CHAPITRE 3 (Partie 2)

Living a life of misery
Always there, just underneath
Haunting me, quietly alone
It's killing me, It's killing me
Dead and gone, what's done is done

Black Veil Brides, Goodbye Agony

La musique provenant de l'autoradio emplissait tout l'habitacle, aucun de nous ne voulait prendre la parole. Mes doigts pianotaient sur le volant au rythme de la mélodie. Dehors, les gouttes de pluie s'écrasaient sur le pare-brise, rapidement dégageaient par les essuies-glasses. De temps à autre, je jetais un regard dans le rétroviseur intérieur. Nous avons installé le métamorphe sur la banquette arrière, qui continuait à ronfler comme un bien heureux.

— Tu les as sauvés.

Finalement, Jay avait fini par rompre la barrière invisible qui s'est installée entre nous, depuis que nous sommes sortis du bureau d'Isabelle.

— Quoi ?

— Tu as sauvé ce métamorphe et indirectement Isabelle. Si tu n'étais pas intervenu, qui sait ce que ces deux-là seraient devenus.

— J'ai juste fait, ce pourquoi on m'a entraîné depuis des années.

De nouveau le silence revient entre nous, avant d'être de nouveau interrompu par le trentenaire.

— Larren m'a dit que tu avais reçu une éducation...comment dire...des plus rigoureuses.

Je ricanai. Une éducation des plus rigoureuse. On ne pouvait pas trouver mieux comme euphémisme.

— On va dire ça comme ça, affirmai-je avec un rictus désabusé.

— Tu es toujours jalouse de Larren.

C'était plus une affirmation qu'une question. Je serrai le volant, jusqu'à ce que mes jointures blanchissent et serrai les dents.

Oui. Non. Je ne sais pas.

Mes pensées fusaient dans tous les sens, incohérentes, insaisissable et volatiles.

Pour moi, Larren était à la fois mon model et mon bourreau. Ma mère m'a toujours élevé dans l'optique d'être meilleure que mon demi-frère, de le surpasser aussi bien dans un combat que dans mes études. Évidemment, suite à ce bourrage de crâne, j'ai développé une jalousie maladive à l'encontre de Larren. Cela me gangrénait de l'intérieur, et faisait pourrir ce qu'il restait de bon chez moi. Je ne supportais pas de le voir me dépasser et réussir là où j'échouai. Je me forçai et m'entraîner à être meilleure que lui, dans l'espoir d'avoir enfin la reconnaissance de ma mère.

— Alors ? J'ai raison ?

Mon mutisme avait confirmé son idée.

— Quoi ?

— Ta jalousie pour Larren. Tu sais, je ne suis pas dupe. Je vois que tu culpabilises, et dans le même temps, tu ne supportes pas que l'on te compare à ton demi-frère.

Je préférai me taire, continuant à serrer le volant entre mes doigts qui craquèrent sous la pression exercée.

Il avait raison, mais cela, je me garderai bien de le lui dire.

— Comment tu te sens ? me demanda-t-il en changeant de sujet, voyant que je ne lui répondais pas.

— Je vais bien.

Un ange passa entre nous, puis deux, puis finalement, c'est tout le Paradis qui s'y mettait.

— Tu as... As-tu déjà tué ? demanda-t-il hésitant.

Je fronçai les sourcils, ne voyant pas où il voulait en venir avec sa question.

Ou peut-être bien que si me dis-je en jetant rapidement un coup d'œil vers lui.

— Oui.

Ma réponse brève et sobre, attira son attention vers moi.

— Je veux dire...des innocents ?

Un flash me revient, celui d'un petit garçon à peine âgé de cinq ans au jolies boucles blondes, et aux grand yeux marron.

Je me fustigeai intérieurement, remettant mes pensées en place et me concentrant sur la route.

— Oui.

Mes lèvres s'étaient d'elle-même délié. Inconsciemment, je voulais que Jay arrête de me voir comme une fille mentalement fragile et instable ayant perdu son demi-frère. Mais voulais-je vraiment, à contrario, qu'il me voit comme un monstre ?

Le monde était loin d'être innocent, nous avons tous en nous une part de ténèbres qui ne demandais qu'à s'exprimer. Certains cèdent plus rapidement que d'autres. Même les enfants sont parfois terribles entre eux. Une meute de loup enragé s'attaquant aux plus faibles d'entre eux, au mieux, à coups de moqueries, et au pire, à passage à tabac. Pour moi, l'innocence était bannie de ce monde depuis longtemps, rongé par la cupidité, la soif de pouvoir et l'égoïsme.

- Je suis une mercenaire. Du moins, je suis issue d'une famille de mercenaire, me justifiai-je, Jay pas un bisounours. On me payait pour tuer ou kidnapper. J'ai été élevé et entraîné pour faire le sale boulot pour des puissants, ne voulant pas se salir les mains.

Dire que j'avais honte de ce que je faisais, serais mentir. Je n'étais ni fière ni honteuse de mes capacités, c'était pour moi, un boulot comme un autre, au même titre que celui de serveuse.

Est-ce que les morts que j'avais vu périr sous la main de mes parents m'habitaient ? Non. Pour moi, tuer n'était autre qu'une besogne que l'on s'acquitte de temps à autre. Une corvée de même acabit, que celui de sortir les poubelles. Je trouvais cela presque normal.

Est-ce que cela faisait de moi une psychopathe ?

Peut-être.

— Je sais.

C'était son unique réponse, avant qu'il posa sa tête contre la vitre et sombrait dans les bras de Morphée.

Je me retrouvais dans une cave que je ne connaissais que trop bien. La lumière grésillant de l'ampoule baignait la pièce d'une lueur jaunâtre, lugubre et fantomatique. L'humidité suintait à travers les murs recouverts de crasses et de moisissures. Le sol bétonné était froid sous mes pieds nus et cela me tira quelques frissons. Cette pièce me terrifier, aussi bien dans la réalité que dans les songes. J'avançai à pas prudent, toujours devant moi, glissant sur le sol lisse. Les bruits des gouttes tombant au sol se répercutèrent sur les quatre murs, provoquant ainsi une mélodie sordide. Le silence pesant et lourd fut brisé par les sanglots d'un enfant. Je me rapprochai de ses sanglots, à chaque pas que je faisais, mon corps se tendit de lui-même. Inconsciemment, je savais ce qu'il se trouvait, et ce qu'il allait s'en suivre. J'avais revécu des centaines de fois cette scène de ma vie, qui je crois me hanterais jusqu'à la fin.

Je continuais ma progression dans cette semi-obscurité et finis par tomber sur mes parents. Mon père et ma mère étaient penchés l'un près de l'autre, chuchotant des paroles rendues inaudibles à cause des sanglots de l'enfant.

— Maman, papa. Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je

Ma voix était plus aiguë qu'à l'ordinaire, sûrement parce qu'elle provenait d'un corps d'une petite fille qui venait à peine d'entamer sa dixième année de vie sur Terre.

Je me rappelais exactement de ce que je portais ce soir-là. J'avais passé un col-roulé en laine noir, par-dessus mon ensemble de pyjamas bleu, celui avec des nuages et des croissants de lune. J'avais les cheveux attachés dans une queue-de-cheval haute, malgré quelques mèches tentai de se soustraire à l'emprise de mon élastique et retombait sur mon visage poupin.

J'avais l'air tellement innocente, à cette instant, les yeux encore plein de sommeil, les doigts tachetés de peinture, à cause du dessin que je voulais offrir à mon frère, et un peu de bave qui avait séchait aux coins de mes lèvres laissant une trainée blanche.

Je ne le savais pas encore, mais ce jour-là, j'étais morte.

Tout comme l'enfant.

— Ce n'est rien ma chérie, me répondit mon père de sa voix douce, celle qui me rassurait quand je ramenais une mauvaise note et devais ensuite affronter ma mère. Il passa ensuite sa main dans ma queue-de-cheval. Tout va bien. On voulait simplement te parler ma grande.

Par réflexe, je relevai les yeux vers ma mère, se tenant derrière lui, elle  avait plissé les yeux et m'observait à la fois sévèrement et avec beaucoup de mépris. J'étais sa fille et pourtant, je n'étais jamais assez digne pour elle, tous les efforts que je faisais n'était jamais suffisant pour elle.

— Ne la ménage pas, Charles.

L'injonction de ma mère avait claqué comme un coup du tonnerre, dans la cave, et comme pour ce dernier, le roulement des syllabes se répercutaient sur les murs.

— C'est encore une petite fille, Sonyia.

— Plus pour longtemps. On en a déjà discuté, tu sais très bien que si on fait cela, c'est pour elle. Pour son avenir. Elle ne sera jamais en sécurité, nulle part sur terre, ni même en Enfer.

— Je sais, et j'en suis conscient.

— Laisse moi faire, ça ira beaucoup plus vite.

— Izraïl, reprit-elle, son ton grave et sérieux me fit rentrer la tête dans mes épaules, comme si elle s'apprêtait à me gronder pour je ne sais quelles bêtises que j'ai faites. Tu es une grande fille. Ce que tu t'apprêtes à faire et pour beaucoup immorale, et passible de la peine de mort. Mais, dans notre cas, dans ton cas, il s'agit de ta survie, Izraïl. Si on t'a appris à manier des armes et à te défendre, c'est pour te préparer à ton avenir. Tu ne seras jamais, jamais, en sécurité ici ou ailleurs. Alors pour une fois, arrête d'en faire à ta tête et écoute-moi. Tue-moi cette enfant, harangua ma mère.

L'enfant en question se tenait à l'autre bout de la pièce replié dans un coin sombre que même la lueur glauque de l'ampoule n'arrivait pas à éclairer. J'avais du mal à distinguer sa silhouette, et quand je fis un pas vers lui pour m'approcher, je pus discerner ces quelques traits. Il semblait plus jeune que moi, sans doute venait-il d'atteindre à peine ces cinq ans, de jolie boucle blonde encadraient son visage, ses grands yeux marron remplis d'incompréhension et de peur, brillaient des larmes qu'il avait versé et avait par la même occasion rougis ses joues. Ses sanglots avaient tari, ses larmes avaient séché et il était calme, seuls ses iris reflétaient les tourbillons d'émotions qui le traversaient

— Mais... mais c'est un enfant, m'indignai-je

— Ce n'est pas un enfant, Izra, m'expliqua mon père.

— Regarde-le bien, regarde-le au fond de ces yeux et qu'est-ce que tu vois ? Dis mois ce que tu vois ? me cria ma mère.

J'observai de nouveau l'enfant, je ne vis rien qui me choquait. Je jetai un nouveau coup d'œil à ma mère. Celle-ci ne fait que de me pousser encore plus vers lui. C'est là que je vis les canines qui perçaient de sa gencive et qui dépassaient de ses lèvres rosées. C'était un vampire.

Je déglutis nerveusement. Je comprenais enfin pourquoi ma mère voulait que je le tue. Ce n'étais plus un enfant, mais un démon dans le corps d'un enfant. Lorsque je croisai le regard, du petit garçon, je lus dans ces yeux qu'ils avaient enfin compris pourquoi j'étais là.

La question était, allais-je réellement tuer ce garçon à peine plus jeune que moi ?

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