Chapitre 21

Dès que la garde quitte les lieux, je reprends mes moyens, du moins en apparence, et je commence à ranger les fruits dans la besace en cuir et replier la couverture. Puis toujours en silence, je saisi les rennes de Minuit et je monte avec adresse sur la selle et commence à quitter la clairière. Je déteste monter en amazone. Mais pas question de monter comme un homme, pas avec mon escorte. Ce n'est pas digne d'une femme de mon rang.

Le vieux capitaine, monte à son tour en selle et me suis.

Ma tête bourdonne de questions. Pourquoi a-t-il menti ? Comment ai-je fait pour ne pas m'en rendre compte ? J'aurais dû m'en douter. Il y'avait eu une multitude d'indices pourtant pour me mettre sur la voie. Comme la réaction de son cousin quand j'avais accusé le Prince d'être volage et arrogant. Ou encore leur différence d'âge. Après tout, je savais que le Prince était l'ainé et pourtant je n'avais pas réagi quand j'avais vu son cousin si jeune. Et puis pourquoi l'appeler la Roseraie du Prince si le Prince n'y va jamais ? Et surtout j'aurais dû réagir quand il m'a parlé de son père. Le Comte de Zaxia est toujours en vie lui, contrairement au Roi Godric.

Mais j'avais été trop crédule. Ou plutôt je n'avais pas voulu voir dans ce jeune homme mystérieux mais chaleureux, l'homme volage et froid que l'on m'avait décrit. Car au final qui est le vrai Eldric ? Est-ce cet homme que j'ai eu la chance d'entrevoir dans la clairière ce matin ? Cet homme qui s'est ouvert à moi. M'a montré sa fêlure. Ou ce jeune Prince à la voix sûre et autoritaire, qui vient de partir voir la Reine Régente la tête haute.

— Duchesse, vous allez bien ? Vous avez l'air troublée. J'espère que vous n'avez pas été trop effrayée par notre intervention. Je ne savais pas que vous étiez formée au combat, continu l'homme sans me laisser répondre. Mais cela me rassure, car à l'avenir votre sécurité risque d'être encore plus compromise.

— Pourquoi ? Qu'est ce qui a changé ? dis-je complétement perdue.

— Tout a changé. La cour est sens dessus-dessous depuis hier soir. Tout le monde ne parle que de cela. Où étiez-vous pendant le repas ? fit le vieil homme en levant un sourcil.

— Dans ma chambre. Pourquoi ?

— Pardonnez-moi Duchesse, je pensais que vous saviez. Après tout vous êtes la principale intéressée.

— Mais de quoi parlez-vous à la fin ? lâché-je énervée.

— Le Prince Eldric a annoncé hier en plein repas, qu'il souhaitait annuler les fiançailles avec mademoiselle votre sœur.

— Mais pourquoi a-t-il fait cela ? Il m'a pourtant dit que ce mariage était nécessaire. Et surtout qu'elle est le rapport avec moi ? demandé-je encore plus troublée.

— Désolé je ne sais pas si je peux vous le dire. Mais après tout, vous l'apprendrez tôt ou tard, fit-il en me faisant un clin d'œil. Je connais le Prince depuis qu'il est tout petit. Depuis la mort du Roi, j'ai été chargé personnellement de sa sécurité. Cela n'a pas toujours été facile. Il a un don pour disparaitre. Mais au fil des ans, j'ai fini par connaitre toutes ses cachettes. Je sais qu'il aime aller dans la Roseraie pour réfléchir et quand il est vraiment déstabilisé et qu'il ressent le besoin de s'éloigner, il va à la clairière. Mais jamais il n'y avait emmené quelqu'un avant aujourd'hui. Alors je présume, que ce revirement soudain concernant son avenir est lié à votre présence dans sa vie.

— Vous voulez dire que... bégayé-je, perturbée.

— Ce que je veux dire Duchesse, c'est que je pense que le Prince est amoureux, répond l'homme grisonnant en riant. J'ai été surpris la première fois que je l'ai vu se faufiler hors de la Roseraie, un sourire aux lèvres. Jusqu'à maintenant il avait plutôt tendance à se renfermer et broyer du noir après ces moments d'introspection. Alors je l'ai suivi les soirs suivants et j'ai compris quand je vous ai vu en sortir discrètement quelques minutes après lui. Peut-être que j'ai mal interprété votre relation, mais je pense qu'il s'est attaché à vous. Je dois donc vous mettre en garde. Nombreux seront vos ennemis si votre relation se révèle au grand jour. A commencer par la Reine Régente, confit le vieil homme avec un sourire triste. Mais je suppose que vous le découvrirez bien assez tôt. Au vu de votre tête, je me rends compte que j'en ai peut-être trop dit. Veuillez m'en excuser, termine-t-il avec une révérence martiale.

— Merci pour votre mise en garde, répond-je avec un sourire gêné. C'est sûr que cela fait beaucoup à digérer quand on pense que quelques minutes plus tôt je pensais être en compagnie du cousin du Prince et non du Prince lui-même, grommelé-je tout bas pour moi-même.

— Vous disiez, ma Dame ?

— Non rien, réponds-je sèchement avant de lancer ma monture au trot pour mettre fin à la discussion.

Malgré un cadre époustouflant, je ne prends pas la peine de regarder les petits sentiers boisés que je n'avais pas eu la chance de voir plus tôt puisqu'il faisait encore nuit. Je suis bien trop perturbée par toute cette situation.

J'ai l'impression d'avoir été trahit, et au fond cela me fait mal. Car je me demande si tout dans nos échanges a été authentique ou si ce n'était qu'un jeu pour un Prince héritier en mal d'ennuis.

D'un autre côté, je pense que s'il m'avait dit la vérité dès le début, je ne lui aurais laissé aucune chance de rentrer dans mon intimité. Jamais je n'aurais pu discuter avec lui si ouvertement de mes ressentis, de mes peurs, de mes souvenirs enfouis. Dès le départ, j'avais annoncé la couleur. Le Prince était mon ennemi et j'étais pleine de préjugés à son égard.

Au final, notre relation s'est développée sur un mensonge, mais j'aime à penser qu'elle a été marquée par la sincérité. Dans cette Roseraie, nous avons créé un espace sans jugement, sans statut social. Un espace où deux âmes se rencontrent, peu importe leurs titres ou leur passé. Une bulle hors du temps.

Il n'empêche, que j'aurais aimé l'apprendre de sa part. Quand notre relation a pris un tournant, il aurait dû être honnête et m'avouer son identité. Et puis qu'est-ce-que c'est que cette histoire de fiançailles annulées ? Et est-ce que le vieux Capitaine a vu juste concernant les sentiments du Prince à mon égard ? Est-il réellement amoureux ? Et moi, qu'est-ce que je ressens pour lui ?

Je suis sortie brusquement de mes pensées quand arrivée à l'orée de la forêt, les jumeaux m'abordent, affolés.

— Mademoiselle Elina, vous êtes saine et sauve. J'étais si inquiète, me dit la jeune femme en se jetant théâtralement devant les sabots de Minuit qui commence à s'agiter.

Je saute directement sur mes pieds et tiens fermement les rennes de la jument, tout en lui flattant l'encolure pour l'apaiser.

— Amande, je suis une grande fille. Ne vous inquiétez pas, j'étais entre de bonnes mains. N'est-ce pas, Capitaine ? dis-je en lui lançant un regard suppliant. Je n'arrivais plus à dormir, alors je suis partie faire un tour. Mes pas m'ont mené à l'écurie Royale, où j'ai croisé le Capitaine de la garde.

— Oui tout à fait, fit le concerné en descendant de cheval à son tour. J'avais moi-même du mal à me rendormir alors j'ai proposé à mademoiselle la Duchesse de faire une balade à cheval dans le parc du Palais. Vous m'en voyez confus, en tant que Capitaine de la garde, j'aurais dû me douter que la disparition de la Duchesse allait inquiéter ses gens. J'aurais dû veiller à vous en informer, fit-il avec un sourire contrit.

— Capitaine, vous n'avez pas à vous excuser. En tant que protecteur de Mademoiselle, je n'aurais jamais dû m'assoupir devant sa porte en premier lieu, rétorque le jeune roux en baissant les yeux de honte.

— Armand, ne soyez pas trop sévère avec vous, reprends le vieux capitaine. La faute me revient entièrement, je n'aurais pas dû vous laisser seul pour assurer sa protection. Je vais y remédier dès aujourd'hui. A partir de maintenant, vous aurez deux hommes de la garde sous vos ordres.

— Ce n'est pas nécessaire. Je peux me protéger moi-même, commencé-je à protester.

— C'est une très bonne idée Léonardo. Personne ne doute de la capacité de ma chère sœur à assurer sa protection. Mais vous ne serez pas trop de trois, pour l'empêcher de se faufiler hors de sa chambre en pleine nuit et causer une frayeur à sa petite sœur adorée, intervint Milly en arrivant avec Aubépine.

— Alors c'est réglé. Duchesse, fit Léonardo en s'inclinant devant moi, je vous laisse entre de bonnes mains.

— Merci pour cette balade Capitaine, lui fis-je avec un sourire sincère.

L'homme s'éloigne lentement en direction des écuries, me laissant avec quatre paires d'yeux braqués sur moi.


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