Chapitre 9: Don de moelle et sumo
Le 13 mars, je reçois un courrier de l'établissement français de la moelle osseuse. Ils m'annoncent que vu ce qui s'est passé, ils sont obligés de me rayer de la liste des donneurs potentiels. Ils me remercient d'avoir fait partie des 'veilleurs de vie'. Encore un coup dur. Je me sens exclue. Je rédige un article de blog pour suggérer aux gens de s'inscrire et je boude un moment. Tant pis.
La moelle osseuse est prélevée dans l'os de la hanche. A ne pas confondre avec la moelle épinière.
Dans la journée, mes parents reviennent dans ma ville. C'est ce soir qu'on apprendra qui est le nouveau pape. Aucun de nous n'est très religieux mais on aime bien savoir. La soirée s'éternise et enfin, un type en rouge apparaît sur l'écran. Je demande si c'est lui, on me répond que non. Vraiment, ma culture générale laisse à désirer.
Enfin, le nouveau souverain pontife apparaît à l'écran. Dès le début, on a l'impression que c'est quelqu'un qui fait attention aux autres : d'abord, il suggère aux fidèles de prier pour Benoît XVI et ensuite, il déclare qu'avant de bénir l'assemblée, il voudrait que l'assemblée le bénisse. Je fais remarquer qu'il a le sens des interactions. Ma mère est d'accord. Jean-Paul II était un globe-trotteur et Benoît XVI, un intellectuel. On ne sait pas encore comment sera le pape François mais il donne au moins une première bonne impression. Ça fait au moins une bonne nouvelle dans la journée. J'avoue que bien plus tard, je ressentirai une immense déception en entendant ses positions sur l'IVG. Enfin, on ne peut pas changer le passé.
Le lendemain, je retourne à l'hôpital. La chambre n'est plus la même mais les infirmières reconnaissent ma tête et s'étonnent de me revoir. Je leur explique qu'il y a eu des complications. Ma chambre ressemble à l'ancienne : une télé, un lit, des chaises, une porte vers une salle de douche, un placard avec coffre-fort, une ou deux illustrations aux murs. Je reprends mes vieilles habitudes, c'est-à-dire que je tends le bras dès qu'une infirmière s'approche de moi. Il faut bien qu'elles prennent la tension des patients.
Mes parents partent et je les imagine à nouveau prenant un verre de cidre devant la télé. A ma grande surprise, on me sert un repas normal, avec une omelette et des légumes, le tout dans des emballages plastiques dont je commence à avoir l'habitude. J'ai envie de pleurer toute seule pour relâcher la pression. Je n'y arrive pas. Je sais que les gens risquent de m'entendre et je ne veux pas déranger les infirmières pour une simple mini crise de nerfs. Je pleurerai un autre jour. Je mange, je me douche à la Bétadine et je vais me coucher.
Grâce à la magie du Xanax, je passe la nuit et la matinée du lendemain dans un état de béatitude artificielle. Je lis un peu, je regarde la télé et on finit par m'emmener au bloc. Cette fois-ci, le chirurgien ne me demande pas si mes veines sont en bon état. On m'emmène dans la salle et je revois tout comme la dernière fois : les blouses, les masques, la lumière bizarre... J'ai déjà moins peur qu'il y a une semaine.
On me pique la main gauche. Ça me fait mal mais apparemment, mes veines ne sont pas assez je-ne-sais-pas-quoi pour que l'aiguille passe. On me dit de serrer le poing. On me pique la main à un autre endroit. Je ne serre pas le poing assez fort (parce que j'ai peur de la douleur). Quelqu'un me tient la main droite. Ça ne retire pas la douleur mais c'est gentil. Au troisième essai, ça y est, la perfusion est en place. Je balance une blague qui ne fait rire personne et on me met le masque sur la figure.
*
Salle de réveil. Je reconnais l'endroit, avec ses lettres rigolotes sur le mur de gauche, au loin. C'est étrange, je me sens mieux, plus réveillée, que la première fois. La jeune fille qui s'occupe de moi m'annonce que la cœlioscopie s'est bien passée, qu'ils ont juste eu un peu de mal à trouver mon appendice parce qu'il était replié derrière l'intestin.
Plus tard, je ne me souviendrai pas du visage de cette personne, juste qu'elle est jeune et blonde. J'ai l'estomac retourné. Je l'appelle, je lui dis d'une voix éraillée que je vais peut-être vomir. Elle relève mon matelas, place un linge devant moi et je vomis trois fois. Elle m'essuie le visage avec un linge humide. C'est de la bile, me dit-elle. Maintenant, je sais pourquoi c'est tout vert.
Au bout d'un moment, on m'emmène, toujours allongée. Après avoir franchi les couloirs et l'ascenseur, je me retrouve dans ma chambre où mes parents m'attendent, un bouquin à la main. Ils m'annoncent qu'ils m'ont attendue ici pendant des heures parce qu'ils ne savaient pas précisément à quelle heure aurait lieu l'opération. Je les rassure. Je vais bien enfin, mieux que la première fois. C'est gênant de se trouver en présence de ses parents avec une poche d'urine mais je ne suis plus à ça près.
Ils partent et on m'installe un machin à oxygène dans le nez. J'essaie de me réhabituer à la position sur le dos, ce qui n'est pas évident (mais tout de même plus confortable que la dernière fois). Les infirmières passent pendant la nuit, me demandent si tout va bien. En fin de nuit, on m'enlève la sonde. Au moins, je n'ai pas vomi, du moins pas dans la chambre.
Je quitte l'hôpital quelques jours plus tard, le 17 mars, avec quatre petits trous recousus disposés en losange en dessous de mon nombril. D'après ce qu'on me dit, les fils partiront d'eux-mêmes. On me fait faire une analyse d'urine à cause de la sonde urinaire. Mes parents me gâtent : avec un petit gâteau au chocolat tous les jours à quatre heures, j'ai l'impression d'être dans une histoire de la Comtesse de Ségur ! (sauf que j'ai jamais torturé de poisson rouge, pauvres poissons). Il faut dire que j'étais déjà plutôt menue avant les opérations et que deux kilos de kyste en moins, ça n'a pas arrangé mon poids. C'est pas aujourd'hui que je deviendrai championne de sumo...
Ne cherchez pas. Je ne suis pas sur cette photo.
Je repars en convalescence avec eux le vendredi 22 mars. La convalescence se passe sans encombre. Le 1er avril, qui tombe un lundi de Pâques, je reprends le train pour rentrer chez moi. Je dois travailler le lendemain. C'est un nouveau boulot et j'appréhende un peu. Cependant, je me dis que c'est la fin de mon CTDD (mon Contrat Tanguy à Durée Déterminée) et même si j'ai un peu peur, je me sens revigorée d'avoir survécu à tout ça. La vie ressemble parfois à un paquet de défis à relever.
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