Chapitre 1 : Éclore

21 mars 2044

La vieille femme souleva sa robe pour enjamber un petit muret de pierres calcinées et continua sa route avec hâte. Elle n'eût pas un seul regard pour les ruines d'Argo derrière elle. Ce château qui avait été si beau à l'époque n'était désormais plus qu'un tas de pierres où s'entremêlaient ronces et mauvaises herbes. À la fin de la guerre, personne n'avait osé revenir sur ce site synonyme de malheur et de chaos. Mais cela ne l'effrayait pas et elle traversa sans crainte les décombres.

Dans la nuit silencieuse flottait sa longue cape en velours violet et ses mèches argentées scintillaient sous les rayons blanchâtres de la lune. Aussi silencieuse et effrayante qu'un spectre, elle arriva à destination sans croiser âme qui vive.

La vieille femme regardait avec fierté l'énorme coquille grise qui se trouvait devant elle. Elle y avait consacré les vingt dernières années de sa vie et désormais, le jour tant attendu était arrivé. Soulevant sa longue robe de ses mains osseuses, elle s'avança. Elle abaissa son capuchon ce qui révéla ses longs cheveux gris tressés avec précision et un visage marqué par les années. Posant la paume de sa main droite sur la surface froide, elle ferma les yeux. Soudain, l'enveloppe craqua sous ses doigts. Ses lèvres fines s'étirèrent en un sourire, elle recula d'un pas et observa de ses prunelles améthystes le merveilleux spectacle qui allait commencer.

Des petites fissures recouvrèrent très vite l'ensemble de l'œuf et elle perçut enfin un faible battement de cœur. Alors que les palpitations se firent plus fortes, l'impatience prit naissance dans son ventre pour se diffuser dans tout son corps. Cette bouffée de chaleur lui procura une joie intense.

Tout à coup, un puissant grognement retentit et la coquille explosa. La vieille femme se couvrit le visage pour se protéger des morceaux épais et tranchants, mais reporta rapidement son attention sur sa création. L'œuf n'était désormais plus qu'une boule de matière visqueuse. Une odeur nauséabonde s'échappa et imprégna la spectatrice qui n'en fut pas le moins du monde écoeurée. Elle pouvait maintenant entendre un souffle rauque et distinguer, sous l'épaisse, mais translucide enveloppe, une silhouette sombre. Celle-ci ne bougea pas pendant plusieurs minutes, puis elle se mit soudainement en mouvement. Ce qui semblait être ses membres frappèrent contre la paroi qui la retenait prisonnière. Il ne faisait que déformer la couche gluante, alors la vieille femme porta sa main à sa bouche et envoya une flammèche violette.

Cette étincelle eut pour effet de donner de la force à la créature qui parvint enfin à percer l'enveloppe. Un bras recouvert d'une peau dans différents tons de gris émergea. Ses griffes faisaient plusieurs centimètres et semblaient aussi tranchantes que des couteaux aiguisés.

Rapidement la créature fut entièrement délivrée et se tenait haletante au milieu des débris de coquille.

— Lève-toi, ordonna durement la vieille femme, les yeux pétillants.

Ses os craquèrent, il se déplia pour enfin se tenir debout. Il atteignait les deux mètres et surplombait la silhouette maigrichonne de la femme. Mais celle-ci n'avait pas peur, loin de là. Elle leva les yeux vers lui et l'observa avec attention.

Son corps maigre aux différentes nuances de gris et de noir ressemblait à celui d'un homme, mais il avait, à l'extrémité de ses membres, de longues griffes semblables à des lames de couteaux. De multiples épines sombres recouvraient son dos et de grosses cornes sur son crâne partaient vers l'arrière. Les yeux de la créature étaient d'un noir profond difficilement discernable au milieu de sa tête de la même couleur.

Il était exactement comme elle le voulait : puissant. Ses yeux se posèrent ensuite sur les deux œufs restants et son sourire s'agrandit. Tout ne faisait que commencer.

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