Chapitre 16
Je commence à me dire que le Prince fait tout pour m'éviter. D'abord, il ne vient pas prendre son petit déjeuner dans le salon privé. Mais après tout, je ne connais pas son emploi du temps, peut-être qu'il se lève bien plus tôt. Il doit avoir une tonne de choses à faire donc j'imagine que ses journées sont chargées et qu'il n'a pas le temps de passer du temps à manger avec nous.
Par contre il avait pris du temps pour Milly, mais à chaque fois je n'avais pas été conviée. D'abord une ballade dans les jardins puis ils avaient pris le thé avec la Reine régente. Les futurs époux avaient également partagé un diner en tête à tête quelques jours plus tôt. Ma protégée en était revenue songeuse mais elle n'avait pas voulu s'ouvrir à moi. Cela m'avait vraiment surprise car j'avais l'impression que notre relation était différente. J'avais l'impression que nous partagions tout. Au fond de moi, je suis un peu déçue et blessée qu'elle n'ait rien voulu dire.
Depuis elle fait comme-si tout allait bien, mais je sens son regard sur moi quand elle pense que je ne la vois pas. Elle semble avoir une multitude de questions dans sa tête. Mais elle n'en pose aucune.
Je la laisse réfléchir, prendre son temps, ce qui est sûre c'est que le jour où elle se décidera à se confier, je serais là pour elle.
En parlant de personnes qui m'évitent, cela fait exactement huit jours que je n'ai pas croisé Gabriel. Il n'a pas vraiment cessé d'aller dans la roseraie, seulement il ne vient pas aux mêmes heures que moi. Mais je ne suis pas inquiète, je sais qu'il reviendra me voir. Hier soir il avait laissé un livre sur le banc avec une petite note.
« J'ai pensé à vous en le lisant. G »
Le plus surprenant c'était le livre en question. Les mémoires d'Elizabeth d'Alburia. Parmi tous les livres de la bibliothèque Royale, il avait choisi le seul retraçant la vie de cette femme. Ma compatriote. Une femme qui comme-moi s'était retrouvée catapulté dans ce monde.
J'avais passé la nuit entière à parcourir ses pages. Elle ne parlait jamais de ses réelles origines, mais elle avait couché sur le papier l'essence même de son âme. Ses travaux, sa vie et surtout son combat pour le droit des femmes. C'était une femme extraordinaire, une visionnaire, d'une droiture et d'une volonté sans égale. Elle a passé sa vie à étudier les plantes pour développer la médecine. Grâce à elle la pharmacopée avait fait un bond. Quand elle n'avait pas le nez dans ses livres, elle était dans ses serres, les mains dans la terre à prendre soin de ses plantes chéries, ou dans un amphithéâtre à transmettre sa passion.
Première femme admise à l'Université de Zahela puis premier professeur féminin, elle s'était battue pour que ses contemporaines puissent en faire de même. Et elle avait réussi. Les femmes de la noblesse sont maintenant acceptées à l'Université. Elles peuvent étudier toutes les matières sauf les stratégies militaires.
Je suis admirative de cette femme. Elle a été arrachée à sa vie. Elle n'avait que dix-huit ans, ne connaissait pas ce monde et pourtant en quelques mois, elle avait réussi à prendre sa vie en main, à s'adapter et elle avait accomplis tellement. Je comprends mieux la fierté dans la voix de Louise quand elle me parlait de son ancêtre.
Mais cela me tourmente encore plus. Car j'ai l'impression de devoir prendre la relève. Et je ne me sens pas du tout à la hauteur.
Je suis sortie de mes pensées quand quelqu'un frappe à ma porte. Ma servante, s'empresse d'aller ouvrir à une Milly toute excitée.
— C'était merveilleux ! La pièce était splendide, les acteurs passionnés. Tu aurais adoré. Dommage que tu n'aies pas pu venir ! Tu te sens mieux d'ailleurs ? demande-t-elle en mettant sa main sur mon front.
— Oui beaucoup mieux. C'est juste que j'ai lu toute la nuit et que dans l'après-midi j'ai senti un léger vertige alors j'ai préféré rester au calme.
— Tu as lu toute la nuit ? Cela ne m'étonne pas de toi ! ricane-t-elle en me faisant un clin d'œil complice. En tout cas, tu m'as manqué. Et pas qu'à moi on dirait. Le Prince avait l'air déçu de ton absence. Il m'a demandé pourquoi tu n'étais pas avec moi et il a paru très soucieux quand je lui ai dit que tu te sentais mal. C'est étrange, je ne savais pas que vous aviez ce genre de relation, dit-elle en me sondant avec attention.
— Moi non plus. A vrai dire je ne l'ai pas vu depuis la fois où je l'ai rencontré dans le salon et que je lui ai déclaré la guerre.
— Tu as dû lui faire grande impression ! En même temps, je serais lui je ne serais pas indifférent à ce genre de déclaration. Surtout si tu lui as lancé ton regard noir et déterminé, comme tu sais si bien le faire.
— Oh oui, ne t'inquiète pas j'ai sorti le grand jeu, pouffé-je en levant les yeux au ciel. Mais son intérêt pour ma personne n'en est que d'autant plus troublant. Nous sommes ennemis !
— Peut-être. Ennemis ou pas, je pense que tu l'as marqué. J'hésitais à t'en parler mais à chaque fois que nous nous sommes vus, il m'a posé des questions sur toi. Au départ, j'ai pensé que c'était par politesse parce qu'il sait que je te considère comme ma sœur et que mon père t'a désignée comme héritière. Mais je pense que cela va au-delà d'un intérêt poli. Il m'a même demandé si tu aimais les balades à chevales !
— Etrange... soufflé-je, troublée.
— Enfin bon, je vois bien que tu es fatiguée et que tu lutte pour ne pas fermer les yeux, alors je vais te laisser. Nous en parlerons demain.
— Désolée. J'aurais aimé discuter plus longtemps avec toi. Ce que tu me raconte me trouble à vrai dire. Mais je suis vraiment épuisée. Cela m'apprendra à faire une nuit blanche, dis-je en réprimant un bâillement.
Sans discuter plus, Milly me dépose un baiser sur le front avant de sortir de mes appartements. Je préviens les jumeaux que je vais me coucher puis je me dirige vers ma chambre.
Je commence à me dévêtir. Qui aurait cru que je deviendrais une experte pour retirer un corset et un jupon bouffant. Pas moi en tout cas. Mais avec Aubépine je suis à bonne école.
Une fois en chemise de nuit, je natte rapidement mes cheveux dorés pour éviter qu'ils s'emmêlent et me dirige en bâillant vers mon lit. Oubliant toute délicatesse, je me jette sur mon lit.
Et je me retrouve nez à nez avec une note manuscrite.
« Je sais qui vous êtes. »
Ces cinq mots écrits avec délicatesse, me font rater un battement de cœur.
Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Est-ce que cela veut dire que cette personne sait d'où je viens ? Peut-être qu'elle vient du même monde. Ou comme Louise, elle a compris que je venais d'ailleurs. Mais la vraie question est surtout, qui est-ce ? Amis ou ennemis ?
Je m'empresse de ranger la note quand Amande entre dans ma chambre pour souffler les bougies avant de me souhaiter une bonne nuit.
Pour la première fois depuis des mois, je n'ai pas pu m'empêcher de revenir à ma vielle habitude et c'est la tête pleine de questions, un couteau sous l'oreiller, que je finis par m'abandonner à un sommeil bien mérité mais surtout agité.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top