Chapitre 7

Oihan travaille, distribuant enveloppes, colis et paquets de tous genres comme il le fait depuis ces trois dernières années. Pourtant, ces temps-ci, son travail ne lui pèse plus autant. Il sait que grâce à lui, il a rencontré une amie. Une personne sera à ses côtés et qui le supporte, malgré son sale caractère et sa tendance à s'enticher de toutes les personnes qu'il croise. Cela fait même rire Johanna qui elle n'exprime jamais ses sentiments et pour qui l'amour ou tout du moins les sentiments tels que l'attachement passionnel et le désir sont des notions totalement surfaites et inutiles à la société.

Mardi. Jour où il délivre à Harold les lettres de Maëlle. Mardi. Jour heureux qui lui a permis de trouver enfin quelqu'un qu'il pourrait aimer, non pas tel un amant mais tel un confident et un soutien.

Il salue le vieil homme qui jardine dans sa salopette bleue, cadeau de son petit-fils Jules et qui le fait aisément passer pour le schtroumpf bricoleur. C'est même la raison pour laquelle il la lui a offerte -même si ce sont ses parents qui l'ont payée et emballée-.

Il lui rend son signe de la main, lui crie par-dessus la haie :

« Comment allez-vous, mon petit ?»,puis, après avoir reçu sa réponse, le vieil homme se remet gaiement au travail. Il ne se sent jamais aussi vivant qu'au contact des plantes. La terre qui glisse sous ses doigts lui rappelle qu'il a, ici, le droit de créer, les pousses qui crèvent la surface rocailleuse et lèvent leur tête ébahie sur ce monde lui en rappelle sa beauté. Il leur parle à tous. A tous les arbustes, tous les bourgeons, les plants du potager et même aux mauvaises herbes. Il leur raconte des histoires, se confie. Il l'a déjà dit, la terre est son confessionnal, là où ses émotions se déversent par vagues fleuries.

31 ocotbre 2022

6 rue Garat, 64310, Ascain

Maëlle,

Ne t'inquiète pas, je suis vieux et je le sais. Il est bien vrai que je peux parler facilement de ma vie à n'importe qui. Cela distrait certains tandis que d'autres sont gênés.

Il revoit encore la vendeuse du magasin de jouets, qui l'avait houspillé pour qu'il quitte la caisse et laisse les autres clients passer parce que :

« Ce n'est pas que j'en ai rien à cirer de votre fille qui part en voyage humanitaire et à qui vous allez offrir une peluche de loutre parce qu'elle les adore, mais y'a du monde derrière qui attend alors merci de débarrasser le plancher ! »

Il revoit son air pas aimable et sa tête du pitbull. Lui qui était d'ordinaire si poli aurait bien aimé avoir un dentier pour pouvoir le lui balancer à la figure. Mais sa dentition étant encore irréprochable, il avait dû se contenter de partir avec toute sa dignité, pendant qu'elle murmurait dans son dos : « Pauvre vieux con, va ».

Rien qu'à l'évocation de ce souvenir, il ne rêve que d'une chose, y retourner et lui demander où se trouve le rayon couches ( il s'agit d'un magasin pour enfants tout de même). Ô, que ce serait bon !

Il balaye pourtant bien vite cette idée, refoulant ce côté plus sombre qui l'habite à certains moments.

Je ne vois pas pourquoi il est devenu dérangeant de donner plus d'informations sur soi que son nom et son prénom. Avec les réseaux sociaux, on apprend tellement sur les autres. Pourquoi ne pas en parler en vrai ? Je ne sais pas si mon attitude a un rapport avec mon âge car nombreuses sont les personnes âgées qui ne supportent pas de faire étalage de leurs pensées. Quant à l'influence de mon éducation, j'ai quelques réserves à ce propos. Mes parents étaient plutôt calmes et soucieux de se fondre dans la masse. Ils ne faisaient pas de vagues, n'exprimaient pas leurs opinions, si elles étaient contraires à celles de leurs amis. Ils se taisaient, ne parlaient jamais de leur enfance, de leurs projets. J'étais comme eux, avant. Mais un jour on se rend compte que finalement, on existe. Que l'on peut parler aux gens de notre vie sans complexe car elle fait partie de nous. Qui ne l'aime pas est toujours libre de s'en aller.

Ta lettre m'émeut. On vit tous dans l'ombre d'une personne. Que ce soit un ami, un frère ou une sœur, un parent ou encore une de nos idoles. Mais parfois, il faudrait se demander si l'on n'est pas la lumière de quelqu'un. Si l'on est utile, si l'on aide même sans s'en rendre compte. Il est possible que tu sois celle qui donne le courage à une personne de se lever le matin, que tu sois l'ancre d'un inconnu à tes yeux. Tu ne peux pas le savoir mais tu peux au moins prendre conscience de ta valeur ; on a parfois l'impression d'être invisible alors que c'est totalement faux. Le regard que l'on porte sur soi n'est pas forcément le même que celui que les autres nous portent. On est différents, emplis de surprises et de talents cachés. On s'enfouit dans la normalité pour ne pas s'effrayer. Mais parfois, il faut se mettre un bon coup de pied au derrière ! Que les autres découvrent ta réalité certes, mais surtout toi, tu dois savoir qui tu es pour ensuite laisser ces autres te découvrir.

Tu n'as pas à te cantonner à une case, à un mot. Tu es loin d'être inutile. Tu me permets de te parler et de te découvrir. De découvrir une jeune fille pleine d'émotions, de sentiments et de cœur. Une jeune fille remplie de promesses qui un jour déploiera ses ailes et changera le monde.

Ne te sous-estime jamais. On est plus fort qu'on ne le pense. C'est ma femme qui disait ça. Elle était cette lumière dont je te parlais tout à l'heure. Cet éclat de vie, cet éclat de folie qui rendait mon existence plus douce. Héloïse, la femme dont tu voudrais que je te parle. Elle était... indescriptible. Ses yeux étaient pétillants de joie, ses cheveux irradiaient de lumière et sa peau était d'une douceur de soie. Je n'ai pas assez de mots pour la décrire ; pour te faire ressentir l'amour qui m'envahissait chaque fois que mon regard se posait sur elle. Il m'est arrivé de rester de longues minutes à la regarder et quand elle le remarquait, elle me disait, surprise : « Mais qu'est-ce que tu fais ?

Et invariablement, je lui répondais

- Je te regarde parce que tu es belle et que je sais que chaque matin, chaque soir, et chaque jour je les passerai à tes côtés. Je te regarde parce que je veux graver au fond de ma rétine, l'image même du bonheur. Je suis tien et tu es mienne comme deux et deux font un. Certains diront que c'est de la folie, une pure fantaisie. Mais je te l'ai promis, mon cœur est à toi et cela est aussi évident que le soleil se couche à l'ouest»

Elle partait alors dans un éclat de rire gêné et, quand elle avait un torchon à la main, alors que nous préparions le dîner me le lançait à la tête. Bien entendu, je répliquais et cela donnait lieu à des combats épiques. Nous cuisinions toujours à deux - j'étais meilleur cuisinier qu'elle, avouons-le- et il n'était pas rare que l'on se retrouve couverts d'épluchures de carottes. Nous étions de grands enfants. Des pitres. Avec elle, je n'avais pas besoin d'être constamment un adulte réfléchi, posé. Je pouvais être vrai.

Elle a toujours été près de moi, à chaque instant. A chaque tempête, à chaque moment de ma vie où j'ai cru m'effondrer, elle était à mes côtés pour me relever. Et inversement. Nous étions une équipe qui courait ensemble sur les couteaux de la vie, tenant sur un fil invisible de funambule. Mais son fil s'est cassé et je me retrouve à finir la course sans elle.

Une personne peut changer notre univers, en bien comme en mal. Il faut simplement laisser entrer la lumière. Que cela soit une étoile, une lune ou un soleil, laisse-toi éclairer par cette personne qui chamboulera ton univers en te rendant plus heureuse, plus radieuse.

Tu dois accepter de trouver le sourire dans les choses simples de la vie. Accepter l'amour, l'amitié. Accepter que les événements ne se passent pas tel que l'on aimerait qu'ils se passent. Accepter les aléas, les embûches qui parsèment notre chemin. Il faut tout simplement s'écouter et s'accepter tel que l'on est. Être sincère avec soi pour se voir. Être. Sans faux-semblants, sans parodies. Nue de tout mensonge et de tous masques. Vraie. La Maëlle que tu cherches tant et si bien se montrera quand tu seras capable de l'aimer pour ce qu'elle est.

Tu as encore beaucoup à apprendre mais n'oublie jamais de suivre tes rêves. De suivre ton instinct. Eux seuls peuvent te mener jusqu'à ta lumière intérieure.

Harold Berckley

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4 novembre 2022

9 allée des Hirondelles, 64310, Sare

Monsieur Berckley,

Je me présente, j'ai pour nom Jacob Edman. Je suis suédois, arrivé en France lorsque j'avais douze ou treize ans. Et je rêve de devenir comédien.

C'est Maëlle qui m'a fait lire les dernières lignes de votre lettre. Elle a dit qu'elle me parlerait et que peut-être, elles me seraient aussi utiles qu'à elle. Et elle a eu raison.

Je dois vous avouer qu'au début j'étais plus que réticent à l'idée de vous écrire. Je ne portais pas véritablement Maëlle dans mon cœur, aveuglé par les préjugés, par des idées reçues. Pourtant, elle a été adorable bien qu'elle sache tout de mon animosité à son égard. Elle m'a lu votre missive qui m'est apparue salutaire.

J'hésitais à me présenter à un casting qui avait lieu en visioconférence, persuadé que de toute manière mon rêve de devenir acteur n'était rien d'autre qu'un souhait puéril et futile. J'étais résolu à tourner la page, à baisser les bras et à décevoir l'enfant que j'étais.

Mais grâce à vous deux, je suis redevenu cet enfant. J'ai joué devant le jury, j'ai été retenu et je pose dans quelques jours ma démission pour vivre de ma passion. Alors merci, merci du fond du cœur. Vous avez joué un rôle décisif dans ma vie et c'est le destin qui vous a placé sur mon chemin. Je crois au hasard, à la destinée. Je crois aux miracles et, Maëlle et vous, avez été le mien. Même si la tournée n'est pas une réussite, même si je dois réendosser le rôle de secrétaire médical, je le ferais en sachant que j'ai un jour eu l'audace de suivre mon rêve.

On parle parfois de bonne fée, vous êtes ma bonne étoile.

Si je reçois un prix, je vous citerai dans mes remerciements ! Je m'emballe sans doute trop mais c'est l'excitation qui parle. Elle me gonfle le cœur et me fait décoller, atteindre le septième ciel.

J'ai annoncé la nouvelle à ma mère et elle a été autant surprise que contente pour moi. J'ai pu lui parler de ce que je ressentais vis-à-vis du fait qu'elle ne me supportait pas. J'ai compris qu'elle s'inquiétait pour moi, qu'elle désirait simplement que je ne me fasse pas de faux espoirs et que je finisse en vieil alcoolique drogué.

Merci à vous. Merci à ces inconnus qui m'ont aidé plus que n'importe quel proche. Je vous en serai éternellement reconnaissant.

Le futur comédien, Jacob

Il fait lire sa lettre à Maëlle, qui inscrit l'adresse d'Harold au dos de l'enveloppe. Ils se rendent ensemble à la poste, durant leur pause déjeuner. Maëlle a deux heures de pause et compte bien en profiter. Le long du trajet, elle demande à Jacob de lui jouer un extrait de sa pièce. D'abord un peu gêné à l'idée de se mettre à déclamer en pleine rue, la tentation est plus forte et il se prend au jeu. Il gesticule, mime, murmure, hurle. Sans y prêter attention, il s'arrête en plein chemin et se retrouve bientôt entouré de passants. Tous l'écoutent, le suivent dans son monde fait de lieux et personnages imaginaires.

Lorsqu'il sort de sa transe, il est surpris de voir tous ces gens qui l'applaudissent et lui sourient. Maëlle lui prend la main et la lève bien haut au-dessus de sa tête, en signe de victoire. Il s'incline, comme un pro et ils repartent ensemble vers la poste pour y laisser la lettre de Jacob.

Ils discutent un bon moment. Maëlle lui exprime sa stupeur lorsqu'elle a vu cet homme gigantesque et impressionnant se mettre à nu et déclamer avec fougue des vers et des tirades entières. Jacob lui explique comment elle a changé son existence, comment Harold l'a aidé. Il reste tout de même réservé, conscient de la drôle de relation qu'ils partagent. Elle est la fille de son presque ex-patron, est bien plus jeune que lui et bien qu'il est parfois l'impression qu'il pourrait être son cousin, il se souvient qu'il y a de cela quelques jours, il ne pouvait pas la supporter.

Les avis changent, les idées et les mentalités aussi. A l'aide des lettres de nouveaux liens se sont créés, des relations se sont construites et sont fondées sur le partage.

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Une fois sa journée de cours terminée, qui s'est passée bien mieux grâce à sa marche et son déjeuner avec Jacob, Maëlle profite d'être rentrée à la maison pour se mettre à cuisiner.

Elle vient tout juste de sortir du four un carrot cake un peu flambé mais dégageant malgré tout une divine odeur dans toute la maison. Avec un peu de chance, ce fumet lui donnera faim... ou pas. La nausée arrive presque aussitôt. Elle ferme les yeux, cale sa respiration sur les battements désordonnés de son cœur. Vraiment, elle en a marre de cette stupide gastro qui traîne depuis déjà pas mal de temps. Des bruits de pas se font entendre, dévalant les marches de l'escalier quatre à quatre. La bouille de son frère apparaît et pendant quelques instants, elle est replongée dans le passé.

Avec maman, elle venait de faire des cookies. C'était sa première fournée et elle avait mis de grosses pépites de chocolat. Elle avait regardé maman affronter le four, en sortant une plaque brûlante de biscuits. L'odeur s'était répandue dans toute la maison et comme aujourd'hui, un petit gourmand était arrivé en trombe. Les cheveux plus frisés, plus longs aussi, l'air plus réjoui, pas encore hanté par le présent. Il souriait, laissant apparaître des trous là où auraient dû se trouver ses dents du devant. Il avait couru jusqu'à sa sœur, la regardant avec adoration.

« Ça sent bon, je peux en avoir ? »

Il était plus âgé qu'elle mais à ce moment-là, elle se souvient avoir eu l'impression d'être sa grande sœur, d'avoir eu le pouvoir magique de lui faire plaisir.

Ils les avaient mangés tous les trois sur la terrasse, se brûlant les doigts et la langue. Le chocolat coulait de partout, tachant assiettes, nappe et même vêtements. Mais ils s'en fichaient, c'était si bon.

Cette réminiscence est aussi douce qu'amère. Elle est le symbole de ce qui a été, d'un amour ayant existé. Mais Maëlle a l'impression qu'il le lui a été volé.

« C'est quoi ? »

Elle lève les yeux, tentant de superposer sur l'image du jeune Liam, celle de l'adulte qui se tient devant elle. Il a pris de nombreux centimètres, atteignant les 1m87. Sa barbe a poussé aussi et il la laisse parfois plusieurs jours avant de se raser. Maëlle aime bien quand il fait ça. Il a l'air moins propret, moins soucieux de son apparence. Ses cheveux roux sont plaqués sur sa tête et elle n'a qu'une envie, passer la main au travers pour les décoiffer. Comme avant.

« C'est quoi ? » redemande-t-il, ne sachant si sa sœur l'a entendu. Elle est dans la lune en ce moment - enfin plus que d'habitude - et il ne peut s'empêcher de vouloir la secouer pour la réveiller. Son air rêveur l'agace plus que tout autre chose.

- C'est un carrot cake. Un peu cramé, elle rit, j'ai oublié de mettre le minuteur, tu me connais. Mais t'en veux quand même un bout ? Si on retire le brûlé ça devrait pas être si mauvais que ça. »

Le regard qu'elle lui lance est empli d'espoir. Elle voudrait que tout redevienne comme avant, comme quand il l'aimait encore. Ce gâteau pourrait être le premier pas vers leur réconciliation. Elle lui sort une assiette, alors qu'elle allait se servir dans un sopalin, et lui dépose une tranche fumante de son cake. Il la dévisage, cherchant sans doute à savoir si elle veut l'empoisonner. Mais il cède à la tentation. Il a révisé comme un fou pendant quatre heures pour son examen de la semaine prochaine et il lui reste encore trois chapitres entiers à apprendre. Il est épuisé et à cet instant précis, ce carrot cake lui fait l'effet d'un canot de sauvetage en plein naufrage. Il veut s'y accrocher, tant bien que mal.

Pourtant, alors qu'il le porte à ses lèvres, un cri le fait sursauter et reposer sa part, dégonflant net le canot et brisant sec les projets d'avenir de Maëlle.

« Et tu vas encore me faire porter le chapeau, je me trompe ?

- Vas-y comporte toi en victime ! Comme si toute cette histoire n'était pas entièrement ta faute !

- Encore une fois tu divagues ! Ça fait combien de temps Philippe? Combien d'années que tu me le rabâches à chaque dispute ?

- Parce que c'est grave !

- Il y a prescription au bout d'un moment !

Les portes claquent, le sol tremble sous le coup de la fureur. Liam et Maëlle se regardent. Ils n'ont aucun souvenir des disputes de leurs parents qui font tout pour éviter qu'ils y assistent alors ils sont surpris, perdus et apeurés par ce ton violent qu'ils emploient.

- Tu dois lui dire !

- Lui dire quoi ? Que son père la trouve grasse alors qu'elle est normale, que son père veut qu'elle aille à la salle de sport avec une fille qu'elle ne supporte pas juste pour faire bonne figure et pour avoir un ventre aussi plat que celui d'une mannequin ? Non bien sûr ! Je vais devoir ruser, lui dire que c'est pour son bien. Hors de question de TE mettre dans le pétrin !

- C'est ta fille après tout, tu trouveras bien un moyen. Mais je veux qu'elle y aille, qu'elle se muscle un peu que diable ! Elle est aussi molle que ma grand-tante et elle s'essouffle tout aussi vite ! Ce n'est pas une ado, c'est une vieille dame ! »

Maëlle ne saurait dire ce qui est le plus blessant. Les propos que tient son père à son égard ou le regard incendiaire que lui jette Liam. Comme si, comme si...

« Tout est encore ta faute Maëlle. Faut toujours que tu viennes tout gâcher. »

Elle accuse le coup. Inspire. Se concentre et... Et merde elle va lâcher:

« C'est toujours ma faute, à moi ? C'est toujours moi qui aide, qui range la maison, qui m'occupe de plier ton linge quand tu es trop fatigué, quand tu révises ou quand tu restes avec ta poufiasse de petite amie ! Je gâche tout moi qui dois me taire quand je rêve d'hurler, qui doit faire comme si je n'existais pas pour éviter qu'on me tienne ce genre de propos ? C'est ça hein ? »

Double dispute. Quatre cœurs brisés. Chaque membre de cette famille étant un coin d'un carré. Éloigné, distant. Droit en apparence, pas toujours perpendiculaire avec les autres quand on utilise une équerre. Une figure plus que complexe, de celle qu'on nous dit aisée à tracer mais qui ne l'est pas.

« Ecoute Mél, devant son œil noir il s'éloigne de quelques centimètres, écoute. Je sais que ce n'est pas de ta faute et je suis désolé. »

De stupeur, Maëlle faillit s'évanouir. Son frère lui présente des excuses. Son frère, le grand Liam reconnaît enfin qu'il a tort. Son visage se dégage alors, laissant ses sourcils se détendre et sa bouche quitter sa moue boudeuse.

Il continue :

« C'est juste qu'ils risquent de s'énerver encore longtemps pour ça. Papa pense que tu as réellement besoin d'aller à la salle mais il est juste maladroit dans sa façon d'en parler. Et tu sais que maman ne supporte pas ce genre d'endroit et que le seul sport qu'elle juge utile est la course.

Il enchaîne, de plus en plus serein, plaçant ça et là ses arguments avec une extrême virtuosité:

"Ils ne se disputent peut-être pas mais c'est tendu à la maison en ce moment. Je sais que je ne peux rien y faire mais toi... tu peux peut-être les aider. Tu ne crois pas ? Faire, tu sais, le premier pas ? »

Ce discours mielleux, cette gentillesse apparente, la façon dont au cours de cette tirade, il lui avait saisi les mains auraient dû lui mettre la puce à l'oreille. Jamais Liam ne ferait cela. Jamais, pas même pour stopper un litige.

Mais Maëlle est aveuglée. Aveuglée par l'espoir, par l'envie de croire que son frère est de retour, qu'il n'est pas devenu un inconnu, insouciant des problèmes familiaux. Elle le voit comme un sauveur, comme un grand frère.

« Ok, je vais aller voir. Si je leur dis que je m'inscris à la salle, papa sera content et maman s'en remettra. Ils arrêteront de se hurler dessus puisqu'il s'agit de ma décision et nous, on aura la paix ! »

Elle déballe tout d'une traite, si heureuse de comploter avec Liam, comme avant lorsqu'il planifiait l'invasion de la cuisine pour faire une razzia de chocolats et de caramels. Ils se sourient et elle se dirige à l'étage, fidèle petit soldat prêt à subir les coups de feu pour arrêter la bataille.

Pendant ce temps, Liam jubile. Si Maëlle s'inscrit à la salle de sport, il ne l'aura plus dans les pattes. Il n'aura plus à la supporter chantonner quand il veut réviser tranquillement. Avec un peu de chance, elle ira même aux cours de fitness qui ont lieu vers vingt heures ce qui lui laissera la possibilité de choisir le menu et le programme télé le soir ! Il en a marre de manger du tofu deux fois par semaine ou des galettes de soja. Il n'est pas végétarien, lui !

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