Chapitre 6: Hello, patiente!
Le matin, on me sert deux xanax en guise de petit-déjeuner et on m'apprend qu'on m'opèrera dans la matinée. Je prends une deuxième douche à la Bétadine, j'enfile mes bas de contention, ma blouse d'hôpital et l'infirmière m'informe gentiment que je l'ai mise à l'envers (ça commence bien...). Je la remets correctement et je me rendors. Quand je me réveille vers onze heures, on m'annonce qu'on m'opèrera dans l'après-midi.
A quinze heures, on me dit de monter sur le brancard. Dans l'ascenseur, j'annonce au brancardier que ce kyste a un nom, il s'appelle « Monsieur Gros Boulet ». J'ai répété cette blague à tout le personnel de l'hôpital. Je crois que si j'arrive à rire de ce problème et si j'arrive à faire rire les autres, j'aurai gagné. Mon superpouvoir, c'est le sens de l'humour.
J'attends dans le couloir, près de la salle d'op. Je sens que je vais bientôt me trouver à court de patience et à court de blagues, je ne sais pas ce qui est le pire. Enfin, on me fait monter sur la table, on me pose un bonnet sur la tête. Très stressé, le chirurgien me pose des questions, il me demande si je fais de l'hypertension, du diabète. Quand il veut savoir si j'ai des problèmes de veines, je réponds que je vais assez souvent au don du sang, alors je... Il ne me laisse pas finir ma phrase et annonce que ça ira. On me fait entrer dans la cage aux lions.
Je suis contente d'avoir casé cette anecdote avec le don du sang. Ou plutôt, je suis rassurée. Depuis hier, on me balade comme une poupée et je n'ai aucune prise sur ce qui m'arrive. J'ai l'impression que ce que je viens de dire, c'est : « hé, je suis un être humain, j'ai une vie en dehors de cet hôpital ». Ou « vous sauvez des vies, c'est très bien ! Moi aussi, j'ai déjà sauvé des vies ! » Ou bien : « Vous pouvez y aller sans craindre que j'aie mal ! J'ai de solides veines de donneuse, je ne crains pas la douleur ! » Même si je vais bientôt me trouver à la merci de leurs bistouris, je suis un être humain !
Vu sous cet angle, ils sont rigolos avec leurs masques verts. Je me croirais dans la série-télé « Urgences ». On me place une perfusion dans la main, on me colle un masque sur le visage.
*
Hmmm... Mal au ventre. Où suis-je ? Ah, Ben m'avait bien dit que je ne sentirais pas venir le sommeil !
J'ai du mal à ouvrir les yeux. Je suis toujours allongée et il y a une autre personne en phase de réveil à ma droite. Une personne à la peau brune, je ne distingue pas le reste. Plus tard, j'essaierai en vain de me rappeler le visage de l'auxiliaire médicale qui m'annonce que l'opération s'est bien passée.
Essayez de vous réveiller, me dit-elle. J'ai envie de lui répondre qu'en temps normal je suis du matin, que je n'ai jamais aucun problème pour me réveiller mais ma voix me trahit. On dirait celle de Marge Simpson un jour de mal de gorge. A ma droite, un patient sur un brancard. Loin, à ma gauche, un mur avec de grandes lettres multicolores.
On dirait le mur d'une garderie ! Mais pourquoi mettre un décor pareil dans un endroit pareil ? Je sais qu'on est en gynécologie et que des bébés ont sûrement dû se trouver ici, mais un nouveau-né a-t-il vraiment besoin d'apprendre à lire ? Ou alors, ils ont choisi ce décor pour que les patientes en phase de réveil se cassent la tête à propos de quelque chose. Je ne sais pas.
On finit par m'emmener dans ma chambre. Je me demande vaguement à quoi ressemble mon ventre, puis je me dis que j'y penserai plus tard. Il est trop tard pour que mes parents me rendent visite. Je souhaite bonsoir aux infirmières et j'essaie de me rendormir pour la nuit.
Problème : j'ai l'habitude de dormir sur le côté, les genoux à moitié repliés. A cause de ces fichues agrafes, je ne peux dormir que sur le dos. J'arrive à dormir. Ou non. A un moment, j'ai l'impression qu'on m'a injecté un curry indien sous la peau tellement j'ai chaud. J'aime beaucoup le curry mais là, c'est pas le moment ! Je décide d'attendre que ça passe et ça ne passe pas. J'attends. J'essaie de me lever, je réalise qu'avec tous ces fils et moi qui suis patraque, y'a pas moyen. Et je vomis sur les draps.
J'appelle les infirmières. Je leur explique ce qui vient de se passer, elles me répondent qu'il ne fallait pas essayer de me lever à cause de ma sonde urinaire. Une sonde urinaire ? Mais j'avais un tampon sur moi !
On a dû vous l'enlever au bloc, votre tampon, me disent-elles. Dans le doute, elles m'enlèvent ma sonde, qu'ils ont installée via mon vagin quand j'étais anesthésiée. J'ai l'impression d'être un bébé dont on change les couches. Elles changent mes draps aussi et j'essaie de me rendormir.
Une heure ou deux plus tard, j'ai encore envie de vomir. J'essaie d'attraper mon boitier d'appel mais il est hors de portée. L'infirmière qui l'a réinstallé après avoir changé le drap a dû avoir un moment d'inattention, ou alors mes bras ont rétréci. J'attrape un paquet de mouchoirs en papier Hello Kitty et je me débrouille avec, sans quitter mon lit. J'espère que les fans de Hello Kitty me pardonneront d'avoir ruiné leur enfance à l'instant.
Le jour se lève enfin. Les infirmières de jour passent et me voient réveillée. Elles installent un siège dans la salle de douche pour que je puisse faire ma toilette et me demandent de ne pas verrouiller ma porte, pour pouvoir venir m'aider si jamais j'avais un malaise. Je vomis une troisième fois, cette fois-ci dans la cuvette des WC, ce qui représente un progrès. Une demoiselle me demande ce que je veux pour le petit-déj. Pendant un dixième de seconde, je pense à répondre « des œufs au bacon, des pancakes, de la confiture de myrtilles et un verre de whisky ». Je me retiens juste à temps : on a déjà dû lui faire la blague vingt fois !
- Vous avez du thé ?
Elle répond oui et m'apporte un thé nature et une biscotte. J'ai mal au ventre. On m'explique qu'on va me donner des antidouleurs pendant les prochains jours. Je réalise à quel point c'est difficile de faire sa toilette avec une perfusion. Je crois qu'à un moment, on me montre mon ventre. On dirait le rôti de porc du dimanche, avec ces fils, ces agrafes et cette coloration orange ! Pendant la matinée, j'alterne bouquins et télé. Canal+ diffuse le film 'Hunger Games', que j'ai déjà vu au cinéma. Par un réflexe absurde, je change la chaîne quand quelqu'un entre dans ma chambre. Il y beaucoup de scènes de violence dans ce film, après tout. Je ne sais pas si c'est recommandé pour une convalescente !
Le déjeuner est léger, aussi. Mes parents arrivent dans l'après-midi. Chose étrange, ils apportent une odeur de steak et de patates que je suis la seule à sentir. Ça doit être le contraste avec tout ce potage en sachet, ou alors j'imagine des trucs...
Je les rassure tant que je peux. J'imagine qu'après ma nuit (presque) blanche, je dois avoir une sale tête ! Et puis, ma mère m'annonce qu'hier soir, elle et mon père ont eu envie de prendre un apéro et qu'ils ont trouvé les bouteilles de cidre format 33 centilitres que je garde pour certains weekends. Ce détail m'émeut. Je les imagine très bien s'installant devant la télé, avec un verre de cidre chacun et des noix de cajou, regardant les infos avant le dîner. C'est un de leurs rituels et je suis ravie qu'ils aient trouvé un moment de détente dans cette dure journée.
On est samedi et mon frère et ma sœur m'envoient des SMS. Jean m'annonce qu'il m'apportera des journaux demain. Je lis et je regarde la télé, enchaînant les dessins animés des enfants avec le film sanglant des adultes sur Canal +. Les médecins passent et m'annoncent que ma cicatrice est belle (pour une cicatrice, j'imagine) et que l'opération s'est bien passée.
Pour être franche, même si je ne sens plus ce poids lourd, la cicatrice me gêne. Ça fait mal et mes intestins n'ont pas encore repris le travail. J'espérais me remettre plus vite. Oh, tant pis : je suis tellement contente d'être opérée !
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