Chapitre 30
Il a plié la feuille, tout seul comme un grand. Il l'a façonnée de façon à ce qu'elle devienne un bateau, capable de rejoindre Maëlle. Il y a passé des heures, il aurait bien voulu abandonner. Mais il a persévéré pour offrir ce dernier présent à son amie-cousine.
Sur la jetée, tout est calme. Il n'y a que peu de passants, quelques familles seulement qui se baladent, heureuses d'être ensemble. Lui est avec son papy. Il a insisté pour venir passer le week-end à Ascain pour lui remonter le moral. Il aime bien remonter le moral des gens, Jules. Il a besoin de voir des sourires s'épanouir sur des visages pour se sentir complet et comblé.
Il pose sa lettre sur le rebord des murets en pierre qui délimitent l'accès à la plage. Il ne va pas la lancer flotter comme la fleur que papy a emmenée, il ne veut pas polluer. Il la lance donc quelques minutes, le temps, il l'espère pour Maëlle de lire sa lettre. Après, il la ramènera chez lui et la placera dans sa boîte à souvenirs. Pour se rappeler.
Un souffle balaie le papier et Jules attend, excité. Il est persuadé que Maëlle se tient à ses côtés, se penche et lit sa lettre. C'est obligé.
Maëlle,
Papy m'a dit que tu étais partie. Il ne m'a pas dit où. Il m'a aussi dit que, si je le voulais, je pouvais t'écrire une lettre pour te souhaiter bon voyage.
En tout cas, j'espère que tu as bien préparé tes valises. C'est important de ne pas oublier sa brosse à dents ou ses peluches. J'ai déjà oublié ma brosse à dents électrique et papa était vraiment pas content. Pour lui, « l'hygiène dentaire est primordiale pour une vie réussie ». Et il n'est même pas dentiste ! C'est fort du roquefort là quand même.
J'allais te parler d'un truc mais j'ai oublié ce que je voulais te dire... ou plutôt t'écrire.
Ah si ! Ça me revient maintenant. J'allais te conseiller de garder avec toi tes doudous dans l'avion. C'est plus prudent !
Moi, je ne fais pas confiance aux gens de l'aéroport, j'ai peur qu'ils oublient ma valise ou perdent mon trolley. Du coup, je garde ma barbie sauveteuse et mon monsieur Câlin avec moi. Juste au cas où. En plus, on s'amuse bien tous les trois dans l'avion. On fait des batailles spatiales, on embête le vieux râleur qui insulte les hôtesses de l'air parce que, je cite « Ca fait 10 minutes que j'attends mon verre de vin ! Vous pouvez pas bouger votre derrière » (il a employé un gros mot mais je n'ai pas envie de mettre 1 euros dans la tirelire à gros mots. De base elle a été faite pour que maman arrête de jurer toutes les cinq minutes... mais ça marche pas trop).
Bon, peut-être que c'était pas vraiment rigolo quand j'ai coincé les cheveux de Rebecca (ma Barbie) dans le clic-clac où on pose la nourriture (papy vient de me dire qu'on appelle ça un plateau). Je crois qu'elle n'a pas apprécié. Il faut dire qu'elle avait un peu moins de cheveux après ça.
Je sais pas si tu as remarqué mais j'ose aller à l'aéroport et dans l'avion avec ma poupée. C'est papy (toujours lui) qui m'a dit que je ne devrais pas avoir honte de jouer avec et que c'était normal d'en avoir une. Il a aussi affirmé que ceux qui se moquaient étaient des gros jaloux, peureux qui n'osaient pas s'amuser avec un jouet soi-disant « féminenin ».
Alors maintenant, j'ai un peu moins peur de la sortir et je ne la cache plus au fond de mon sac quand on va au parc. Je lutte pour « l'égalité des sexes ». Je vois pas ce que le sexe vient faire dedans mais tout va bien !
En tout cas, si un jour ça te tente, on pourra prendre l'avion ensemble et on jouera aux jeux que tu veux. Sauf à 1,2, 3 soleil. C'est interdit d'y jouer dans les avions. Je parle d'expérience.
A côté de moi, papy a les yeux tout rouge. Je crois qu'il a pleuré. Je parie que tu vas lui manquer ; tu fais un peu partie de la famille maintenant. Pas par le sang, mais par le papy. C'est cool aussi, tu trouves pas ?
En parlant de cool, tu sais pas quoi ? Quand j'ai raconté à mes copains que j'avais une amie de 17 ans, ils ont pas voulu me croire. Thomas m'a même traité de menteur. Il disait que les grands ne voulaient jamais être ami avec des petits et encore moins avec un petit comme moi. C'est vrai que je suis pas très grand mais quand même ! C'est pas super gentil.
Mais j'ai parlé de toi, de ton lycée, de ton prénom trop joli (j'adore : Maëlle. ) et aussi de tes études en psychologie. Ça leur en a bouché un coin. Faut dire que psychologie, c'est un mot qui rigole pas. Ça en jette. Comme tous les mots qui finissent en « logie ». Ça fait vraiment sérieux et adulte.
Ducoup, ils ont tous fait taire Thomas qui continuait de m'embêter et ils m'ont trouvé hyper cool. J'ai encore parlé de toi, puis de Laura et de la tortue que je vais peut-être avoir à mon anniversaire. J'ai été la vedette de la récré. Après, on a joué au ballon prisonnier et tout le monde voulait être dans la même équipe que moi. Même Arthur qui court super vite.Mais j'ai choisi Paul en premier. C'est mon meilleur ami quand même ! Et le premier choisi a la classe de ouf. C'est pas souvent Paul parce que lui, il vise pas vraiment bien. Il esquive comme un pro mais il lance comme une patate. Même une patate sans bras vise mieux ! (Non, je suis méchant et c'est pas bien. Je l'adore moi Paul).
Au fait, tu te souviens de Paul ? Et de moi aussi ?
Parce qu'après j'ai pensé que peut-être que tu avais bien voulu être mon amie juste pour ne pas me blesser. Mais rien ne blesse plus que les mensonges. Il y a qu'à regarder Pinocchio ! D'ailleurs, je crois que c'est le Disney que j'aime le moins.
Tu sais, j'ai compris que tu es partie très, très loin et que tu ne reviendras pas. J'ai compris au regard de papy, aux boîtes de mouchoirs posées sur la table que tu étais au paradis...ou là où les morts vivent. Je ne sais pas, je ne suis pas mort.
Je sais qu'il fait du mieux qu'il peut pour que je ne me doute de rien alors s'il te plait, ne lui répète pas ce que je viens de te dire. Je ne veux pas le rendre encore plus triste qu'il ne l'est déjà.
Je pense qu'au fond, on refuse d'accepter les choses qui font de la peine. Parce qu'on a peur d'avoir mal. On a honte de pleurer. Alors on se tait et on garde tout pour soi. Mais moi, je veux pas. Je veux te dire que même si on se connaît pas beaucoup, même si je suis plus petit que toi et pour mon âge, je suis triste que tu sois morte et je sais que tu vas me manquer.
Ma cousine amie Maëlle, j'espère que de là où tu es, peu importe où, tu me vois et tu sais que je ne t'oublierai jamais. Parole de scout (même si je n'en suis pas un).
Jules,
Ton ami-cousin qui t'embrasse fort
Ps : Tu veux bien devenir mon ange gardien dis ? Papy dit qu'ils nous protègent et nous guident et que ce soit sous la forme d'une fée marraine, d'une bonne étoile ou peu importe le nom qu'on lui donne, on a quelqu'un pour veiller sur nous.
Tu veux bien me guider ? Même si parfois je risque d'être un peu casse-pied, j'aurais besoin d'aide pour annoncer à papa que j'ai cassé sa maquette du porte avion de je-sais-pas-quoi de 1943.
Merci d'avance (c'est maman qui écrit ça dans ses mails)
PPS: tant que j'y suis, tu pourrais aussi guider bébé Noah ? (c'est mon petit-frère, au cas où je t'avais pas dit son prénom...)
Toujours moi, Jules
PPPs : En fait j'avais pas besoin de signer deux fois
PPPPS : T'écrire des lettres c'était une idée de Papy et de ta maman. Elle m'a même offert des caramels !
Au fil des mots, Maëlle sourit et finit par effleurer du bout de ses doigts la joue rebondie du petit Jules. Près de son grand-père, au bord de la mer, il laisse au vent le soin de sécher ses larmes. Il suit du regard le vol d'une mouette puis soudain, se tapote la joue. Il a senti, sur son visage chérubin, une sorte de souffle glacé. Un effleurement. Pour l'embêter, Maëlle chatouille son dos. Il se retourne, fixe le néant. L'espace d'un instant, il croit apercevoir un l'ombre d'un sourire, la silhouette d'une main gracile. Il se détourne et lève le pouce en direction de son grand-père qui le regarde, l'air inquiet. T'inquiète, tout va bien.
Puis, il lui prend une de ses mains fripées, la droite, la serre avec douceur. Il tend ensuite la sienne vers le vide, les doigts en suspens, attendant d'être saisis. Il tourne la tête vers l'ombre de Maëlle, esquisse un sourire, secoue le bout de ses petites menottes. Il lui fait signe. Alors, elle glisse ce qu'on pourrait qualifier de main fantomatique dans sa paume ouverte, complétant la chaîne des générations, la chaîne de l'amour. Ils restent ainsi en silence. Lui, Papy et Maëlle. Ensemble. Pas pour toujours mais pour l'instant.
Plus tard, quand il sera plus grand, il se souviendra de ce moment magique. De cet instant précieux où il s'est rendu compte de l'importance du présent, de la saveur du passé et de l'incertitude du futur. Plus tard, il osera. Il osera vivre, tenter l'inconnu. Il tombera, se relèvera, pleurera parfois. Mais toujours à ses côtés, il le sait, Maëlle sera là.
Alors, ils détachent leur main. Il la laisse s'en aller vers un nouvel ailleurs.
L'écume et les embruns s'envolent en un souffle puissant. Délicate, l'écume tournoie et Maëlle la suit jusqu'à son lendemain.
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