part. Ton objectif à toi c'est notre survie et nous protéger du monde extérieur et moi, ton bêta, je gère ce qui nous est intrinsèque.

— Si un alpha tel qu'Alec qui a plusieurs dizaines de bêtas puise sa force chez eux, en quoi je peux faire le poids ?

— Tu n'as jamais fait attention ? Tu n'as jamais compris ?

— Compris quoi ?

— On a tué Peter. Tu penses qu'il n'a pas lutté face à Run ? Il lui a tout balancé, son aura, sa force, mais ça n'a pas suffi. Le lien que nous avions, vous a construit une force que n'égalera jamais celle des alphas normaux.

— Tu te trompes, s'il a tenu c'est parce que c'était trois alphas contre un. Je l'ai senti la force de Peter et elle était étouffante, sans le soutien des autres je ne peux pas rivaliser avec ça.

— Tu as toujours ce côté enfantin Lyas, cette part de toi qui est persuadée que seul tu n'es pas assez grand, pas assez prêt, que seul tu ne peux rien. Ton caractère d'alpha a grandi en concurrence constante avec celui des autres et avec pour charge nos esprits, dont celui des soumis. Vous encaissiez pour eux aussi, à trois vous pouviez protéger sept consciences. Tu t'en rendras compte bien assez vite. Tu as trouvé facile de prendre le dessus sur Vael et moi, tu n'as pas conscience qu'on a tout donné. Quand Alec te fera face qu'il tentera de drainer la force de ses bêtas, tu écraseras de ta présence ses tentatives, tu saperas la volonté de ses subalternes, il ne puisera pas grand-chose de tout ça. Il encaissera mieux, il aura peut-être plus de force brute, mais toi tu es prêt, tu as affronté pire. Son corps reste limité de toute façon, certes psychiquement, il a une grande aptitude à étendre ses capacités, mais tout loup-garou qu'il soit il a les mêmes limites que toi.

— Si j'échoue, vous mourrez tous. Les autres se seront sacrifiés pour rien ! J'aurais dû y aller seul.

— Tu n'as pas le droit de nous priver de la vengeance à laquelle on a droit. On est tous là en connaissance de cause. Rien ne nous arrêtera, la meute de San Francisco et celle New York vont payer. Max va payer les morts de Suny et Run. Ils nous ont ôté notre seule faiblesse... Et de toute façon, sans territoire nous sommes condamnés.

La colère et la douleur d'Hemza font écho aux miennes, raffermissant mesrésolutions.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top