Chapitre 18

Perdue dans mes pensées, je suis surprise par une main sur mon épaule. Tout s'enchaine alors à toute vitesse. Sans réfléchir, je saisi cette main, je me baisse en tirant sur le bras tout en me redressant et faisant basculer vers l'avant le propriétaire de cette main, qui s'écrase avec violence au sol. La seconde d'après, j'appuis avec mon pied sur la base de l'épaule tout en tirant le bras que je n'ai toujours pas lâché dans un angle étrange. Puis je réalise. Je réalise, que je viens de projeter, je ne sais comment, puis de tordre le bras d'un homme qui n'est autre que Gabriel, gémissant de douleur, face contre terre.

Je relâche avec surprise la torsion que j'imprime sur son articulation et me baisse à son niveau.

— Désolée, j'étais perdue dans mes pensées, je ne vous ai pas entendus. Je suis confuse. Je ne sais pas ce qui m'a pris, m'exclamé-je en l'aidant à se relever.

— Jolie prise. Rappelez-moi de ne plus vous toucher par surprise. Je ne suis pas sûre que mon épaule supporte une nouvelle fois ce genre de traitement, dit-il en se massant ladite épaule avec un sourire espiègle.

— Je ne sais pas ce qui s'est passé. J'étais en train de réfléchir puis l'instant d'après je vous tenais au sol dans cette position étrange. Je ne comprends pas. C'était comme si mon corps avait agi seul, déclaré-je, troublée.

— Ne vous excusez pas. J'ai déjà vu ce genre de phénomène. Mais en générale la personne était nettement moins jolie, dit-il avec un clin d'œil.

— Je ne comprends pas ... soufflé-je.

— Quand j'étais jeune, mon père m'emmenait parfois à la résidence des vétérans. C'était un endroit où certains militaires venaient pour se reposer, parfois quelques semaines parfois des années. Un jour j'ai demandé pourquoi ces hommes étaient là.

— Pourquoi ?

— Parce que la guerre les avait blessés. Pour certains dans leurs chaires mais pour la plupart la blessure était dans leur cœur. Ils avaient vu trop de choses, fait trop de choses. Cela les avait traumatisés. Et ces hommes étaient là pour reposer leurs âmes. Pour réapprendre à vivre.

— Je ne vois pas le rapport avec moi. A ce que je sache, je n'ai pas fait la guerre, répondis-je sèchement.

— Je ne sais pas, mais je sens dans vos yeux, dans vos mots, dans vos larmes, que vous aussi, vous en avez trop vu. Mais ce n'est pas seulement pour cela que j'ai pensé à cela. Ces hommes étaient des combattants hors-normes, leurs corps étaient des armes et ils étaient conditionnés par des heures d'entrainement, des heures de combat. Au moindre bruit, mouvement ou situation pouvant leur rappeler la guerre, leur corps prenait le contrôle. Pour les défendre, pour attaquer. Je sais cela parait ridicule, mais je ne peux m'empêcher de penser que vous avez beaucoup en commun, finit-il en rougissant.

J'ai envie de rire, de balayer de la main sa remarque et pourtant je n'en fais rien. Car ses paroles ont trouvé écho en moi. Tous ces signes que j'ai essayé d'oublier me reviennent en pleine face, me submergent. Les larmes se remettent à couler dans un flot continu alors que mon cœur se met à battre de façon erratique.

Je sens alors une étreinte chaleureuse, une main dans mon dos, un torse contre mon visage. Une voix douce.

— Tout va bien. Je suis là, chuchote calmement le jeune homme. Pleurez. Libérez-vous de cette tension. Personne ici ne vous jugera.

Il me pousse doucement dans une allée, puis m'assoit avec douceur sur un banc. Il s'assoit à son tour sans jamais desserrer son étreinte.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi. Mais a un moment les larmes ont refluées et je me suis sentie légère. Respectant mon silence, il a continué à me caresser le dos en rythme, ma tête toujours posée sur son torse.

Après un temps interminable, je me redresse. J'essuie mes yeux et lui souris.

— Merci, soufflé-je la voix enrouée.

— Je suis désolé si mes paroles vous ont ébranlé, se confond-t-il en excuse.

— Vous avez raison.

— A quel sujet ? Je ne comprends pas... dit-il perdu.

— Je crois que j'étais une sorte de soldat, lâché-je.

Ca y'est, je l'ai dit. J'ai enfin laissé passer cette phrase au bord de mes lèvres. Enfin dit à voix haute ce que j'ai tût à moi-même pendant des mois.

— Un soldat ? Mais vous avez à peine vingt-ans ! Quel pays utiliserait des enfants pour faire la guerre ?

— Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas. Mais comment expliquer que la première chose que je fais quand je rentre dans une pièce c'est de chercher toutes les issues ? Pourquoi quand je croise des gens, je regarde en premier leurs mains puis leurs yeux pour évaluer s'ils représentent une menace ? Pourquoi quand je prends un couteau, je ne peux m'empêcher d'en vérifier son tranchant ? Et puis il y'a ces mouvements qui me viennent tout seul. Un jour j'ai failli casser le bras d'un garçon d'écurie. Comme vous, il m'avait touché l'épaule par surprise. Et il y'a ces jeunes qui nous ont attaqués au village l'été dernier. Je les ai complétement maitrisés. Du début jusqu'à la fin, ils n'ont pas eu une seule chance de m'effleurer. Quand les gardes étaient arrivés, ils ont eu du mal à croire que j'étais seule contre six, malgré le témoignage d'Anna et Milly. Puis lors de mon premier entrainement avec la Garde Ducale, j'ai dominé quasiment tous mes adversaires à main nues. Et une chose est sûre, bien que je ne maitrise pas encore parfaitement l'escrime, je suis absolument mortelle un couteau à la main.

— Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr c'est que vous avez dû vous entrainer des heures durant pour obtenir un mouvement si fluide. J'en suis admiratif. J'ai moi-même appris à combattre depuis mon plus jeune âge et pourtant je n'ai rien pu faire.

— Mais quel genre de vie j'ai pu avoir pour être ainsi ? demandé-je une fêlure dans la voix.

— Je ne sais pas. Je suis désolé j'ai l'impression de n'avoir que ces mots à la bouche depuis tout à l'heure. Mais regardez-moi, dit-il en prenant mon visage en coupe pour me regarder dans les yeux. Je suis là. Je serais toujours là. Si vous avez besoin de parler ou tout simplement d'une présence, je serais toujours là pour vous.

— Merci, soufflé-je avec un semblant de sourire. Je ne sais pas ce qui est le pire, de ne pas savoir ou de se rappeler. Cette nuit j'ai fait un rêve. Je pense que c'était un souvenir. Un enterrement. L'enterrement de mon père. Je devais à peine avoir quatre ans. Je pense que mon père était soldat ou peut-être gardien de paix et qu'il est mort au combat. Je suis encore hantée par les yeux de ma mère remplis de larmes. Ces yeux verts comme les miens.

— Des yeux magnifiques...

Je décide de mettre sa dernière remarque de côté pour plus tard et de profiter de l'instant. De sa présence chaleureuse et rassurante. De l'odeur de ces roses, qui je le sens ont un lien avec mon passé, et de la température plutôt douce malgré le début de l'automne.

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