Chapitre 4
Finalement, le Comte Bellefort était tellement impressionné par mes prouesses qu'il n'avait même pas pensé à me reprocher d'être rentré tard. Les jumelles étaient reparties émues de quitter leurs cousines et m'avaient fait promettre de leur apprendre à se défendre la prochaine fois.
Les bandits avaient été envoyés à la prison du Duché pour attendre leur jugement et tout était rentré dans l'ordre.
Comme prévue, au réveil j'avais eu un sacré mal de crâne mais rien d'insurmontable ! Après une bonne collation et un peu d'arnica appliquée sur la vilaine bosse, me voilà sur pieds prête pour mon entrainement matinal avec la Garde ducale.
Cela fait maintenant six mois que je m'entraine avec les chevaliers et les apprentis. Au départ j'étais une source de distraction et de raillerie pour les jeunes hommes mais rapidement en voyant mes capacités ils m'avaient regardé comme une paire.
Mais aujourd'hui je sens à nouveau les regards masculins braqués sur moi. Mais cette fois ce n'est pas de l'amusement que je vois dans les yeux des plus jeunes mais plutôt de l'admiration avec peut-être une pointe de peur.
Je me rappelle encore, comme si c'était hier, les circonstances fâcheuses qui m'avait valu de découvrir mes talents de combattante et d'intégrer les entrainements de la Garde. A l'automne dernier, j'étais parti au village avec les filles, sous l'escorte d'un jeune chevalier. Mais à l'initiative d'Anna, nous lui avions faussé compagnie pour aller dans le quartier marchand. Après quelques heures à flâner entre les étals et à jouer au chat et à la souri avec le pauvre chevalier, nous avions fait une mauvaise rencontre. Une bande de garçons du village nous avaient pris à partie dans une ruelle et avaient commencé à chahuter les jeunes filles. Ni une ni deux, sans avoir même le temps d'y penser j'avais réagis au quart de tour et mis hors d'état de nuire les six garçons. Quand le chevalier était arrivé avec la Garde au complet, ils avaient été complétement abasourdis par la situation et l'état de nos agresseurs. Il faut dire que parmi les « garçons », il y'avait deux apprentis forgerons reconnu pour être des durs à cuir et un apprenti chevalier.
Après cela, avec la bénédiction du Duc, Rodrick le Chef de la garde, avait décidé de m'entrainer au combat. Au départ, pour évaluer mes compétences, il m'avait fait combattre les apprentis au corps à corps mais après plusieurs côtes fêlées et un fémur fracturé chez ses précieuses recrues, il avait dû réévaluer sa méthode.
Il m'avait donc fait affronter ses meilleurs chevaliers. A main nues j'avais réussi à venir à bout de tous les vétérans dans leurs rangs à l'exception du chef de la Garde lui-même et de son vice-capitaine. Mais une fois arrivée au combat à l'arme blanche, nous avions découvert que je ne savais manier que le couteau. Alors depuis des mois je m'entrainais à l'épée, au tir à l'arc et à la lance avec la chevalerie du Duché d'Estrus.
Malgré mon statut de fille adoptive du Duc, les hommes avaient pris l'habitude de me considérer comme l'une des leurs et nous avions partagé le sang, la sueur et le pain à de nombreuses reprises.
Je suis donc un peu peinée de voir que mon altercation de la veille a eu un effet négatif sur les apprentis. Ces mêmes apprentis avec qui j'avais fait les quatre cent coups pour en faire baver les vétérans.
— Bon arrêtez de la regarder comme une bête de foire les garçons, déclare Rodrick en arrivant sur le terrain. Je vous rappelle que cette ravissante guerrière est notre chère Duchesse et bien qu'elle soit une femme, elle a l'âme d'un vétéran. Alors arrêtez tout de suite vos bêtises et prenez-en de la graine pour vous améliorer. Ma chère, si tu le veux bien, dit-il en se mettant en garde l'épée en main.
— Avec plaisir Capitaine, répondis-je en dégainant mon épée courte.
*****
La semaine est passée à une vitesse folle, nous avons fait de longues balades en forêt, au bord de la rivière ou dans notre coin secret. Depuis que j'étais arrivé dans leur vie, la famille Estrus avait pris l'habitude de se réunir à la date anniversaire de notre rencontre dans la petite clairière où le Duc Remus m'avait trouvé. Comme j'avais perdu la mémoire, je ne savais pas vraiment quel âge j'avais, ni quand j'étais née, alors la maîtresse de maison avait décidé de célébrer ce jour comme étant le jour de ma seconde naissance.
Avec les filles, nous adorons cet endroit. Surtout après la description magique que leur père avait faite de notre rencontre. Il décrivait avec un talent sans pareil, une clairière magnifique et lumineuse, où des papillons butinaient gaiement de fleurs en fleurs. Au centre d'un lit de pâquerette, un ange assoupi, baignée par la douceur du soleil. D'après lui j'avais été envoyé par Elios pour ramener la joie dans leur famille.
Et au fond c'est vrai que cette famille avait grand besoin de joie. Au départ, je ne comprenais pas la langue, alors je les observais. Je pouvais voir les traits tirés du père de famille, les larmes de la mère quand elle se pensait seule ou encore les regards angoissés parfois tristes des deux enfants.
Mais quand la femme prenait soin de moi elle semblait reprendre vie. Puis quand l'homme m'apprit leur langue son fardeau me parut plus léger. Et rapidement les deux enfants redevinrent des enfants, à se taquiner, à courir partout, en riant ou en criant, devant l'air attendri de leur mère.
Quand j'avais pu parler, je n'avais pas osé aborder le sujet. Ce n'est que plusieurs mois plus tard, que j'ai compris.
En cherchant les affaires d'hiver j'avais trouvé un tableau voilé dans le grenier. Curieuse, je n'avais pas pu m'empêcher de soulever le grand drap blanc. Et j'avais compris.
Ils avaient un fils ainé et ils l'avaient perdu. Par la suite, Anna m'a expliqué. Paul était aussi doux qu'il était beau. La fierté de ses parents, le héros de ses petites sœurs. Aimé de tous, il était facile à vivre, toujours aimable, toujours attentionné. Il avait une intelligence hors du commun et tout comme son père, il était passionné par les livres. Plus particulièrement par la science. Mais quelques mois avant mon arrivée, il avait fait une chute de cheval et était mort sur le coup.
Pour cette famille soudée cela avait été une tragédie. Ils avaient perdu leur joie de vivre. Le couple n'arrivait plus à communiquer. Pendant que sa femme se murait dans le chagrin l'homme culpabilisait car c'était lui qui avait proposé cette course en forêt. Les deux jeunes filles étaient quant à elles aussi touchées par la perte de leur grand frère que par leurs parents qui se déchiraient.
Mais j'avais mis fin à leur descente aux enfers, mis mon doigt dans l'engrenage du chagrin et de la culpabilité. J'étais blessée, seule et apeurée. Ils m'avaient soignée, choyée et éduquée. Tous les jours chacun d'eux avait pris soin de moi. Ils avaient mis de côté leur souffrance et recommencer à vivre car j'avais besoin d'eux. Et dans un sens nous nous étions sauvés mutuellement.
— Les filles, venez-vite ! Vos parents arrivent, s'écrie la vielle cuisinière en nous faisant de grand signe.
Sans perdre de temps nous nous levons et ramassons les restes de notre pique-nique improvisé au fond du jardin. Je lisse ma robe et vérifie mes cheveux pendant que les deux autres en font de même, puis nous nous dirigeons vers les Maîtres de maison.
— Mes chéries vous m'avez manquée ! s'exclame la mère en les prenant dans ses bras.
— Anna, on dirait bien que tu as grandis. Fait attention tu vas rattraper ta sœur ! dit le père en caressant les deux têtes blondes.
— Tout s'est bien passé en notre absence Elina ?
— Oui Madame, dis-je en inclinant légèrement la tête.
— Pour la dernière fois, appelle-moi Murielle. Tu es comme une fille pour moi. Je sais qu'au début tu t'es occupé des filles comme le ferait une nourrice mais cela fait bien longtemps que nous te considérons comme un membre de notre famille. Bien avant ton adoption.
— Merci c'est très gentil, Ma...Murielle, dis-je en relevant la tête pour lui sourire.
— Je suis exténuée. Quelle idée de faire le voyage d'une traite. Mais votre père voulait absolument être prêt pour observer l'éclipse d'Elios.
— Oh c'est aujourd'hui ? demande avec enthousiasme la cadette. Elina il faut absolument que tu vois cela !
— Oui c'est dans exactement deux heures. Allez-vite préparer la terrasse, je vais chercher les lunettes que j'ai inventées pour l'occasion.
Ainsi le père de famille s'engouffre dans la demeure pendant que Murielle demande au cocher de monter les bagages dans leur chambre.
Sans attendre, Anna et Milly se précipite à l'étage pour atteindre la grande terrasse. Je les suis en souriant devant leur impatience. C'est apparemment un évènement très rare puisque Lyos ne croisait la route d'Elios qu'environ tous les cent ans.
Une fois arrivée dans le grand salon, j'ouvre les grandes portes fenêtres et les filles commencent à installer des couvertures sur la terrasse. Elles sortent tous les coussins et les étalent sur le sol pour nous préparer un nid douillet.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top