Chapitre 2 - Les bomas


Le chantier comporte de multiples campements, outre le camp avancé qui s'éloigne de plus en plus de Tsavo avec la progression de la ligne.

La nuit suivante, un autre homme, cette fois dans ce camp avancé, est emporté à son tour. Un lion a éventré sa tente.

Les ouvriers sont épouvantés et Patterson, qui a déjà chassé le tigre en Inde mais dont ce n'est pas le métier, doit se mettre en chasse des lions sous peine de voir la panique générale submerger tout le monde. Ce n'est guère facile car les camps de toile, en plus d'être nombreux, sont dispersés.

Certains employés parlent déjà de s'en aller. Ce n'est pas comme ça que les travaux vont avancer !

Patterson multiplie les affûts, de nuit, avec force appâts, mais à chaque fois qu'il est dans un endroit, les lions attaquent ailleurs.

Toutes les nuits, c'est la même chose, et la liste des victimes s'allonge rapidement.

Au péril de sa vie, il va alors fouiller les broussailles de jour, risquant à chaque instant de voir un des mangeurs d'hommes lui sauter dessus.

A force de relever les traces des fauves, qui finissent à la rivière ou dans des rochers qui ne permettent pas de les suivre plus loin, il finit par se persuader que leur repaire se trouve sur l'autre rive. Mais où ?

Dans la nuit du 17 au 18 avril, ce sont deux hommes qui sont enlevés par les lions. Cette fois, c'en est trop pour les ouvriers, et Patterson doit faire face à une sorte d'émeute : ils ne veulent plus travailler.

Les vieilles histoires concernant la région de Tsavo ont ressurgi : pour les indigènes, c'est un endroit hanté par le Diable et ces deux lions n'en sont assurément pas : ce sont des shaitainis, des démons qui prennent l'aspect de lions et ils sont invulnérables, voilà la raison pour laquelle ils échappent aux traques et aux affûts de Patterson !

Il faut s'enfuir de ce lieu maudit avant d'être tous dévorés !

Patterson, tenaillé par les délais qui lui ont été impartis, doit lâcher du lest : il est évident qu'on ne peut plus continuer à travailler dans ces conditions. Aussi, des mesures visant à assurer la sécurité des campements sont prises : on va notamment construire autour de chaque camp ce que les peuplades africaines appellent des bomas.

Il s'agit d'épaisses barrières faites de broussailles épineuses impénétrables qu'on coupe dans la brousse et qu'on assemble entre elles pour former un cercle infranchissable autour des villages. Ce cercle est interrompu à un endroit par une sorte de porte qu'on peut fermer la nuit, elle aussi protégée par d'épaisses épines et ronces.

La muraille d'épines de la boma doit être suffisamment large et haute pour qu'un lion ne puisse pas la traverser ni qu'il puisse sauter par-dessus. La nuit, on allume des feux au centre de la boma pour, outre la protection des épineux, essayer d'effrayer les prédateurs.

Ce procédé a fait ses preuves en Afrique depuis des temps immémoriaux.

D'ailleurs, le camp-hôpital du chantier est, lui, depuis le début, entouré d'une boma et on n'a pas eu à y déplorer d'attaque de lion.

Les travaux du chemin de fer sont donc temporairement stoppés, le temps que chaque campement érige sa boma, sous la surveillance de Patterson qui s'emploie comme il peut à remonter le moral des troupes.

Il donne des ordres visant à interdire aux ouvriers de sortir des bomas pendant la nuit. Mais de toute façon, vu le contexte, qui y songerait ?

Puis le travail reprend. Le soir, chacun se hâte de regagner sa tente dans la boma.

Cette mesure a l'air de rassurer les ouvriers et, les premières nuits suivant l'édification des bomas, aucune disparition n'est signalée.

L'espoir renaît : les lions n'ont jusque là pas attaqué les ouvriers en plein jour, lorsqu'ils sont groupés. Alors, si l'on peut dormir tranquille...

Cependant, deux jours après, au matin du 20 avril, un ouvrier est porté disparu. On retrouve rapidement son corps, du moins ce qu'il en reste. Apparemment, il s'agissait d'un inconscient qui n'était pas rentré dans la protection d'une boma pendant la nuit !

Patterson réitère donc ses ordres. Il a foi en ces protections infranchissables.

Infranchissables pour des lions ordinaires.

Mais « Fantôme » et « Ténèbres » ne sont pas des lions ordinaires...


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