Chapitre 7: réflexions sur le doublage et le financement participatif


La journée du dimanche se passe sans accrocs. J'enchaîne encore les dessins animés de Spider-Man et les scènes choquantes de Hunger Games en me demandant vaguement pourquoi la vo est toujours meilleure que la vf (c'est vrai : la voix française de Thresh ne correspond pas à sa personnalité !)

C'était l'acteur parfait pour le rôle. Il ne manquait plus qu'une voix de doublage en adéquation.

J'ai beaucoup de visites l'après-midi. D'abord mes parents, ensuite Jean, avec des journaux, et enfin ma sœur Virginie. Elle me prête un livre et m'apporte des dessins. C'est Marine, 5 ans, qui les a faits elle-même, avec ses feutres et ses autocollants de princesse. Matthieu, 3 ans, a aussi commencé par me faire des dessins mais il les trouvait tellement beaux qu'il a préféré les garder pour lui.

Mon dîner est un peu plus consistant. Je regarde un téléfilm que ma mère m'a conseillé, une comédie romantique, et je m'endors. On m'a retiré ma perfusion et je crois que je vais finir par m'habituer au sommeil sur le dos. Je me demande si je ronfle. Oh, après tout, je suis seule dans cette chambre...

*

On est le matin du lundi 11 février 2014. On m'annonce que je vais pouvoir partir demain. Je m'habille et j'essaie de passer du temps hors de mon lit. Je regarde la télé et j'apprends la démission du pape Benoît XVI. Après tout, c'est son choix. En venant me prendre ma tension, les infirmières s'arrêtent et regardent les dessins de Marine, dont le rose bonbon tranche avec le vert tristounet des murs. C'est bon de pouvoir porter de vrais vêtements et de se promener sans perfusion.

L'après-midi, une infirmière passe régulièrement la tête par la porte. Elle finit par annoncer que mon départ est prévu pour aujourd'hui et qu'elle aimerait bien faire la chambre. Mes parents sont contrariés : la cuisine est encore en chantier ! Tant pis. Ils me portent ma valise et je monte dans la voiture. Je me déplace en marchant à petits pas, j'ai l'impression d'être une mamie. Ça m'apprendra à respecter les mamies !

On arrive dans l'appartement. Non seulement mes merveilleux parents sont en train de changer la cuisine, mais ils ont aussi rénové le reste de l'appartement. Mes rideaux unis qui tenaient par des bouts de scotch ont été remplacés par de vrais rideaux à tringle, mes trois assiettes dépareillées ont laissé place à un lot d'assiettes neuves et un fauteuil confortable trône maintenant devant mon ordinateur. J'ai l'impression d'être dans les Maçons du Cœur tellement c'est beau ! Chauffeur, bouge le bus !

Non. En fait, il n'y a pas la place pour un bus dans ma résidence.

Je mets à jour mes blogs, c'est-à-dire que j'annonce que je suis revenue de l'hôpital, fatiguée, lessivée, mais heureuse. Céline, une amie de blog, me confie qu'elle aussi va bientôt devoir se rendre à l'hôpital pour une hystérosalpingographie avec curetage sous anesthésie générale. Des polypes à enlever. Je lui souhaite bon courage et je la serrerais dans mes bras si je le pouvais.

Allongée sur mon lit, je médite sur ce qui vient de m'arriver. Cette opération s'est avérée une expérience émotionnelle intense. J'ai perdu un ovaire et une trompe, d'accord, et je me retrouve avec une cicatrice de neuf centimètres sous le nombril, mais j'ai aussi beaucoup appris. La vie est courte, il faut en profiter. Quand on est entourés de gens qui vous aiment, il faut simplement réaliser la chance qu'on a. Parfois, la vie est injuste mais on n'y peut rien. On peut vivre avec les épreuves qu'on rencontre et beaucoup apprendre grâce à elles.

J'ai toujours rêvé de vivre de ma plume. Malheureusement, mes nombreux essais pour faire publier un de mes textes se sont toujours soldés par des échecs. Quand j'étais sur ce lit d'hôpital, j'ai vu un reportage sur le financement participatif. Qu'est-ce qui m'empêche de parler de mes textes via internet et de chercher des sponsors ? Qu'est-ce qui m'empêcher de tenter ma chance et de faire financer mon propre bouquin ?

Je tourne et retourne cette idée dans ma tête. Oui, je ferai ça un jour. Pendant les jours suivants, ce sont mes parents qui s'occupent des repas, de la vaisselle et des courses, et ce sont aussi eux qui regardent la télé le soir. J'ai l'impression d'avoir six ans, sauf qu'à six ans je ne me trainais pas comme une tortue du lit à la table du déjeuner en passant par l'ordinateur et la salle de bains. Je me sens comme un gros bébé malade.

Mes voisins de palier reviennent eux aussi de l'hôpital. Eux qui avaient déjà un petit garçon de quatre ans, ils ont maintenant un deuxième petit garçon. On peut l'entendre pleurer à travers la cloison. Ma mère leur offre un bavoir qu'elle a personnalisé. C'est marrant ce qu'on peut faire avec ses ovaires quand ils ne sont pas en train de déconner.

Le 18 février, mes parents m'emmènent chez eux. Je vais passer le reste de ma convalescence dans leur maison. Ce sera pratique parce que contrairement à moi, ils ont une grande maison avec un four, un lave-vaisselle et plusieurs chambres. Ils dégottent une infirmière pour les piqures qu'on doit me faire après l'opération. La douleur se calme peu à peu. Je passe à trois paracétamols par jour, puis à deux. Je me promène au grand air et je me prélasse avec un bon bouquin.

J'en profite aussi pour faire le point sur mes relations avec mes amis. Toute cette expérience m'a rapprochée de Céline, mon amie d'internet. Elle me raconte ses inquiétudes gynécologiques. Ça fait du bien de parler. La gynécologie est encore un sujet tabou à notre époque : on a le droit de dire qu'on a le bras cassé ou qu'on a attrapé un virus mais pour parler de trompes bouchées ou d'endométriose, c'est une autre paire de manches. On a l'impression que c'est sale, choquant. A la rigueur, on a le droit de parler de grossesses ou de Kâma-Sûtra mais les accidents de parcours, ça se glisse sous le tapis et on n'en parle pas.

Dans un sens, je comprends que mes amis hommes soient gênés. Si l'un d'eux m'annonçait une ablation de la prostate, je compatirais, évidemment, mais je n'aurais aucune idée de ce qu'il peut ressentir. Du reste, ces messieurs ont tous été sympas (sauf un). Ils m'ont souhaité bon rétablissement et m'ont laissée me reposer tranquille. C'était ce dont j'avais besoin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top