Chapitre 1 - À toi, le Créateur - Partie 3 - J'accepte leur Chagrin

Un homme est en train de forger une épée, à l'intérieur de sa petite échoppe, à l'abri du soleil brillant et brûlant. Les enfants courent, dansent, aident et jouent en criant et chantant des bizarreries et des désordres de mots. Vous, vous êtes cachés, derrière des caisses, des tonneaux, des morceaux de chairs d'animaux, fraîchement découpés. Vous n'êtes pas comme eux. Vous n'êtes plus des enfants. Car ce n'est pas l'âge qui vous fait devenir adultes mais les traumatismes d'une vie qui aspirent et déglutissent votre innocence. Macelle est mort, vous êtes vivants et vous portez le nom d'un cadavre maintenant. Vous vous dites qu'aucun autre village ne peut ressembler à celui qui est devenu la chambre du premier châtiment. Dieu les a puni pour s'être moqué de vous et il vous a béni. Mais à quel prix ? Au prix de votre âme ? Au final, n'est il pas le Diable en personne si il joue avec votre vie pour prétendre vous aider ? Vous vous demandez si Dieu est le Diable, alors qui est le vrai Dieu ? Est ce que c'est vous, en fin de compte ? Des Dieux ayant échappé de justesse à la mort et qui errent maintenant comme des fantômes dans un monde bien vivant. Vous examinez vos bras excessivement maigres et vos joues creusées. Vous palpez vos cheveux arrachés, vos ongles incarnés et votre peau abîmée. Vous vous observez, ainsi, avec vos yeux défilant les images d'un squelette d'homme à tête de loup, dansant dans une mer de sang.
Dans ce vous, il y a Enella. Enella pleure, Enella souffre. Enella qui avait son coeur rattaché au bout des âmes de sa famille cesse de respirer la joie de vivre et renferme en elle le désir de mourir. Du haut de ses douze ans, Enella a abandonné toute essence de sa personnalité et de ses passions pour laisser à la place une coquille remplie d'os et de chair, qui déambule sur le sol de cette terre à la recherche du bord de la falaise. Mais au lieu de se jeter du haut de cette falaise, Enella s'assoit et chantonne sa mélodie.

« Toi, le Roi du Loup Pleureur, tourne le dos tu ne nous fais pas peur.

-Et si les étoiles s'abattent sur toi, nous danserons ta mort avec joie.

-Au nom des damnés, punis pour toi. »

Vous vous retournez et vous apercevez un jeune garçon d'à peu près votre âge. Ses habits longs et déchirés sentent également une odeur d'excréments, de boue et d'eau qui fait fléchir vos narines grimaçantes. Ses yeux de couleur marécage et ses cheveux noirs comme la plume d'un corbeau d'une dense forêt rappellent le physique de l'homme forgeron qui arrête son activité, ayant entendu du bruit.

« Ansoald ! Que se passe t'il ?

-Père, je viens de trouver deux enfants ! Ils sont comme moi, père ! Puis je jouer avec eux, père ? »

Vous vous levez et vous vous retournez pour vous mettre à courir en direction d'un possible échappatoire. Mais le grand forgeron, de ses yeux perçants et de ses mains d'ours attrape vos bras de louveteaux maigres et terrorisés, qui gigotent et se débattent dans tout les sens. Son ourson, le jeune Ansoald, se grate vigoureusement les cheveux jusqu'à faire des étranges grains de poussières aux pattes inertes et aux yeux globuleux dont le corps translucide laisse apparaître une mécanique vitale et désormais morte sous les griffes ardentes de l'ourson.
Le temps s'arrête. Votre cœur meurt. Votre âme tourbillonne dans un cercle sans fin. Vous ne réfléchissez plus, vous criez. Vous hurlez de toutes vos forces pour faire fuir le monstre poilu qui contrôle le feu et le fer, la terre et la guerre. Votre gorge s'enflamme d'un feu violent et vos yeux s'inondent d'une eau gâchée. Votre corps se raidit d'une terre désintégrée et votre respiration s'accélère d'un air étouffant. Vous n'organisez plus vos mots pour qu'ils riment et aillent ensemble, vous vous perdez dans un trou vide et blanc qui aveugle vos esprits et votre compréhension. D'un coup, une voix grave et imposante vous sort de votre prison comme d'un éclair attaché à une corde traversant votre corps, pour vous remonter à la surface malgré les saignements apportés par ce poignard vif et déchirant.

« Qu'est ce que vous faites ici ? QUI ÊTES VOUS ? Répondez sales rats !

-Ne nous tuez pas !

-Expliquez vous alors ! Où sont vos parents ? Comment vous vous appelez ?

-LOUP ! ENELLA ET LOUP !

-Et d'où vous venez Enella et...Loup ?

- MACELLE ! On vient de Macelle ! Par pitié, monsieur ours ! Nous ne sommes que des Loups de Macelle ! Nous ne valons rien, nous n'avons que la peau sur les os ! Ne nous faites rien !

-...Macelle ? »

En entendant ce nom, l'homme ours vous regarde avec des yeux aussi ronds que les baies des buissons qui entouraient le paisible et pestilentiel village de Macelle. Des habitants corrompus par la seule présence d'un enfant loup, qu'on croyait élu de Dieu. Un sauvage, un vagabond...peut être était ce lui qui avait appelé les Inconnus Chevaliers au massacre de ces enfants, de ces bébés, de ces animaux...et de ces bêtes d'adultes. Ô comme Loup se rêvait de se voir comme un preux Arthur, fils de roi, élu de la Lune et du Soleil, affrontant l'Aurore et le Crépuscule. La Légende qui ne meurt pas.
Vous non plus, vous ne mourrez pas. Mais vous n'êtes pas que des légendes. Vous n'êtes que les chats noirs, vicieux et agressifs sur un nuage doux qui ne veut que votre bien. Mais vous réalisez ensuite que ce nuage veut avant tout son bien et vous traversez sa fumée de neige, direction le sol. Vous comprenez qu'il vous a laissé tomber.

« Vous mentez. Le mensonge est un péché. Le village de Macelle est détruit. Tout le monde a été tué par ces païens, jusqu'au dernier !

-Les Inconnus Chevaliers ?

-Loup, c'est ça ? Ce ne sont pas des chevaliers, minot. Ce sont des monstres, des démons, des créatures avec des cornes aussi grandes que le Vilain et ils portent la fourrure arrachée de leur victimes qu'ils dévorent un à un. Les femmes, ils leur plantent une épine toxique dans tout leur corps jusqu'à ce qu'elles se détruisent elles mêmes. Les hommes, ils divisent leur chair et les laisse souiller l'eau du Sauveur. Quant aux enfants...c'est encore pire. Car ils deviennent les témoins silencieux et incapables de ce spectacle digne d'un Déluge sans nom. Ils sont tout, sauf des chevaliers. »

Loup et Enella se regardent. Vous vous demandez pourquoi je les abandonne au beau milieu du récit, alors que certains d'entre vous veulent continuer à connaître leur avis, leur pensée, leur coeur ? Et bien, parce que Loup et Enella grandissent en apprenant ça. Ils n'ont plus besoin d'un « Vous » ou d'un « Tu ». Ils deviennent les maîtres de leur destinée. Dix ans, douze ans, pour eux ce ne sont plus que des chiffres sans valeur. Ce ne sont pas ces chiffres, qui vont les empêcher d'agir, de vivre et de mourir.
Loup et Enella ont compris. Avec des Inconnus Chevaliers, des araignées et des squelettes de loups, il faut apprendre à se faire confiance. C'est ainsi que l'humain survit. C'est ce qui le différencie de l'animal...un humain accorde sa confiance bien plus facilement, parce qu'il en a besoin. Et même si Loup se sent plus sauvage qu'humain, même un sauvage a besoin de sa meute pour survivre. Mais lui, il préférerait l'utiliser pour surmourir. Dépasser la mort mais sans être vivant, dépasser le temps mais en restant dans le passé. Être capable de devenir un Dieu, avec un corps humain. L'Aurore qui se lève et qui brille de mille feu mais suivi du Crépuscule faible et fatigué.

Mourir. Mourir. Loup n'a que ce mot à la bouche depuis Macelle. C'est un mot plus délicieux que Vivre. Un mot sucré, doux, irrésistible et préparé avec amour, avec espoir, avec soulagement. La Vie, elle, n'est que haine, désespoir et épuisement. Loup l'a comprit. Maintenant, il veut étendre ses papilles à la Mort, il veut la goûter et la sentir près de lui. Un contact froid et apaisant lui fait ouvrir ses yeux de noisette. Des doigts se glissent dans l'étreinte de sa paume et l'entraîne vers le ciel. C'est son heure, la Mort est venu. Loup sourit. Il en rigole presque.

Non. C'est Enella. Elle a attrapé sa main et s'est levée avec le garçon. Des galets transparents se forment au coin de son regard, sa bouche se plie et laisse des rayures comme une terre ratissée et son nez, devenu rouge par le froid, joue de la musique pour les quelques souris aux alentours. D'une voix aussi fragile et tremblante qu'un oisillon aveugle, rose et sortit de son œuf, elle marmonne:

« Loup. On a besoin d'un Papa. »

Loup la regarde, comme si son amie avait perdu la tête. Doit il dénoncer sa folie, la laisser aller sur un bûcher ? La voir se tortiller, entre ses liens alors que le talent du soleil laisse des traces indélébiles sur tout son corps, des cuisses à la tête. Du cou, aux orteils. Non. Enella est une soeur, une amie, une nièce, une fille, une cousine. Enella mérite autant de vivre qu'un papillon de nuit. Une vie courte mais une vie. Une chance qu'elle doit attraper dans ses mains, car tout vaut quelque chose.
Elle regarde Loup. Le galet transparent se brise et un fleuve glacé chevauche la peau abîmée et brisée de la petite fille.

« On est des enfants Loup ! On a besoin d'un Papa ! J'AI besoin d'un Papa ! Un...papa. »

Elle s'effondre dans les bras du Grand Ours et le Petit Ours en rigole, en la traitant de fillette. Le Grand Ours lance un regard noir au Petit Ours Ansoald et il soulève l'enfant comme si il l'avait toujours connu. De ses premiers cris incessants à aujourd'hui, ses pleurs délirants.
Et Loup comprend. Il comprend à ce moment là, toute l'effroyable conséquence de l'arrivée des Inconnus Chevaliers. Ils l'ont fait rire, ils l'ont rendu heureux. Ils l'ont aidé à se débarrasser de son plus gros problème: Macelle. Ils sont ses héros.
Mais Enella, elle, elle n'est plus là. Elle n'a pas de problème avec Macelle, elle n'en aura jamais. Enella est son propre problème.

Loup repense au sourire du frère Jehan avant de mourir. Et d'un coup, lui non plus n'est plus là.

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