Chapitre 5 : Arracher le voile

C'est déjà jeudi? 

Bonjour à tous.tes ! Comment allez vous alors que le soleil frappe de nouveau nos vies et nos cœurs et que les jours fériés viennent ensoleillé notre mois de mai? 

Personnellement j'ai eu une petite phase de désœuvrement en début de semaine où je ne savais pas quoi faire, qu'écrire, qu'imaginer. ça fait un moment que je n'ai pas écris sur LDMR mais je ne m'inquiète pas outre-mesure : c'est très moi d'avoir une folie productive et un blanc de quelques jours/mois/semaines. Il faut juste que je le mette à profit et j'ai enfin trouvé comment ! 

Et puis vous avez le droit à ce chapitre en avance parce que bon, jour férié déjà. Et je viens de torturer ma petite Penny (son anti-puce a coulé sur son poile, elle a léché, je l'ai lavé, je lui ai rincé la bouche : imaginez le drame absolu) et BON je suis seule livrée à moi-même et donc faible c'est assez connu je pense ! 

De ce fait bonne lecture à tous.tes <3 

*** 

Chapitre 5 : Arracher le voile 

Antho avait été d'une gracieuse sagesse les jours qui avaient suivi.

Elle l'avait vu dans le sourire que son père lui avait adressé avant de présider le conseil qui se réunissait dans l'atrium du palais, et dans le regard grave et satisfait de sa mère lorsqu'elle avait achevé le morceau de lyre qu'elle avait joué à la demande de Gratius, dux de Gabies – et à la recherche active d'une épouse. Elle avait douloureusement conscience de se donner littéralement en spectacle. Ce n'était ni digne de son rang ni d'elle : qu'avait-elle à prouver en se parant de ses plus beaux bijoux et en laissant ses doigts tirer les plus belles mélodies de ses cordes ? Mais à présent qu'elle avait accepté cette voie, elle ne pouvait plus reculer. Non, Antho avait cessé de rêver au recul, au retour en arrière de manière illusoire. De la même manière qu'elle n'avait pas pu empêcher sa poitrine de se développer lors de ses jeunes années, elle ne pouvait pas empêcher son mariage d'avoir lieu à présent. Le tout était de se préparer, bien mieux qu'elle l'avait été pour devenir la jeune fille qu'elle était. La toute jeune vierge tremblait ; il était hors de question que la femme en fasse de même.

Réprimant un soupir derrière ses dents, Antho trouva un manteau de laine assez sombre pour se fondre dans la nuit dans son coffre et se dépêcha de s'en envelopper. La lune s'était levée depuis longtemps. La pleine lune de printemps, celle qu'attendaient tous les duces réunis à Albe pour honorer Jupiter. Le grand sacrifice aurait lieu demain. Toute la journée, elle avait suivi docilement les délégations pour choisir l'animal qu'on porterait sur l'autel. Presque chaque délégation avait ramené son taureau, mais tous s'étaient accordé sur la magnifique bête de Lavinium, d'un blanc éclatant et aux féroces yeux rouges prêts à vous arracher l'âme.

Ses pieds restaient douloureux à force d'avoir piétiner toute la journée, mais Antho s'efforça de se mettre dessus pour avancer. Elle tira le rideau de sa chambre et s'assura qu'aucune chandelle ou torche ne brillait dans les corridors avant de se glisser dans l'obscurité. Elle laissa une main sur le mur pour se repérer. Fort heureusement pour elle, elle avait tellement exploré chacun des recoins du palais pour les connaître par cœur. Ses entrailles se nouèrent lorsqu'elle perçut la lueur d'une flamme découpant l'ouverture d'une chambre ... Celle de ses parents.

Oh non.

Antho se colla contre le mur, le sang battant à ses tempes. Son cœur cognait si fort : il était impossible que ses parents ne l'entendent pas, il devait faire vibrer les pierres derrière elle. Son souffle se bloqua dans sa poitrine lorsque la voix de sa mère lui parvint :

— ... a été délicieuse. Gratius demande d'ores et déjà sa main ...

Oh non, se répéta-t-elle lorsqu'elle comprit que non seulement elle était le sujet de leur conversation mais qu'en plus elle était associée à cet homme dont l'haleine viciée l'avait forcée à courir chercher sa lyre. Son cœur demeura muet tant que son père ne lâcha pas brutalement :

— Gratius peut aller demander celle de Jupiter. A quoi pense-t-il ? C'est Albe qui a fondé Gabies du temps de mon grand-père. Il pense sincèrement que je donnerai ma fille à une cité qui nous est subordonnée depuis sa création ?

— Envisage alors Lavinium ...

— Nous en avons déjà parlé, c'est non. Il a déjà deux fils. Non seulement ceux d'Antho ne régneront pas mais ils seront en danger ...

— Le conseil va perdre patience, Amulius. Tu tergiverses. Je sais qu'à tes yeux personne ne sera assez bien pour notre fille et pourtant il nous faut bien prendre une décision. La cérémonie est demain ... ils ne resteront plus que quelques jours pour achever ...

— Le but de leur venue n'était pas de faire un immense concours de prétendants pour Antho, répliqua durement Amulius. Les Etrusques osent de plus en plus s'aventurer par-delà le Tibre, et Tibur réfléchit sérieusement à s'allier avec les sabins. Je ne me suis pas battu depuis cinq ans pour que le Latium finisse englouti par ces deux puissances. Il faut qu'Albe les force à tous collaborer. C'est pour ça que j'ai pris les armes, sans cesse pendant cinq longs printemps. Pour tous les mater, leur taper sur le crâne jusqu'à ce qu'ils entendent raison. Le vrai ennemi est de l'autre côté du Tibre. Et il faut s'allier pour lui faire face.

— Et l'alliance passe par la main de ta fille.

— Ils sont plus d'une vingtaine, Callidice, je ne peux pas la couper en vingt ! Non, le mariage d'Antho n'est pas le cœur de cette réunion ...

Antho en aurait défailli de soulagement. C'était sans compter sa mère. Consternée, elle siffla :

— Tu es d'une telle froideur et d'un tel charisme dans tous les aspects de ta vie mais ce que tu peux être déraisonnable lorsqu'il s'agit de ta fille ! C'est de toi qu'elle tient ça ! Je dirais même que c'est à cause de toi qu'elle est comme ça ! Comme si elle avait le choix, comme si elle pouvait éviter son mariage d'une pirouette ! Ce n'est pas ça qu'on vous demande, Amulius ! Soit le princeps avec ta fille, au nom de Zeus.

Il eut un très long silence, un silence abattu. Il s'infiltra dans les pores de la peau d'Antho. Elle perçut toutes les nuances de l'acceptation de son père dans ce mutisme et ses espoirs se ratatinèrent dans sa poitrine.

— Rappelle-moi qui est ce Zeus ? rebondit plutôt Amulius plutôt que de s'appesantir sur sa défaite.

— Veux-tu vraiment entendre l'histoire ou simplement de changer de sujet ?

— Je ne me lasserai jamais de tes histoires Callidice ...

La tentative était mauvaise. Pourtant, sa mère gloussa. Et lorsque le rire se déploya et résonna contre les murs, Antho fila pour profiter que l'hilarité couvre ses pas. Lorsqu'elle arriva au fond du corridor, personne ne la suivait. Elle posa une main sur sa poitrine pour contenir son soulagement. Très vite, elle perçut la lueur tremblante de la lune sur les mosaïques de l'atrium – luxe que c'était payé son père sitôt arrivé au pouvoir pour qu'enfin sa résidence soit à la mesure des ambitions d'Albe, faisant même venir un ouvrier Etrusque pour se faire. Osant à peine respirer, Antho traversa l'atrium et sursauta lorsque les toits déversèrent quelques gouttes de la pluie qui était tombée plus tôt dans le bassin central. Chaque son était sinistre lorsque le soleil était couché. Mais alors l'éclat d'une voix, lui, la paralysa sur place. Surtout lorsqu'elle enrobait son prénom.

— Antho ?

Prise de court, la jeune fille se retourna. Dans l'une des ouvertures de l'atrium qui menaient aux chambres se tenait un domestique si elle en croyait sa simple tunique de laine grise. Elle faillit gémir lorsqu'il s'avança dans l'atrium et la lumière froide de la nuit éclaira ses cheveux blonds et son long visage achevé d'un menton pointu.

— Faustulus ...

— C'est le milieu de la nuit qu'est-ce que tu fais ?

— Rien ... Tu ne m'as pas vue !

Elle fit volte-face et espéra secrètement l'ordre impérieux réduirait Faustulus au silence et au secret ... Elle avait oublié deux choses : il avait grandi avec elle dans ce palais et la seule personne qui l'intimidait réellement était son père. La piqûre de rappel se fit sous la forme d'une main qui s'enroula compulsivement autour de son bras.

— Quoi ? Non ! Non Antho, tu ne vas pas m'obliger à mentir au princeps !

— Mais qui a parlé de mentir ? rétorqua Antho, agacée. Retourne laver les céramiques, tu ne risque pas d'y croiser mon père !

Mais Faustulus ne fut pas le moins du monde impressionné, ni par le souvenir de son rang ni par la façon dont elle redressait le menton. Elle aurait tellement voulu, à l'instar de Silvia, hériter des prunelles ambrées de Procas qui d'un regard figeait quiconque la croisait !

— Je jouais avec Lausus, petit, articula lentement Faustulus. Crois-moi je n'ai aucune envie de finir comme lui.

Antho détestait qu'on évoque Lausus. Encore plus depuis que son imagination avait trouvé la force de surmonter son déni. La sensation qu'elle portait une partie du crime de son père avec son silence et son acceptation s'était abattu sur sa poitrine avec la force d'un coup de poing. Et pourtant aussi fort fut-il, il échoua à briser l'amour qui avait gonflé dans sa poitrine en l'entendant la défendre face à sa mère ... Elle se dégagea vertement de l'étreinte de Faustulus avant de pointer un doigt sur son nez. La façon dont il loucha dessus lui parut du meilleur des augures.

— C'est ce qui risque de t'arriver je dis à mon père que tu as osé me toucher.

— Mais je n'ai pas ...

— Si tu l'as fait. Laissons-le interpréter cela comme il l'entend ...

La menace parut assez crédible pour qu'une étincelle craintive explose dans les iris de Faustulus. Il cessa de loucher et recula prudemment d'un pas, l'air vaguement blessé par les allégations mensongères qu'Antho était prête à proférer en cas de trahison. Sans rien promettre, avec un regard brûlant de dépit, il recula dans la nuit jusqu'à disparaître et la pression se relâcha sur la poitrine d'Antho. Elle n'attendit pas de craindre d'être à nouveau découverte : elle se précipita par l'entrée des domestiques de l'autre côté du palais et à son tour, se fondit dans l'obscurité.

Les rues d'Albe bordées de huttes de torchis et de bois, tracées dans la terre battue, étaient calmes et apaisées par le clair de lune. Les arbres se balançaient langoureusement, agitée par une légère brise et les clapotis du lac berçaient la cité endormie. Et comme toujours la maison des louves détonnait : silencieuse le jour, elle s'animait la nuit comme son animal totem. Une chandelle brillait sous son porche et sa lumière dansait sur la louve gravée sur porte. Assise en tailleurs sous le toit, Laurentia observait la nuit de ses grands yeux bruns, les mains toujours posées sur son ventre qui, de l'avis d'Antho, avait encore pris en masse depuis leur première et dernière rencontre. La petite flamme soulignait l'éclat doré de sa chevelure et effaçait presque les tâches de son qui parsemaient son visage. Son nez se fronça lorsqu'elle entendit le bruissement des pas d'Antho sur l'herbe. Son dos se décolla du mur sans pour autant qu'elle ne bondisse sur ses pieds.

— Quelqu'un vient ? claironna-t-elle d'une voix charmante.

Antho posa une main sur son cœur qui battait la chamade dès que la maison était apparue dans son champ de vision. Son premier plan avait été d'imiter l'itinéraire qu'elle avait emprunté la dernière fois en passant par l'arrière ... mais après s'être assurée que personne d'autre qu'elle n'approchait de la maison, elle décida de changer de stratégie et s'émerger du mur qui la dissimulait.

— Pas de passe pour moi, merci bien.

Laurentia dressa un sourcil lorsqu'Antho s'approcha et trouva au fond d'elle le courage de gravir les quelques marches qui les séparaient. Une couverture en très mauvais état couvrait ses épaules et des restes de galette d'orge gisaient entre ses jambes repliées.

— Non c'est clair, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour toi, princesse, soupira Laurentia en époussetant sa couverture. Alors que nous vaut ta présence ?

Antho ouvrit la bouche pour répondre, avant de la refermer aussi sec. Les derniers mots qu'elles avaient échangé – ou plus précisément, qu'elle lui avait craché à la figure – flottaient entre elles. Elle les vit danser dans le regard presque froid que Laurentia darda sur elle. Je ne suis pas une louve, avait-t-elle affirmé, transie de peur et de dégoût. Alors que faisait-elle de nouveau sur le pas de leur porte ?

Elle voulut faire une nouvelle tentative, mais se retrouva réduite une nouvelle fois au silence quand ses oreilles s'ouvrirent. La seconde de silence avait suffi pour qu'elle perçoive enfin les sons qui jaillissaient des murs : des purs cris animales, à mi-chemin de la jouissance et de la douleur, accompagnés de râles et de gémissements. Son visage s'empourpra furieusement. Ce serait mentir que de dire que c'était une première, de pareils bruitages pouvaient parfois hanter les couleurs du palais ... mais ils étaient isolés, étouffés par l'impérieux besoin de discrétions. Le seul endroit où l'on pouvait réellement donner de la voix sans restriction, elle venait d'y poser les pieds ... Heureusement, Laurentia parut sentir son malaise et tourna légèrement la tête vers l'intérieur de la maison, un petit sourire aux lèvres.

— Oui, c'est plutôt actif avec tous ses hommes qui ont quitté leurs femmes ... Je suppose que tu préfèrerais ne pas les croiser ?

Plutôt que d'ouvrir la bouche au risque de sa voix soit transformée en couinement, Antho hocha plusieurs fois la tête. Laurentia parut hésiter, et la scruta un moment, l'air d'attendre qu'elle prenne ses jambes à son cou. Antho ne bougea pas. Pour être honnête, c'était certainement parce que les sons lui coupaient les jambes.

— Tu as l'air plus déterminée, remarqua-t-elle, la tête penchée sur son épaule. Enfin prête à écouter la louve ?

— Je n'ai pas voulu t'insulter la dernière fois ...

— Non mais tu as raison, tu n'es pas une louve. Pourtant je te l'assure, nues comme au premier jour nous sommes les mêmes et sous un homme nous réagissons de la même manière.

— Laurentia ...

Ainsi le couinement fut sorti, étranglant le nom de la jeune femme. Laurentia leva les yeux et la dévisagea quelques secondes sans bouger d'un pouce. Les cris devenaient insoutenables pour la princesse qui se mit à trépigner nerveusement. L'agacement contre la louve statique commençait à enfler dans sa poitrine quand celle-ci lâcha placidement :

— Je veux bien me lever et qu'on s'éloigne. Mais j'ai un ventre immense et pesant qui m'encombre plus que de raison, j'ai besoin d'aide pour me relever.

— Oh ! Pardon ...

Aussitôt, elle se pencha pour attraper le bras de la jeune femme et la relever. Une fois sur ses pieds, Laurentia était étrangement vive et souple. Pieds nus, elle dégringola les quelques marches avec dextérité et s'avança dans la pénombre avec un geste de la main pour inciter Antho à la suivre. La jeune fille masqua son soulagement de s'éloigner de la maison – et surtout que leur conversation ait lieu à l'extérieur, avec la nuit qui les enveloppait et les dissimulaient à tous. Elles firent quelques pas jusqu'à atteindre la rive du lac qui arrivaient à exister dans l'obscurité en captant en mille éclat la lumière unique de la lune.

— Tu sais, entonna Laurentia avec sourire, il y avait pas mal d'hommes jeunes et inconnus qui sont venus ces derniers temps. Certainement certains des prétendants à ta main ...

L'idée dérangea profondément Antho. Puis elle se souvint de cet autre malaise face à Galeria, la matrone des louves qui l'avait accueillie en détresse, et du sourire entendu qui avait retroussé ses lèvres lorsqu'elle avait évoqué Amulius. « Mieux vaut ne pas provoquer son ire, il est épouvantable quand il est en colère » avait-t-elle lâché en promettant de garder le secret de sa visite. Une vérité alors ignorée totalement, mais si évidente avait alors éclaté aux yeux d'Antho : son père avait visité les louves. Cette louve. Et si son père si mesuré, capable en toute circonstance de maîtriser le moindre de ses instincts, avait un jour céder à ses désirs, c'était que le commun des mortels ne s'en privait pas ...

— Beaucoup ? demanda-t-elle du bout des lèvres.

— Je ne sais pas vraiment, je ne suis pas sollicitée. Galeria me confine dans le garde-manger pour faire notre inventaire, je les vois simplement défiler, et encore ... (Elle adressa un sourire mutin à Antho). Mais je peux me renseigner auprès de mes compagnes pour te trouver l'amant le plus doux et leur demander de leur apprendre deux ou trois choses pour te contenter toi ...

Dire qu'elle avait rougi devait être bien au-deçà de la vérité et malgré la fraicheur de la nuit, Antho éprouva le besoin de s'éventer. Le geste la trahit mais Laurentia eut le bon goût de regarder ailleurs.

— Je pense que je suis prête à ... parler, énonça Antho dans un filet de voix.

— A la bonne heure. De quoi donc ?

Elle semblait donc déterminée à lui faire payer son langage d'alors. La bouche d'Antho s'assécha brutalement et elle feignit d'être aspirée par la beauté du paysage. A présent que ses yeux étaient habitués à l'obscurité, elle parvenait à distinguer les sommets arrondis des monts albains et légèrement sur les pentes, naturellement surélevé, le foyer de Vesta étincelait de tous ses feux. Avec les tâches orangées qui dansaient sur les colonnes et se mêlant à l'éclairage argentée de la lune, il brillait comme un phare destiné à tous les guider.

— Antho, je ne peux vraiment t'aider si tu ne me dis pas clairement ce qui t'effraie, la pressa Laurentia dans un soupir, avant de faire quelques vagues gestes de la main. C'est bien d'avoir trouvé la force de ne pas fuir, mais à présent il faut ouvrir la bouche ... Enfin, je pense avoir cerné l'essentiel ... La première nuit ?

La première nuit, et toutes celles qui suivront ... Une bouffée d'angoisse menaça de la faire suffoquer, et elle expia tout l'air de ses poumons pour se maîtriser.

— C'est sans doute plus global que simplement la première nuit ... simplement la peur d'avoir mal ... (Elle se râcla la gorge alors que les mots se bousculaient sur ses lèvres). C'est terrifiant l'idée que le jour où mon père donnera ma main à homme, je cesserai de m'appartenir ... Autant l'autorité de mon père me semble naturelle : il m'a engendré, donné la vie et ...

— Navrée de briser tes rêves, mais ça c'était ta mère.

— Je le sais bien, se rattrapa Antho, les joues échauffées. Et je la respecte infiniment pour cela, d'autant que tout ce qu'elle a accompli ... je m'en sens incapable. C'est très simple : je me sens incapable d'être une femme.

Laurentia lui jeta un regard oblique. Contrairement au foyer de Vesta, son visage demeurait flou et noyé dans la nuit.

— Et tu viens demander à une louve la meilleure manière de devenir une femme ? Alors que je n'en suis pas une moi-même ?

Antho resta muette de perplexité, avant de mécaniquement baisser les yeux sur le ventre proéminent de Laurentia. Lors de sa première tentative, c'était la première chose qui était entrée dans la pièce, la seule chose qu'Antho avait réellement intégré tant ce ventre faisait de Laurentia le choix parfait pour la conseiller. Sa douceur l'avait amené à baisser la garde, avant que la détresse ne l'angoisse de nouveau lorsque la conversation s'était resserrée sur son intimité. Elle avait songé à son père s'il la trouvait là, à la déception dans son regard de chercher les mots d'une femme tellement aux antipodes de son rang. Sur les rives du lac, la pression d'être découverte s'envolait et sa poitrine si comprimée sur le seuil de la maison des louves s'ouvrait à présent.

Laurentia sourit et caressa la courbe de sa silhouette avec tendresse.

— Ah ... ça oui, je te l'accorde, ça a changé la donne pour moi. C'est le propre d'une femme de donner la vie ... c'est réellement ce qui nous uni toutes. Avant de la sentir grouiller dans mon sein, je n'avais pas réellement conscience d'être une femme.

— Avec tous les hommes que tu as connus ... ?

— C'est une façon si mignonne de le dire, se moqua gentiment Laurentia. Oui j'en ai vu des hommes. J'en ai appris des choses, avec, sur, et en dessous d'eux, ou en parlant avec mes compagnes. Je sais les contenter, je sais les écouter, mais à aucun moment je me suis réellement senti femme à leurs côtés.

Laurentia marqua une pause, le visage levé vers le ciel l'air songeur. Cela paraissait la première fois qu'elle prenait le temps de réfléchir à ces questions.

— Je suppose que j'étais davantage comme un mur sur lequel on se fracasse aveuglement et qui écoute ce que personne d'autre ne veut écouter, évalua-t-elle dans un haussement d'épaule flegmatique. Une sorte de créature plus animée par l'habitude que par la vie.

Comme Silvia, songea Antho avec un pincement au cœur. Machinalement, elle infléchit leur direction pour les éloigner du lac. Elle se revoyait, paniquée sur les galets, rattraper sa cousine en furie prête à s'y jeter pour couler tout au fond. Mais contrairement à Silvia, Laurentia n'avait connu que cet état et ne semblait pas réellement en tenir rigueur au destin. Un sourire flottait même sur ses lèvres.

— Ce n'est pas par ta première nuit que tu vas devenir une femme. Je ne pense pas que le fond soit différent d'une passe et crois-moi ça n'opère aucun profond bouleversement sur ce que tu es.

C'était affirmé avec tant de simplicité et Antho s'efforça de croire en l'expérience de cette louve, même si elle ne sentait pas femme, même si leurs vies ne seraient jamais comparables ... elle voulait s'accrocher à l'espoir qui brillait dans sa promesse.

— Mais est-ce que ce sera comme moi le fait de porter un enfant ? s'interrogea-t-elle tout haut en enveloppant son ventre de ses deux bras. Honnêtement je suis incapable de dire si ça m'a bouleversé ... en revanche je peux t'assurer que je n'ai jamais ressenti autant de bonheur que depuis que je suis enceinte.

— Malgré le fait que tu n'arrives plus à te lever toute seule ?

Laurentia s'esclaffa doucement.

— Et que toute femme risque la mort en enfantant, parfaitement ! (Elle sourit, d'un simple sourire qui à lui seul éclaira son visage bien plus efficacement que la pleine lune). Tu as peur de ne plus t'appartenir mais moi j'ai rêvé de cette vie que j'aimerais plus que la mienne. J'ai regardé toutes les femmes d'Albe se marier, enfanter et avoir cette vie, cette vie de femme qui m'était interdite parce que j'offrais mon corps à leurs maris et leurs fils, parce que je n'étais pas, en quelques sorte. Avec cet enfant, j'ai enfin l'impression d'être et d'avoir à la fois. Je serais mère et j'aurais mon bébé.

C'était une si belle façon de voir les choses. Sans doute que Silvia aurait le même discours, avec une teinte plus fataliste. C'était véritablement la pensée de celles qui ne pouvaient pas être mère. Et en leur nom, Antho se trouvait bien égoïste de se plaindre ... et pourtant elle aussi subissait les choix que le destin avait fait pour elle.

— Je sais que tout le monde ne pense pas comme ça, ajouta-t-elle, comme si elle lisait ses pensées. J'ai des compagnes qui ont préféré boire les décoctions de Galeria ou se frapper plutôt que d'avoir leur enfant, ou qui l'ont exposé ... Parce qu'elles n'en voulaient pas, ou parce qu'elles estimaient que n'ayant pas de vie nous-mêmes, nous n'étions pas dignes de leur en donner une.

— Et tu ne crains pas cela ?

— Un peu, avoua Laurentia, les sourcils légèrement froncés. C'est pour ça que j'espère que ce sera un garçon. Tout est plus facile pour les hommes ... Eux ont le droit au choix de leur destinée.

— Je pense que ça dépend des hommes, estima prudemment Antho. Mon père ... il a toujours été imprégné d'un profond sens du devoir. Sincèrement ça dicte absolument tous les aspects de sa vie ... Il est aliéné à Albe, à son bien-être, à son rayonnement. Ça lui broie absolument toutes ses forces. Il va jusqu'à ignorer les besoins primordiaux – dormir, manger ...

— Oh ! C'est donc le devoir qui l'a poussé à chasser son frère ?

Antho pinça des lèvres et se refusa à répondre. L'image floue et déformée de Lausus flottait dans son esprit, et pourtant elle n'arrivait pas à se détacher de sa profonde conviction que là encore c'était l'émanation du sens du devoir d'Amulius. Il n'avait cherché ni la gloire personnelle, ni l'humiliation de Numitor. Mais l'idée de laisser Albe dépérir, perdre son influence sur ses territoires et être réduite en cendre l'avait rendu malade. Antho était jeune, mais elle se souvenait encore des longues nuits d'hésitations d'Amulius, à moitié à faire ses bagages pour partir vers le sud et la patrie de Callidice qu'il avait tant aimé, à moitié en train de comploter avec le conseil pour déposer son frère. Là encore ce n'était que le devoir et la profonde conscience du bien de la région qui le poussait à lui trouver un époux.

— Très bien, un sujet encore plus sensible, devina Laurentia.

— Tu es clairvoyante.

— Tu serais surprise de constater à quel point c'est une immense partie de mon activité. Contenter les hommes est presque secondaire par rapport au fait de les comprendre. On en revient donc à ta première nuit ?

Antho enfouit son visage dans ses mains et Laurentia rit de nouveau, la tête rejetée vers l'arrière. Ses longs cheveux blonds ruisselaient librement sur ses épaules et balayaient sa clavicule laissée découverte par la couverture. Elle la redressa distraitement sur son épaule pour se protéger de la brise.

— Moi qui pensais que tu étais prête à parler ...

— Disons qu'il faut que je parle plus que j'en ai envie ... (Elle repoussa une mèche échappée de sa tresse derrière son oreille). Si ta première nuit ne t'a pas bouleversé, c'est que tu as été préparée ... et si au fond ce n'est pas vraiment différent ...

— Disons que je ne vois pas mille façons de faire tomber une femme enceinte.

Les images qui saturaient son esprit n'avaient rien de reluisants. Les murmures qu'elle avait perçu au palais et pire, les cris qui avaient éclaté ses tympans à travers les murs de la maison des louves ne lui avaient en aucun cas parut plaisant. Elle ne voulait en aucun cas associé un visuel à ces bruits. Elle voulait continuer de faire tomber un voile flou sur cet aspect de sa vie ... mais c'était justement ce voile qui amenait la peur et la détresse. Il était temps de prendre sur elle et de l'arracher.

— Je pense que j'ai besoin de savoir ce qui m'attend, concéda-t-elle, vaincue. Pour que l'angoisse cesse ...

— Plus tu serais tendue, plus ce sera douloureux pour toi, confirma Laurentia avec tranquillité. C'est l'une des premières choses qu'on m'a appris. Ça n'a pas à être douloureux. D'ailleurs si on est assez bien préparée et détendue, on peut parfois se laisser emporter et prendre plaisir.

— Plaisir ?

Les yeux de Laurentia étincelèrent et elle tourna le visage de trois-quarts vers Antho. Dans la pénombre son sourire ressortait d'autant plus. Elle avait un léger interstice entre ses deux dents de devant, un écart assez conséquent qui pourtant n'enlevait rien à son charme.

— Oui, je suppose que la notion t'ait inconnu... C'est triste, ça peut être agréable. Le devoir conjugal n'est pas qu'une douleur constante pour la femme. Galeria dit même que le plaisir féminin est indispensable pour concevoir ...

— Par les dieux ...

— Vénus pour être précise.

— Qui ?

— Et je suppose que tu n'as jamais glissé ta main entre tes jambes pour savoir ce qu'il y avait ?

— Où ?

Laurentia poussa un profond soupir en plantant un poing sur sa hanche, visiblement épuisée d'avance de la tâche qui l'attendait avec l'apprentissage de cette toute jeune qui refusait de ne plus s'appartenir, mais qui dans le même temps ignorait l'essentiel de sa personne. Comment s'appartenir quand on ne se connaissait pas ? Comment pouvait-t-elle songer à offrir à un époux des zones d'elle dont elle ignorait tout ? Laurentia leva les yeux vers la lune et ses cheveux ondulèrent sur la couverture trouée déployée sur ses épaules.

— Bel astre, suspens ton cours. Une nuit ne suffira pas ... 

***

Je vous écoute pour votre verdict ! 

En le relisant, je me suis dis que ce chapitre était une petite faiblesse et qu'il faudrait sérieusement que je le retravaille pour lui donner plus d'enjeu et de dynamisme. Mais peut-être que je me trompe? En tout cas je vous écoute avec la plus grande attention ! 

Je n'ai pas de points méthodo, simplement un rappel : on est dans un système pré-romain déjà ultra patriarcal, je fais du mieux que je peux avec la matière que j'ai ! 

A vendredi prochain ! 

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