Chapitre 26
31 juin 2023
6 rue Garat, 64310, Ascain
Maëlle,
Voilà un mois que je n'ai pas eu de tes nouvelles. J'espère que tout va pour le mieux.
La mer était en colère hier et je me suis surpris à t'attendre sur ce banc où j'ai trouvé ta lettre, il y a de cela quelques mois. Cela peut paraître bête mais je m'inquiète pour toi. Je me suis attaché à toi. Tu me fais penser à mon Héloïse, avec ta joie de vivre et ta passion pour l'écriture. Peut-être es-tu très prise mais mon fils travaille dans une maison d'édition. J'ai parlé avec lui et si tu as des textes à lui soumettre, il serait ravi d'y jeter un coup d'œil. J'avais totalement oublié de t'en parler, à vrai dire, je n'avais pas fait le rapprochement. Il faut bien avouer qu'à mon âge, on n'a plus toute sa tête....
Mais voilà, j'ai eu une bouffée d'inspiration hier soir et je m'en suis senti ravi. J'aimerais tant pouvoir changer ta vie comme tu as changé la mienne. J'aimerais te remercier et t'ouvrir de nouvelles portes. Non, te donner la clé pour les ouvrir car ton chemin, c'est à toi que tu le devras.
Mon deuxième petit-fils a dit son premier mot hier. Ce n'était ni "maman" ni "papa" mais "papy" . J'étais fier, très fier. Je crois que ça aurait plu à Héloïse. En tout cas, son père ( mon fils, Charly) était jaloux et j'ai bien ri. C'est un de ses traits de caractère que ne part jamais. On a bien essayé pourtant. Peine perdue. Il est resté ce jeune homme capricieux, égoïste mais terriblement gentil et attachant. Chaque enfant est unique, une perle rare qui nous délivre ses secrets à force de temps et de persévérance.
J'ai regardé par la fenêtre et je me suis rendu compte l'été était bel et bien installé. Que le temps des vacances arrivait. Alors, je me suis demandé quand tu rendrais ton travail. Car, ça y est, tu as bientôt fini ton année de première.
Je m'en souviens comme si c'était hier. Jamais je n'aurais pensé que tant de choses m'attendaient. En terminale comme dans mes études.
Le temps passe si vite. Il faut réussir à en saisir chaque nuance. Chaque étincelle.
Jules a soulevé, il y a déjà quelque mois, que je pourrais te rencontrer. J'avais refusé, de peur de mettre à mal ton expérience et ton année de travail. Mais, une fois achevée, que dirais-tu que l'on se retrouve sur ce banc où tout a commencé ? Sur ce banc où j'ai trouvé ta lettre. A moins que ce ne soit elle qui m'ait trouvé. Ce banc où je me suis rendu et où j'ai senti ton absence.
On pourrait aller manger une glace chez Lopez, discuter. Rire aussi. L'on pourrait être gênés dans les premiers instants; il n'est pas anodin de rencontrer une personne avec qui l'on a uniquement échangé de manière épistolaire.
Pourtant, je suis persuadé que cette gêne ne durera pas. Tout simplement parce que nous nous connaissons trop bien pour qu'elle subsiste et s'installe.
Je te prendrai dans mes bras, espérant ne pas te froisser. Froisser comme une lettre, une feuille de papier. Tu aurais une odeur, un visage, une chaleur que je n'ai pu que deviner jusqu'alors.
A bientôt, à notre rencontre peut-être.
Harold
Le vieil homme se prend la tête entre les mains. Il ne sait que faire. Il sent une distance, un écart avec Maëlle. Il se doute qu'elle n'est pas véritablement partie en vacances. Elle lui en aurait parlé avant, non?
Harold ne comprend pas. Il ne comprend pas ce qu'il doit faire ou non. Si Héloïse avait été là, elle aurait su l'aider, le convaincre qu'il se faisait des idées.
Juliette le fixe. Le monde continue sa course mais pour lui, une chose a changé. Une petite chose pour certain pourtant, elle lui apparaît monumentale. Il ne sait pas ce qui se passe mais une chose est sûre, sa vie va être bouleversée.
Il s'assied près de Juliette, caresse sa petite tête du bout de ses doigts fébriles. Elle sent les palpitations de son cœur, l'inquiétude qui le broie tout entier. Alors, elle s'envole et lui offre ce qu'elle sait faire de mieux: un ballet aérien. Comme l'enfant qu'il est resté, Harold applaudit, l'encourage et sourit. Tandis qu'elle s'élève, retombe et virevolte, il ne peut s'empêcher de le comparer à la vie. En effet, on grandit, on prend de la hauteur, on s'écorche, on dégringole. On repart de plus belle. Toujours.
Au fil des battements d'aile, il oublie peu à peu toutes ses pensées et se laisse aller.
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Un mois. Un mois qu'elle est rentrée chez elle et qu'elle n'a vu personne. Un mois qu'elle se remet lentement. Trop lentement.
Elle n'a pas essayé de recontacter Eliott, elle ne parle plus à Philippe ni à Liam. Elle reste dans sa chambre, ses idées noires comme seules compagnes. Elle s'est coupée de tout le monde, même d'Harold. Elle n'a pas eu la force de lui écrire, voir ses lignes maladroites lui donnent envie de vomir.
Elle se lève douloureusement. Son cœur bat vite, son poul palpite. Elle maintient quelques secondes la position, attendant que la pièce arrête de tourner puis elle se dirige vers son fauteuil, celui près de la fenêtre et s'y laisse tomber. Ces quelques mètres parcourus l'ont épuisée et elle se retrouve avec un goût de métal dans la bouche. Elle paraît minuscule, enveloppée dans son plaid et calée dans son siège. Elle ressemble à l'enfant qu'elle était, à celle qu'elle ne sera plus. Car en décidant d'accepter l'opération, Maëlle s'est rendue compte qu'elle était passée du côté des adultes, du côté des responsabilités et des choix.
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Liam passe la porte de sa chambre. Comme à chaque fois qu'il se trouve en présence de Maëlle, il détourne le regard et évite tout contact physique et visuel. La voir dans cet état le rend mal à l'aise. Lui qui voulait devenir cardiologue a revu son projet et n'en a plus véritablement envie. Il n'ose pas se l'avouer mais sa sœur lui fait peur. Sa pâleur, sa fatigue, sa maigreur. Car oui, depuis l'opération elle a perdu les kilos liés à l'insuffisance cardiaque et dorénavant, est aussi frêle qu'une brindille.
Il lui tend une enveloppe, celle de Monsieur Berckley. Cela fait longtemps qu'elle ne lui a pas écrit. Longtemps qu'il n'a pas eu à aller à la poste quand elle ne pouvait s'y rendre. Presque, cela lui manquerait. Il ne peut plus râler contre elle et son manque d'organisation (« Si elle se bougeait les fesses au lieu de lire, elle aurait eu largement le temps de la poster ! » était son principal argument). Il ne la voit plus grimacer à chaque mot sortant de la bouche de Clara ou cherchant à leur jouer des sales tours depuis qu'il lui a fait croire que Clara ne restait avec elle que par pitié. D'ailleurs, il regretterait presque.
Il agite le bout de papier sous son nez. Elle lève lentement la tête, faisant glisser ses mèches châtains devant ses yeux. Elle les repousse d'une main fragile et amaigrie. Il pourrait presque apercevoir le détail de ses veines.
Il manque d'air. Non, il manque de courage. Il ne peut pas rester deux minutes de plus dans cette chambre où la maladie et la mort cohabitent avec sa sœur. Il avait cru que l'opération la sauverait mais il se dit maintenant qu'il s'est peut-être trompé. Sans attendre qu'elle s'empare de son dû, il s'enfuit à toutes jambes, le cœur au bord des lèvres et l'esprit en proie aux flammes du doute et de la panique.
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Maëlle voit son frère détaler comme un lapin, persuadée qu'il la hait plus que jamais, qu'il lui en veut de s'attirer tous les regards et d'être le centre de l'attention. Elle est sûre qu'il pense qu'elle joue la comédie, qu'elle en rajoute des tonnes. Que tout cela ce n'est que du cinéma, de la poudre aux yeux. Elle aimerait lui dire qu'elle souffre, qu'elle ne surjoue rien. Mais elle se tait et se dit à quoi bon. Il peut penser ce qu'il veut, cela ne va pas changer la réalité.
Elle se penche en avant, ramassant l'enveloppe tombée par terre. Harold. Son papy Harold lui a écrit. Elle sent son cœur se réchauffer, se gonfler de bonheur.
Elle lit péniblement la lettre de son ami, ses yeux loupant des lignes et inversant des mots. Elle sent une migraine poindre et se renfrogne. Hors de question de se remettre au lit, elle veut d'abord continuer sa lecture. Elle poursuit, têtue comme une mule, insensible à la morsure dans sa poitrine, au froid qui semble lui congeler les doigts. Elle avance, un point c'est tout. Un mot après l'autre, un pas après l'autre.
Pourtant, à un moment donné elle trébuche. Tente de se relever. Retombe. La tête lui tourne, le souffle lui manque. Elle sombre.
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En bas, la vie continue. Liam parle à Clara, Philippe regarde les infos, Ambre s'est plongée dans de vieux souvenirs tout en passant l'aspirateur, entraînant des soupirs d'agacement de son mari qui préfère rester les doigts de pieds en éventail plutôt que de l'aider. Par pure vengeance, elle le passe avec lenteur, se met pile en face du téléviseur, occulte la télévision. Elle n'a pas pardonné à Philippe la froideur qu'il réserve à Maëlle, ce manque de tact constant dont il fait preuve. Il n'a pas réagi à l'annonce du diagnostic, n'a pas manifesté la moindre peine en la voyant se battre pour se remettre de son opération. Il est resté de marbre. Elle sait bien qu'elle aussi a tout fait pour préserver les apparences mais au fond, elle a pleuré, tempêté, hurlé. Et elle sait aussi que, même à l'intérieur, Philippe n'a rien ressenti. Il hait Maëlle. Pourquoi irait-il se faire du mouron pour elle ?
En parlant de Maëlle, cela fait plus de deux heures qu'elle n'est pas allée la voir. Il faut qu'elle lui apporte ses médicaments et qu'elle lui tienne un peu compagnie. Malgré le fait que l'adolescente la repousse, elle s'échine à lui montrer son affection par de petites touches. Cela a tôt fait d'énerver Maëlle. Sa mère ne lui avait jamais témoigné tant d'attention avant son séjour à l'hôpital et elle commençait à étouffer. Depuis tant d'années elle recherchait ses preuves d'amour mais de savoir que celles témoignées aujourd'hui était liées à la pitié qu'elle lui inspirait la rendait encore plus triste.
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Elle gravit les marches, rejoignant sa fille.
Elle la retrouve étalée sur le sol, comme endormie.
Elle se rue sur le téléphone, compose le numéro du Samu.
Elle hurle sur les personnes à l'autre bout du fil, hurle sur Liam pour qu'il se dépêche de porter Maëlle jusqu'au salon. Envoie un message à Célian pour le tenir informé.
Elle monte dans l'ambulance, lui tient la main.
Attend qu'elle se réveille.
En vain.
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Célian passe chez le fleuriste, désireux d'apporter à Maëlle une source de couleurs dans le blanc monochrome de l'hôpital où elle a dû retourner.
Il hésite, ne sachant pas lesquelles sont ses préférées. Il veut lui faire plaisir, il veut qu'elle se sente mieux en les voyant. Il choisit un bouquet tout fait, le désir d'arriver au plus vite à son chevet étant plus important que celui de sélectionner les fleurs une par une. Il paye à la vitesse de l'éclair, demande une carte spéciale où se trouve marqué « bon rétablissement » au marqueur doré.
Dans la voiture, il le positionne de façon à ne pas froisser les pétales et conduit à toute berzingue à travers la ville. Il effraie des piétons mais n'en a rien à faire.. Sa fille a besoin de lui et c'est la seule chose sur laquelle il peut se concentrer.
Il est tiré de sa torpeur par le bruit des sirènes. Derrière lui, une voiture de police le suit, lui faisant signe de se mettre sur le côté et de s'arrêter. Célian s'agace, se range de mauvaise volonté et houspille le policier qui ne semble pas pressé de lui donner sa contravention.
« Vous saviez que vous rouliez à 30Km/h au-dessus de la limitation de vitesse, monsieur ?
- Oui, oui, je sais.
- Et cela est passible d'un retrait de permis en plus d'une lourde amende. Et pensez aux risques que vous avez fait encourir à ....
Il continue sa litanie tandis que Célian fulmine. Il n'en peut plus de ce petit policier à la moustache bien rangée qui s'amuse à lui faire la morale. Il s'ennuie sans doute et se croit important mais clairement, ce n'est pas le moment de venir lui casser les bonbons.
« Bon écoutez monsieur le policier-je-m'écoute-parler. Ma fille, qui ne sais même pas que je suis son père d'ailleurs...
Il fronce les sourcils, ce constat lui faisant de la peine,
- Bref, MA fille a eu une rechute et je dois absolument aller la voir à l'hôpital alors, sans vouloir vous manquer de respect hein, je prends l'amende et je me casse ! »
Le jeune homme reste bouche bée. Pour sa première fois sur le terrain, il a eu le gros lot. Un peu perdu, il saisit son téléphone pour demander l'aide de sa cheffe mais à peine tourne-t-il le dos que l'autre taré se barre. Il se gratte la tête, un air benêt sur le visage. Et dire qu'il a oublié de noter sa plaque d'immatriculation. Quel idiot il fait. Il va être la risée du commissariat. Vraiment pas de pot.
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Un bouquet est posé sur sa table de chevet. C'est la première fois que ça lui arrive. Les couleurs des pétales viennent perturber l'uniformité blanche dans laquelle il est plongé. Il fronce les sourcils. Vraiment, César n'aurait pas dû. Son frère adore les fleurs, des trucs que lui jugerait cucul. Pourtant, s'il est honnête avec lui-même, ces fleurs lui font plaisir. Elle illumine la grisaille dans laquelle il est plongé depuis qu'il a eu la bonne idée de tenter un 360 en skate. Pas l'idée du siècle apparemment.
Il se penche pour attraper son smartphone. Il se tortille un peu, fait tomber sa couverture. En bref, il galère. Mais une fois l'objet de sa convoitise entre ses mains, il soupire de soulagement. Il n'a pas cassé son téléphone dans sa chute. Il n'aurait pas à s'en racheter un. Déjà, des dizaines de messages inquiets de ses parents s'affichent. Il soupire d'agacement. Vraiment, ils ne peuvent pas lui lâcher la grappe ces deux-là ? Il n'a rien, il attend juste le pouce en l'air du médecin pour pouvoir se barrer. Il est bon pour des béquilles et des doliprane mille. Il va pas en crever.
Il lance son insta, poste une story pour ses potes et fans et envoie un texto à son frère pour le remercier. Petit selfie avec le bouquet et emballé c'est pesé. Si ça c'est pas être un super petit frère, il ne sait pas ce que c'est.
Une nouvelle notification apparaît à l'écran. César. Il attend un peu avant de lire son message, trop absorbé par une vidéo d'un chien qui danse la macarena. Y en a vraiment qui ferait n'importe quoi pour être famous ! se dit-il, mi-amusé, mi-agacé. Bref, il change d'application et ouvre le texto de son bro.
Il en laisserait tomber son tél par terre ! Il est déçu. Avouons-le. Savoir que non, ce n'est pas son frère qui lui a offert un bouquet lui fait un peu mal au cœur. D'accord, César sait que ce n'est pas son genre mais... une petite attention ça lui aurait pas fait de mal ? En plus, si ce n'est pas César ce ne peut être personne d'autre. Donc personne n'a pensé à lui. Sa mère aurait signé, son père lui aurait pris totalement autre chose. Et ces potes ? Même pas la peine de rêver.
Il les regarde, un peu amer. Elles devaient revenir à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui compte pour un autre quelqu'un. La vache, ça fait beaucoup de quelqu'un en une phrase !
Au bout de quelques heures à surfer sur les réseaux, il n'en peut plus. L'immobilité le tue et les anneries sur Internet ne font rien pour le détendre. Il a besoin d'air. Il n'a pas encore ses béquilles, c'est son frère qui est parti les acheter. Tant pis, il se lève et, clopin clopan, sort de la chambre en ayant préalablement saisi le bouquet. Il va essayer de le rendre à son propriétaire, c'est la moindre des choses qu'il puisse faire.
Fier de sa résolution, il déambule dans les couloirs. En grimaçant. En jurant aussi. Parce que, purée de patate douce, ça fait mal ! Il continue son chemin, toquant à certaines portes, demandant à deux ou trois accompagnateurs s'ils n'ont pas perdu un bouquet. La question les désarçonne. Certains rient, d'autres le regardent d'un drôle d'œil. C'est vrai qu'il n'est pas particulièrement à son avantage aujourd'hui mais quand même ! Un peu de politesse que diable.
Il sait qu'il n'a pas le droit d'être là. Il n'a informé personne, personne ne peut le joindre. Et d'ailleurs, il n'est pas sûr de porter un pantalon. En effet, quand il croise le regard courroucé d'un vieux monsieur, il se souvient qu'il est toujours vêtu de sa chemise d'hôpital. Autant pour lui. Il le salue et s'en va, aussi dignement que son plâtre et son accoutrement le lui permettent.
Une porte est ouverte. Il ne se pose pas dix milles questions et entre. Parfois, il faut savoir faire simple dans la vie. Une petite fille est assise sur le lit. Les yeux dans le vague, elle porte un tee-shirt bleu avec un vélociraptor dessus. A moins que ce ne soit une tortue. Il n'est pas très sûr, il faut dire qu'il a oublié ses lunettes dans sa chambre.
Soudain, elle rive ses yeux sur lui. Il la salue mais elle ne lui rend pas son geste. Il lui sourit, elle reste de marbre. Il ne sait pas s'il doit parler, s'en aller, ou au contraire engager la conversation. Il est déstabilisé. Lui. Déstabilisé. Incroyable mais vrai.
« Tu n'es pas maman pas vrai ? »
La voix de l'enfant est rauque, rocailleuse. Vivante aussi. Il en est troublé. Son visage, tourné vers le sien, lui montre qu'il s'est trompé. Ce n'est pas une petite fille de sept ans qui se tient devant lui mais une fille d'environ une douzaine d'années. Il n'utilisera pas le terme de pré-ado, lui qui l'a tant haï.
« Bien joué Sherlock, lui répond-il avec un clin d'œil.
A son âge, il aurait tué père et mère pour qu'une célébrité entre dans sa chambre par mégarde. Pourtant, la fille ne bouge pas, ne semble ni surprise ni exaltée. Rien. Même la médecin semblait plus impressionnée (sans doute plus par la raison de son accident que par lui... mais quand même !)
« T'es qui alors ? Je ne connais pas ta voix, ni ton pas... et t'es pas médecin, sinon il y aurait eu une odeur de désinfectant.
- Et ben, quel fin limier tu fais !
Elle hausse les épaules avec dédain, une petite moue sur les lèvres,
- Y'a pas le choix. Sinon personne ne me dit rien.
Elle soupire,
- C'est vrai quoi. Qui entre dans une pièce et pense tout de suite à se présenter en mode : salut moi c'est Janice. Tu ne peux pas me voir mais j'ai vingt ans, je suis moche comme un pou et je porte des chaussettes dépareillées !
Le jeune homme reste scotché. Tant par limitation de la gamine qui est à mourir de rire ; vous l'auriez vu avec sa main cassée, son sourire en coin et sa posture théâtrale que par ses propos.
- Attends, tu veux dire que tu es aveugle ? lui demande-t-il , un mélange de pitié et de compassion dans la voix
- Ben non, je suis sourde gros bêta ! le rembarre-t-elle, lui et sa pitié dont elle n'en a rien à faire. Elle a l'habitude que les gens s'apitoient sur son sort et elle en a plus qu'assez de leur commisération. Ils peuvent tous aller se faire voir !
- Ah oui, je me disais aussi.
Elle explose de rire. Au lieu de s'excuser, il a continué dans son délire. Peut-être n'est-il pas si stupide après tout.
« Et ducoup, tu t'appelles comment ? Rassure moi, pas Janice sinon ce serait la honte.... »
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Il entre dans la chambre. Un mois le sépare de la dernière fois pourtant, il a l'impression qu'il n'y est jamais allé. Il ressent la même fébrilité, la même boule au ventre. Ambre lui a assuré que ni Liam ni Philippe ne seraient là. Il ne risque pas de se faire tabasser à nouveau. Son œil au beurre noir avait fait retourner plus d'un enfant et un lui avait demandé s'il était un pirate. Ça l'a fait rire.
Il prend une grande inspiration et pousse la porte, malgré ses jambes qui tremblent. Plus pâle que jamais, allongée sur son lit et un livre posé sur sa table de chevet, Maëlle fait semblant de dormir. Elle ne veut pas encore avoir à parler à quelqu'un. Elle n'en peut plus des visages faits de fausse compassion et de pitié. Elle serre ses paupières plus fort et essaie de garder un souffle uniforme. Plus compliqué à dire qu'à faire. Elle a l'impression d'avoir à nouveau six ans, quand elle faisait semblant de dormir quand Ambre arrivait et se remettait à lire dès qu'elle repartait. Ah ! Le bon vieux temps.
Elle entend le martèlement des chaussures qui se rapproche et de peut s'empêcher de tressaillir.
« Salut »
Elle ne répond pas, se concentre sur son paysage idyllique, comme Harold le lui a appris
« Salut, répète la voix. Tu pourrais peut-être ouvrir les yeux ? Plutôt que de faire semblant de dormir. C'est vraiment perturbant de voir tes paupières bouger comme ça. »
Cramée. Elle ouvre lentement ses yeux, laissant paraître son dédain. Non, elle n'aura pas honte. Elle en a assez subi pour avoir honte d'une chose aussi minime que ça.
Alors qu'elle s'apprête à sortir une répartie cinglante du genre « Vous voyez pas que vous embêtez un futur fantôme ? » ou quelque chose du même acabit, elle est stoppée net par l'inconnu. Non, plutôt par la familiarité de son visage. C'est l'Inconnu. L'homme sur la photo qu'elle a trouvé au grenier. Celui qui tenait sa mère. Bien sûr, il a pris des années, mais cette lumière dans le regard, cette fossette, ce...
Elle frissonne. C'est impossible. Elle doit halluciner ou peut-être est-elle déjà morte. La probabilité que cet homme soit celui de la photo, que cet homme qui hante le passé de sa mère vienne la voir, surtout maintenant et plus proche de zéro que sa moyenne en maths (alors qu'elle s'est loupée à toutes ses évaluations ce trimestre). Comme dans un rêve, elle se voit tendre la main vers lui. Au lieu de le traverser, elle touche son bras et fronce les sourcils. Ce n'est pas possible.
Il ne s'offusque pas de sa perplexité et s'assied sur son lit. Etrangement, ce mouvement lui semble familier. Il résonne en elle et elle peut sentir que cela va de même pour lui. Il croise son regard et le silence se fait. Elle n'entend plus les battements sourds de son cœur, plus le clic-clic de la machine à laquelle elle est reliée. Tus aussi les pas des infirmiers dans le couloir et le tic-tac de l'horloge murale. Ne reste qu'eux. Eux et une infinité de non-dits.
« J'espère que tu as aimé les fleurs, je ne savais pas lesquelles étaient tes préférées...
- Quelles fleurs ? Le coupe-t-elle,d'une voix rauque et totalement déboussolée. Elle ne le connaît pas, ils ne se sont jamais parlés et il lui parle de fleurs ? Elle a dû se tromper et lui aussi. Il n'est pas dans la bonne chambre et il n'a jamais pu s'asseoir près d'elle. Ce ne sont que des films, des illusions. Personne n'était à son chevet et elle le savait. Elle avait juste envie d'espérer et de rêver. Oui, c'est ça. Rêver que quelqu'un se soucierait d'elle, qu'il s'agirait peut-être d'un oncle éloigné, d'un ami d'Harold ou peu importe.
- Je t'ai amené des fleurs. Tu... il fronce les sourcils, Tu ne les as pas reçues ? »
Il n'attend même pas sa réponse. Il aurait dû sans douter.
« Philippe, grogne-t-il, Sale petit... »
Avant de dire une bêtise, il coupe net sa phrase. La jeune fille le regarde avec incompréhension. La fatigue ne l'aidant pas, elle est complètement déboussolée. Ainsi, c'est avec facilité qu'il parvient à changer de sujet.
« Alors, ta maman m'a dit que tu aimais lire.
Elle hoche la tête, la bouche trop pâteuse pour pouvoir parler.
« Et, est-ce que tu aimes aussi la musique, par hasard ? »
Nouvel hochement de tête. Cela aurait pu décourager Célian mais il sait bien qu'être ici aujourd'hui, que pouvoir la regarder, plonger son regard dans le sien est une chance unique. Et il ne veut pas la laisser passer.
« Tu sais, je suis musicien donc avec Ambre, il bredouille, enfin ta maman m'a proposé de te jouer quelque chose. Ça te dit ? »
Elle acquiesce lentement, se redresse légèrement sur son lit et attend. Mais, une chose l'intrigue. Où est donc l'instrument de cet homme ?
Elle sent sur elle ses yeux qui la scrutent. Pourtant, elle n'est pas mal à l'aise. Elle a fait de même avec lui lorsqu'il s'est assis sur son lit. Elle sait bien qu'elle fait peur à voir, son teint est pâle comme la neige, ses cheveux n'ont pas vu de brosse depuis plusieurs jours et elle ne se souvient plus de la dernière fois où elle s'est regardée dans le miroir pour arranger un peu le tout. Mais, encore une fois, elle s'en fiche. Son apparence n'a plus aucune importance. Tout ce qu'elle veut, là maintenant, c'est écouter la musique de ce drôle de monsieur.
« Bon, Maëlle, je dois juste aller chercher ma guitare que j'ai oubliée dans la voiture et je reviens dans dix minutes maximum. Promis. »
La jeune fille se racle la gorge et lui répond, d'une voix frêle comme un branchage mais forte comme un torrent :
« T'inquiète pas, je n'irai pas bien loin ». Elle désigne en souriant son lit et, tandis qu'il se lève, il cède à l'envie qu'il a de lui prendre la main. Bien qu'étonnée, elle presse sa paume contre la sienne. La chaleur de l'autre réchauffe son corps, gelé malgré les couvertures qu'elle a à ses pieds.
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Quand Ambre s'approche de la chambre où sa fille demeure, elle tend l'oreille. Ces derniers jours ont été éreintants et elle reste constamment à l'affût, l'esprit en surchauffe. Le moindre élément nouveau la fait tiquer. Elle est à la recherche du moindre souffle suspect, elle écoute attentivement ses petits bruits qui sont ceux de sa fille. Elle a si peur qu'ils se taisent à jamais.
Ainsi, lorsqu'elle entend résonner les accords d'une guitare, elle se dit que, décidément, il faut qu'elle dorme ; ces derniers jours l'ont épuisée et c'est à peine si elle a eu le temps de dormir plus de trois heures d'affilée.
Le bruit persiste, intriguant Ambre. Elle ne peut pas être épuisée à ce point, si ?
Le corps médical ne paraît pas inquiet, ce qui ne la rassure pas. Il lui a toujours paru si confiant, même lorsque le sol s'ouvrait sous ses pieds. Les airs calmes et détendus ne lui font plus aucun effet. Au lieu de la rassurer, ils la mettent sur ses gardes. Car c'est toujours lorsque l'on baisse la garde que le malheur ou la tempête vous frappe.
Alors, fébrile, elle s'approche et entrouvre la porte...
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