Chapitre 24


19 mai 2023

366 Arroïlabaïta bidea, 64500, Urrugne

Harold,

Pardonne moi d'avoir mis tant de temps à te répondre. Nous sommes partis en vacances ; c'était chouette. Mes parents étaient ravis même s'ils ont râlé sur le personnel. Je crois que secrètement, ça les amuse de tout contrôler et de faire entendre leur voix. Ils se chamaillent de plus en plus ces temps-ci, sans doute à cause du stress. Ils ont dû mal avec le fait de me laisser partir. Car oui, je vais bientôt déménager. J'ai été prise dans une fac de psychologie à Londres donc dès que j'ai mon bac, je mets les voiles. A moi la liberté ! A moi ma télécommande et le choix de mes programmes ( je mets une option sur « Le meilleur Pâtissier »). Pourtant, tu vas me manquer. Cela me fera bizarre de ne pas avoir des nouvelles de toi, de ne pas te partager ma vie.

J'ai fait ton exercice de visualisation hier soir, avant de me coucher. Tu sais, j'ai toujours eu du mal à m'endormir et tu m'as bien aidée.

Devant mes yeux fermés, j'ai vu apparaître peu à peu une herbe verdoyante, un ciel parsemé de quelques nuages rosés et un coucher de soleil. Je m'y suis sentie à l'aise. Toutes mes angoisses enfermées dans cette boule de lumière s'en allaient au loin. Elles se sont éloignées, se fondant dans des couleurs telles que l'orange, le jaune et le rose pastel. Le vent me portait des effluves de lavande et de romarin. Le bruit d'un cours d'eau qui glougloutait paisiblement m'a bercée et j'ai sombré dans le sommeil. Alors que le paysage s'effaçait, je l'ai vue. Debout sur une colline une femme regardait l'horizon. Elle ne s'est pas retournée mais dès l'instant où mon regard s'est posé sur elle, j'ai su, instinctivement, que je la connaissais. Qu'elle était importante dans mon histoire. Mais elle ne s'est pas détournée de l'objet de sa contemplation.

Je dois te laisser et ranger ma feuille avant de quitter la maison. Bises à ta famille et à ta petite Juliette,

Maëlle

Ps : Excuse-moi, je ne peux pas trop t'écrire en ce moment mais je pense fort à toi et à ma perruche préférée.

PPS : « Date » se prononce « deyte », enfin en quelque sorte...

Les mains tremblantes et les yeux emplis de larmes, Maëlle met le dernier point à sa lettre. Allongée sur le dos, elle fixe le plafond. Ses pensées dérivent vers la mer. Cela fait bien longtemps qu'elle ne l'a pas vue. Ses roulements apaisants lui manquent terriblement. Elle en aurait bien besoin.

Elle est tirée de sa rêverie par une voix puissante qui brise sa bulle silencieuse:

" Mademoiselle Lordfort, vous êtes attendue dans la salle 43. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer "

Tout va bien se passer. Les mots résonnent dans son esprit, tournent en une boucle infinie. Depuis quand tout avait arrêté de bien aller ? Après l'annonce, rien ne s'est passé comme prévu. Elle le sait parfaitement; elle n'ira pas mieux. Elle n'en peut plus de ces espoirs insensés, de ces désillusions. Se laisser aller, oublier. Ne plus penser surtout. Respirer. Encore. Fermer les yeux, se détendre et attendre. Faire confiance aux médecins.

Puis le calme l'emplit tout entière et elle ferme les yeux.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Un homme se tient devant la porte. Son flegme naturel, sa confiance en lui et son assurance parfois exagérée ont complètement disparu, remplacés par l'angoisse la plus terrible. Même avant de monter sur scène, le trac n'est pas aussi intense. Il recule, terrifié. Ses mains moites s'agrippent à une boîte de chocolats qu'il vient tout juste d'acheter. Elles tremblent tant qu'il a peur de la faire tomber.

Une infirmière passe dans le couloir et lui sourit gentiment :

« Ce n'est jamais facile, pas vrai ? »

Il hoche la tête, totalement incapable de parler.

En effet, ce n'est pas facile. C'est même terriblement compliqué.

Derrière la porte se tient une jeune fille inconnue. Une jeune fille dont il connaît seulement le prénom. Une jeune fille qui s'avère être sa fille. Et qui ne le sait pas.

La porte s'ouvre devant lui, laissant passer une femme blonde. Ses cheveux sont en bataille et mériteraient bien un coup de peigne. Pourtant, dans ce lieu qu'est l'hôpital, les apparences ne comptent plus vraiment. Seul importe de rester en vie. Lorsqu'elle lève les yeux, elle se fige.

Devant elle, se tient un homme qu'elle ne pensait plus jamais revoir.

« Ambre, murmure-t-il

- Célian »

Ce nom tonne dans les couloirs vides, ricoche sur le blanc immaculé. Il roule dans sa bouche, se tord et se distend.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demande-t-elle, pas vraiment sûre de vouloir connaître la réponse

- Je viens voir ma fille.

Devant le regard noir de son ancienne amante, il déglutit.

- J'ai apporté des chocolats »

Il lui tend la boîte à deux mains, mettant le plus d'espace possible entre eux. Si rencontrer sa fille est déjà assez angoissant, retrouver la femme qu'il a aimée est tout simplement terrifiant.

Elle ne s'en saisit pas mais l'invite à entrer dans la chambre où Maëlle dort, encore sous l'effet de l'anesthésie générale. Il s'arrête net devant l'image de son enfant, endormie. Sa peau est d'une pâleur extrême, totalement asséchée. Elle semble minuscule dans ce lit d'hôpital et il se sent soudain pris d'un amour inconditionnel pour cette personne à qui il n'a jamais adressé le moindre mot.

Il est sorti de sa contemplation par Ambre, qui se met à murmurer.

« Finalement, le chirurgien nous a appelés il y a quelques jours. Nous pensions que l'opération était impossible à cause de son temps de saignement trop important mais après d'autres analyses, il a décidé de tenter le coup. Il a voulu lui donner une chance. Une chance de vivre encore un peu. Un sursis.

Elle le regarde, les yeux emplis de larmes, la voix brisée.

« Une opération à cœur ouvert. Pour réparer sa valve cardiaque. Tu te rends compte ? J'ai été incapable de lui offrir un cœur en bon état ! »

Elle pleure de toutes ses forces. Il s'avance, pose la boîte sur la table de chevet et la berce, comme on le ferait avec un petit enfant.

« Tout va bien se passer. C'est fini maintenant. Regarde, elle est là, elle dort. Les médecins vont la sauver. Elle est forte, comme sa maman.

Elle hoche la tête doucement,

- Allez, va te reposer un peu. Rejoins ta famille, je vais rester ici le temps que tu rentres chez toi. »

Elle contemple cet homme qui était incapable de prendre des décisions, de s'occuper de quelqu'un d'autre que lui-même. Il a changé. En bien. Tandis qu'elle tourne les talons, il lui lance.

« Salue Philippe pour moi ! »

Elle ne répond pas mais secoue la tête, un vague sourire dessiné sur ses lèvres vermeilles.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Un bip la tire de son sommeil. Puis un autre et au un autre. Les membres engourdis et la bouche pâteuse, elle ouvre lentement les yeux. Dans un premier temps aveuglée par la lumière, elle sourit ensuite à cet astre éclatant qu'est le soleil. En regardant autour d'elle, elle voit les murs blancs, le plafond blanc, le sol blanc. Et une table de chevet Vide. Et blanche. Personne ne l'attend. Ni sa mère, ni son père, ni son frère ne se sont rendus à son chevet. Elle le sait très bien. Ils préfèrent mettre autant de distance possible entre eux et l'hôpital au risque de la laisser seule. Liam. Son frère qui détourne du regard chaque fois qu'ils ont le malheur de se croiser.

Elle repense à Eliott. Elle aurait bien eu besoin de la présence d'un ami à ses côtés, pour supporter ce vide immense qui lui ronge la poitrine. Et Harold. Que n'aurait-elle pas donné pour qu'il se rende à son chevet. Elle sait que si elle le lui demande, il accourra et s'occupera d'elle comme si elle était de sa famille. Mais cela aurait été céder à la facilité. Accepter de le blesser. Elle n'est pas prête à prendre ce risque.

Elle baisse les yeux, déjà épuisée. Ces derniers jours sont passés à une vitesse effroyable. Elle a appris qu'elle serait opérée, qu'elle avait une chance de vivre. Elle l'a saisie et maintenant elle attend. Attend de voir si elle a eu raison. Son pied heurte un objet. Elle fronce faiblement ses sourcils. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Elle se redresse tant bien que mal, grimaçant de douleur et s'en saisit. Des chocolats. Quelqu'un lui a offert des chocolats.
Tout un coup, elle se sent mieux. Rassurée. Ils ont pensé à elle, finalement. Même s'ils ne sont pas là, ils ont pensé à elle. Et ça lui met du baume, à ce pauvre cœur meurtri.

La porte s'ouvre sur un jeune infirmier, à moins que cela ne soit qu'un homme avec un trench coat blanc, et Maëlle n'a pas le temps de le dévisager qu'elle sombre déjà dans un sommeil sans rêves.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Célian est entré, a croisé le regard de Maëlle. Il a vu son enfant ouvrir son cadeau. Il a vu son sourire. Il a l'impression d'être au paradis. Il s'approche avec douceur car elle s'est rendormie. Il se pose délicatement sur la chaise et ne la quitte plus des yeux. Fébrilement, il serre la main. Celle où la perfusion a été posée. Celle qui garde un bleu. Si elle est brisée physiquement, il est brisé mentalement. La voir lui fait comprendre tout ce qu'il a raté. Tout ce qu'il aurait dû mieux faire. Pour elle, pour lui, pour Ambre. Mais ici, à l'hôpital, il n'y a pas de place pour les remords ni les regrets. Il faut profiter de chaque instant, avant qu'ils ne deviennent les derniers.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top