Chapitre 1 - À toi, le Créateur - Partie 2 - Messieurs les Ôteurs de Vie
Une odeur putride atteint tes narines et envahi tes sens, ton esprit et ton corps. Un tas de mouches sort alors de son trou et vient virevolter autour de cette décomposition artistique. Tu vois des sortes de serpents moulants, à la couleur pourpre, qui cherchent à sortir de ce corps vide mais qui ne font que s'entremêler, s'entrechoquer. Du sang gicle de leur combat acharné et se déteint sur le visage figé de ce lièvre éventré. Qui a pu faire ça ?
Quel intérêt de tuer quelqu'un si ce n'est pas pour le manger ? Quand on fait quelque chose, cette chose doit être utile. Sinon, quel est l'interêt ? Il y a t'il vraiment une utilité dans l'inutilité ? Mais alors, cette chose est elle vraiment inutile ? Dans ce cas là, si même les choses inutiles sont utiles, alors pourquoi le mot « inutile » existe ?
Tout résulte en des conséquences. Des conséquences, aussi minimes soient elles, qu'on ne peut ignorer. Car la moindre goutte de ces conséquences, humidifiera une feuille qui à son tour laissera tomber cette larme pour en humidifier d'autres en dessous. Et de ce résultat grandira un magnifique arbre, une petite plante commune...ou un buisson de ronces. Mais si tout a une conséquence, est ce parce que tout est calculé ?
Mais qui calcule ? Un génie ? Un Dieu ? Ou nous même ? Sommes nous capables de calculer notre propre futur, de prédire à l'avance ce qui va arriver. Mais si on prédit à l'avance, pouvons nous changer notre futur ?
Non. Car si vous pensez changer votre futur, vous êtes déjà en train de faire ce que votre futur avait dicté pour vous. Si tu décides d'aller à l'encontre de ton futur et de mourir, maintenant, sur cette terre gelée, c'est que c'était ton futur. Tu ne peux pas le contrer.
Ce que vous pouvez changer, c'est votre destin. Une chose pour laquelle on est destinée. Un enfant est destiné à devenir roi, pour autant, son futur a modifié tout ses plans. Mais ça ne change rien que son destin était de reprendre le trône. Le destin, nous pouvons le deviner. Le futur, nous le vivons.
C'est pour ça que tu préfères le futur. À quoi bon de rêver d'un destin qu'on ne vivra peut être jamais ? Mieux vaut profiter de l'instant présent. La goutte finira un jour par s'arrêter de jongler entre les feuilles et atterrira par terre. Et à ce moment là, son parcours continuera mais nous ne la verrons plus.
Tu la sentiras inonder ce sol sur lequel tu es allongé mais tu ne feras rien. Les herbes coupantes et longues de cette plaine plate te retiennent prisonnier dans tes songes et dans ton esprit de jeune enfant. Ligoté par cette végétation envahissante, tu es également maîtrisé par un soleil brillant, qui t'aveugle et t'endort sous sa chaleur maternelle. Une chaleur maternelle qui te manque. C'est là que tu te demandes si c'est possible de manquer de quelque chose qu'on a jamais eu. Ta nostalgie est elle réelle ou fictive ? Es tu en train de te créer de faux souvenirs ?
Ta vie est elle un mensonge ?
T'es tu déjà demandé si ce que tu respires, mange, vois, touche, entend, ressent...est ce que c'est réel ? Dans ce cas là, pourquoi ressens tu les mêmes sensations quand tu rêves, si les rêves ne sont pas réels ?
Mais alors, si c'est comme les rêves, ce n'est pas réel. Et si respirer, manger, voir, toucher, entendre et ressentir n'est pas réel...alors peut être que la mort l'est.
Tu retournes ton attention vers ce cadavre reposant sous les yeux du ciel. Tu le jalouses. Tu le jalouses car lui, il est dans la réalité. Il n'est plus dans ce mensonge qui s'est moqué de lui pendant des années. Il est enfin dans une réalité utopique qu'il a toujours souhaité. Et toi, tu aimerais être à sa place. Dans une réalité fictive, au lieu d'un mensonge réel.
Ça suffit de procrastiner ainsi. Tu entends les Frères t'appeler depuis l'entrée du monastère, te pressant d'aller faire les tâches qui t'ont été dédiées. Tu décolles la chair de ta peau de cette terre granuleuse et tu fais vivement secouer ta robe brune pour enlever ces tâches qui se sont fondées dans le décor de cette couleur, ainsi que quelques insectes.
Parmi ces insectes, il y a une araignée. Mais ce n'est pas une araignée loup. C'est une petite araignée noire, commune, sans intérêt.
Naïf, tu lui laisse une petite miette de pain à manger, puis tu cours à travers les champs illuminés en direction de ta maison.
Tes pieds s'usent et s'arrachent leur propre peau sous la douleur infligée par ces bourreaux de chaussures. Une giclée rouge jaillit régulièrement de cette démarche laborieuse qui met au travail presque tout ton corps. Ton corps fragile d'enfant, ni immortel, ni mortel mais vide.
Tu regardes le ciel qui se met peu à peu à s'assombrir et rapidement, une pluie fine, puis torrentielle se déverse sur tes cheveux d'or poussiéreux. Ta robe d'oblat se gorge peu à peu d'eau et tu commences à ressentir une sensation de noyade qui t'envahi et qui te fais prendre conscience que se noyer est aussi douloureux que d'être brûlé.
Parce que l'eau brûle aussi. Par ce froid qui pique et hérisse les poils de tes bras, tu as l'impression que c'est une chute de braise qui s'élance et vient bruler cette peau beige, voir mate. La pluie est effrayante pour les êtres humains mais agréable pour les plantes, elles qui n'ont pas de duvet charnel qui est assaillit par ces jets d'un feu humide.
Tu as mal. Mais tu essayes de te reprendre en main, parce que tu sais que cette période douloureuse ne durera pas longtemps. Cette partie sera bien plus courte que ce qui t'attendras, parce que c'est ici que commenceras ton aventure et alors, tu seras tellement plongé dedans que tu ne verras pas le temps passer et s'arrêter.
La pluie s'arrête.
Tout commence par une pluie qui s'arrête.
Et accompagnant ce signal, tu entends un cri, un hurlement strident à faire frissonner morts, vivants et plantes.
Tu te retournes et tu vois alors une rangée d'hommes assis sur des chevaux, une file qui ne semble qu'augmenter et ne jamais s'arrêter, une file sans point.
C'est là que tout commence. C'est là que tout s'enchaîne.
Frère Jehan sort en brandissant une cloche qu'il fait sonner pour faire rentrer les enfants, ce capharnaüm qui s'ajoute à cette mélodie infernale que poussent les inconnus qui sont des chevaliers courageux, bien plus que ceux de ces stupides histoires où ils sauvent leurs princesses puisqu'eux, ils n'ont pas besoin de cette princesse, ils ont une bravoure qu'ils conservent pour d'autres idéaux, des idéaux immortels qui sont bien trop supérieurs et mystiques pour de simples mortels et de simples plantes comme toi et comme vous, ces pions que l'on déplace parce qu'il faut bien sacrifier quelqu'un si on veut que tout s'arrête, si on veut respirer et prendre une pause au milieu de ce champ de guerre lyrique et pendant ce temps, de l'eau se fraye un chemin à travers tes joues potelées et sales d'enfant, pourtant ce ne sont pas tes larmes mais celles de la pluie précédente qui n'ont toujours pas séché, voulant d'abord observer ce qui va se passer même si tu connais déjà la réponse quand tu vois les inconnus chevaliers dévaler la plaine et lever leurs grandes armes argentées, non, cendrées, pour frapper avec une force incommensurable la nuque d'un agriculteur qui revenait tout juste de son travail épuisant et qui espérait revoir une dernière fois sa femme et ses deux filles qui sortaient alors d'une petite maison abîmée en criant de douleur tandis que toi, tu observes, caché derrière les fougères, un des inconnus chevaliers attraper par le bras l'une des femmes et la traîner, à moitié dénudée, dans un coin du village sous le regard terrorisé d'un petit garçon de 3 ans qu'une dague transperce accidentellement au milieu de ce désordre, au niveau du coeur, souillant ainsi la pureté de l'enfance dont le sang à la couleur des fraises glissent vers les légumes et fruits abandonnés dans des petits paniers rapidement ramassés par une jeune fille aux beaux cheveux bruns que tu reconnais, Enella qui s'élance vers une fillette perdue et essayant de réveiller ses parents qui gisent au sol avant d'elle même s'écrouler violemment par terre quand elle reçoit un coup sur la tête, forçant Enella à reculer et à finalement prendre la décision de se diriger vers la sortie du village, en direction des champs où toi, tu es toujours caché et où tu vois les inconnus chevaliers, depuis ton point élevé se ruer vers le monastère où certains oblats sont encore en train de travailler, n'ayant sûrement pas entendu l'appel et qui n'ont pas le temps d'abandonner leur dernière activité quand une étrange hache que tu pensais disparu, vient se mettre sous le cou d'un des enfants, le faisant alors prisonnier tandis que les moines, abandonnant les oblats à leur triste sort, courent vers le lieu sacré pour y espérer recevoir la protection de Dieu, chose qu'ignorent totalement les inconnus chevaliers qui entrent en force à l'intérieur du monastère et qui pillent les objets de valeur destinés à la divinité de ces moines, dont certains se rebellent mais qui se font rapidement arrêtés par la mort qui les rattrape et qui ne tient qu'au bout de cette hache s'abattant sur presque tout les hommes présents dans ce bâtiment et n'épargnant que les plus craintifs qui sont alors ligotés et toi, tu les vois tous sortir à la chaîne, toujours caché dans ta grande plaine, au milieu des insectes et de cette araignée loup qui se repose sur ton dos, sous cette journée ensoleillée et chaude qui donnait envie de tout faire, sauf d'analyser la façon dont quelqu'un parvenait à mourir, comme le Frère Jehan qui se retrouve encerclé par un groupe d'inconnus chevaliers, pas si inconnus que ça puisqu'ayant déjà foulé cette terre sur laquelle le Frère Jehan traîne ses pieds, les yeux sombres lançant des éclairs vers ces « païens » et qui tourne ensuite la tête vers ta direction, vers les champs et qui, comme si il t'avait vu et avait compris que tu étais vivant, se met alors à sourire et à clamer des chants catholiques avant d'être tué par ces étrangers qui ne comprenaient pas pourquoi il agissait ainsi, lui, ce moine d'à peine une vingtaine d'années qui garde ses yeux ouverts, sa bouche sèche et qui semble baiser le sol sur lequel les inconnus chevaliers l'ont tué alors que quelques secondes avant, il y faisait sonner une petite cloche, la grosse étant trop loin pour l'atteindre à temps et qui maintenant, ne servait plus à rien mis à part à montrer l'inutilité de l'utilité des actions de ces hommes, inconnus ou non qui pensent que ce qu'ils font va leur sauver la vie alors que maintenant, ils sont tous en train de dormir parce qu'ils ont enfin compris que leurs actions sont inutiles, comme le Frère Jehan dont le visage ne montre plus aucun mouvement, étirement et dont le corps, étalé sur cette terre, la peint d'un rouge sang qui vient se mêler aux autres couleurs pourpres qui inondent les maisons de ce village et la maison de ton coeur, pas celle faites en pierre, mais celle que tu aimais quand tu passais du temps avec cet homme à la bonté incalculable et avec cette précieuse Enella qui après cet immense silence, simplement accompagné par les Chœurs des prisonniers, principalement des femmes et enfants, pleurant ce jour ensoleillé devenu fatal, vient se glisser à côté de toi grâce à ses yeux de loup qui ont réussit à repérer ta cachette et à voir son utilité, pas si inutile et qui servait d'un bon point de vue, sous une pluie fine qui recommence alors à se déverser et qui indique que ce spectacle interminable et exténuant que ton esprit te forçait à regarder te fais comprendre que maintenant, il avait terminé son travail et qu'il venait à sa fin.
« Loup.
-C'est des sauvages.
-Non. Ils ne sont pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Tout le monde est un sauvage...le massacre prend juste une forme différente. »
En voyant que les inconnus chevaliers reportent maintenant leur attention sur les objets de valeur que le village de Macelle a si bien caché, tu te relèves et tu arrives à voir les larmes qui se déversent sur Enella, dont les cheveux ébouriffés et les yeux vides d'émotion indique le début d'un deuil qu'elle devra surmonter, au nom de ses parents, de sa sœur et de ses frères dont elle était l'aînée qui n'avait pas pu les protéger. Et toi, tu regardes ton propre frère, le Frère Jehan qui n'avait pas bougé et tu commences à ressentir ce que ça fait de perdre une famille, toi, l'orphelin de Macelle.
Les orphelins de Macelle maintenant, même si tu ne comptes pas partager ton titre de Roi du Loup Pleureur avec elle, avec Enella.
Mais pour féliciter son effort de montrer ses émotions à travers ses sanglots, c'est avec joie que tu lui offres le titre de Reine de la Louve Pleureuse.
Tu te lèves et tu attrapes délicatement la main fraîche et humide d'Enella, ignorant maintenant la pluie qui lisse vos cheveux et les rend plus foncés, noirs pour Enella qui désormais ressemble, avec ses yeux sombres, à une sorcière qui vient d'apprendre que sa condamnation se fera par noyade et non par le bûcher et que par cette caractéristique originale, elle deviendra une légende et qu'elle sera ainsi forcée à rester en vie dans nos esprits, dans un monde qui évoluera avec ou sans elle.
Au final, être une légende, c'est être prisonnier d'un futur qu'on ne comprendra pas.
Alors mieux vaut ne pas en être une, car toi, tu veux mourir et reposer en paix, sous terre, près de ces plantes et de cette araignée loup.
Cette aventure est passée vite mais les mots pour la décrire paraissent comme une éternité qui n'est toujours pas finie. Enella et toi, vous vous retournez vers la forêt qui se dresse devant vous. Vos mains se serrent, ne formant plus qu'une seule et vos larmes, ne supportant toujours pas le choc de ces souvenirs douloureux qui allaient maintenant rester implantés dans votre esprit, continuent d'humidifier vos pauvres habits sales, ensanglantés pour Enella et grouillants d'insectes pour toi.
Vos cœurs grossissent encore et encore au point d'être trop lourds pour que votre posture minuscule puisse les porter. Alors, pour faciliter la tâche, ces cœurs se brisent en petites morceaux qui passent plus facilement à travers ce mur d'incompréhension.
Et ces cœurs, ils vous appellent de l'autre côté de cette forêt.
Une forêt tellement grande et interminable qu'un « tu » sera trop court pour affronter cette lenteur immortelle et que pour y faire face et trouver la sortie, vous devrez être un « vous ».
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