OS - Les maux

« Tu t'effaces au profit des autres Jim... »

La phrase faisait sens et vint comme allumer une lumière dans le brouillard de ses pensées. C'était ça. C'était exactement ça. Il s'était toujours effacé au profit de son entourage. Et ça ne l'avait jamais dérangé jusqu'ici, ça le rendait même heureux de les voir sourire et faire ce qu'ils aiment. Bien sûr, il espérait secrètement qu'un jour, l'un de ses « amis » fasse la même chose pour lui, s'intéresse vraiment à celui qu'il était, à ce qu'il voulait dans la vie et l'encourage à le faire, sacrifie un peu de son temps pour le rendre heureux. Mais ça n'arrivait jamais. C'était toujours lui. Toujours lui qui donnait de son temps et même parfois de son argent pour le bonheur de son entourage.

Il avait espéré, il avait cru Taehyung capable de faire ça pour lui. De s'intéresser un peu à son bonheur. Il l'avait fait au début, il en était presque sûr...

Mais aujourd'hui ça ne suffisait pas. Ça ne suffisait plus. Il ne supportait plus de s'effacer autant. Il ne supportait plus que le blond le gomme.

Il ne supportait plus ses longs monologues de plaintes, ses remarques désobligeantes, sa façon de toujours faire ce dont il avait envie, sans se préoccuper de ce que pouvait ressentir les autres, de savoir si ça les dérangeait. Cette façon qu'il avait de l'interrompre dans ses activités, qu'elles qu'elle soient, comme si ce qu'il faisait n'avait aucune espèce d'importance. Cette façon qu'il avait de l'interrompre lorsqu'il parlait pour lui parler de son boulot. Encore. Il avait cette désagréable sensation de disparaitre lentement sous les yeux de celui qu'il avait aimé. De celui qui disait l'aimer. Il devrait pourtant être important pour lui. Il devrait être intéressant. Ne s'inquiétait-il pas de le voir rentré les yeux rouges, d'avoir pleuré dans la voiture, l'humeur massacrante, la voix tremblante ? Il ne s'inquiétait pas lorsque, à bout, il l'envoyait balader pour des raisons idiotes ? Il ne s'inquiétait pas lorsqu'il était si froid avec lui qu'un blizzard aurait pu le réchauffer ?

Non. Il ne faisait rien de tout ça. Il se contentait de faire ce qu'il avait toujours fait. Il ne savait même plus si c'était une façon pour le blond de se protéger, impuissant ou si simplement il n'avait rien remarqué.

Il était fatigué. Fatigué et en colère. Une colère froide, qui prenait peu à peu toute la place dans sa tête et dans sa vie. Colère qu'il reportait sur les autres, incapable de tenir tête à la raison de sa souffrance. Il en a envie pourtant. Il a vraiment envie de tout lui dire. Tout lui balancer à la tronche comme ça, qu'il se rende enfin compte que son ignorance et son indifférence le détruisaient à petit feu. Mais il en est incapable. Et ça fait des mois que ça dure. Il a réagi pourtant, ses pensées sombres l'ayant presque tué un soir... Il avait réagi, avait contacté un psychologue qu'il voyait toutes les semaines depuis 6 mois maintenant. 6 mois qu'il répète les mêmes choses.

Au début, il cherchait un moyen d'amener le problème calmement. Et il avait presque réussi. Un soir, juste avant de dormir, Tae avait eu l'audace de lui reprocher de ne plus faire d'efforts au lit. Et les mots étaient sortis. Du moins en parti. Il avait tenté de lui expliquer que c'était de sa faute. Qu'il ne se sentait pas écouté, pas soutenu, pas aimé. Il avait eu l'air de le comprendre sur le coup. Il avait l'air désolé.
Pourtant aujourd'hui, rien n'avait changé. C'était toujours ce même ton condescendant qu'il employait lorsqu'il lui « donnait des conseils », toujours ces mêmes plaintes, toujours ces mêmes monologues sur son travail... Et Jimin s'effaçait. Encore et toujours. Il se laissait bouffer pour son mal-être, les mots ne parvenant pas à franchir la barrière de son esprit.

Aujourd'hui il le savait. Il l'avait enfin compris. Il n'y aurait pas de gentillesse. Il n'y aurait pas de compréhension. Il n'y aurait tout simplement pas de discussion. Il fallait que ça pète. Les mots devenaient de plus en plus envahissants. Hurlant dans sa tête. Il savait pertinemment qu'ils feraient des dégâts lorsqu'ils sortiraient. Il s'en voulait déjà. Tae ne savait rien. Il avait eu des signes, mais il n'était pas capable de les traduire. Ses mots allaient tomber comme une bombe dans sa vie. Et il n'aurait aucun moyen de réparer les dégâts. Jimin le savait. Il était bien trop tard pour Tae. Les mots coincés dans sa gorge avaient fait beaucoup trop de dégâts à son cœur. Et il n'y avait plus de place pour Tae.

Ce soir, il rentrerait. Et comme d'habitude Tae lui parlera de son travail, de ses problèmes avec untel ou untel, et il l'écoutera à moitié. Et enfin, il lui demandera comment s'est passé sa journée. C'était à ce moment là qu'il devra lui dire. Il devra lui dire que sa journée s'est mal passée. Et que ce n'est pas la première fois. Et que tout ça c'est de sa faute. Qu'il n'en a rien à foutre de ses histoires de boulot et qu'eux deux c'est fini. Et il comptait sur la colère pour foutre les mots hors de sa tête.

Mais la colère ne fut pas suffisante. Les mots restèrent, une fois encore, bloqués dans sa gorge. Abimant le peu de respect qu'il avait pour lui-même. Encore une fois, il l'avait écouté parlé. Encore une fois il avait menti à la sempiternelle question « Et sinon, comment s'est passé ta journée ? ». Il avait simplement répondu « Bien. ». Et Taehyung avait poursuivi avec une de ses histoires sans intérêts, sans remarquer le léger tremblement de la voix de son compagnon. Sans remarquer la faiblesse de son sourire. Sans remarquer que ses yeux n'avaient pas daignés se lever vers les siens.

Non, ce ne fut pas la colère qui libéra Jimin.

Les mots, coincés dans sa tête et sa gorge depuis des mois, étaient tous si bien entassés qu'ils ne pouvaient plus sortir. Pas sans un effort presque surhumain de sa part. Alors, un dimanche après-midi, alors que Tae le rejoignait sur le canapé et qu'il lui demanda si ça allait, Jimin répondit non. Un simple non. Et Tae lui demanda pourquoi. Et Jimin su à cet instant qu'il devait faire sortir ses maux.

Il lui fallut trois minutes. Trois longues minutes de combat interne. Trois longues minutes pour se convaincre qu'il avait assez souffert seul. Trois longues minutes pour rassembler son courage et pousser les mots dehors.

Et ils sortirent. Tant bien que mal. Tous ces mots, griffant, mordant, hurlant dans son esprit. Bataillant pour sortir. Cognant ses dents, brûlant sa langue, griffant sa gorge pour finalement mourir sur ses lèvres à peine ouvertes. Cette tempête d'émotions fustigeant chaque parcelle de son crâne. 

La bataille fut longue, la tempête fit rage et les mots sortirent enfin. Égorgeant, éventrant, éviscérant dans leur monologue funèbre, arrachant les larmes et détruisant les rêves. Leurs rêves.

Lorsque le dernier mot fut sorti de son crâne, il n'y eu plus rien. Rien qu'un étrange calme. Plus aucune émotion. Plus aucune goutte de pluie. Pas le moindre murmure de vent. Plus rien.

Pourtant, il aurait dû être triste. Triste d'avoir laissée cette arme terrifiante qu'est le discours sortir de son cerveau douloureux. Il aurait dû s'en vouloir de la laisser exploser dans les mains de son conjoint. Il aurait dû regretter de ne pas avoir su maîtriser suffisamment son maniement, la laissant entailler profondément le cœur de son amant. Il aurait dû redouter ce qu'elle avait créé. Mais rien de tout ça ne vint. Il ne ressentit rien. Et enfin, il put poser la tête sur son épaule et observer le brouillard se lever. Il laissa la lumière envahir son crâne et mettre à jour le désastre que son discours informulé avait causé. Passé et futur mélangés, jonchant le sol de son esprit, ne permettant aucune interprétation, aucune préparation à ce qui allait arriver maintenant.

Il ne savait pas. Et pour la première fois de sa vie, il l'accepta. Il ne savait pas ce que ses mots, si longtemps enfermés, avaient causés à son conjoint. Il ne savait pas si ceux-ci étaient suffisamment puissants pour l'aider ou au contraire trop dévastateurs pour le détruire. Et il ne s'en préoccupait pas. Ils étaient enfin sortis. Ils n'allaient plus jamais lui faire de mal. Et c'était tout ce qui comptait. Oh il savait que d'autres viendraient les remplacer un jour ou l'autre. Il savait que certains se glisseraient sournoisement dans son esprit au détour d'une conversation. Il savait que certains sortiraient de leurs cellules et cracheraient à nouveau leur venin poisseux dans le méandre de ses pensées. Il savait tout ça. Mais en cet instant, la tête posée sur l'épaule de celui qu'il venait de détruire, il ne ressentait rien. Et bien que cette sensation fut étrange, elle fut agréable.

Et Taehyung pleura.

« Et malgré tout ce que je viens de te dire, même si tu changeais du tout au tout, je ne sais pas si ce serait suffisant pour me faire rester... »


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Merci de m'avoir lue ! 

Je suis ouverte aux critiques : faites vous plaiz'  ;) 

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