Chapitre 31

Peu avant minuit j'arrive à la bordure du lac. Cachée derrière un buisson, je peux entendre les oiseaux et les chauves-souris s'agiter dans le ciel. Malgré la chaleur résiduelle de cette journée estivale, j'ai malgré moi un petit frisson. Peur, anticipation ou froid ? Je ne saurais le dire.

Les deux hommes sont à mes côtés, attentifs au moindre bruit, à la moindre ombre menaçante.

Soudain, nous nous figeons quand une silhouette commence à se diriger vers la rive. Sa longue cape noire camoufle complétement son corps et couvre sa tête, ne laissant pas percevoir son identité. Mais vu la carrure imposante et droite, je n'ai pas de doute sur le fait que ce soit un homme, probablement initié aux armes.

L'inconnus semble impatient et nerveux, tandis qu'il tourne en rond et regarde dans toutes les directions.

Après quelques minutes, une silhouette venant de la direction opposée au Palais s'avance d'un pas décidé vers l'homme à la cape. Ce nouvel arrivant ne semble pas se soucier de révéler son identité, puisqu'il arrive la tête à découvert, arborant une armure toute en noir et Or, une épée à deux mains, harnachée dans le dos, la main droite posée sur une dague à la ceinture et un casque à plumes rouge sous l'autre bras.

Je ne reconnais pas cet homme, mais vu la réaction crispée de mes protecteurs et les couleurs de son armure, je comprends qu'il vient d'un autre Royaume. De plus, la finesse de son plastron et les pierres précieuses incrustées dans le pommeau de son épée, ne laissent aucun doute sur son grade élevé.

En voyant mon aire interrogateur, Myo me fait signe de garder le silence. Je suis frustrée de ne pas pouvoir m'approcher plus pour entendre la discussion entre les deux hommes. Malheureusement, la rive du lac est complétement déserte de tout obstacle, notre abri de fortune situé à plusieurs dizaines de mètres me permet à peine de distinguer le visage de l'étranger. Bien que la discussion semble assez calme, je peux voir au froncement de sourcils de l'homme et à sa main crispée sur son arme, que celle-ci ne semble pas l'enchanter.

Quelques minutes plus tard, l'homme en armure repart vers la forêt, tandis que l'homme à la cape semble perdu dans ses pensées. Dos à nous, il contemple le reflet de Lyos pendant encore quelques minutes avant de finalement se retourner et s'avancer vers nous.

Les deux frères, m'invitent à me coucher pour ne pas nous faire repérer. Mais à l'instant où j'allais plonger au sol, un éclat de lumière d'Esia éclaire l'homme mystérieux. En reconnaissant ses traits, je sens mon cœur se serrer.

Décidément les paroles du vieux Baron Belladone sont vraies. Je dois me faire à l'idée que dans ce Palais tout le monde est un ennemi potentiel.

Sur tout le chemin du retour nous gardons le silence. Je ne sais pas si les deux frères ont aperçu son visage, mais vu leur air renfrogné et leurs poings serrés ils ne semblent pas serein. Mais la question étant, est-ce parce que j'ai vu quelque chose que je n'aurais pas dû ou parce que tout comme-moi ils sont franchement surpris et déçus par cette révélation. Une fois arrivé à l'abri des grands arbres devant la cour intérieure du Palais, je ralentis et je me prépare à me défendre et affronter les deux hommes.

Nos yeux plissés par la détermination se croisent, je sors une longue dague de ma cape, me mets en garde et finis par demander :

- Je vais vous poser une question, et vous aller me répondre avec franchise. Vous n'aurez pas de seconde chance alors faites attention aux prochains mots qui franchiront vos lèvres, car cela pourrait être vos derniers, soufflé-je avec froideur. A qui êtes-vous fidèle ?

- A son Altesse ! lâchèrent de concert les deux hommes sans aucune hésitation.

- Cela semble venir du cœur, fis-je en baissant ma garde sans toutefois ranger mon arme. Alors expliquez-moi pourquoi votre Capitaine était en train de rencontrer un émissaire d'un Royaume étranger en plein milieu de la nuit ?

- Fillette, tu devrais ranger ton arme avant qu'un garde nous voit et rapporte notre petite escapade à Léonardo, souffle Ikos en m'invitant à rejoindre l'aile Ouest.

Par pure provocation face au surnom dont il avait osé m'affubler, en un clignement d'œil, je passe sa garde et dans un saut retourné, effleure sa gorge avec ma lame sous les yeux estomaqués de son frère. Puis l'instant d'après, je replace ma capuche et range mon arme avant de me diriger avec souplesse vers mes appartements.

- Suivez-moi, à moins que la fillette ne vous fasse peur, fis-je avec un sourire crâneur.

- Décidément elle est vraiment spéciale cette fille. S'il n'en était pas déjà complétement mordu j'aurais conseillé à Son Altesse de s'en débarrasser, grogne Ikos en essuyant le filet de sang sur sa chair blanche.

- Mon frère ne dit pas de bêtise. Je suis sûr que tu es ravi de savoir qu'une combattante comme elle se trouve de notre côté, pouffe Myo tout en gardant sa retenue légendaire.

- Tu n'as pas tort. Il vaut mieux l'avoir avec nous que contre nous. Mais franchement tu aurais pu éviter de faire couler le sang, maintenant ma chemise est toute salopée, lance le blond en trottinant pour arriver à mes côtés.

- On se tutoie maintenant ? fis-je surprise.

- Après avoir fait couler le premier sang, notre relation n'est plus vraiment celle d'une petite chose fragile et de ses protecteurs intrépides ! reprend son frère.

- Alors qu'elle est cette relation à présent ? demandé-je curieuse et amusée.

- Frères d'armes ? firent-ils en cœur en me tendant leur poing.

A ces derniers mots je sens une bouffée de joie et de soulagement m'envahir. Depuis que je suis dans ce maudit Palais j'ai l'impression d'être surveillée et menacée en permanence, alors obtenir la reconnaissance et le soutiens de ces deux grands guerriers, c'est pour moi une grande bouffée d'air frais. Pour une fois, je n'ai plus le sentiment d'être seule. J'ai maintenant des alliés. Et pas n'importe lesquels.

En voyant leurs sourires faner et leurs poings commencer à se baisser, je réalise que je n'ai toujours pas répondu. Alors sans un mot, je me précipite vers eux et les sers tous deux dans mes bras. Après quelques minutes dans cette étreinte, j'entends le raclement de gorge du plus timide et Ikos qui essaye de se tortiller hors de mon étreinte.

- Bon maintenant que l'instant câlin est passé, on peut peut-être rentrer à l'intérieur pour continuer notre discussion ? lance ce dernier taquin.

- Roh, gros râleur, tu oses encore te plaindre après avoir gouté l'étreinte d'une délicate demoiselle comme moi ? Je suis sûre que la moitié du Palais rêverait d'être à ta place.

- Pour la première partie, je pense que tu es tout sauf délicate, en revanche je n'ai rien à redire concernant la seconde affirmation, ricane Ikos.

- Malheureusement, je pense que la seconde moitié rêverait de me voir morte... soufflé-je en perdant mon sourire.

Sans un mot de plus, j'accélère l'allure pour rejoindre prestement mes appartements. Le pauvre Armand semble complétement abasourdi quand il se réveille en nous entendant rentrer. Je lui fais un petit sourire désolé avant d'inviter les deux hommes à me suivre dans ma chambre sous le regard effaré de ma dame de chambre.


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