Chapitre 31
Nous voilà au restaurant. Le restaurant que m'a indiqué mon curieux interlocuteur.
Entourés de la population locale, des regards curieux nous observent sans cesse. Je me demande alors pourquoi il ne m'a pas dit de venir seule, vu que je me fondrais dans la masse. Car avec ce groupe, on est remarqué à trois kilomètres à la ronde. Mais c'était ses conditions, alors je les ai suivi.
Dans ce restaurant, en simple jean slim et un gros pull gris en cachemire, je semble faire tâche parmi les tenues des autres clients. Mais je n'y prête pas attention, tout comme les autres.
Quand notre commande arrive, je suis encore plus affamée que je ne le pensais. À l'aide de mes baguettes, j'attrape un maki au saumon avant de le tremper dans la sauce soja. Délicieux...
- C'est quoi ces choses ?
Lorsqu'on doit voir cela pour la première fois, je peux comprendre cette réaction. Et ceux qui m'accompagnent n'y font pas exception.
- Soupe Miso, Salade de chou, Sushi, Maki et brochettes de viande.
- On sait lire le menu, merci. Je parle du contenu.
- Des algues, du riz, du poisson, des légumes, du tofu, du fromage, du soja et de la viande.
- Des algues ? Le truc dans l'océan ?
- Oui, ça se mange.
Ils sont perplexes. Je bois à petites gorgé ma soupe avant de reprendre la parole.
- Moi, j'ai faim. Si ça ne vous plait pas, allez ailleurs.
Ils se décident finalement quand leur ventre cri au secours et ne sont pas déçus vu que je vois disparaître la totalité du plateau en quelques minutes. Leur salade et leur soupe subissent le même sort.
- J'en veux encore.
Alice m'exaspère mais je me propose quand un objet vibre dans la poche de mon jean.
- J'y vais.
Arrivée au comptoir, je commande un nouveau plateau géant de leurs spécialités.
- Nous serions venus à votre table Mademoiselle. Vous n'avez pas à vous déplacer.
- Merci mais ce n'est pas un souci, j'avais à me rendre par ici.
- Bien Mademoiselle. Votre commande arrive d'ici quelques minutes.
- Merci beaucoup.
Je sors le petit appareil noir de ma poche et ouvre le SMS que je viens de recevoir. Je regarde alors autour de moi essayant de deviner qui pourrait être mon inconnu du téléphone.
- Enchanté Jade.
Assis au comptoir se trouve un Japonais d'environ 25 ans. J'avais donc raison. Jeune pour son statut, signifie grand pouvoir.
Je ne vois que son profil droit et son visage est lisse comme une peau de bébé. Il porte un joli costume qui met son corps svelte en valeur.
- Enchanté Inconnu.
- Azuma Iokito.
- Qu'avez-vous décidé ?
- Vous êtes bien impatiente.
Il joue avec la paille de son cocktail.
- Considérez-vous que je sois un danger ? Nous retrouvons-nous ennemis ?
- Ennemis ? Non, pas encore. Un danger ? Oui, certainement. Comme votre groupe. Vous avez bien choisi vos amis.
- Comment ça ?
- Les plus puissants dans leurs catégories respectives, évidemment.
- Je ne les ai pas choisi. Ils ont fait leur propre choix.
- Je n'en doute pas mais vous restez un groupe devant être gardé à l'œil. Comme vous avez pu le constater, nos chers ennemis ne sont que peu présents sur ce territoire en raison de notre travail permanent et efficace. Votre arrivée ici pourrait remettre en cause tout cela. Quelque chose à dire ?
- Vous vous trompez. Je ne suis pas ici par hasard.
Il me montre finalement son visage entier en se tournant vers moi. Au contraire du côté droit, le gauche est entièrement brulé. Sa peau est abîmée à un point tel qu'on semble voir sous sa chair les veines qui le traversent. Seul son œil d'un noir aussi intense que le mien n'est pas touché par le ravage.
- Pourquoi êtes-vous là Jade ?
- Pour mettre fin à tout cela.
- Évidemment. Et comment vous comptez vous y prendre ?
- Je compte sur vous pour me le dire.
Il éclate d'un rire franc et boit une gorgée de sa boisson.
- Et pourquoi je ferais cela ? Le complexe aux États-Unis a fini en ruine. Et ses membres, n'en parlons pas... Je me passe de cette option pour le nôtre.
Je soupire. Je m'y attendais. Alden ne mentait pas. Ils sont vraiment en mauvaise position là-bas.
- C'est en effet une de mes qualités. Mais vous savez, je n'ai pas besoin de vous pour l'utiliser. Ici.
- C'est donc une menace ?
- Non. J'ai juste du mal à contrôler tout cela parfois et cela pourrait arriver ici... Malencontreusement.
- Je peux vous faire arrêter pour cela et vous faire renvoyer.
- Mais quels seront les dégâts ?
- Vous êtes bien la fille de Fujimi pour être une emmerdeuse pareil.
- C'est naturel dans notre famille.
- Je vois...
- Alors on est partenaire ?
Je lui tends ma main.
- J'y gagne quoi ?
- Je ne sais pas encore. Mais je sais que déjà vous perdrez moins. C'est un bon début, n'est-ce pas ?
Il me sert finalement la main et je remarque que celle-ci est aussi abîmée que son visage. Je suppose alors que son côté gauche entier est dans cet état. Je me demande pourquoi il n'a pas utilisé ses pouvoirs ou demander à l'un de ses chasseurs de le soigner. Peut-être pour paraître plus impressionnant ?
- Plutôt parce-qu'il s'agit d'un sort. Et que rien n'a fonctionné.
- Je suis désolée...
Je lui lâche la main en me traitant de stupide intérieurement.
- Vous me présenter à vos amis ? Ou je dois le faire moi-même ?
Il me sourit, sûrement amusé de ma gêne.
- Oui, bien sûr. Mais ne jouez pas trop sur le mot « ami ».
- Pourquoi cela ?
- Elle pense qu'on l'a trahit.
- Liam...
- Quoi Jade ? Je suis en train de raconter des bêtises, peut-être ? Tu ne nous adresses plus la parole depuis des jours. Parce-qu'on n'a pas fait ce que tu souhaitais car c'était irréalisable.
- Ce n'est pas pour ça.
Son ton est dur. Je fais face au Liam enragé. Et personne ne l'apprécie dans cet état. Il peut faire vraiment peur. Ce n'est pas mon cas. Mais je pourrais dire des choses que je ne devrais pas.
Je quitte mon siège.
- Azuma, voici Liam. Liam, il s'agit de notre interlocuteur japonais concernant vos guildes. Tu le présentera aux autres comme il se le doit.
- Et vous Mademoiselle Jade ?
- J'ai besoin d'aller me rafraîchir.
- Vous n'allez pas tout détruire au moins ?
- Non, pas que je sache.
Il essaie de me sortir de mon visage maintenant fermé. Je lui donne le seul sourire que j'ai maintenant en réserve. Le petit sourire simple et sans saveur. Puis je suis les indications.
Enfin dans les toilettes, assise dans l'une des cabines, je réfléchis en fixant la porte fermée devant moi. Au contraire des États-Unis, il n'y a aucun dessin, mots, numéro ou autre chose stupide que les gens marquent dans ce genre de lieu. Je fais juste face à une porte blanche.
On peut me trouver puérile de réagir comme cela. De leur en vouloir pour une mort qu'ils n'ont pas causé directement. C'est certain. Je me demande même parfois si je n'exagère pas et ne réagis pas comme une enfant et pas comme la jeune adulte que je suis censée être maintenant, depuis que je me trouve embarquée dans cette histoire folle.
Mais indirectement, ils ont une part de responsabilité. Je suis toujours aussi démunie qu'au premier jour ou presque niveau pouvoir. Et ils considèrent toujours la vie humaine comme si elle était insignifiante. Pas réellement importante. Qu'il s'agissait d'une mission et que les pertes étaient inévitables. Sans tout cela, j'aurais été plus amène de défendre Nissa. En fait, je n'aurais pas eu à le faire étant donné que je ne les aurais pas fui en premier lieu en raison de la désinvolture qu'ils affichaient.
Mais plus encore, je m'en veux à moi-même. D'avoir cru que j'y arriverais. De n'avoir rien pu ou su faire. D'être tombée dans la spirale des sentiments avec eux et de ressentir le besoin de leur présence autour de moi. Je suis plutôt du genre solitaire, car je me débrouille toujours mieux et également car ça m'évite de faire face à la réalité des choses et de me retrouver réduites en morceaux comme ma mère a pu l'être pendant de nombreuses années à cause de mon stupide père.
Elle l'aimait encore. Elle n'a jamais aimé que lui. Pourtant, je l'ai souvent vu pleurer à cause de lui. Elle était malheureuse rien que d'y penser. L'amour n'est pas censé apporter l'opposé de tout cela ? La joie, la bonne humeur, les rires, des sourires ? Mais surtout le bonheur ? Apparemment non. Du coup, il y avait moi et ma mère. Ainsi que Mack et Owlera, mes meilleurs amis. Je n'avais pas besoin de plus dans mon coeur. Et je n'en voulais pas. J'avoue avoir peur. Peur d'être malheureuse. C'est bête, n'est-ce pas ?
- C'est quoi qui te prends autant de temps le Dog ? Tu es constipée ?
- Ferme-là.
Je soupire de nouveau d'exaspération.
- Ton pote qui est arrivé comme par magie ici et nous a trouvé sans aucun souci, nous conduit chez eux !
Son ton d'abord suspicieux au début de sa phrase change radicalement à la fin. Elle est excitée à l'idée de découvrir les chasseurs d'ici apparemment.
- Super.
- Bouge-toi de là ou ils vont partir sans nous !
Maintenant, elle m'engueule sérieusement car je lui ferais rater son petit moment de joie.
- J'arrive. Laisse-moi maintenant.
J'entends la porte des toilettes se refermer et je sors de ma cabine. Au bord d'un lavabo, je laisse l'eau couler lentement entre mes doigts. Je me débarbouille finalement mon visage et me tapote les joues pour qu'elle retrouve un peu de couleurs.
Je les retrouve à l'extérieur du restaurant. Ils m'attendent. Adesh s'approche de moi mais je m'éloigne tout aussi vite pour me retrouver à côté d'Azumi. Les mains bien enfoncés dans les poches, je marche à ses côtés dans la ville plongée dans le noir depuis un moment. Nos souffles laissent des nuages de brumes sur notre passage. L'air humide et froid me fait trembloter.
Cette année, au Japon, le temps n'est pas au beau fixe. Même fin mars. Il fait encore très froid. Et bien qu'ayant prévu cela, on tremble tous de froid en traversant la ville. Sauf Azumi est insensible à cela et marche tranquillement dans son costume simplement recouvert d'un trench.
Une écharpe aussi douce que de la soie et un bonnet chaud atterrissent respectivement autour de mon cou et sur ma tête.
- C'est un temps à tomber malade pour les Américains que vous êtes.
- Merci.
- Je ne suis pas là pour vous laisser mourir, Jade.
- Merci... ?
- Ne me remerciez pas. C'est mon devoir. Et nous sommes chasseurs, on se doit de s'entraider.
- J'espère ne pas être traiter autrement quand cela ne sera plus le cas alors.
- Pardon ?
Notre groupe s'arrête instantanément quand Azumi rompt la cadence. Je me tourne vers lui, quelque pas plus loin.
- Ils ne vous l'ont pas dit ? Je ne compte pas le rester. Juste le temps qui est nécessaire.
- Mais pourquoi ?
Il me rejoint à grandes enjambés et nous continuons notre route.
- C'est si bizarre de ne pas en vouloir ?
Son regard en dit long.
- Et quand dit votre père ?
- Il ne le veut pas, je suppose. Mais qu'importe.
- C'est votre père !
- Je sais, que dans la culture japonaise, il y a un grand intérêt porter au respect des membres de sa famille. Mais je ne le suis que de naissance. Et mon père n'a jamais été présent pour moi. Son avis n'a donc pas à être pris en compte.
- C'est une chance que vous avez entre vos mains. Et malgré ma culture, en l'omettant, je ne comprends pas.
- Car vous n'êtes pas responsable de la mort de personnes. Car vous contrôlez ce que vous possédez. Car vous avez votre place dans ce monde dans lequel vous avez toujours vécu. Ce n'est pas mon cas. Ma vie est ici. Dans le monde. Le monde avec ses humains et leurs défauts.
- Mais vous risquez de perdre tout ce que vous avez partagé depuis que vous êtes parmi eux.
- Je le sais. Mais qui dit que ce n'est pas pour le mieux ?
- Vous parler d'eux ou de vous ?
- Peut-être bien des deux. Qu'importe.
- Cela importe au contraire. Plus que vous ne le pensez.
- Merci pour tout ça Azumi, mais j'ai fait mon choix depuis le premier jour où j'ai découvert cette autre part du monde.
- Je suis désolé pour vous.
- Ne le soyez pas. C'est mon choix.
- Ce n'est pas qu'on ne comprend pas le japonais, mais on ne comprend pas le japonais !
C'est au tour d'Adesh d'être furieux.
- Excusez-nous. Je manque à mon devoir d'hôte. C'est juste que parler ma langue naturelle est bien... me semble plus naturel !
- C'est compréhensible. Excusez-le.
- Il est déjà tout excusé, Mademoiselle Lysie. C'est moi qui est manqué de tact et de politesse.
Comme à New York et L.A., on se retrouve dans une ruelle malfamée. Il nous ouvre une porte que je n'avais pas remarqué et nous laisse le précéder.
Arrivés, on pousse tous une exclamation de surprise. On se retourne alors vers nous.
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