Il est chez son grand-père. Bien sûr qu'il est content mais il aurait bien aimé que son père tienne sa promesse et l'emmène au cinéma. Cela fait déjà trois fois qu'il oublie et Jules commence à en avoir assez . En plus, son meilleur ami Paul n'est pas venu à l'école ce jour-là et le petit garçon s'est ennuyé ferme, refusant de jouer avec les autres élèves. Il ne voulait pas remplacer son meilleur ami. En classe, il s'est assis seul et a écouté la leçon d'une oreille ; l'autre étant plongé dans des paysages merveilleux et d'histoires en tout genre.

Quand il est arrivé dans la grande maison de papy Hari, comme il l'appelle parfois, il s'est dirigé directement dans le bureau. C'est l'endroit le plus époustouflant de la demeure. Illuminée par de grandes fenêtres, la pièce est emplie de livres, disposés dans la bibliothèque qu'Héloïse a offerte à son époux, il y a des années de cela. Un bureau en acajou trône au centre, sous lequel est disposé un joli tapis vert. Les rideaux vert sapin sont déchirés sur toute la zone touchant le sol, souvenir des premières bêtises du petit Jules.

Ce dernier s'installe sur la chaise et s'amuse à ouvrir les tiroirs. C'est son jeu préféré ; imiter son grand-père. Pourtant, celui de gauche s'ouvre avec plus de difficulté. En fronçant les sourcils, le garçon retire délicatement l'objet empêchant la bonne ouverture du tiroir. Il s'agit d'une épaisse enveloppe. Ravi de cette trouvaille, il en sort une liasse de papiers. Des lettres. Il se met à les lire, peu soucieux de l'intimité de son papy. Après tout, ils sont de la même famille non ?

A la fin de la lecture, il se rue dans le jardin où il retrouve Harold. Excité comme une puce, il enchaîne sans respirer des questions que son interlocuteur ne comprend pas. Enfin, il se calme et se tait complètement. Le silence revient, rythmé seulement par la respiration des deux compères.

Jules reprend alors la parole, bien plus lentement, ce qui permet aux appareils auditifs de son aïeul d'entendre ce qu'il lui dit :

« J'ai trouvé des lettres dans ton bureau ; tu sais, celui où les rideaux sont déchirés. Et ben elles venaient d'une certaine Maëlle et elle prétend que t'es son papy ! Mais j'ai pas de cousine qui s'appelle comme ça ! »

Devant l'air ahuri de son petit-fils, Harold éclate de rire. Il faut dire que la bouche ouverte de Jules, doublée par ses yeux écarquillés lui confèrent une expression abrutie. Alors, le vieil homme lui raconte l'histoire de cette missive, trouvée sur un banc. Cette inconnue qu'il a appris à connaître et cette affection qui la lie à elle. Jules écoute attentivement et quand son grand-père finit de lui raconter son récit, digne de la plus merveilleuse des aventures, il le supplie de le laisser lui envoyer une lettre. Juste une, précise-t-il. Il sera sage, promis.

28 mai 2023

6 rue Garat, 64310, Ascain

Mademoiselle Maëlle,

Bonjour.

Je suis Jules Berckley, le petit-fils d'Harold. De ce que j'ai lu, tu as déjà entendu parler de moi. C'est très bien. Dans le cas contraire, j'aurais été extrêmement déçu.

Je suis en classe de CM1 avec Madame Petipa, ma maîtresse et plus tard j'aimerais devenir astronaute... ou alors vétérinaire. Je ne sais pas encore. Ma mamie s'appelle Héloïse et je crois qu'elle manque beaucoup à mon papy. Tu sais, elle est partie mais il continue encore à lui parler. Alors je me tais et je ne lui dis pas qu'elle n'est plus là. Il faut bien le laisser rêver non ?

Papy m'a parlé de toi, même si c'est moi qui l'ai forcé. J'ai découvert vos lettres en fouillant un peu et j'ai voulu qu'il me raconte cette histoire. C'est vrai qu'on dirait bien un roman; avec une lettre laissée sur un banc, une auteure mystérieuse et un correspondant philosophe. Je me demande juste quand est-ce que tu vas dévoiler tes pouvoirs. Si tu veux, papy peut ne pas lire ta réponse et tu peux me dire ton secret! Tu es peut-être une cyborg ! Ou une Alien. Est-ce que tu peux lire dans les pensées ?

Je suis absolument sûr que tu as un pouvoir magique. C'est obligé. D'ailleurs, j'ai vu que tu appelais mon papy "papy". Ne t'inquiète pas, je ne suis pas jaloux et je ne t'en veux pas. Mon papy est trop génial et je veux bien te le prêter un peu. Donc, on est un peu des cousins par choix de papy non? Ça , se (ou ce ?) serait géant ! Surtout si tu as un secret... Alors, tu veux bien de moi comme cousin ? Je te promets que je suis gentil, que je fais mon lit et que je me brosse bien les dents pendant trois minutes ( même si parfois je ne les lave que deux minutes). Je sais aussi faire de gros câlins et on me dit souvent que j'ai une "bouille à bisous". C'est un point positif non ? Et aussi, je suis très rigolo. Et je peux même te faire des massages si tu veux ! (Par contre je refuse les pieds en tout genre. Mes mains ne sont pas « habilitées » pour ça. C'est papy qui m'a appris ce mot d'ailleurs : habiliter...)

C'est amusant parce que papy me regarde écrire. Il suit chacune des envolées du stylo et sourit en me voyant tirer la langue quand je suis à la recherche de mots savants ou quand je fais de mon mieux pour éviter les fautes d'orthographe. Après, à ma décharge, je ne suis qu'en CM1. Cette expression: " à ma décharge" est assez bizarre. Pourquoi ils parlent d'une décharge ? C'est quoi le rapport avec les poubelles ?

Bref, j'aimerais bien te rencontrer un jour. Tu as l'air gentille et pas stupide comme les filles de ma classe. Tu sais, il y en a une qui m'a dit qu'elle ne m'aimait pas parce que je n'avais pas de cartes Pokémon comme Thomas. Je l'aime pas Thomas. Il fait son beau avec ses cartes Pokémon mais en vrai, il est moche. Je sais qu'il ne faut pas dire du mal des autres mais c'est la vérité vraie. Juré craché. Même papy il a dit que je valais plus que lui. En plus, il s'amuse à pousser mes amis dans la boue quand il pleut.

Une fois, j'ai voulu "jouer les héros" comme dit papa et je lui ai piqué sa carte préférée après qu'il ait poussé Paul. C'est mon meilleur ami Paul. Il est très gentil aussi et il a des cheveux roux. J'aimerais bien être roux moi aussi. On dirait qu'il a du feu sur sa tête. C'est comme un super pouvoir ! Est-ce que tu es rousse ? Moi, je suis châtain clair et j'ai les yeux bleus, comme ma maman.

J'ai oublié de présenter ma famille ! Mon papa s'appelle Charly et ma maman Christelle. Les doubles C . Mon papa, il est grand. Très grand. Il est blond et il a les yeux marrons. Maman, elle est plus petite et elle est brune avec des yeux bleus. Je les aime bien, sauf quand ils refusent de m'acheter le nouveau robot Hulk et la Barbie sauveteuse. Tu sais, il faut pas dire à mes copains mais moi, j'aime bien jouer avec les barbies. Maman m'a donné les siennes et c'est drôle de leur faire vivre des aventures. Une fois, mon secret a failli être découvert mais j'ai fait style que ce n'était pas les miennes et que non, non je ne m'amusais pas avec. Il y a que Paul qui sait et il s'est pas moqué de moi, lui. Je suis sûr que Thomas, il aurait bien ri.

Je serai bientôt grand frère aussi ! Il va être adopté ! Au début, j'ai entendu une conversation dans le couloir où papa et maman parlaient d'adaptation (enfin ça c'est ce que moi j'ai compris). Et en fait ils parlaient d'adopter un bébé ! Et au lieu que maman ait un gros ventre comme pour moi, on va aller le chercher à l'orphelinat (après avoir signé plein de papiers). Ça fait longtemps que j'attends un frère et je vais en avoir un dans... 2 semaines ! c'est trop bien ! Ça fait déjà des mois que je le sais et je suis trop impatient ! J'embête un peu tout le monde avec ça à l'école mais c'est si chouette ! Je pourrais jouer avec lui et lui apprendre à faire la catapulte ! Oh ce que j'ai hâte ! Paul lui, ça le dérange pas que je parle tout le temps de lui. Il dit qu'il est content pour moi et que lui aussi a hâte de jouer lui. On sera les 3 mousquetaires comme ça !

C'est chouette d'avoir un meilleur copain. Je peux tout lui dire et lui pareil. On va ensemble aux goûters d'anniversaire et on se prête nos jouets. Je l'aime beaucoup. On se dispute presque jamais et on tombe toujours d'accord sur qui est qui quand on joue aux super-héros. J'adore être Superman et lui Batman. Quand mon petit frère sera plus grand, il jouera avec nous. On sera le trio de la mort !

J'ai une cousine. C'est la fille de la sœur de maman. Elle s'appelle Laura et elle n'est pas comme les autres filles. Elle, elle veut bien grimper aux arbres et jouer avec moi. C'est bizarre parce qu'une fille voulait jouer avec nous une fois à la récré mais les autres se sont moquées d'elle parce qu'elle jouait avec les garçons. Une fille ça peut jouer avec les garçons, on est d'accord ? Parce que je n'ai pas compris. Même certains garçons la regardaient mal. Moi, j'ai trouvé qu'elle était douée au foot et qu'elle faisait bien la voix de Dark Vador. Avec Paul on a décidé qu'elle serait notre amie. On va lui dire demain et j'espère qu'elle voudra bien. Je crois que Paul il est un peu amoureux d'elle parce qu'il devient tout rouge quand elle lui parle. On dirait une tomate.

Paul n'est pas venu aujourd'hui. Il devait aller chez le dentiste. Moi, je l'aime pas ce dentiste. Il fait vraiment mal et avec lui, manger un bonbon est un crime. Tiens, j'ai faim maintenant. Je pense que je vais bientôt aller goûter. J'espère que papy m'a préparé son fameux crumble...

Papy veut t'écrire aussi alors je vais laisser de la place mais c'était chouette de parler avec toi.

A plus !

Maëlle, je prends la suite en espérant que Jules n'a pas été trop envahissant. Il m'a formellement interdit de lire son "œuvre littéraire de lettre" et je respecte sa vie privée. Je te dis surtout ça car ce chenapan lit au-dessus de mon épaule.

Bien, je n'ai à vrai dire pas de grandes nouvelles à t'annoncer ou encore d'éléments particuliers. Mais mon petit Jules était si enthousiaste à l'idée de t'écrire que je n'ai pas pu lui refuser ce plaisir. Cet enfant est une boule d'énergie et un vrai coquin. Il parvient toujours à arriver à ses fins et cela par n'importe quel moyen.

Il me fait penser à son père, quand il était plus jeune et qu'il avait quelques cheveux en plus. Toujours à vouloir partir à l'aventure, il faisait de chaque promenade une expédition. Avec mon petit-fils, je me transforme en cyclope, en guerrier lunaire ou encore en princesse à secourir. Oui, en princesse. Je l'aime très fort mon Jules. Je suis absolument magnifique avec la perruque blonde et le diadème rose bonbon qui appartenait à sa mère.

En tout cas, je voulais te remercier. Jules n'avait pas trop le moral aujourd'hui et t'écrire lui a fait un bien fou. Il a raison, tu es magique. Tu m'as apporté de la lumière dans mon monde qui me semblait parfois bien vide et tu lui as redonné le sourire.

Tu n'es pas la sorcière des mensonges Maëlle, mais la fée des sourires.

Harold et Jules.

Jules attend avec impatience que son grand-père finisse d'écrire. Il a déjà mis ses chaussures et l'attend devant l'entrée avec un sourire plein d'espoir. Lorsqu'enfin, Harold appose le point final, il lui demande, surexcité :

« C'est bon, t'as fini ? On peut y aller ? »

Plus amusé qu'étonné, le vieil homme rétorque :

« Qui vous a donné ces manières jeune homme ?

Le petit lui sourit encore plus, irradiant de la lumière de la jeunesse.

- Et puis, où devrions-nous aller ? Nous ne sommes pas attendus pour le thé que je sache ? »

Jules secoue la tête en riant, saisit sa main fripée et le pousse dehors, bien qu'il soit encore pieds nus : « Viens, on va à la poste ! »

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Une paire de chaussures plus tard, les voilà tous deux au bureau postal. Laisser l'enveloppe dans une des boîtes prévues à cet effet dans la rue Gambetta aurait été certes plus simple mais infiniment moins distrayant pour le jeune garçon. Il veut faire les choses bien. Pourtant, à l'entrée il se fige brusquement :

« Dis papy, tu veux pas qu'on aille la lui donner nous même la lettre ? A Maëlle je veux dire. Tu l'as jamais vue mais ça pourrait être chouette de la rencontrer. De voir si elle est sympa en vrai aussi. Tu veux bien, dis ?

Le regard pétillant d'espoir, Jules joint ses mains sous son menton. Contrairement à ce qu'il avait escompté, le résultat est plus comique que tragique...

- Ecoute mon grand, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

- Et bien moi, je pense que si.

- Enfin, Jules... Maëlle a sa vie, elle sera sans doute sortie ou alors on importunera ses parents et ce ne serait vraiment pas poli. Tu comprends ? Et puis, son objectif est d'apprendre à connaître une personne sans l'avoir jamais rencontrée. Je n'ai pas envie de ruiner son expérience pour si peu.

- Alors de un, on sera polis parce qu'on amènera des chocolats. Il ne faut jamais arriver les mains vides chez quelqu'un, c'est maman qui le dit. Et de deux, peut-être que Maëlle sera super méga contente de nous voir. Ça fait très, très longtemps que vous vous parlez par lettres. Je parie que ça lui fera vraiment plaisir de te voir en vrai de vrai.

Il papillonne des yeux, tente la moue et l'air de chien battu. A savoir tout ce qui est en son pouvoir pour attendrir son grand-père et le faire changer d'avis. Mais rien n'y fait et l'enfant se mure dans le silence jusqu'à l'heure du goûter.