Chapitre 23
Après quelques minutes à jouer avec les bulles de savons, je finis par bredouiller :
— Je ne sais pas vraiment par où commencer.
— Alors commence par le début, fit-elle avec tendresse.
— Je vais tout t'expliquer, mais d'abord j'aimerais te poser une question, dis-je gênée.
— Vas-y, dit-elle avec un sourire encourageant.
— Est-ce que tu sais pourquoi le Prince a annulé vos fiançailles ? Est-ce qu'il t'avait prévenu ou tu l'as découvert en même temps que tout le monde pendant le repas ?
— Il m'avait prévenu de son intention un peu plus tôt dans la journée. J'ai été très surprise de sa démarche. Déjà le fait qu'il envisage de contre venir aux dernières volontés de son père est une sacrée surprise mais le fait qu'il prenne la peine de me prévenir en premier l'est d'autant plus. Je crois que je l'ai mal jugé. Il m'a l'air bien plus prévenant et réfléchis que dans mon souvenir. Pour ce qui est de la raison, il ne m'en a pas parlé mais j'ai quelques suppositions folles.
— Lesquelles ? demandé-je curieuse.
— Ne pense pas détourner mon attention avec tes questions. J'aimerais d'abord que tu m'explique tes escapades nocturnes. Et pourquoi tu as disparu en même temps que le Prince. Et comment tu expliques que tu sois réapparu à la sortie des bois avec le capitaine de la garde, juste après que le Prince et son escorte en soit sorti.
— Je vais tout t'expliquer, dis-je avant de plonger ma tête sous l'eau pour reprendre contenance.
Une fois la tête hors de l'eau, je lui raconte tout. La Roseraie, notre première rencontre, notre prise de bec puis notre réconciliation. Notre rapprochement hier soir et notre pique-nique improvisé de ce matin jusqu'à l'interruption de la garde et la révélation de son identité. Pas une seule fois, elle ne m'a interrompu, pas même pour poser les questions agitant son esprit. Et pourtant, je vois bien qu'au fur et à mesure de mon récit, que les questions se bousculent dans sa tête.
Après que j'ai terminé, un silence pesant s'installe entre nous. J'en profite pour rincer mes cheveux et sortir du bain devenu tiède. Sans ouvrir la bouche, elle me tend une serviette et m'aide à m'enrouler dedans. N'osant pas la regarder dans les yeux, je commence à m'essorer les cheveux avec une serviette plus petite, puis je vais derrière l'auvent pour enfiler mes sous-vêtements.
Comme-si elle attendait ce signal, Milly reprends la parole :
— Donc j'avais raison, c'est bien à cause de toi, ou devrais-je dire pour toi qu'il a annulé les fiançailles. J'aurais dû m'en douter. Plus les jours passaient plus nos discussions étaient tournées vers toi et plus son comportement changeait.
— Quel comportement ?
— Il a toujours été plutôt froid et distant avec moi. En tout cas depuis que nos pères avaient convenus de nos fiançailles il y'a des années. Et son comportement ne s'est pas amélioré à nos retrouvailles, il y'a quelques semaines. Mais il a commencé à me poser des questions sur toi et c'est à la même période qu'il s'est adouci. Je dirais qu'il est devenu plus prévenant, un peu comme un grand frère. Nous avons commencé à parler plus librement de notre passé commun, de nos vies respectives depuis que j'avais quitté la cour, des exigences de sa mère, de ses peurs pour l'avenir. Mais j'aurais dû remarquer comme ses yeux s'animaient quand je lui parlais de toi. Sa soudaine curiosité à ton égard aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Et toi qui semblais dans la lune avec ce sourire béat plaqué sur tes lèvres. Tous les signes étaient là !
— Quels signes ? interrogé-je, perdue.
— De l'Amour voyons ! J'aurais dû comprendre que vous étiez amoureux. En même temps pour ma décharge, je ne savais même pas que vous entreteniez une relation secrète ! fit-elle en riant.
— Tu crois qu'il m'aime ? demandais-je curieuse en sortant enfin de ma cachette.
— Bien sûr qu'il t'aime ! Sans cela il n'aurait jamais annulé ces fiançailles, pas après ce qu'il m'a dit sur sa mère. Mais la vrai question est surtout : est-ce que toi tu l'aimes ? Et qu'est-ce que tu vas faire ?
— Je ne sais pas vraiment si c'est de l'amour ou une simple attirance. Je n'ai pas vraiment d'expérience en la matière. Et puis je ne sais pas si je peux lui pardonner de m'avoir caché sa réelle identité.
— Pour ce qui est de lui pardonner, je ne peux pas t'aider. C'est à toi de voir ce que te dicte ton cœur. Pour l'amour ou l'attirance, je peux peut-être te répondre. Qu'est-ce que tu ressens quand tu le vois ?
— Au départ, il m'agaçait. Mais rapidement je me suis rendu compte que quand il n'était pas dans la Roseraie, je le cherchais et quand il apparaissait, je me sentais apaisée. C'est difficile à expliquer mais quand il est à mes côtés je ressens une multitude de choses étranges. Sa voix rauque m'apaise tout autant qu'elle me gêne. J'ai l'impression qu'une multitude de picotements parcourent ma peau, mais d'un autre côté je ne me lasse pas de l'entendre. Et ses yeux, noirs, obscures et pourtant si chaleureux, me donnent l'impression de perdre pieds avec la réalité, comme s'ils allaient m'entrainer dans un puits sans fond. Parfois la solitude et la souffrance que je perçois dans ses yeux me serre le cœur au point de me couper le souffle mais quand il les détourne, je sens un vide et je n'ai qu'une envie, qu'il me regarde à nouveau. Mais le plus troublant, je crois que c'est ce que je ressens quand il me sert dans ses bras. Un sentiment d'appartenance, de plénitude. Comme-si j'avais enfin trouvé ma place, soufflé-je la dernière phrase en rougissant.
— Bon je pense que tu as répondu toi-même à ta question ! fit-elle en ricanant. Tu m'as l'air complétement mordue !
— Et complétement perdue ! Je n'ai aucune idée de ce que je devrais faire...
Et je me rends compte que rien n'est plus vrai que cette dernière phrase. Je suis complétement perdue. Avant j'avais un but. Protéger Milly. Empêcher ce mariage à tout prix. Mais maintenant qu'il est annulé, qu'est-ce que je vais faire ?
Je n'ai pas vraiment le temps de me poser plus de questions qu'Aubépine arrive dans mes appartements, accompagnée d'une tornade de serviteurs. J'ai à peine le temps d'enfiler une robe de chambre que tout ce petit monde se retrouve dans mon salon.
Une femme plus âgée, les cheveux tirées à quatre épingles, une paire de lunette ronde sur le nez, suivis de deux jeunes filles les yeux baissés, s'avance vers moi, tandis que deux jeunes hommes portant une pile de tissus tous plus riches les uns que les autres, s'installent sur les côtés.
— Magnifique, fit la femme en saisissant mon menton pour regarder mes yeux. Des courbes correctes, un peu trop musclée mais bon il y'a de la matière, déclare-t-elle en tâtant toutes les parcelles de mon corps. Une poitrine plutôt petite mais bien haute. Des belles ondulations dorées. Je sens ma chère enfant, que nous allons pouvoir faire des miracles ensemble.
— Ah euh...merci ? dis-je un peu perturbée par la situation.
— Mais où sont mes manières, voyons ! Je suis Madame Piquécou, couturière Royale pour vous servir, Duchesse, fit-elle avec une profonde révérence, imitée par ses suivantes.
— Enchantée, répondis-je en retirant ma main qu'elle n'avait pas lâchée depuis son arrivée. Mais que me vaut l'honneur de vos services ? J'ai déjà une garde-robe il me semble.
— A ce sujet... Hum, comment dire. C'est une idée du Prince, souffla Milly.
— Du Prince ? demandé-je de plus en plus surprise.
— Le Prince Eldric organise un bal masqué dans trois jours pour fêter l'équinoxe d'automne et pour... euh, trouver une promise... bafouille Milly, gênée.
— C'est tellement romantique, déclare Aubépine les joues rougies par l'excitation.
— Oui, oui romantique ! Mais pour une couturière Royale c'est une vraie catastrophe. Trois jours pour prévoir les tenues de la Reine et du Prince. Et maintenant voilà que l'intendant me demande d'habiller les Duchesses d'Estrus !
— Je suis désolée pour votre peine, mais nous n'avons pas encore de couturière à la capitale et nous n'avions pas prévue ce genre de tenues, fit Milly avec un sourire attendrissant.
Manifestement cela fonctionne puisque l'instant d'après la femme se radoucit et commence à organiser la pièce pour prendre nos mesures.
Au final, tout se passe en douceur. La couturière, comme un chef d'orchestre, dirige d'une main de maître, suivantes et assistants, et après deux bonnes heures de travails, nos mesures sont prises, les tissus sont choisis et l'ébauche de nos robes prend forme.
Du taffetas bleu clair pour Milly brodée de fleurs blanches et soie rouge et dentelles noires pour moi. Pour les masques, Madame Piquécou, souhaites garder le secret pour nous faire la surprise au jour j.
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