Chapitre 9
21 novembre 2022
366 Arroïlabaita bidea, 64500, Urrugne
Harold,
Je me suis disputée avec Eliott sur un sujet vraiment stupide. Je n'ai même pas compris comment c'en est arrivé là. Je me suis laissée prendre dans une baïne. Mon cœur m'a lâché, mon cerveau aussi d'ailleurs. J'ai mal agi, je lui ai mal parlé. J'ai été horrible. Je me déteste, à un tel point.
Mais ce n'est pas uniquement de ma faute. C'est lui qui a commencé. Il m'a dit que je ne mangeais plus assez. Que depuis quelques temps il ne me reconnaissait plus. Que je faisais trop de sport aussi, que j'allais me faire du mal à force, à vouloir tout donner, à vouloir devenir quelqu'un que je ne suis pas. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que je suis condamnée à être moche, à être grosse, à être affalée sur un canapé toute la journée ? Je ne crois pas non, très peu pour moi.
Je ne dis pas que moche et grosse sont des mots associés seulement... si tu savais comment je me sens lorsque je me regarde dans la glace. Je vois les regards désapprobateurs, je sens le désaccord. J'ai peur de mettre un tee-shirt court de peur qu'en m'asseyant, ne transparaissent des bourrelets.
J'ai toujours aimé marcher, je trouvais ça relaxant. Avec ma mère, j'ai découvert la course et bizarrement j'adore ça. Je me sens mieux, moins à l'étroit comme si je pouvais enfin me déployer. Ça fait tout drôle, de faire quelque chose avec elle. Je n'ai plus trop l'habitude. On s'est tant disputées, tant mis de barrières que de les voir s'abaisser, même de quelques centimètres, ça me fait... je ne sais pas. Je dirai que ça me fait de l'effet. Et au final, j'aime ça. Me sentir plus proche d'elle, j'entends.
Je me sens moins lourde alors que je ne perds pas ce fichu poids en trop. J'ai envie de retirer cette peau en trop, de la jeter par la fenêtre. Je sais que c'est bête mais je me sens si nulle à côté des autres... Toujours et encore ces autres. Tu sais, j'en arrive presque à m'imaginer les conseils que tu me donnerais. Je pense que tu me dirais que mon poids ne me définit pas, et je suis d'accord avec ça. Je pense que tu m'expliquerais que je dois faire ça pour moi, non pour les autres, que je n'ai pas de poids, pas de gras en trop, que je ne vois que des défauts là où je devrais voir des qualités et de l'espoir. Je n'ai pas un corps parfait. Et à quoi bon ? Le parfait n'existe pas, le parfait est surfait.
A froid, c'est plus facile de le penser, de le croire. A chaud, c'est une autre histoire. Bouillante, j'ai brûlé Eliott. J'y reviens encore mais je me sens mal. Je ne veux pas m'excuser, je n'ai rien fait de mal si ce n'est lui répondre vertement. Ma fierté est blessée, mon égo également, et le sien aussi a été touché. Harold, je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas demander pardon pour quelque chose que je ne regrette pas. Je ne regrette pas de faire du sport, d'être moi. Et c'est ce qu'il a voulu me faire ressentir, me faire culpabiliser de changer et d'essayer de m'améliorer. Alors je lui en veux terriblement. Je voudrais qu'il s'excuse mais... Et s'il ne le fait pas ? Je n'ai pas envie de perdre mon ami pour ça. Alors je dois choisir. Amitié ou fierté ?
Cela remonte à deux ou trois jours et chaque fois que je le croise, qu'il fait une plaisanterie, j'ai envie de me jeter à son cou pour lui dire combien je suis désolée, combien il me manque. C'est stupide, nous ne nous faisons pas la tête depuis si longtemps, pourtant c'est comme si on m'avait ôté une partie de moi-même. C'est ça l'amitié. Se sentir incomplet quand l'autre n'est pas là. Une drôle de sensation à vrai dire.
Pour en revenir à des sujets plus joyeux et moins déprimants, je vais te parler de mes charmantes sessions sportives avec Clara. Ma nouvelle Best Friend Forever et surtout for never.
Elle adore plus que tout s'admirer travailler ses biceps dans la glace. A ce point là, c'est du voyeurisme. Elle peut se contempler pendant des heures alors qu'elle est en train de tirer ou pousser des poids ou encore soulever des haltères. Une part de moi reste malgré tout admirative. Bien que suintante et essoufflée, Clara demeure... Clara. Peut-être moins élégante mais impressionnante et jolie. Elle le sait, qu'elle est belle. Les hommes la suivent du regard, lui proposent de l'eau ou de lui donner des conseils. Elle les repousse, parfois rouge pivoine, d'autres fois avec humeur.
Je me suis déjà demandée ce que cela ferait d'être à sa place. D'être au centre de l'attention et scrutée de toutes parts. Je t'ai dit que j'en avais plus qu'assez d'être un fantôme, pourtant je préfère ça à tous ces élans de fausse sollicitude dont le seul but est de draguer et de coucher avec une jolie jeune fille. Parfois, quand Clara ne regarde pas, des hommes se penchent, la « matent » comme on dit. L'un d'entre eux est même allé jusqu'à la prendre en photo. Alors j'ai ouvert ma grande bouche. Parce que trop, c'est trop et que même une personne infâme ne mérite pas d'être traitée comme un objet ou un animal de foire.
Je me suis mise à critiquer, de ma voix la plus forte et criante possible, les hommes qui jetaient des regards énamourés et emplis d'un désir animal à des filles qui avaient au moins vingt ans de moins qu'eux. Certains ont été embarrassés, d'autres pas du tout. Pour un peu, je serais allée leur casser la gueule ! Parce que là, ils n'ont pas de visage, pas de face. Ils possèdent seulement une saleté de gueule qui mérite une bonne leçon.
Tu sais que j'ai entendu un homme dire à un de ses amis : « Pour une noire elle est franchement pas mal. Et bien foutue en plus ».
J'ai cru que j'allais lui briser une côte (mais avec ma force de craquette, ça ne risque pas). Je lui ai lancé un regard noir du style : « tu touches à elle: t'es mort mon gars » et je me suis mise de sorte que, de là où ils étaient, ils ne pouvaient pas voir Clara. Je n'ai pas osé dire quelque chose, les mots me sont restés en travers de la gorge. Après coup, en y repensant je me dis que j'aurais pu, j'aurais dû dire ceci ou cela. Mais dans cette situation, on reste souvent muette, tant par peur que par étonnement. Pourquoi donc, au XXIème siècle, entend-on encore ce genre de propos plus que déplacés et totalement racistes et sexistes ?
Je crois que depuis que Clara a vu que je la soutenais et que je remettais les gros balourds à leur place, notre relation n'est plus aussi tendue et j'en suis plutôt soulagée. Attention, je ne dis pas que nous sommes devenues amies mais il s'est installé entre nous une trêve tacite (tout du moins à la salle). Je la défends contre des ennemis qu'elle ne voit pas toujours et elle m'aide à « sporter ». Nouveau mot, breveté aujourd'hui par moi-même.
Liam n'est pas au courant de cette histoire de voyeurs. Je ne sais pas si elle n'ose pas lui en parler ou si elle n'en a tout simplement pas envie. En tout cas, ce n'est pas moi qui irais lui dire. Je tiens à conserver le peu de confiance que sa copine a pu placer en moi. Ces derniers temps, je suis même plus proche d'elle que de lui. Incroyable !
Sur ce, je te laisse je commence à être un peu fatiguée et je pense que je vais aller lire un livre avant de sombrer comme une masse. Le sport, ça fatigue !
Bises,
Maëlle, la sportive de haut niveau
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Madeline s'inquiète. Ces derniers jours, son fils n'est plus aussi heureux. Il ne fait rien qui pourrait lui mettre la puce à l'oreille, il ne se traîne pas dans toute la maison comme une âme en peine, n'oublie pas de se brosser les dents ou de se doucher. Il range la vaisselle, passe l'aspirateur et s'occupe de sa petite sœur. Il dessine avec elle, lui raconte des histoires. Pourtant, quand sa mère le regarde, elle voit bien qu'il lui manque cette étincelle dans son regard, ce feu qui l'illumine tout entier. Ses yeux sont un puits sans fond, une abîme. Elle a peur de s'y aventurer, de ne pas retrouver le chemin de la sortie.
Madeline voudrait l'embrasser, le cajoler mais il n'est plus son tout petit. Il a grandi. Alors elle lui témoigne son amour dans les petites choses du quotidien, lui amenant des Mars à la sortie des cours, l'emmenant au cinéma le soir, même s'il a école le lendemain. Elle ne peut plus le border alors elle se blottit contre lui sur le grand canapé familial et les enveloppe dans un plaid bien chaud.
Elle aimerait qu'il lui dise tout, qu'il se livre. Mais il ne le fait pas et elle ne sait plus quoi faire, si ce n'est attendre.
Eglantine se rue soudain entre ses jambes, stoppant net le courant de ses pensées. Elle lui adresse un sourire barbouillé de confiture à la fraise, reste de son quatre heure. Sa robe de princesse est tâchée elle aussi et ses yeux noirs ourlés de cils immenses la contemple avec adoration. Elle est parfois surprise par cet amour inconditionnel que ses enfants lui témoignent. Derrière elle, Eliott se précipite, une serviette en papier à la main.
« Pardon maman, elle s'est échappée avant que j'aie eu le temps de la nettoyer un peu. C'est un vrai petit cochon celle-là ! » il se frotte la joue, laissant des traînées rougeâtres sur son beau visage.
Sa petite sœur grogne et lui tire la langue, comme elle le fait à chaque contrariété. Madeline lui fait les gros yeux et la petite maline referme sa bouche instantanément. Elle se penche et l'attrape d'une main experte, saisit l'essuie-tout et débarbouille l'enfant. Puis, elle l'emmène dans sa chambre pour jouer à un jeu, permettant ainsi à Eliott de souffler un peu et de relâcher la pression liée à sa responsabilité de grand frère.
Quand elles passent devant lui, sa maman lui caresse la joue avec douceur. Comme quand il était petit et qu'il venait lui réclamer un câlin lorsqu'il se blessait ou se disputait avec un ami.
Ce bref contact le réconforte et lui donne la force de lui sourire.
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29 novembre 2022
6 rue Garat, 64310, Ascain
Maëlle,
J'espère que cela s'est arrangé avec ton petit Eliott. Je trouve qu'il est plutôt charmant. Il est vrai que je ne lui ai écrit qu'une lettre mais dans celle qu'il m'a adressée, il m'a semblé très sincère et touchant. Il tient à toi, énormément.
Je ne sais si la relation que vous entretenez peut se limiter simplement au terme : amitié. Quand je te lis, je vois bien que tout cela te tracasse au plus haut point, que cette simple dispute te fait une peine infinie. Je le vois dans tes virgules, dans tes points sur les « i » qui ressemblent à des larmes. L'écriture nous fait deviner, passer plus d'émotions que n'importe quel autre procédé visant à se libérer de ses sentiments et à les extérioriser.
Quand j'étais plus jeune et que je mon visage n'était pas encore attaqué par les signes de l'âge, j'écrivais mes pensées dans un cahier et chaque soir, ma femme et moi prenions une heure pour y relater les éléments de la journée et nos divers problèmes. Lorsque l'on n'osait se dire les choses en face, nous inscrivions sur le papier ce qui nous tracassait et l'autre lisait tout cela en silence. Nous avons ainsi pu régler de nombreux problèmes mais aussi communiquer, ce que d'autres couples de notre époque n'ont pas réussi à faire.
C'est de cette façon-là que j'ai demandé Héloïse en mariage. Inscrit à l'encre pailleté sur une feuille ornée de fleurs se trouvaient les mots "Veux tu m'épouser ? ". Je la lui ai remise après une soirée à la neige, dans notre station de ski préférée.
Je me dis souvent que les mots ont un pouvoir infini. Une magie qui leur est propre et qui nous aide, chaque jour. Peut-être que c'est de ce genre de magie dont tu aurais besoin pour te réconcilier avec ton ami. Penses-y.
Je ne me prétends pas grand psychologue (je n'ai pas fait les mêmes études que toi) pourtant, l'âge m'a permis d'acquérir une certaine sagesse, si je puis le dire de cette façon. J'ai vu, entendu et vécu de nombreuses choses. Des histoires qui se sont mal finies, d'autres dont la fin est digne d'un conte de fées.
Je vous souhaite à tous deux de réussir à vous entendre et à vous réconcilier. De nos jours, les personnes avec qui l'on peut être sincère et partager nos secrets sont rares. Avec le temps on se rend compte qu'il n'y en a pas de tant avec qui l'on a la possibilité de se dévoiler, sans fard aucun. Un ami, un véritable ami, te voit sans ta carapace, sans tes faux-semblants. Tu dois lui donner accès à cette partie de toi, cette part fragile et pourtant précieuse. J'associe souvent les humains à des huîtres perlières. Cachée au fond de sa coquille, la perle attend d'être découverte. Il faut se donner du mal pour l'ouvrir correctement, pour ne pas la blesser ou la briser mais ce mal en vaut la peine. Il débouche sur un spectacle grandiose et unique. Car chaque perle est unique en son genre, de par sa couleur, sa forme, sa taille, ses nuances.
Je pense qu'Eliott a tenté d'ouvrir cette coquille, sans doute pas de la plus délicate des manières et tu t'es renfermée, te protégeant contre lui mais aussi contre toi-même. Mais en faisant cela, tu t'es blessée.
J'arrête de jouer les moralisateurs, c'est à toi que revient la décision finale : celle de faire ou non le premier pas.
Pour en revenir à Clara, je trouve abject ce que ces hommes ont pu lui dire ou même penser. Cela est affligeant de voir que malgré toutes les avancées technologiques et numériques, toutes les avancées qui ont régi le monde, le sexisme et le racisme sont toujours présents et ancrés dans certaines mentalités. C'est révoltant !
J'avais un ami juif avant. Il était d'une sympathie et d'une gentillesse hors norme. Il était toujours là pour moi, avait un cœur en or. Mais lorsque nous avions dans les dix ans, dans cette période terrible que fut l'après-guerre, l'antisémitisme était encore présent. On aurait pu croire que les événements auraient servi de leçon et montré les dangers de la racialisation. Pourtant, il a été jugé, moqué, dénigré un nombre incalculable de fois. J'ai eu beau prendre sa défense, parfois, je ne pouvais rien faire. Je me sentais impuissant, inutile. Je rêvais d'agir en héros, de le sauver de ces remarques plus que déplacées. Mais il m'apaisait d'un signe de la tête, me faisant comprendre que cela ne servait à rien de riposter. Je ne sais pas si j'aurais eu le cran de le faire d'ailleurs. Si j'aurais eu le courage de leur adresser des regards mauvais ou de leur jeter des tomates au visage. Je pense qu'à cet âge, j'étais trop timide et effacé, trop invisible et soucieux de bien faire que je n'aurais pas moufter. Et j'en ai honte.
Il faut savoir agir, se battre pour des causes qui nous tiennent à cœur. Il faut savoir élever la voix, se faire entendre. Pourtant, cela peut être très risqué. Accepterons-nous de nous mettre en danger pour préserver autrui ? Cette question, je me la pose souvent et je te la pose aussi.
A bientôt,
Harold Berckley
PS : Je sais que tu te sens complexée, mal dans ta peau. Mais sache une chose, il n'y a pas de personnes grosses, de personnes laides. Il n'y a que des médisants et des lâches. Sache-le. Ne laisse jamais quiconque te faire sentir diminuée à cause de ton apparence. Ne laisse pas des commentaires désobligeants changer le regard que tu te portais.
Ce que tu m'as dit m'a fait frémir. Véritablement. J'ai pu constater ce que la société faisait aux mentalités, du fait qu'elle nous impose ses diktats. Je ne pense pas que rester à lire tranquillement dans un canapé soit un signe de paresse ou que cela conduise à être « gros ».
Si tu savais à quel point je maudis la société actuelle. J'aimerais qu'elle voit de ses propres yeux ce qu'elle a fait au monde. Les larmes qu'elle a amenées sur des visages trop ronds, trop maigres, trop ceci ou trop cela. J'aimerais qu'elle comprenne que personne n'est parfait, que chaque être est unique et que cela fait sa beauté.
Mais la société, c'est nous. Un ensemble de nous. C'est la somme de chacun. Alors comment faire pour se dégager du regard d'autrui ? Il faut lever la tête. Avancer fièrement. Et se dire qu'on est assez bien pour soi...
PPS : Je crois bien que c'est le plus long post scriptum que je n'ai jamais écrit.
Elle reçoit la lettre d'Harold un vendredi, ce qui lui donne tout le temps d'y penser durant le week-end.
Elle a passé des heures à se torturer l'esprit, à mettre sans dessus dessous son pauvre cerveau. L'idée d'Harold lui a paru bonne mais irréalisable. Comment faire pour l'approcher sans lui parler, lui dire ce qu'elle ressent sans même lui adresser la parole? Et si elle écrivait une bêtise, si cela ne changeait rien et qu'ils restaient en froid ? une fois donné le papier resterait la preuve de son échec cuisant. De cela, elle n'en avait pas réellement envie.
Mais c'est contre toute attente Clara qui lui a fait changer d'avis et reconsidérer le projet de son correspondant. Alors que l'étudiante en médecine vient, encore une fois, passer la soirée à la maison, elle évoque une dispute avec une des super amies.
Installés dans le patio, Liam et Clara partagent un fauteuil et Ambre et Maëlle sont assises dans leur canapé respectif, face à eux. La jeune femme gesticulait avec force tout en s'agaçant sur sa compagne qui lui avait volé ses cours et piqué la vedette en plein cours, et faillit briser un vase empli de fleurs séchées. Un des nombreux coussins disposés sur les sièges s'écrase sur le sol en maille tressée, résultat de l'agacement visible de leur invitée.
Cette partie-là de la maison est définie comme plus champêtre, visant à attirer les éloges des bobos parisiens, amis de Philippe. Bien sûr, tous ses amis ne sont pas futiles mais on ne peut dire cela de tous.
Ce lieu plaît particulièrement à Maëlle car il y règne une atmosphère plus détendue et bien moins guindée que dans le salon ou la cuisine par exemple. Ici le désordre n'est pas perçu comme un crime de lèse-majesté et déranger les coussins ne lui vaut pas un commentaire désobligeant.
Autour d'eux, la végétation domine, encadrant les poutres noires et les vitres qui délimitent la pièce.
L'esprit de Maëlle, jusqu'alors concentré sur l'agencement du lieu se recentre sur l'histoire absolument passionnante de Clara et de Jessica.
« Vous vous rendez compte ? Elle a osé donner MA réponse au chef de service. Ma réponse qui était complète et qui lui a valu les éloges des infirmiers ! A quoi ça sert de travailler si c'est pour se faire voler le fruit de notre labeur ! »
Liam paraît, comme à son habitude, subjugué par sa copine. Il acquiesce et s'adapte à ce que sa petite amie veut entendre. Il n'a plus d'opinion et cela, Maëlle le remarque aisément.
« Peut-être que c'était aussi sa réponse. Tu sais quand il n'y a qu'une seule solution, ça limite un peu le champ des possibles.
- Tu ne peux pas comprendre ! A ton âge, les amitiés ne valent rien et tout le monde se trahit une fois que l'autre a le dos tourné. Je suis sûre que tu n'as pas de vrais amis hein Maëlle ? Pas de personnes sur qui tu peux compter quand tu as un gros pépin. C'est normal, c'est le lycée ! Elle pousse un soupir désabusé, mais quand tu seras plus grande, tu verras comme c'est important de faire confiance d'abord à soi-même puis aux autres ; J'avais confiance en Priscillia mais elle ne la méritait pas. Alors j'ai coupé les points. Aussi simple que ça. Mais, encore une fois, tu ne peux pas comprendre. »
Maëlle rougit de colère. Ce qu'elle ne comprend pas c'est le niveau de bêtise de la jeune femme.
Elle a Eliott après tout. Et lui vaut bien plus que des millions de Priscilla ou de Choubidoua. En pensant à leur amitié endommagée, elle serre les dents. Elle ne veut pas qu'ils deviennent des étrangers, elle n'accepterait pas le fait qu'ils ne se parlent plus, ne se voient plus. Hors de question de couper les ponts, comme l'a fait Clara, pour une seule dispute sur un sujet stupide quoique personnel. Elle s'y refuse tout bonnement.
L'idée creusant son chemin, Maëlle passe les deux heures suivantes à imaginer ce qu'elle dira à Eliott, à sa façon de s'excuser sans pour autant s'approprier l'entièreté de la faute. Il a eu tort, tout comme elle. Point final, il n'y a pas à chipoter.
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Une fois la charmante petite-amie de son frère partie, Maëlle se rue dans sa chambre pour pouvoir penser en toute tranquillité. Elle ne sait pas pourquoi elle est obligée de rester avec eux pour discuter et prendre un goûter. Sa mère le lui ordonne toujours mais elle n'a rien à leur dire et sa présence les incommode plus qu'autre chose. Elle est la cinquième roue du carrosse. Après, il faut bien avouer qu'elle se régale devant leur mine déconfite quand elle s'incruste et qu'elle plombe l'ambiance en racontant des anecdotes de couples qui se séparent. C'est ça petite passion coupable. Les faire flipper. Voir leurs regards se croiser et se demander si l'autre a déjà pensé à le quitter.
Elle secoue la tête et se reconcentre. Elle doit parler à Eliott demain et il faut absolument qu'elle trouve par quel moyen le faire. Elle ne va pas lui chanter une chanson de pardon comme dans les Disney, ne va pas lui danser la macarena (la seule danse qu'elle connaisse), pour exprimer son regret. Non, il lui faut autre chose...
Soudain, ses yeux se posent sur la lettre d'Harold. La voilà l'idée. Elle va écouter les conseils de son correspondant et lui écrire un mot ! Si ça a marché pour lui et Héloïse, pourquoi cela ne marcherait-il pas pour eux ?
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« Eliott. Je t'écris pour te dire que je me sens mal. Mal de savoir que tu n'apprécies pas le fait que je change, mal de m'être fâchée contre toi. Tu me manques. Mon dieu que je me sens ridicule à écrire ça. Mais bon, c'est important. Je n'aime pas l'image que me renvoie le miroir alors j'essaie de l'apprécier davantage. De base, je ne me suis pas mise au sport pour être mince mais pour éviter une dispute familiale ( c'est une longue histoire que je te raconterai plus tard). Je ne suis pas anorexique, je n'ai pas de blocage mental en ce qui concerne la nourriture. Manger est juste plus compliqué en ce moment du fait que je sois malade (rien ne grave, je tiens à préciser).
Tes propos m'ont blessée. J'ai cru que je venais de me prendre un pied de parasol en pleine face (imagine la douleur). Donc oui, je n'ai pas été très sympa avec toi par la suite et j'ai peut-être exagéré en te hurlant dessus de la manière dont je l'ai fait. J'en suis désolée. Mais tu comprends, j'ai découvert que je pouvais essayer de nouvelles choses et y arriver. Ma mère dit que je cours bien, que j'ai un rythme de compet ! J'ai réalisé que je pouvais apporter de la nouveauté moi-même, que juste en courant, en écrivant à Harold ou en m'achetant une robe vintage, je pouvais quitter mon monde monochrome et m'élancer vers la lumière plus colorée d'un autre univers (rassure-toi, tu ne fais pas partie de ce monde tout tristounet mais de celui plus joyeux).
J'ai fait le premier pas, je me suis ridiculisée. Je croise les doigts pour que ça ait servi à quelque chose »
Il ne finit même pas sa lecture qu'il enlace son amie, nichant son visage dans ses cheveux aux légers reflets dorés qui se mêlent avec le châtain de sa chevelure.
Ils s'agrippent, comme on s'accroche à une bouée pour se retenir de couler. Elle croit qu'elle pleure, il est sûr que des larmes s'échappent et ruissellent sur son visage. Elle oublie tout. Elle est en sécurité dans ses bras. Il la retient, pour ne pas la perdre encore une fois. Autour d'eux, le monde se volatilise, se dissipe. Ils sont seuls dans cet univers fait de joie et de bonheur.
« C'était une idée d'Harold tu sais, lui murmure-t-elle, la tête toujours posée sur sa poitrine
- Ça, je m'en serais douté, lui répond-il, un sourire se dessinant sur ses lèvres pâles »
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