8 mai 2044 - Village de Calchester

Isaac regardait avec tendresse le visage endormi de Nessa. Ses cheveux roux s'étalaient sur l'oreiller et quelques mèches tombaient sur ses paupières closes. Un drap fin recouvrait son corps nu, mais il pouvait distinguer la naissance de sa poitrine et ses belles courbes. Il ne saurait dire combien de temps il était resté là, immobile, à l'admirer. Elle avait l'air si paisible et si sereine malgré la bataille qui s'annonçait.

La belle finit cependant par ouvrir les yeux. Elle papillonna, passa une main fatiguée sur son visage avant de fixer à son tour le sorcier. Son cœur fondit en le voyant sourire et ses lèvres s'étirèrent en un sourire béat. Alors que l'elfe avait peur que'Isaac ait des regrets pour la veille, ce dernier approcha sa main pour caresser sa joue puis son épaule.

— Alors ce n'était pas un rêve ? chuchota-t-elle innocemment.

— Non, répondit simplement le sorcier en se penchant pour l'embrasser tendrement.

Nessa sourit contre ses lèvres et se laissa envelopper par la douce sensation de chaleur que lui procurait le contact de son amant.

— Grâce à toi j'ai pu surmonter mes anciens démons. Je ne sais pas si je serais capable tout de suite d'accepter le contact des autres, mais je suis sûr d'une chose : je ne pourrais plus me passer de toi, murmura Isaac.

Touchée par cette déclaration, l'elfe se serra contre le torse de son bien-aimé. Soudain, quelqu'un toqua à la porte et Nessa se redressa immédiatement.

— C'est sûrement mon frère, je vais aller voir.

Ils s'habillèrent rapidement et la jeune femme ouvrit la porte. Comme elle l'avait pressenti, Toron se trouvait derrière. Il ne fit aucune remarque ou sourire, mais l'elfe pouvait sentir la joie de son jumeau pour elle.

— Le soleil se lève, nous devons nous tenir prêts, s'exclama-t-il.

~

Une fois sortie de la chambre, la bulle d'amour et de sérénité explosa et fut remplacée par l'ambiance pesante du village. Le plan avait été minutieusement préparé et répété, mais tous ne pouvaient s'empêcher d'appréhender la confrontation. Les enfants et les personnes fragiles avaient été mis en sécurité loin de l'entrée du village. La solution aérosol de coquelicot était prête à être déployée pour contrer les effets du virus et, dans le doute, chaque combattant avait ingéré une décoction de cette fleur.

Lorsque les deux villageois responsables d'observer les alentours à l'aide de jumelles arrivèrent en courant, le plan se mit à exécution. Les archers se postèrent sur les toits des maisons. Zack ainsi qu'une dizaine d'hommes s'armèrent d'épées. Pendant quelques minutes, ils attendirent, les mains tremblantes sur le manche de leurs armes. À la vue de trois silhouettes filiformes et d'un essaim de points noirs au-dessus d'eux, le petit groupe s'avança d'un pas.

— Soyez fort mes amis, souffla Logan.

Après des regards complices et des hochements de tête, ils reportèrent leur attention pleine de détermination droit devant eux. Isaac s'attarda quelques secondes de plus sur Nessa et lui offrit un petit sourire qu'elle lui rendit. Il aurait voulu faire plus, la serrer dans ses bras ou même l'embrasser, mais ce n'était pas le moment.

Alors qu'Evy fit tourner ses deux dagues entre ses doigts, Logan débuta sa transformation. Il ôta l'ensemble de ses vêtements et ses os se mirent à craquer. Il poussa des grognements d'animal et se plia en deux. En quelques secondes, son corps était devenu celui d'un loup deux fois plus gros que la normale. Ses poils gris se hérissèrent, ses yeux noisette pétillèrent de rage et ses dents claquèrent d'impatience.

Sous le regard de Nessa qui se tenait près de son frère, leurs lances à la main, Isaac enleva son t-shirt. Il ferma les yeux et serra les poings. Il murmura quelques mots à plusieurs reprises : "Le feu. La vie. L'amour". Soudain ses bras s'enflammèrent et il ouvrit les yeux. Les flammes semblaient danser autour de lui sans le toucher et la peau pâle de son torse scintillait.

À l'arrivée des trois créatures, tout s'enchaîna très vite. Les archers décochèrent leurs premières flèches alors que la fumée de coquelicot fut répandue au-dessus du village. Les créatures, qui, jusque-là, semblaient très calmes, hurlèrent. Leurs gueules remplies de petites dents s'ouvrirent et les papillons noirs se précipitèrent à l'intérieur. Ils n'eurent même pas le temps de comprendre ce qui venait de se passer que les abominations tournèrent leurs regards noirs pleins de rage vers les villageois et la bataille débuta.

Zack ordonna à trois de ses camarades de préparer un nouvel aérosol d'antidote alors qu'il dédaignait son épée. Sous les yeux horrifiés de tous, seul un de ces hommes atteignit la maison du chef du village. Les créatures semblèrent comprendre, l'une d'elle s'était précipité et avait, en une fraction de seconde, fendu l'air des ses longues griffes. Comme si leur chair n'était qu'un vulgaire morceau de beurre, les corps des deux villageois s'ouvrirent en deux au niveau du ventre. Leurs visages se figèrent dans un hurlement et ils tombèrent sans vie sur le sol, leurs organes et leurs sangs se répandant autour d'eux. Le dernier villageois s'arrêta un instant les traits déformés par la peur, mais Zack lui hurla de continuer. Sortant de sa stupeur il esquiva de justesse une nouvelle attaque et parvint à rentrer de justesse dans la maison.

Arme au poing, Evy hurla de rage pour attirer l'attention de la créature. Une fois ses yeux noirs fixés sur elle, la vampire exécuta un coup de dague qui aurait entaillé l'abdomen de la bête si elle n'avait pas bondi en arrière assez vite. Pendant que l'abomination reprenait ses appuis, Logan s'élança, gueule grande ouverte, pour planter ses crocs dans sa gorge. Il suffit seulement d'un vif mouvement de tête de la créature pour repousser le loup qui vint s'écraser sur le sol. Quelques gouttes de sang rouge vif perlaient de sa blessure, mais elle ne semblait pas souffrir. Evy retroussa ses lèvres. Ses canines scintillèrent, blanches et aiguisées. Son adversaire donna un coup de patte avec vivacité et agilité, mais la vampire esquiva son coup, se mouvant avec rapidité sur le sol pavé. Alors que Logan secouait la tête pour reprendre ses esprits, Evy prit l'offensive. Elle feinta à droite avant de s'accroupir en faisant glisser sa lame le long de sa jambe, lui lacérant sa peau grisâtre. Cette fois-ci, la créature posa un genou au sol et sembla légèrement ébranlée par cette blessure. Logan et Evy en profitèrent pour attaquer en même temps. Alors que le loup sauta sur la créature pour lui planter ses griffes dans la poitrine, Evy enfonça sa dague dans son cou. Les griffes de Logan pénétrèrent avec profondeur et il se laissa emporter par la gravité pour l'entailler jusqu'au bas du ventre. L'attaque avait été si vive que la créature peina à réagir, elle battit des pattes pour tenter de balayer ses attaquants. La lame d'Evy s'était plantée dans une des blessures que Logan lui avait infligées quelques minutes plus tôt et lorsqu'elle dut la retirer pour bondir au sol, esquivant les griffes de la créature, un jet de sang jaillit. Avec l'aide de deux villageois, ils achevèrent la créature à coups de lames et de griffes.

Ces derniers attaquèrent à l'unisson une des créatures. Celle-ci esquiva avec facilité les coups de lames alors que ses yeux ne quittaient pas Isaac. Le sorcier observait les mouvements de la bête, espérant repérer une quelconque faiblesse, mais il n'en vit aucune. Semblant se lasser de ses attaquants, elle donna deux trois coups de griffes qui suffit à les faire tomber. Isaac profita de cet instant d'inattention pour s'élancer. Ses muscles bandés et ses bras enflammés, il porta deux coups de poing derrière ses genoux. Il réprima un cri de douleur. Il lui sembla rentrer en contact avec un bloc de pierre. La créature fit volte-face et ouvrit sa gueule, pleine de dents pointues, dans sa direction. Isaac bondit en arrière, évitant de justesse la force de sa mâchoire. Avec rapidité, elle riposta d'un coup de griffe qui atteint l'avant-bras du sorcier malgré sa tentative d'esquive.

En difficulté, Isaac exécuta plusieurs pirouettes pour se mettre hors de portée de la créature. Il comprit qu'il ne pourrait pas la battre au corps à corps, ne disposant pas de la force d'un vampire ou d'un loup. Avec maîtrise, il esquissa des mouvements de bras et forma des sphères de feu qu'il envoya sur la créature. Elle réussit à en éviter quelques-unes, mais un projectile s'écrasa sur son épaule. Les flammes ne firent pas que brûler la peau mais semblèrent s'étendre dans tout son corps comme une traînée de poudre. L'abomination grogna et trancha de ses griffes une nouvelle boule de feu. Des étincelles rouges et orange furent alors projetées. Isaac se protégea de ses bras alors que la créature hurlait de douleur. Ses yeux noirs étaient en train de brûler et elle tomba au sol. Le sorcier fit un signe de la main à un villageois qui lui lança son épée. Au contact de sa main enflammée, le métal s'échauffa jusqu'à devenir rouge. Isaac leva l'arme au-dessus de sa tête et l'abattit avec force dans l'abdomen de la créature.

Les jumeaux se concentrèrent sur la dernière créature. Nessa attaqua par la droite alors que Toron se glissa à sa gauche. Les deux elfes exécutaient leurs mouvements en parfaite synchronisation. Ils étaient le parfait reflet l'un de l'autre. Devant la taille de leur adversaire, les jumeaux plantèrent leurs lances dans les genoux de la bête. Cette dernière riposta par des coups de griffes, déterminée à faucher leurs jambes, mais les deux elfes bondirent avec facilité hors de portée. S'en suivit un enchaînement de coups puissants. Lorsque Toron ou Nessa transperçaient de leurs lances c'était avec la force de deux êtres, leur flux de vie étant étroitement lié et partagé durant cette bataille. Alors que Nessa attaquait la créature sur son flanc droit, elle fut propulsée à quelques mètres de là par un coup de griffe. Toron fit abstraction de la douleur lacérante qu'il sentait sur son épaule gauche et s'élança. Il prit appui sur un rebord de pierre pour bondir à hauteur de la tête de la créature. Là, il poussa un hurlement de rage et planta son arme dans le cou de la bête. La lance la transperça et elle s'effondra sur le sol. L'elfe effectua une roulade qui lui permit d'amortir sa chute à lui aussi. Il se releva rapidement et aida sa soeur à se remettre sur ses pieds elle aussi, un sourire victorieux sur les lèvres.

La joie d'avoir gagné ne dura que quelques instants. Un bourdonnement se fit entendre et soudain, des corps morts des créatures sortirent les papillons. Les combattants eurent tout juste le temps de nouer leurs foulards sur leur nez et leur bouche que les formes floues fondirent sur eux. Se battre contre des créatures de plus de deux mètres de hauteur était chose facile en comparaison à des cibles mouvantes pas plus grosses qu'une pièce de monnaie. Les coups de lance des jumeaux ne faisaient que les éloigner un instant et les flammes d'Isaac ne semblaient même pas les brûler. Malgré la rapidité de leurs mouvements, Evy avait réussi à défendre Logan jusqu'à ce que ce dernier reprennent forme humaine. Nu comme un ver, trois griffures lui barrait le torse et du sang était étalé autour de sa bouche. Il saisit avec hâte le foulard supplémentaire attaché à la ceinture de son amie pour se protéger.

Ils se débattirent vainement contre les papillons qui, comme des abeilles, leur tournaient autour attendant une occasion d'infecter quelqu'un. 

— Zack ! hurla Isaac. Il nous faut la fumée.

— Elle sera prête dans trois minutes, répondit le chef du village qui venait de donner un coup de lame dans l'air pour faire fuir les insectes.

Soudainement, les ombres noires se désintéressèrent des villageois et la panique envahit le petit groupe. Ils ne devaient pas laisser partir les papillons sinon le virus ne serait jamais arrêté. Ils tentèrent alors de leur barrer la route, de les contenir dans le village, mais rien ne semblait fonctionner. Zack abandonna soudainement la lutte pour se poster au centre de la place de pavé gris. Il monta sur un banc et après une grande inspiration il retira son foulard.

— Allez venez ! s'écria-t-il.

Certains auraient pensé à un acte de bravoure, d'autres à une simple décision stupide, mais quoi qu'il en soit, les yeux de Zack montraient qu'il était prêt à affronter son destin. Comme si les papillons avaient senti la présence d'un hôte, ils changèrent de direction et se précipitèrent vers le chef du village.

— Faites fonctionner ce foutu aérosol ! ordonna-t-il avant d'ouvrir les bras et de fermer les yeux. 

Il retint sa respiration, s'accrochant aux quelques secondes de vie qu'il lui restait. L'espoir d'anéantir ce virus, de sauver son village et tant d'autres lui permettait de tenir alors que son visage devenait rouge par le manque d'air. Isaac s'élança à l'intérieur de la maison où il trouva un villageois qui finalisait, de ses mains tremblantes, le dispositif. Dans son élan de rage et précipitation, le sorcier poussa le pauvre homme et déclencha la sortie du nuage de fumée rouge. Il ne resta pas plus longtemps dans la pièce et se rua à l'extérieur. Cette fois-ci les papillons ne purent pas fuir et tombèrent comme des mouches au contact de l'aérosol, mais ils ne furent pas les seuls à s'effondrer. Zack avait tenu aussi longtemps que possible, mais il avait fini par ouvrir la bouche. Alors que des cris de surprise et des sanglots commençaient déjà à se faire entendre, Nessa se précipita au pied du banc. Entouré par les centaines de papillons morts, le corps de Zack, se colorant de bleu, gisait là, lui aussi. Dans sa chute, sa fiole d'antidote s'était brisée et sans la réactivité de l'elfe il aurait probablement été condamné. Les mains tremblantes, Nessa lui fit boire le liquide légèrement rosé. Son souffle se coupa quelques instants alors qu'elle observait, les yeux brillants, le corps de Zack. Elle poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle constata l'arrêt de la propagation de l'azur sur ses membres. 

— Tu es sauvé, murmura-t-elle à Zack.

Elle se releva et se tourna vers le reste de ses amis.

— Il est vivant, répéta-t-elle dans un soupir de soulagement.

Logan se tourna vers la plus proche de lui ; Evy. Il la serra dans ses bras, exprimant sa joie de leur victoire. La vampire, surprise, posa timidement ses mains poisseuses de sang et de crasse dans le dos du loup. Elle tenta de faire abstraction de sa nudité mais ne put s'empêcher de rougir. Ceci n'échappa pas à Toron qui rit devant de cette scène.

L'affrontement avait été dur, beaucoup étaient ressortis blessés, et plusieurs avaient même perdu la vie mais grâce aux sacrifices et à leurs forces combinés, les créatures et le virus avaient été anéantis. Ils avaient gagné.