Chapitre 1 : La lumière du jour

Ça devait faire plusieurs jours que je broyais du noir ou des semaines, difficile à dire. Difficile à dire lorsque tes repères se limitent à l'obscurité. Et dans ces cas-là, peu d'option s'offrent à nous pour passer le temps. Alors j'ai mis au clair, mes pensées et mon histoire, pour m'en souvenir quand je sortirais de ce bateau, si ce jour arrivait.

Qu'est-ce qui a bien pu me prendre de quitter ma famille sur l'Île de braise pour partir à l'aventure au Royaume de la terre ? J'avais l'air bien fin recroquevillé dans la cale d'un bateau pirate. Surpris dans une bête embuscade, en me démenant, j'ai au moins réussi à faire en sorte que je sois le seul du groupe à me faire prendre. J'ai bien tenté de m'échapper, souvent, de manières différentes, mais ça n'a pas très bien marché. Mes bleus et courbatures s'en souvenaient encore. J'ai décidé d'arrêter. Pas par désespoir, mais par intérêt.

S'il y a une chose que les pirates aiment plus que tout, c'est l'or. Je n'étais pas une personne d'importance, ma valeur ne devait pas être incroyablement élevée, même si en tant que citoyen de la Nation du feu, je m'avérais être plus capable que la plupart des gens. Mais si je voulais quitter ce noir oppressant, et ce rafiot puant, je devais être vendu au plus vite. Et pour ça, il fallait que je sois au meilleur de ma forme pour être plus attrayant aux yeux des acheteurs. Une fois qu'un maitre aurais pris possession de moi, en espérant qu'il ne soit pas trop puissant, il aurait été bien plus facile de m'en défaire qu'une bande de pirates sur leur propre navire.

Sans compter mes tentatives d'évasions précédentes, le voyage n'était pas de tout repos. Il y avait finalement assez peu de prisonniers, en me basant sur ce que je pouvais me fier. On devait être assez espacés dans le bateau pour qu'on ne puisse pas se parler et encore moins s'allier. En revanche, l'odeur de vomi des détenus et des gardiens se propageait très bien dans la cale, et j'aurais pu m'en passer. À cause de l'odeur ambiante, du choc de la capture et des mouvements du bateau, les premiers temps, j'ai moi aussi eu besoin d'évacuer. Mais on apprends à s'y faire.

Les repas étaient servis de manière assez aléatoire, lorsque les pirates se trouvaient assez sobres pour se souvenir qu'ils détenaient des prisonniers. L'un d'eux arrivait avec une lanterne m'apportant des quantités de nourriture éparses. Et pas de la grande gastronomie, des cornichons, des biscuits secs ou mous suivant le temps, et avec un peu de chance des oignons et du lard rance. Cela étant, mes geôliers sont devenus plus conciliants avec moi depuis que j'ai arrêté d'essayer de leur échapper. Tout n'était pas à jeter non plus.

Mes journées n'étaient pas très rythmées, le bateau tanguait sur l'eau la majorité du temps. J'entendais les pirates rire, boire, chanter, se disputer et dégobiller quand ils avaient trop bu. Parfois ils venaient déposer ou prendre des choses dans la cale, mais pas souvent en venant dans ma direction. Le navire n'avait pas touché terre depuis mon arrivée, ça m'aurait pourtant donné de nouvelles opportunités de leur fausser compagnie. On a eu droit à une seule petite escarmouche avec un navire de pêche, qui fut bien vite mis en déroute, après le retrait de sa cargaison.

Lorsqu'il ne se passait rien, je comptais souvent jusqu'à mille, ou au-delà, pour garder en mémoire ma connaissance des nombres. Et quand je me sentais assez bien pour le faire, j'essayais d'inventer de nouveaux vers, mais ce n'était pas souvent.

Un de mes rares plaisirs dans cet endroit était la vie sous-marine, un sujet d'inspiration toujours vivace. La visite de dauphins-volants et de baleines venaient parfois égayer ma détention de leurs chants mélodieux. S'ils choisissaient la nuit pour se manifester, cela faisait une très belle berceuse, ou m'empêchait de fermer l'œil. Mais j'étais toujours heureux de me réveiller pour les écouter.

Toujours est-il que même en trouvant mon bonheur là où je le pouvais, je restais prisonnier, cela a de quoi ruiner le moral d'une personne aussi optimiste que moi. D'autant plus que l'on semblait bien s'éloigner des eaux du Royaume de la terre, sans se rapprocher pour autant de mon pays natal. Le climat se faisait de plus en plus frais, on devait arriver près du territoire d'une des deux Tribus de l'eau. Celle du pôle Nord ou celle du sud, impossible à dire dans ma situation, hélas.

Un jour, un évènement exceptionnel se produisit sur ce navire, qui allait changer à jamais ma vie et ma vision du monde, sur le moment, je n'en savais rien bien sûr, mais mon destin sur la durée a trouvé son point de bascule.

Je devais être arrivé à mille sept cent soixante-dix-sept, en comptant dans ma tête lorsque cela s'est produit. J'étais dans ma cellule, allongé et n'ayant rien à faire. Soudain, quelque chose vint percuter violemment l'eau autour du navire, avant de s'enfoncer dans la mer. Cela provoqua un remous si conséquent que le navire fut agité au point de me propulser d'un bout à l'autre de ma cellule. Après avoir rassemblé mes esprits et m'être fermement accroché aux barreaux pour éviter d'être secoué de cette façon une seconde fois, je tendis l'oreille pour déterminer quel était la raison de ce remue-ménage.

J'entendis un homme crier de toutes ses forces, sans doute le capitaine, sans moyen d'en être sûr : "Un navire de la marine du feu nous attaque, à l'assaut, pas de cartier !"

À ces mots, l'espoir revint à nouveau en moi. J'allais peut-être m'en sortir, sans être vendu, en fin de compte. Et intérieurement, je priais pour la défaite des pirates, et pour que les assaillants ne coulent pas le navire trop prématurément.

Les flibustiers se sont affairés sur le pont, mais n'étant pas d'un professionnalisme exemplaire, la majeure partie d'entre eux furent pris de cours. Bientôt je sentis une autre secousse plus légère sur le côté opposé du bateau, à partir de là où je me trouvais. J'en déduisis que le navire de la marine était passé à l'abordage.

Pendant un temps d'attente qui me parut insupportable, les boucaniers se défendirent sur le pont face aux hommes de notre nation. J'entendais les fers s'entrechoquer, les hommes criants lorsqu'ils passaient par-dessus bord. Et surtout des bruits de flammes, des maitres étaient à bord, et pas débutants, si je me fiais aux bruits. Au bout d'un moment, le combat pris fin, me rendant incertain du camp des vainqueurs.

Lorsque j'allais tenter d'en avoir le cœur net, une voix s'élevât, autoritaire, mais d'une surprenante jeunesse : "Alors comme ça des rats de mer comme vous pensent avoir le droit de faire ce qui leur chante dans ses eaux ? Ce n'est pas votre pitoyable barrage qui suffira à me bloquer la route et estimer vous heureux que je n'ai pas encore fait couler par le fond cette insulte faite à la navigation."

Cette fois, j'en étais sûr, nous avions gagné. Il était temps de signaler ma présence et celle des autres prisonniers pour que l'on vienne nous secourir. Je me suis mis à crier à plein poumons : "Hé ho, nous sommes prisonniers en bas, venez nous sauver je vous en prie !"

J'ai dû m'y reprendre plusieurs fois. N'ayant plus parlé et encore moins chanter depuis très longtemps, ma voix ne portait plus très loin. Mais j'ai finis par entendre une réponse.

C'était une voix féminine et douce qui semblait s'approcher de plus en plus : "Mon frère, il y a des personnes à secourir en bas, il faut les trouver et les aider."

J'entendis des pas et des mouvements de personnes en train de s'activer. L'une d'entre elle ouvrit la porte menant à la cale. C'était une fille, tenant dans sa main une lanterne, étant encore à une certaine distance, je n'étais pas en mesure de la reconnaitre. Je l'ai attirée vers ma cellule avec d'autres appellations. Et elle a accouru le plus vite possible, en faisant attention à ne pas tomber à cause des mouvements du bateau. Elle approcha la source de lumière des barreaux en bois de ma cellule.

D'une voix essoufflée, mais apaisante elle me demanda : "Vous êtes là, je viens pour vous aider ?"

Mon cœur rata un battement lorsque je l'ai reconnu, des cheveux longs et soyeux, une robe légère et distinguée à la pointe de la mode de la Nation du feu, un corps svelte et un visage gracieux appuyé par des yeux aux iris de la couleur de l'or. Mais le signe le plus distinctif, un chignon porté par un ornement en forme de flamme. Étant un homme de culture, je reconnus que ce n'était pas n'importe quel motif noble, mais bien celui d'une personne royale. Je me trouvais en ce moment en face d'une des deux filles du seigneur du feu Ozaï. Jamais dans le meilleur des scénarios, je n'aurais pu espérer de sauveuse plus prestigieuse.

L'instant suivant ma réalisation, je me suis instinctivement mis à genoux, le front au sol, entouré de mes mains en signe de respect. Je répondais à sa question avec l'humilité à présenter en face d'une princesse : "Ma dame, je suis indigne de paraitre devant vous. Veuillez excuser l'état dans lequel je me trouve actuellement. J'ai été capturé par ces pirates dans les eaux du Royaume de la terre. Je suis un fier citoyen de la Nation du feu et votre dévoué serviteur, si tel est votre souhait."

La princesse ayant déjà posée la lanterne fut à mon grand regret, gênée par ma déclaration : "S'il vous plait, ce n'est pas la peine d'être aussi solennel. Je vous en prie, relevez vous, je suis venu ici pour vous aider rien de plus. Et ce sont ces pirates qui sont à blâmer pour les mauvais traitements qu'ils vous ont fait subir. Je vais vous sortir de là."

Je commençais à me relever selon son conseil pour constater qu'elle cherchait les clés de la cage, à la faible lumière de la lanterne. Je m'interrogeais, si c'était une maitre, pourquoi n'utilisait elle pas sa maitrise pour forcer l'ouverture de la cage avec une légère déflagration. Et encore, pourquoi se servait elle d'une lanterne pour s'éclairer, alors qu'il lui suffisait de créer une flamme légère dans la paume de sa main pour y voir clair. Je ne savais pas quoi en penser.

Elle trouva finalement le trousseau de clé au moment où je m'apprêtais à lui fournir des indications. Un petit sourire s'afficha sur son visage : "Voilà, avec ça, vous serez libre. Il y a d'autres prisonniers ici ?"

"Oui, je ferais de mon mieux pour vous guider."

Alors qu'elle se démenait avec la serrure, je me permis une question : "Princesse, pourrais-je savoir où nous sommes ?"

"Oui, bien sûr. On se trouve dans l'archipel des monts Patola, dans les mers du sud."

"Le temps se rafraichissait, alors je me disais que nous faisions voile vers une Tribu de l'eau, sans savoir si c'était Nord ou Sud, maintenant, je sais."

Dans un dernier clic, la serrure cédât et la princesse s'exclama : "Voilà, vous pouvez sortir, aidez-moi à trouver les autres je vous prie."

"À vos ordres princesse, je vais vous montrer le chemin."

Une fois sorti, je me rendis compte que je la dépassais de la tête et des épaules en termes de taille. Ce constat lui donnait un air encore plus précieux. Sa petitesse me fit me rendre compte de son jeune âge.

Elle parut un peu impressionnée par mon apparition : "Eh bien, allons y. je ne vous aie pas encore demandé votre nom."

"Je m'appelle Voccan, votre altesse."

"S'il vous plait, ne m'appelez pas comme ça, c'est un peu gênant. Je suis Sosha, enchantée de faire votre connaissance Voccan."

Elle me serra la main avant de m'entrainer : "Aller, on a encore du travail à faire."

Plusieurs hommes entrèrent dans la cale, les renforts sans doute. Nous avions dû mettre un bon quart d'heure pour libérer l'ensemble des prisonniers. Et c'est en me tenant la main que ma princesse m'a fait revoir la lumière du jour, pour la première fois depuis longtemps. 

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