16.
Le premier jour d'entraînement est une réelle épreuve, nos organismes sont poussés à bout et pour mes frères et moi ce sont nos nerfs qui sont le plus éprouvés. Jam sert systématiquement de cobaye à ceux qui nous entraînent. Parfois ça ne paraît pas méchant, il est simplement bousculé, rabroué, mais toujours avec énormément de dominance et ça l'affecte. Nous sommes près de trois cents dans la cour. Il y en a d'autres dans les salles en intérieurs. Mais clairement, c'est loin du réel chiffre de solitaires de la ville, je me demande ce que sont devenus ceux qui n'ont pas été amenés ici. Il y a peut-être un autre camp, ou une prison, comme l'a sous-entendu Blase, ou alors je suis beaucoup trop naïf, malgré le monde rude dans lequel nous évoluons.
S'est fourbus que nous rejoignons nos couches après le repas du soir et demain les choses sérieuses vont commencer, ils nous ont classés aujourd'hui sur des aptitudes physiques, demain ils vont nous classer par force sous forme humaine et après-demain sous forme lupine.
— Je n'arrive pas à croire qu'après une journée comme ça j'en viens à conclure que Suny était doux, grommèle Vael.
— Je suis vexé, je pensais être le pire sadique de la terre, comme quoi il me reste des choses à apprendre. Mais pour le moment, je vais faire comme Myron et roupiller, bonne nuit les mecs.
Myron ne dort pas, il fait semblant, il prend le premier tour de garde, nous ne sommes pas tranquilles, peut-être trop paranoïaques, mais nous préférons éviter tout risque d'être surpris durant notre sommeil.
L'aube arrive bien trop vite, personne ne m'a réveillé pour que je surveille et je culpabilise. Myron me réconforte mentalement en me disant que la nuit est passée trop vite et que Jam n'a pas eu de tour non plus. Je retiens toutes remarques qui pourraient blesser qui que ce soit et suis le mouvement jusqu'au réfectoire. La nourriture est bonne, ils font vraiment des efforts pour nous nourrir correctement, c'est un des points positifs.
Nous finissons par aller nous échauffer dans la cour, j'ai l'impression pendant quelques secondes d'être retourné à l'école. À l'école avant ma vie de solitaire et la nostalgie de ces années me frappe en plein cœur. Il se serre, j'étouffe. Heureusement, le malaise est vite balayé par les autres qui sont toujours à l'affût.
Il y a dix groupes d'évaluations supervisés par des membres de la meute, nous sommes divisés par trente. Et bien sûr mes frères et moi sommes tous séparés. Sans distinction de genre, les duels s'enchaînent, ils ne durent même pas dix minutes. Nous avons pris le parti de tout donner de nous-mêmes, car nous craignons plus ce qui arrivera aux inutiles qu'aux meilleurs.
Tous nos duels sont faces à des adversaires très forts, des potentiels alphas, sans exception, ce n'est pas très étonnant, car il y a plus ce genre de solitaires qu'autre chose ici, la moitié des solitaires en sont, mais tout de même, nous comprenons la volonté qu'ont nos superviseurs de nous pousser à l'extrême. Hasard ou volonté, toutes nos confrontations se déroulent en même temps. Aucun de nous ne peut aider les autres. Par contre, malgré tout, nous ressentons les coups et la douleur de chacun, c'est assez déstabilisant.
Manu me projette au sol avec un coup de pied dans l'estomac durant l'une de mes secondes d'inattention. Je roule me relève d'un bon, évite une attaque du pied à nouveau, puis je profite du mouvement pour saisir et tirer la cheville adverse vers l'avant. Je le lâche de suite après de peur qu'il me fonde dessus et parvienne à me mettre au sol. Je l'ai assez déstabilisé pour placer une attaque rapide dans son estomac. Comme pour moi, ses abdos sont en béton et comme nous retenons nos coups mortels, car il nous est interdit de tuer, je ne lui coupe pas vraiment le souffle et quand je tente de passer dans son dos, il est plus rapide et me cueille à la mâchoire. Vexé, je laisse mon corps s'exprimer, nous n'avons pas obligation de museler ou de cacher nos natures, par habitude, je me retenais, mais là ce n'est plus le cas. Le regard surpris de Manu quand mon aura le percute m'arrache un peu de satisfaction, je dévie aisément une nouvelle charge de sa part. Je frappe, mais ai dû mal à passer sa garde.
— Bordel, Lyas, qu'est-ce que tu fous ! bats-toi sérieusement, m'engueule Suny.
Je me reprends, me concentre sur chacun des mouvements adverses, évite des coups au lieu de les encaisser pour me préserver, même si mon attitude rend mes contre-attaques impossibles. Je guette le bon moment et trouve enfin la faille. Je saisis les deux bras de Manu pour l'attirer vers mois et lui mettre un coup genou dans le ventre avant de profiter de son réflexe de se pencher en avant pour lui planter un violent coup de tête. Je relâche un de ses bras et lui fais une clef de l'autre tout en le faisant basculer vers l'avant en frappant l'arrière de ses genoux. Pour enfoncer le clou, je me laisse tomber à califourchon sur son dos quand il choit face contre terre, vidant l'air de ses poumons.
J'ai gagné, mais je remarque le regard réprobateur de Suny qui trouve que je n'ai pas été performant. Je promets de me rattraper au duel de cet après-midi et nous profitons du repas du midi pour échanger nos impressions sur les autres solitaires. Sans réelle surprise, il n'y en a pas de faibles. Il y en a de très dangereux, surtout certaines femmes qui se sont montrées d'une violence extrême, faisant preuve d'un certain sadisme. Et Suny et moi nous retrouvons face à ce genre de femmes pour nos seconds affrontements. Et comme le matin, nous passons tous les sept en même temps, je ne sais pas pourquoi ils font ça, mais ils tentent sûrement de comprendre notre fonctionnement de cette façon.
— Reste sur tes gardes, Lyas, et ne perds pas ! m'ordonne Suny.
On nous autorise à peine à commencer le combat que je dois arrêter à deux mains un coup qui se dirigeait contre mes parties intimes. Ainsi occupé, il me faut me pencher en arrière pour éviter une droite.
En quelques secondes, je suis complètement dominé. Je recule, mais elle me suit, me sautant pratiquement dessus et saisissant mes épaules pour tenter à nouveau un coup de genou dans mes noix. Je me dégage et me prends une claque en plein sur l'oreille.
— Je t'ai dit de gagner, putain Lyas !
Un grognement m'échappe alors que je tangue. Complètement désorienté, j'arrive de justesse à parer un coup de pied dans mon flanc en interposant mon bras. Je ne suis pas stable sur mes appuis, je pense qu'elle a réussi à me toucher l'oreille interne. Malgré tout, j'arrive à saisir sa cheville quand elle tente un vicieux coup sur ma tempe, me faisant réaliser que je suis trop penché. Je tire sur sa jambe pour l'attirer à moi. Sans ménagement, je la saisis à la gorge. Elle tente de pivoter pour se dégager, mais je ne compte pas lâcher prise, j'ai peur d'être battu si elle m'échappait. De ma main libre, je lui cramponne la cuisse avec force et je serre. Son pied décolle légèrement du sol. D'un coup de genou précis dans l'articulation de son autre jambe je la fais chuter et moi avec. Elle grogne, elle rue, je suis heureux d'être beaucoup plus lourd qu'elle, car je ne suis toujours pas remis du coup à mon oreille et mes gestes sont maladroits pour l'immobiliser correctement. Malgré tout, je gagne.
Quand je me redresse, je vois que Suny a eu l'air de batailler aussi.
— On n'a pas l'habitude de leurs techniques, on a des lacunes... finit-il par concéder.
— Demain en loups, nous allons avoir du mal aussi, il est beaucoup plus difficile de ne pas blesser sérieusement l'autre de cette façon, et nos victoires devront être rapides pour minimiser les blessures, ajoute Run.
— Sauf qu'il faudra que tu m'expliques comment on est rapides sans blesser grièvement l'autre... réplique Vael soucieux.
Personne ne lui répond réellement. Moi je suis trop occupé à tenter de cacher mes vertiges, mais mon mal-être n'échappe pas à mes frères qui m'encouragent pour ne pas que les autres le remarquent. Heureusement, le temps de la fin des affrontements, je me sens mieux, même si mon ouïe est légèrement affectée, mais cette déficience finira par passer.
Je suis fatigué quand nous rejoignons enfin nos chambres après un bon repas, sauf que je m'impose pour le premier tour de garde.
Le dortoir est calme, il y a de légers ronflements, je lutte pour ne pas m'endormir. Je suis content qu'il y ait quelques allés aux toilettes de temps en temps, ils me permettent de me concentrer sur quelques choses, surtout que pour éviter d'étaler notre méfiance et potentielle faiblesse, je monte la garde les yeux fermés.
Je suis soulagé de réveiller Myron au bout d'une heure et demie, sauf que je n'ai pas le temps de sombrer complètement que je sens l'inquiétude de mon frère. Pour tenter de ne pas réveiller les autres, je me concentre sur ses pensées pour comprendre ce qu'il a perçu d'inquiétant. Il pense à un viol, inquiet à mon tour, je prends le risque de réveiller les autres.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Tu n'as pas entendu ?
— Non, je m'endormais quand ton état m'a affecté.
— Un mec est parti à la salle d'eau, deux ou peut-être trois autres y sont allés aussi, puis il y a eu des bruits sourds.
— Ils veulent sûrement se venger de quelque chose, ça ne nous regarde pas.
— C'est un soumis qui est parti en premier, j'en suis certain, un de ceux qui comme moi ou Jam a battu un dominant...
— Tu penses qu'ils vont le soumettre en le violant ? C'est possible, mais on laissera personne vous faire ça.
— Ça a failli t'arriver et c'est tout ce que ça te fait ? s'énerve Myron ce qui ne lui ressemble pas, mais je sens sa peur, alors je ne lui en veux pas.
— On ne peut pas intervenir, si on se met les autres à dos, ou si on se refait punir pour violence ça nous mettra tous en danger.
— On pourrait prévenir un de ceux qui nous surveillent, il doit bien y en avoir un pas loin, ou alors, si on entre dans la pièce en faisant mine de ne pas avoir su ce qui s'y passait peut-être qu'ils arrêteront.
— Tu n'y vas pas, exigé-je sentant qu'il était prêt à le faire. Tu ne vas pas prendre de risque !
Myron trépigne, mon ordre l'a stoppé, mais il se ragaillardit et je sens qu'il le fera quand même.
— Purée, j'y vais. En tant que dominant, je prends moins de risque que toi, mais j'espère pour toi que Suny n'apprendra pas ce qui se passe.
La gratitude que je sens émaner de mon frère ne peut que m'encourager à agir. Je me lève, frottant mon visage complètement englué dans le début du sommeil qu'il avait tant désiré et que je dois encore reporter.
C'est en partie au radar que je me rends dans la salle des douches, dans l'une des alcôves du coin, en effet deux alphas ont immobilisé un soumis et le violent. Les deux mecs me détaillent, ils ont arrêté de bouger. Leur victime tente de se dégager, mais geint quand l'un d'eux resserre sa prise. J'adopte la nonchalance de Suny en espérant bien tromper mon monde. Je commence à faire pipi dans l'un des urinoirs sur le mur en face des douches et alors que les autres me regardent toujours avec colère je lâche :
— Je ne fais que passer, j'espère que je ne vous dérange pas ?
— Tu te crois malin ? déclare l'un d'eux.
— Plus que des dominants qui pensent paraître plus fort en se mettant à deux contre un soumis, mais ce n'est que mon avis. Je me demande comment vont vous percevoir les autres s'ils ont connaissance de ça, pas vous ?
— On pourrait te faire pareil, tu es sans tes frères.
— Prenez le risque, les invité-je en me désintéressant d'eux pour finir de faire pipi.
Je ne suis pas aussi serein que je le laisse paraître. Je déteste mentir, je me sens toujours tellement nul dans l'exercice et je sais que ce n'est pas qu'une impression. Un grognement irrité, puis des bruits de pas qui s'éloignent, les deux alphas ont quitté la pièce. Je jette un œil en partant au soumis qui me regarde d'un air de défi même si je sens que ça lui coûte. Il me fait un léger signe de tête en remerciement, je ne m'attarde pas et rejoins mon lit pour enfin dormir.
Cette nouvelle journée, nous offre une nouvelle humiliation de plus, nus dans la cour à attendre notre tour. Les femmes souffrent le plus des regards et des remarques chuchotées avec plus ou moins de discrétion. À l'une des fenêtres, j'aperçois Peter qui nous observe.
Comme la veille, quand vient mon tour, c'est aussi celui de mes frères. Je me retrouve face à un gros potentiel alpha, mais je suis beaucoup plus imposant que lui. Entendre les grognements de mes frères a un effet excitant sur mon loup et à peine le match commencé, je me jette à la gorge de mon adversaire. Le choc entre nos deux corps est violent, l'autre loup culbute sous la force de l'impact. Il arrive néanmoins à m'empêcher de lui atteindre la gorge et tente de me lacérer le ventre avec ses pattes arrière. Mais je refuse de perdre mon avantage. Pour atteindre sa trachée, je suis obligé de me rapprocher et il arrive à mordre ma patte. Je fais mine de reculer sachant qu'il va profiter du temps pour se remettre debout, à peine commence-t-il à rouler sur le côté que je fonds à nouveau sur sa gorge, il tente de se retourner pour me mordre le museau... trop tard, mes crocs se referment, je ne force pas, sachant que c'est ce qui met fin au combat. Je reprends forme humaine à peine après l'avoir lâché. Je me rhabille tachant mon tee-shirt de sang. Mes frères viennent vite à bout de leur face à face, sauf Myron et Jam, les deux bataillent durs, mais les alphas qui leur font face usent de leur aura pour les déstabiliser. Pour le moment aucun soumis n'a réussi à gagner sous forme lupine, ça m'inquiète un peu, mais je sais que mes frères sont bien entraînés.
Jam souffre énormément d'une blessure à l'intérieur de la cuisse, rusé il décide d'en profiter, il claudique misérablement en essayant de reculer pour avoir un répit, trop sûr de lui son adversaire pense avoir gagné et se jette à sa gorge. Jam prend un risque énorme pour éviter cette attaque, il se laisse tomber et roule sur le côté. Sous forme de loup c'est très difficile d'être rapide de cette façon, malgré tout, l'ennemi est tellement surpris que Jam à le temps de se relever et se jette sur l'échine du dominant. Il parvient à lui lacérer le dos, mais pas à atteindre sa gorge. Le dominant très en colère grogne et use de son aura pour écraser mon frère, nous parvenons à en limiter les effets, même si Jam fait mine du contraire il s'aplatit et le prend de vitesse en le mordant à la gorge quand ce dernier l'approche.
Il ne reste plus que Myron qui évite avec brio les attaques, mais qui n'ose pas les retourner, trop influencé par les auras environnantes. C'est difficile pour un oméga, il en souffre moralement et physiquement d'allé contre sa nature, c'est une torture pour lui. J'ai une furieuse envie de prendre sa place pour lui épargner cette peine, mais c'est impossible et je sais qu'il arrivera à gagner même si ça lui coûte. Je refuse d'envisager une autre issue.
— Attaque, Myron tu peux le faire, le presse gentiment Hemza.
— Tu ne pourras pas l'éviter indéfiniment, tu es en train de t'épuiser pour rien, ajoute Suny avec plus de fermeté.
Myron se ressaisit, il grogne en signe de défis. L'alpha répond de la même manière en retour et en laissant peser son aura. Myron a une hésitation, une envie de reculer, mais il parvient à sauter en avant tout croc dehors. Son adversaire reste sur place tentant de le cueillir à la gorge, mais Myron arrive à pivoter légèrement et leurs museaux s'entrechoquent. Il y a du sang des deux loups qui se met à couler sur le bitume. Malgré la douleur Myron resserre la mâchoire pour secouer la tête de son adversaire, sauf que comprenant la manœuvre le dominant le bouscule d'un violent coup d'épaule l'obligeant à lâcher prise pour garder l'équilibre. Les deux loups se retrouvent au point de départ et se tournent autour en grondant. Myron poussé par Suny reprend l'initiative d'attaquer, ils sont à peu près de gabarit équivalent, il a ses chances. Le dominant vacille, mon frère tente de le mordre, mais il n'attrape que du vide.
J'ai du mal à rester stoïque, je veux que ce duel finisse.
Le dominant reprend l'avantage, mon frère échappe à une morsure au cou in extremis, mais la morsure qu'il récolte à l'épaule semble très profonde. L'affliction est intense et un morceau de chair pend. Myron a laissé échapper un jappement de douleur, il s'en veut, mais Suny arrive à le focaliser sur le combat. Comme Jam, Myron fait étalage de sa faiblesse, c'est leur seule force face à des dominants et encore plus quand il s'agit d'un alpha potentiel qui, dans son arrogance, n'imaginera jamais qu'un soumis puisse le battre, ou avoir la force de caractère nécessaire pour encaisser autant de violence et de dominance.
L'alpha se rapproche et bondit, Myron pivote et avec un mouvement millimétré parvient à saisir la gorge de son adversaire, pour notre plus grand soulagement à tous.
Myron prend sur lui, mais son retour sous forme humaine est douloureux avec une telle plaie, il sait en plus que tout le monde sans exception le regarde et le juge. Ils étaient les derniers à se battre encore. Je réalise que les autres n'ont pas pris le risque de salir leurs habits quand je perçois l'interrogation de Suny qui se demande pourquoi je me suis rhabillé en totalité. Malgré moi je repense à l'incident de la nuit et Suny arrive à percevoir des brides de mes pensées.
— Tu veux qu'on en parle avant que je t'engueule ?
— Non.
— C'est ma faute, intervient Myron, je lui ai demandé d'y aller.
— Je me suis proposé, je l'ai fait de mon plein gré...
— Et pourquoi ? demande Suny fermement sans me brusquer.
— Peut-être qu'en fait ça m'affectait plus que je le pensais d'imaginer un autre à la merci de dominants qui veulent le soumettre en l'humiliant.
— C'est la dernière fois que tu fais un truc stupide sous le coup de l'impulsion, tu ne retiens jamais la leçon. Rappelle-toi une fois pour toutes que les ennuis des autres ne nous concernent pas, et que c'est en fourrant ton museau partout que tu risques de tous nous mettre dans les situations que tu évites aux autres... Et à nous, personne ne viendra nous aider.
— Je sais, je ne recommencerai plus, je suis désolé.
— Durant notre passage à l'infirmerie, j'essaierai subtilement de faire comprendre à Blase qu'il nous faudrait des surveillants dans le dortoir, si possible sans que ce soit Max... finit par déclarer Run pour couper court à la discussion.
Même les plus blessés ont dû rester jusqu'à la fin des duels, sûrement pour que nous apprenions à mieux nous connaître, mais du coup au moment d'allé à l'infirmerie c'est la cohue. Blase et une infirmière font le tri entre ceux qui nécessitent d'être vu de suite et ceux qui peuvent aller manger, Jam et Myron doivent rester à l'infirmerie, Suny est inquiet, il hésite à se déboîter quelque chose pour pouvoir rester près d'eux, mais nous l'en dissuadons, l'infirmerie n'est pas un lieu dangereux... Peut-être à tort, j'ai confiance en Blase.
Une bonne moitié des personnes dans le réfectoire ont des plaies et sont à moitié nues. Même s'il y a peu de personnes qui saignent encore, l'odeur de sang sature la pièce, faisant naître une certaine tension. Nous sommes peu surveillés, je ne pensais pas qu'ils auraient confiance si vite, ou alors c'est simplement le temps qu'ils fassent leur rapport sur la journée.
— Vous sentez ? nous interpelle Hemza à voix basse.
Je me concentre sur tous mes sens avant de sentir l'aura de Peter qui arrive par vague jusque dans la pièce, il semble en colère, ce n'est pas une démonstration de force comme quand il était en tête-à-tête avec Jam.
— Il se passe quelque chose de mauvais pour nous vous croyez ? demandé-je connaissant pertinemment la réponse.
— Si c'est mauvais pour lui, ce sera forcément mauvais pour nous, me répond Run.
Tout le monde s'inquiète dans la pièce, il y a des murmures. Une idée me saisit et si jamais Peter n'avait pas les mois sur lesquels ils comptaient, comment réussir à être une force opérationnelle ? Sans cohésion, face à une meute, ce sera l'hécatombe.
— Ça va aller, nous rassure Jam, nous on est opérationnels.
— Ma tête est un lieu privé, répliqué-je en boudant.
— Tu ne te rends pas compte que parfois quand tu es préoccupé, c'est presque comme si tu formulais les choses, m'informe Hemza.
— Désolé.
Mes frères me taquinent un peu, permettant à tout le monde de se détendre, avant que nous finissions par aller à l'infirmerie et que Jam et Myron partent au réfectoire. C'est là qu'un mauvais pressentiment me saisit et je ne suis pas le seul à réaliser que nos deux frères soumis et blessés vont se retrouver dans un réfectoire bondé de dominants, dont au moins celui que Jam a battu.
— Mon truc au bras c'est rien, au pire je me ferais des points moi-même aux toilettes, tenté-je, les images de la veille au soir s'imposant à mon esprit.
— Ça va aller Lyas, ne t'inquiète pas, me rassure Jam.
— J'aurais dû me déboîter un truc, râle Suny que je sens bouillir.
L'attente est longue, mais au final un infirmier finit par m'inviter à le suivre, et à m'asseoir sur un lit. Rapidement et de façon experte il nettoie la plaie et approche une seringue de mon bras.
— Qu'est-ce que vous comptez faire ?
— Une anesthésie locale ! Combien de fois je vais devoir l'expliquer ce soir ! s'énerve-t-il.
— Pardon, répliqué-je penaud.
— Ce n'est pas vous. Je pense que c'est peut-être parce que vous me faites regarder la réalité en face...
Je n'ose pas répliquer, mais je le scrute avec étonnement, chose qu'il remarque d'un coup d'œil quand il lâche des yeux son ouvrage.
— Vous êtes tous recouverts de cicatrices, dont certaines plutôt moches. Dans la meute quand l'un des nôtres est blessé, il est pris en charge, on l'empêche de souffrir, on le recoud proprement et, en plus, très peu peuvent se targuer d'arborer autant de blessures que vous tous. Et malgré ça, presque tous vous avez regardé les anesthésiants ou les médicaments comme quelque chose d'inconnu.
— On n'a pas forcément les moyens de se promener avec une mallette de premier soin partout, c'est déjà bien de savoir se recoudre. Et pour les médicaments avec notre métabolisme, il faut prendre des doses de cheval avec le risque que ça altère nos réflexes, personne ne se le permet.
— Je sais... et c'est bien ça qui m'énerve, je n'avais jamais réalisé à quel point vous viviez durement.
Je ne réagis pas face à tant de naïveté. Moi aussi, jeune, je savais que le monde des solitaires était violent, mais entre imaginer une chose et y assister, il y a un fossé immense.
L'infirmier continue de faire ses points en silence, ça me fait presque bizarre de ne rien sentir, mais je n'ai pas le temps de m'appesantir sur la question que Jam interrompt le fil de mes pensées.
— Ne paniquez pas, mais on a quelques soucis. On s'est fait coincer par quatre mecs dans un couloir en rejoignant l'infirmerie.
— Les mecs que vous avez battus font partie du lot ? demande Suny pragmatique.
— Oui.
— Gagnez du temps, Lyas est presque sorti d'ici. Et évitez de vous battre, on ne peut pas se permettre que tu te refasses punir pour avoir frappé un autre solitaire, Jam.
L'infirmier que je trouvais adroit et rapide quelques secondes plus tôt me paraît d'une lenteur insupportable.
Quand il a fini ses points, je me lève d'un bon, mais il me rattrape.
— Attends, je dois te bander la plaie.
Run me demande d'obéir, mais je suis remonté comme un coucou, Jam et Myron se font bousculer.
— Tant que vous ne sentez pas votre vie en danger, vous vous contentez d'encaisser, leur ordonne Run.
Je suis enfin libéré, je me fais violence pour quitter la pièce à une allure normale, mais une fois la porte fermée, je pars en courant retrouver mes frères. Je n'ai pas encore franchi le dernier couloir que je sens l'odeur du sang de Myron et un grognement sourd m'échappe.
— Merde un de leur frère rapplique ! s'exclame l'un des gars.
— Et le frère, vous conseille de vous casser avant qu'il vous brise les os en assez petits morceaux pour décourager même un fan de puzzles.
— Bordel, Lyas, on te l'a déjà dit, ne tente jamais d'avoir de la réparti, tu as bien commencé, mais t'es ridicule là, me dispute gentiment Suny tout en se moquant de moi.
— Vous ne valez rien, m'entreprend l'un des leurs.
Suny me souffle la réponse suivante, pour éviter que je ne dise encore n'importe quoi.
— On ne vaut tellement rien que vous vous y preniez à deux contre un, j'ai envie de vous dire heureusement qu'on ne vaut rien, sinon à combien vous seriez venus ?
Ils grondent tous en cœur.
— Maintenant, dégagez ! déclare Jam qui reprend son autorité, toujours sous les conseils de Suny.
Les quatre dominants hésitent, mais finissent par partir tout en bousculant Jam qui reste d'un calme olympien dont je serais incapable.
Une fois seuls, il inspecte le nez de Myron.
— Ils te l'ont pété, il faut retourner voir les médecins.
— Non, je ne veux pas montrer notre faiblesse.
— On dira que tu es tombé, argumente Jam, c'est presque ça de toute façon, c'est en plaquant ta tête contre le mur qu'ils t'ont fait ça.
— Peter t'a entendu trébucher, Suny a été retrouvé inanimé dans des toilettes et moi je serais assez nul pour essayer de fusionner avec le sol...
— Venez à l'infirmerie, ça ira, dit Run clôturant ainsi le débat.
En effet, ils sont tellement débordés que la personne qui nous reçoit ne nous pose pas de questions. C'est épuisé émotionnellement et physiquement que nous rejoignons le dortoir pour du repos bien mérité.
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