5
Le soulagement fut tel qu'Allera failli en perdre connaissance. Eniel, épée au poing, se jeta directement sur l'homme derrière elle. Elle ne l'avait pas entendu se relever, ni s'approcher. Aussi fut elle surprise de le voir à une si courte distance en se retournant. Elios pointait sa flèche encochée vers le dernier assaillant, tandis que Ygor prêtait main forte à Pyras pour se dégager du cadavre et se relever.
Malgré son étourdissement et sa surprise, l'homme qui s'en était pris à la princesse était encore très vif et ne se laissait pas faire.
— Gardez-les en vie ! exigea Ygor. Posos voudra certainement les interroger.
L'homme qui se battait contre Eniel mit plus d'ardeur dans ses coups, ne laissant pas d'autre choix au soldat que de l'imiter. Cependant, il fut rapidement débordé par la cadence qu'il s'imposait lui-même et, bientôt, il fut désarmé, la lame de l'épée pointée vers sa poitrine. Le souffle court, il jeta un œil sur la scène autour de lui, probablement dans l'espoir que l'un de ses acolytes lui viennent en aide. Le seul encore en vie était tenu en joug par un archer blond qui semblait un peu trop sûr de lui.
Son regard revint sur la princesse et un sourire de dépit étira ses fines lèvres, découvrant ses dents.
— Ne pensez pas pouvoir l'arrêter, l'avertit-il. D'autres ont essayé avant vous et ne sont plus là pour en parler aujourd'hui.
Avant que quiconque puisse le voir venir et agir, l'homme empoigna fermement la lame devant lui avec ses deux mains et la tira vers lui. Lorsque Eniel comprit son geste, il était trop tard. La lame de l'épée s'était enfoncée dans sa poitrine, trop profondément pour que l'on puisse espérer le garder en vie. Profitant de la surprise autour de lui, le dernier survivant tenta le tout pour le tout et s'enfuit à travers les arbres.
— Arrêtes-toi ! hurla Elios.
Le jeune homme réajusta sa flèche et lâcha la corde. La pointe évita le fuyard de peu et se planta dans le sol, à côté de lui. Sans attendre les ordres, le jeune soldat partit à sa poursuite, arc en main et disparu lui aussi derrière les arbres. Personne ne l'arrêta. Après tout, ils devaient l'attraper pour l'interroger et l'empêcher de recommencer. Cette idée soulageait Allera autant qu'elle l'inquiétait. Pour le moment, personne ne devait découvrir qui ils étaient et pourquoi ils poursuivaient la princesse. Trop de personnes le savaient déjà et risquaient leur vie en plus de celles des habitants du château.
Eniel regarda le carnage autour de lui. Ygor s'occupait de Pyras, près des cadavres de leurs assaillants. Quant à Allera, elle était toujours avachie sur le sol, paralyser par la scène qui se déroulait devant elle. Ses yeux exorbités et sa bouche entrouverte montraient son effarement. La connaissant il savait ce qui allait se passer ensuite. Il se précipita à ses côtés, juste à temps pour dégager ses cheveux de son visage.
La pomme qu'elle avalé plus tôt ainsi que son frugal repas de la veille venaient de se faire rejeter par son estomac. L'odeur âcre alla chatouiller les narines du soldat, mais ne l'incommoda pas plus que ça. La princesse, quant à elle, chercha à retrouver son souffle. Son corps tremblait avec une telle force qu'il lui fut difficile de se relever, même avec l'aide d'Eniel qui ne la lâcha pas une fois sur pieds.
— Tout va bien, la rassura-t-il comme il le pu.
Il lui caressait le dos, comme lorsqu'ils étaient enfants, lorsqu'elle était malade ou effrayée. Sa grande main laissait une douce chaleur sur son passage et la calmait progressivement. L'homme l'aida à marcher vers les chevaux, la faisant tourner le dos à la scène. Il décrocha la gourde accrochée la selle et la tendit à son amie après l'avoir ouverte.
— Rince-toi la bouche, conseilla-t-il doucement.
La jeune femme s'exécuta tant bien que mal. Elle avait beaucoup de difficulté à tenir la gourde. Après avoir recraché une première fois, elle avala quelques gorgées pour apaiser la brûlure au fond du gosier. Son corps tremblait toujours et, malgré elle, les larmes se mirent à couler sans s'arrêter. Eniel la prit par les épaules et la força à le regarder.
— Allera, ce que tu ressens est normal après ce qu'il vient de se passer. Nous n'avions pas le choix, tu comprends ?
Bien qu'elle tournait le dos au massacre, elle avait les images qui tournaient en boucle dans sa tête. Tout ce sang versé qui s'étalait sur les feuilles mortes... et ses regards que la vie avait quitté... Ces hommes avaient-ils des femmes et enfants qui les attendaient chez eux ? Ou des mères qui s'inquiétaient de ne pas les voir assez fréquemment ?
— Est-ce que ça a été plus facile pour toi ? demanda-t-elle lorsque son souffle le lui permit. Est-ce qu'on s'y habitue après ?
Eniel réfléchi à ce qu'il allait lui dire. La première fois qu'il dû ôter la vie d'une personne, il en avait fait des cauchemars pendant des mois, quand bien même cet homme était un meurtrier d'enfants. Il ne voulait pas lui mentir.
— Ce n'est pas toi qui les as tué Ara. Et c'était de la légitime défense. Il n'y avait pas d'autres solutions.
Cela ne répondait pas à sa question. Allera savait très bien ce qu'il essayait de faire et comprit le sous-entendu. On ne s'y habitue pas, c'est ce qu'il ne voulait pas lui dire.
Derrière eux, Pyras faisait un rapport à Ygor pendant que ce dernier regardait ses blessures. Allera n'osait pas regarder son visage probablement tuméfié et couvert de sang. Rien que de s'imaginer la scène lui retournait l'estomac.
— Je ne pense pas que tes blessures soient très sérieuses, constata le vétéran dont la voix transpirait de soulagement. Mais il va te falloir du repos. Ils ne t'ont pas raté.
— Ce n'était pas de simples bandits, articula difficilement Pyras. Ils étaient bien trop habiles avec leurs armes.
Ygor ne répondit pas, il réfléchissait. Les bandits ne traînaient de toutes façons jamais dans le secteur. La première cause en était les créatures meurtrières qui vivaient dans ses bois et qui est directement reliée à la deuxième : rares étaient les voyageurs intrépides qui s'aventuraient dans la forêt de Den. Les marchands préféraient traverser la frontière du royaume de Veras ou de passer par la mer avant d'atteindre le Nemor. Donc personne à détrousser dans les environs. En clair, ces hommes n'étaient pas là par hasard. Allera ne lisait pas dans les pensées, mais le cheminement que prenait celle du commandant en second transparaissait sur son visage. Elle même réfléchissait à un moyen de venir en aide à Pyras sans éveiller les soupçons.
La jeune femme repensa à son exploit un peu plus tôt. Elle avait réussi à repousser l'ennemi... Avec de la magie. Chose qui aurait dû lui être impossible dans cette partie de la forêt.
— Je peux peut-être essayer de soigner vos blessures.
Eniel et Ygor échangèrent un regard surprit. Dans l'armée, nul n'ignorait les capacités magiques des membres de la famille royale, mais tout le monde sur le continent connaissait l'histoires de la forêt. Et aucun d'eux n'avait été témoin de sa prouesse.
Ygor ouvrit la bouche pour protester, mais Pyras l'interrompit.
— Laissez-la essayer ! Elle a réussi à les repousser avant que vous n'arriviez. Elle m'a sauvé.
Le silence plana sur le groupe, coupé par la respiration sifflante du blessé. Eniel et Ygor se jetèrent un regard dubitatif avant que l'aîné ne hoche la tête.
— Je vous en prie, Votre Altesse. Faites de votre mieux.
Aussitôt, Allera se mit au travail. Elle se força à garder son calme en évaluant les blessures une à une, privilégiant les plus graves.
— Je ne vous promets rien, averti-t-elle.
Le soldat semblait conscient du potentiel échec, mais cela valait au moins la peine d'essayer. Tant qu'elle ne perdait pas le contrôle de ses dons, tout irait bien. Lorsque la princesse fut assurée que l'homme connaissait les risques, elle se concentra et puisa au fond d'elle-même, à la recherche de ce souffle... Cette étincelle qu'elle connaissait si bien. Après plusieurs jours passés dans ces lieux hostiles aux mages, elle était si faible que la jeune femme douta de sa capacité à le soigner. Toutefois déterminée, elle fit remonter cette étincelle jusqu'à ses mains et leur intima l'ordre de refermer uns à uns les plaies et les vaisseaux sanguins endommagés, sous les yeux attentifs des soldats.
Il ne se passa rien pendant plusieurs secondes et la jeune femme failli abandonner lorsqu'elle ressenti le picotement caractéristique au creux de ses mains. Le visage de Pyras se détendit sous la chaleur bienfaisante des soins. La douleur disparaissait progressivement et l'endroit touché par l'ennemi c'était engourdi pendant que les chaires se refermaient sous les yeux ébahis.
Rapidement, Allera senti ses forces la quitter à mesures que les plaies se soignaient. Elle vérifia que le soldat était hors de danger avant d'arrêter les soins. Elle ne pourrait pas faire plus pour le moment. Le visage de l'homme était tuméfié et encore en sang, mais il ne risquait plus rien. Eniel soutint son amie alors qu'elle essayait de se relever, tandis que Ygor aidait son subordonné à se redresser. Ce fut le moment que choisi Elios pour reparaître.
— Il a réussi à s'enfuir, informa-t-il. Je n'ai pas pu le rattraper.
Allera se tendit et elle senti les muscles de son ami faire de même. Ils savaient tous les deux que s'il sortait de la forêt, il irait prévenir l'ennemi. Elle devait rapidement rejoindre la frontière. E quand bien même elle réussirait, c'était tout le camp de Landsberg qui était en danger. Ils ne pouvaient pas se permettre de le laisser partir ainsi.
— Nous devons le rattraper, pressa son ami qui l'empêchait toujours de tober à genoux.
Les regards inquisiteurs des deux plus âgés firent comprendre à Eniel son erreur.
— Avant qu'il ne fasse d'autres victimes, se rattrapa-t-il.
— Je suis d'accord avec Eniel, s'imposa Elios. Il pourrait s'en prendre à des voyageurs sans défense.
L'ardeur du jeune homme à vouloir défendre le peuple eu l'air d'apaiser les suspicions des deux autres. Ygor prit quelques secondes pour réfléchir à la situation.
— Il aura peu de chance de croiser autre chose que des Voras ou des soldats dans ces lieux. Nous devons d'abord nous occuper des blessures de Pyras et de la sécurité de Son Altesse.
La réponse n'eut pas l'air de plaire au jeune homme.
— Notre devoir est de protéger le royaume de toutes les menaces, s'emporta-t-il. Nous ne pouvons pas le laisser agir de la sorte.
Son éclat interpella une fois de plus les deux hommes et le ton d'Ygor prit en fermeté lorsqu'il lui répondit.
— Nous nous occuperons de lui plus tard. L'urgence est de mettre la princesse et Pyras en sécurité sans éveiller les soupçons des quiconque !
Le jeune homme ne rétorqua rien et rumina sa colère devant l'inaction de ses aînés. Eniel ne riposta pas non plus. Il devait la jouer finement pour éviter les questions des uns et des autres. Il ne voulait pas trahir le secret de son ami. Pas tant que celle-ci ne serait pas en sécurité de l'autre côté de la frontière. Après cela, il aviserait et tenterait d'agir pour lui garantir du soutient.
— Que pouvons-nous faire ? questionna-t-il. Retourner tous ensemble au camp ferait poser trop de question et la route est encore longue.
Le visage d'Elios s'éclaira. Il avait une solution toute trouvée.
— Je sais où ils peuvent rester. Suivez-moi !
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