Miroirs Déformants
Elena se tenait devant le miroir de sa chambre universitaire, les yeux fixés sur son reflet qui la regardait intensément en retour. C'était une jeune femme de vingt ans avec des cheveux bruns soyeux et des yeux verts brillants, mais tout ce qu'elle pouvait voir étaient ses imperfections. Sa mère avait toujours insisté sur l'importance d'être présentable, de correspondre aux normes de beauté établies par la société. Chaque année à la rentrée scolaire, elle recevait un paquet soigneusement emballé rempli de produits de beauté coûteux : crèmes pour le visage, maquillage, lotions pour le corps. C'était comme si sa mère essayait de lui dire que pour réussir, elle devait être belle.
Pourtant, peu importe combien de fond de teint elle appliquait, combien de fois elle se brossait les cheveux ou ajustait ses vêtements, Elena ne pouvait s'empêcher de se sentir insuffisante. Le miroir ne lui montrait que des défauts, des traits qu'elle trouvait trop grands, trop anguleux, trop imparfaits. Chaque ligne sur son visage semblait crier ses imperfections. Elle se demandait si quelqu'un d'autre les voyait aussi clairement qu'elle.
La pression montait encore plus quand elle ouvrait ses réseaux sociaux. Instagram, Facebook, Snapchat - tous ces endroits où les gens affichaient leurs vies filtrées et retouchées. Chaque selfie, chaque photo de groupe était une invitation à la comparaison. Elena scrutait chaque détail, chaque pose, chaque sourire artificiel. Elle savait que ces images étaient souvent mises en scène, modifiées pour paraître parfaites. Mais cela n'empêchait pas les doutes de s'insinuer dans son esprit déjà fragile.
Les jours où elle se sentait particulièrement vulnérable, elle se perdait dans un tourbillon d'autocritique et de désespoir. Elle avait l'impression de ne jamais être à la hauteur, de ne jamais correspondre à l'image idéale qu'elle pensait devoir représenter. Elle se rappelait les paroles de sa mère, répétées comme un mantra : "Tu dois te montrer sous ton meilleur jour, Elena. Les gens te jugent d'abord sur ton apparence."
Mais à chaque selfie raté, chaque tentative infructueuse de se maquiller comme les influenceurs qu'elle suivait, Elena sentait sa confiance s'effriter un peu plus. Elle se demandait si ses amis, Lucas, Maya, Alexandre, voyaient aussi ses défauts, si ses sourires forcés dissimulaient réellement son malaise intérieur.
Les filtres Instagram semblaient être devenus à la fois sa bénédiction et sa malédiction. Ils pouvaient effacer ses imperfections, adoucir ses contours, mais ils laissaient également une trace de tromperie qui la hantait. Elle savait que ces images n'étaient pas réelles, mais elles exerçaient toujours une pression insidieuse sur son estime de soi.
Elena s'assit sur le bord de son lit, le regard fixé sur son téléphone. Elle lutta contre l'envie compulsive de parcourir une fois de plus les profils de ses amis et de parfaits étrangers. Elle savait que cela ne ferait qu'aggraver son anxiété, mais c'était comme une drogue à laquelle elle ne pouvait pas résister, même si elle savait qu'elle ne faisait que nourrir ses doutes et ses insécurités.
Le téléphone portable d'Elena vibra sur son bureau, interrompant le silence studieux de sa chambre universitaire. Elle jeta un coup d'œil à l'écran et vit le nom de sa mère s'afficher. Un mélange de nervosité et d'anticipation l'envahit alors qu'elle décrochait.
"Allo, maman," dit-elle d'une voix hésitante.
"Bonjour ma chérie !" répondit sa mère d'une voix joyeuse mais pressante. "Comment se passe ta rentrée à l'université ? Es-tu bien installée ?"
Elena sentit une boule se former dans sa gorge. "Oui, maman, tout va bien. Je suis bien installée."
"Parfait, parfait," continua sa mère sans relâche. "Je pensais à toi et je me demandais comment tu te débrouillais avec ton apparence. Tu sais, maintenant que tu es à l'université, c'est important de paraître à ton meilleur. Tu as pensé à ces produits de beauté que je t'ai envoyés ?"
Elena se mordit la lèvre inférieure, se souvenant des boîtes soigneusement emballées de crèmes et de maquillage qui attendaient dans un coin de sa chambre. "Oui, maman, je les ai reçus. Merci beaucoup."
Sa mère semblait satisfaite. "Et as-tu commencé à utiliser les produits ? Je suis sûre qu'ils pourraient vraiment faire une différence. Tu pourrais essayer cette nouvelle crème anti-acné que j'ai trouvée. Elle devrait aider avec ces petites imperfections que tu mentionnes parfois."
Elena se sentit comme si le poids de ses propres insécurités pesait soudainement sur ses épaules. "Oui, maman, je vais essayer."
Il y eut une pause de l'autre côté de la ligne, puis sa mère reprit, le ton devenu plus sérieux. "Et as-tu pensé à l'épilation pour ton visage ? Je sais que tu as ces poils fins sur les joues et le menton. L'électrolyse pourrait vraiment t'aider à te sentir plus confiante, ma chérie."
Les mots de sa mère résonnèrent dans l'esprit d'Elena comme un rappel constant de ses imperfections perçues. Elle baissa les yeux vers ses mains tremblantes, se sentant submergée par un mélange de honte et de colère refoulée. Elle avait espéré que la distance de l'université lui offrirait un répit des critiques constantes de sa mère sur son apparence.
"Peut-être que j'y penserai," murmura-t-elle finalement, sa voix presque étouffée par les émotions qui menaçaient de l'engloutir.
Sa mère sembla ne pas remarquer son malaise. "C'est une bonne idée. Tu es si jolie, ma chérie, mais un peu d'entretien ne ferait pas de mal. Tu dois te rappeler que tu représentes notre famille, et il est important de donner une bonne impression aux autres."
Les mots de sa mère résonnèrent comme un écho cruel dans l'esprit d'Elena. Elle savait que sa mère ne voulait que son bien, qu'elle essayait de l'aider à réussir dans un monde qui valorisait souvent l'apparence au-dessus de tout. Mais pour Elena, chaque conseil bien intentionné n'était qu'une autre pincée sur la plaie béante de son estime de soi déjà fragile.
"Merci, maman," parvint-elle à dire, luttant pour garder sa voix stable. "Je vais y réfléchir."
"Tu devrais vraiment, ma chérie," insista sa mère. "Je veux juste que tu sois heureuse et confiante. C'est tout ce qui compte pour moi."
Elena acquiesça, incapable de dire plus. Elle savait que sa mère ne comprendrait pas l'ampleur de l'impact de ses paroles. Elles s'étaient toujours heurtées sur cette question délicate de l'apparence et de la confiance en soi, une bataille silencieuse qui laissait Elena se sentir déchirée entre le désir de plaire à sa mère et celui de trouver enfin la paix avec son propre reflet.
La conversation se prolongea encore quelques minutes, puis sa mère sembla satisfaite des réponses d'Elena et passa à d'autres sujets. Elena raccrocha finalement, laissant tomber son téléphone sur le lit avec un soupir de soulagement mêlé de tristesse.
Elle se leva lentement et se dirigea vers la salle de bain, les images des réseaux sociaux et les critiques silencieuses de sa mère tourbillonnant dans sa tête. Elle se regarda dans le miroir, cherchant désespérément à voir autre chose que les défauts que sa mère lui avait signalés. Mais tout ce qu'elle voyait était une jeune femme fatiguée, essayant de trouver son chemin dans un monde où l'image comptait parfois plus que la réalité.
Elle entendit un léger bip provenant de son ordinateur portable. Un message de groupe de ses amis : Lucas, Maya et Alexandre, planifiant de se retrouver pour le déjeuner dans quelques heures. Une lueur d'espoir perça la brume de ses pensées sombres. Peut-être que passer du temps avec eux pourrait la distraire de ses préoccupations obsessionnelles. Peut-être qu'ils ne la voyaient pas comme elle se voyait elle-même.
Elena se leva lentement, faisant un effort pour se détourner du miroir et de son reflet douloureux. Elle prit une profonde inspiration et se dirigea vers la porte, laissant derrière elle les produits de beauté non ouverts sur son bureau. Elle savait qu'il y avait plus à la vie universitaire que l'image parfaite qu'elle s'efforçait de projeter. Peut-être, juste peut-être, ses amis pouvaient l'aider à voir cela aussi.
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