Chapitre 35
Je ne peux m'empêcher d'admirer la beauté de la scène devant moi. La silhouette frêle et pâle de la Princesse fait ressortir la carrure musclée et sombre du Prince. Sa robe blanche et sa chevelure argentée met superbement en valeur la tenue noire et agent de son cavalier. Dans ses bras elle parait minuscule presque ridicule et pourtant ils offrent un beau spectacle tout en contraste et en souplesse. Mon cœur se pince en constatant à quel point ils sont bien assortis et semblent avoir dansé ensemble toute leur vie.
En voyant tous les yeux rivés sur les deux jeunes Altesses, je réalise que j'ai été présomptueuse de penser que j'arriverais à trouver un moment d'intimité avec le Prince. Comme l'a si bien dit Aubépine, pas d'anonymat pour les puissants.
Je suis sortie de mes pensées tourmentées par ma sœur que je n'ai pas entendue être annoncée tellement j'étais absorbée par cette foutue danse.
— Elle ne perd pas de temps, elle vient d'arriver et la voilà déjà dans les bras du Prince, souffle Milly. Mais ne t'inquiètes pas je suis sûre que cela ne veut rien dire, après tout ils sont cousins.
— Tu as du rater la partie où la Reine a annoncé leurs fiançailles, intervient Aubépine en s'avançant vers nous. Les mariages entre cousins n'est pas si rare au sein des têtes couronnées. Surtout que ces deux-là ne se sont jamais côtoyer. Ce n'est pas comme s'ils avaient grandis comme une famille.
— Mais là n'est pas la question. Le Prince aime Elina ! rétorque la jeune blonde.
— J'ai besoin de prendre l'air, fis-je en m'éloignant sans un retour en arrière.
Sans leur laisser le temps de réagir je fends la foule souplement. Il faut que je parte. Vite et loin. J'ai l'impression d'étouffer dans la foule. Je sens des regards insistant dans toutes les directions, les rires des femmes me vrillent le crâne, l'odeur des parfums mélangés me donne la nausée et surtout je ne supporte plus de le voir Lui. Il ne m'a pas adressé un regard et maintenant il est complétement absorbée par sa partenaire. Je me sens tellement bête d'avoir pensé qu'il était différent des rumeurs. J'ai été trop confiante, et surtout je me déteste pour avoir baissé ma garde face à lui, d'avoir imaginé qu'il pouvait y avoir un avenir entre nous.
Arrivée hors de la salle de bal, je me précipite vers les jardins et sans même le réaliser pousse la porte de la roseraie. Une fois dans mon havre de paix je ne peux m'empêcher de laisser un cri étouffé franchir mes lèvres avant de m'effondrer au pied de mes roses préférées. Je jette mon masque au sol et sens les premières larmes s'échapper. Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Après-tout il ne s'est rien passé, nous ne nous sommes rien promis. Je me sens bête de pleurer comme cela pour une histoire qui n'a même pas commencé. Pour un amour tué dans l'œuf.
Après quelques minutes je reprends contenance et sèche mes larmes avant d'aller m'asseoir sur le banc en marbre. Notre banc.
Je ne saurais dire combien de temps je suis restée ainsi assise à contempler les roses, perdue dans mes pensées. J'ai vaguement conscience de la voix de mes deux gardes qui chuchotent discrètement à l'extérieur. Je leur suis reconnaissante de m'avoir laissée ce semblant d'intimité. Depuis que j'ai rejoint le palais je crois que c'est ce qui me manque le plus. L'intimité. La douce quiétude de la solitude.
Quand le silence est rompu pas l'ouverture de la porte, je ne prends pas la peine de relever les yeux. Nul besoin de voir pour savoir. Je reconnaitrais ces pas entre milles.
— Je suis désolé, j'aurais dû te prévenir. Je l'ai appris quelques heures avant le bal, souffle Eldric en s'asseyant à mes côtés.
— Tu ne me dois rien. Ce n'est pas comme si on s'était promis quelque chose. Tu es libre de danser avec qui tu veux, d'épouser qui tu veux, répondis-je neutre malgré la boule dans ma gorge.
— Non justement, c'est tout le contraire, murmure-t-il une fêlure dans la voix. Je ne suis pas libre, je ne l'ai jamais été. Toutes ces filles que j'ai fréquentées, je n'ai pas eu le choix pas même une fois. Je ne suis qu'un outil qui cessera de lui être utile à la seconde où je déciderais de ma propre vie. Alors à ce moment je ne serais plus qu'une menace à éliminer, moi et tous ceux qui me suivent.
— Alors obéis, comme tu l'as toujours fait. Soit un parfait petit héritier, un gentil Prince docile et obéissant. Je comprends, fis-je amer les yeux toujours rivés sur les roses.
— Non tu ne comprends pas ! s'exclame-t-il avec rage. Je ne peux plus continuer ainsi, pas après t'avoir rencontrée. Avant j'obéissais pour survivre mais avec toi j'ai découvert la saveur de la vie. Pour être à tes côtés je suis prêt à désobéir même si cela pourrait signifier la mort. Car un instant avec toi a bien plus de valeur qu'une vie entière sans toi.
— Mais tu me connais à peine et pourtant tu serais prêt à sacrifier ta vie et celle de tes proches pour moi ?
— Je sais que cela est égoïste mais la réponse est oui. Je sacrifierais tout pour toi, car je t'aime plus que ma propre vie, déclare t'il en s'agenouillant devant moi.
— C'est insensé ! soufflé-je en détournant les yeux pour ne pas croiser son regard sombre.
— Complétement insensé mais je n'ai jamais été aussi sûr de moi qu'en cet instant. Mais tu n'as qu'un mot à dire et je renoncerais à ce rêve. Si tu ne partages pas mes sentiments ou si tu penses que cela ne vaut pas la peine de braver le danger, je m'inclinerais et te laisserais vivre ta vie et reprendrais mon rôle de Prince fantoche. A l'inverse, si tu m'accorde ton amour, ta confiance, je jure de te protéger, de protéger notre amour.
Tout le bon sens du monde me pousse à détourner les yeux et refuser ses sentiments, mais pourtant j'en suis incapable, pas alors qu'il est là, agenouillé devant moi, vulnérable, mis à nu. Malgré la pénombre de la nuit je peux voir sa large silhouette trembler à l'expectative d'un rejet. Ses muscles crispés par la crainte d'être repoussé.
Je ne peux pas le laisser dans cette souffrance, par alors que sa solitude fait écho à la mienne, pas après avoir ressenti pour la première fois que je n'étais pas seule, que j'étais aimée.
Sans réfléchir plus, je lui lève le menton et dépose mes lèvres sur les siennes. D'abord surpris, il se crispe, puis sa chair tendre s'étire dans un sourire avant de me caresser tendrement les lèvres. Avant de ne plus pouvoir reprendre mon souffle, je m'éloigne et dit :
— Je te protégerais ! Je n'ai pas besoin d'un Prince charmant pour me défendre. Je veux un compagnon pas un protecteur. Tous les projecteurs seront sur toi, laisse-moi te défendre dans l'ombre.
— D'accord si tu me laisse surveiller tes arrières également, dit-il en m'embrassant à nouveau pour m'empêcher de protester. Pas comme un protecteur, mais comme le ferait un compagnon d'arme, un partenaire de vie.
— D'accord, répondis-je avant de reprendre ses lèvres.
Rapidement notre baiser devient plus passionné et je sens sa langue me demander l'accès et ses bras ma serer fermement comme si j'allais m'échapper. Sans réserve, je me laisse tomber à genoux à son niveau et m'abandonne à son étreinte. Comme deux naufragés au milieu d'une tempête nous nous accrochons l'un à l'autre, désespérés, avides et assoiffés. Je peux sentir la douce chaleur de sa langue m'envahir, le gout du vin se mélangeant à celui de mes larmes. Décidément depuis que cet homme est rentré dans ma vie, les larmes font partis de mon quotidien autant que les rires.
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