Chapitre 23
21 avril 2023
366 Arroïlabaïa bidea, 64500, Urrugne
Harold,
Je suis tellement contente pour toi ! Tu vas redevenir grand-père ? Est-ce Jules qui va avoir un petit frère ou une petite sœur ou est-ce qu'Alizée est enceinte ? Tu dois être tellement heureux. J'ai conscience de l'importance que revêt ta famille, conscience de ton rôle de pilier en son sein.
Tu sais, ce que tu m'as écrit m'a fait réfléchir. C'est vrai, je me ferme la porte de l'amour. J'ai toujours dit que je n'en avais pas besoin. Que j'étais plus forte que ça. Je me suis refusée à dépendre d'autrui. J'ai été une enfant indépendante, soucieuse de s'en sortir par elle-même, dans le but de prouver qu'elle était douée. Puissante. Et ça me plait. Oui, j'aime avoir le contrôle sur ma vie, j'aime être celle que je veux être et non pas celle qu'un autre préfère.
Je me suis souvent moqué des "crushs" de mes ami(e)s , souvent ris devant leur bêtise totale et leur façon d'espionner, de s'interroger sur la personne qu'elle pensait aimer. Car c'est bien vrai, ce n'était pas de l'amour. Loin de là. Quand on aime, on accepte que l'autre nous oublie pour qu'il puisse avancer. Quand on aime, on sait s'effacer quand le besoin se fait sentir ou alors être le confident idéal. Quand on aime, on se met à trembler devant cette personne, à se soucier de chaque partie de lui. On s'en fiche alors des personnes qui lui tournent autour, tant qu'il ou elle est heureux ou heureuse. On ne tombe pas éperdument amoureux d'un corps, d'une apparence mais d'un esprit. De la manière dont l'autre se comporte avec vous. Oui, il y a une différence flagrante.
Aimer. Synonyme de torture, à mon humble avis. Pourtant, j'ai aimé. Je l'ai aimé lui, j'aime mon frère même si lui me hait cordialement et j'aime mon papy Harold. Tu sais, je crois que c'est grâce à toi que j'ai ouvert mon cœur. Que je me suis laissée aller un peu plus. Pour lui, il est sans doute trop tard. Je l'ai protégé du mieux que j'ai pu et je ferai de même avec toi, je te le promets. Je ne vous ferai pas souffrir inutilement . Pour mon frère et bien, c'est perdu d'avance mais je m'en suis fait une raison. Alors j'en souris. Je souris devant ses piques et ses allusions à ma non-parenté avec mon père. En effet, il est persuadé que je suis une enfant illégitime. Tu peux t'en douter, cela me fait doucement rire ; tant qu'à faire, il peut me dire que j'ai été adoptée. Cela me permettrait d'éviter de voir sa tête tous les matins et de devoir reboucher la bouteille de lait qu'il laisse toujours ouverte. Ou encore de faire attention qu'il reste toujours des mouchoirs dans le placard car monsieur a le nez qui coule ! Rien que de l'écrire, je me mets à rire. Je revois sa tête quand il n'y avait plus de kleenex à la maison et qu'il a dû se moucher avec du sopalin. Il avait un gros rhume et les parents avaient oublié de passer au supermarché pour lui acheter ses petits mouchoirs adorés. Il avait passé la soirée à râler sur la texture et le pauvre taux d'étanchéité de « cette abomination de la nature ». Il peut bien dire tout ce qu'il veut mais je suis et reste sa sœur, même s'il ne veut pas de moi.
Quand je reçois tes lettres, quand je les lis, je sens dans chacun de tes mots l'amour que tu portes aux autres. Dans toutes ces virgules, dans tous ces fragments de ta vie que tu acceptes de me raconter, je pourrais presque toucher ton affection envers Juliette, ton amour calme, loin de la passion démesurée bien connue ici-bas pour Héloïse. Tout est tellement puissant quand cela en est presque palpable. Tu es vrai. Authentique. Tu ne te mens pas et tu accordes de l'importance à tes émotions. Cela fait de toi un sage. Tu es mon modèle. Celui que j'admire et j'espère un jour pouvoir faire de même. Réussir à laisser parler mon cœur entièrement et arrêter de me mentir. Mais à chacune de nos missives, je me trouve grandie. Comme si chaque lettre était une leçon de vie, une étude qui me permettrait de m'élever et de toucher les étoiles.
Tu vois bien que tu comptes beaucoup pour moi et je suis persuadée qu'il en est de même pour ton fils. Je ne pense pas qu'il aurait été bien heureux dans une autre famille; avec un autre père. Tu as peut-être fait des erreurs mais qui n'en fait pas ? Tu as toujours été là pour lui et c'est cela qui est important. Le soutien de sa famille est le plus beau des trésors.
Je pense en parler dans mon travail final. De l'arrivée d'une personne inconnue dans mon existence. De ce rapprochement qui se crée au fil des mots, au fil des pages. On se confie plus facilement, on s'accepte aussi. Cette étude est à double sens. On en apprend sur soi, on en apprend sur l'autre. C'est aussi cela la psychologie. L'apprentissage de cette ombre que l'on perçoit, de ce nous mystérieux par l'étude de nos pairs. Bien sûr, il ne faut pas se comparer, se dénigrer mais se trouver. Parler aussi de cette différence qu'il existe entre l'éducation ou plutôt sa perception ainsi que celle du bonheur. Personne ne le voit de la même manière, il existe autant de variables qu'il existe de gens sur Terre ( ou dans l'univers, va savoir).
C'est vrai, je suis une menteuse. Je me mens, je mens aux autres et c'est mal. Ne faites pas comme moi les enfants ! Ne soyez pas comme la méchante sorcière Maëlle, gardienne des mensonges de la pire espèce. Je pourrais me déguiser comme ça à Halloween; ça serait amusant !
C'est étrange, il existe un mot pour définir une personne qui ment mais il n'en existe pas pour nommer une disant la vérité ( en tout cas, il me semble). Le mensonge est tellement utilisé, tellement présent... Il est synonyme d'humain et antonyme de bonheur.
On dit souvent qu'on ment pour préserver, pour garder une impression de joie. Cependant, quand on ment, on s'empoisonne à petit feu et on en oublie qui l'on est réellement .
Cette fille qui change son visage avec des tonnes de maquillage dans le but d'être belle, d'être comme les autres, par exemple, s'oublie elle-même. Elle couvre son visage d'un masque de la couleur du mensonge. Au fond d'elle, elle sait pertinemment qu'elle ne veut pas leur ressembler; ressembler à toutes celles qui se croient supérieures. Elles aussi sont des mensonges. Avec leurs airs hautains, elles masquent leurs peurs, leurs complexes. Elles font semblant, encore et encore.
Faire semblant. On apprend ça depuis tout petit. Quand on commence à grandir, on fait semblant de dormir dans la voiture pour être porté, on fait semblant d'être un preux chevalier avec au lieu d'une épée, un balais. Pourtant, quand on joue, on salue l'imagination. La capacité de dépasser l'apparence d'un simple objet et laisser notre esprit le voir à sa manière. Il y a alors une fine frontière, une discrète limite entre le menteur et l'inventeur.
J'espère que je suis plus une inventrice qu'une menteuse... même si je viens à en douter. Mais bon, au moins je ne me voile pas la face et je sais à quoi m'en tenir. Une menteuse, une illusionniste, une inventrice, une enfant. Une jeune femme qui rêve malgré les interdits et qui s'accroche désespérément à la vie.
Certains veulent en finir avec elle; sans doute ont- ils vu ses faussetés, ses travers ? Ont-ils deviné sa véritable identité?
La vie. C'est un concept tellement vaste, peut-être même plus que la mort. On est ici pour une durée indéterminée, sans savoir ce que l'on est supposé faire. On invente au fur et à mesure, on cherche, on trouve des pistes. Mais finalement, on tâtonne, on touche du bout des doigts la réponse sans parvenir à la saisir pleinement.
Enfin, faut-il au moins savoir quelle question poser...
Sur ces paroles emplies de philosophie, je te salue et te dis à la revoyure.
Ta petite sorcière Maëlle.
En plaçant sa lettre dans une enveloppe, Maëlle rencontre son regard à travers la vitre. Elle fronce ses yeux noisette et se tire la langue. Son double n'est que mensonge mais pourtant, il lui rappelle l'inévitable vérité. Elle a beau se le cacher, tenter de l'oublier, elle l'a rattrapée.
Sa main, posée sur la fenêtre laisse une trace frêle; presque tremblante. Désespérée de voir une image aussi pathétique, Maëlle gonfle ses poumons et souffle sur le verre. De la buée cache alors son empreinte et du bout des doigts, elle dessine un petit bonhomme souriant. Ce petit bonhomme, elle décide de le nommer Gérard. Devant son sourire si niais, preuve qu'il n'existe pas ou tout du moins, pas réellement; elle lui confie son histoire...
Mais, en tant que narratrice ( et amie de Maëlle) je ne vous dévoilerais pas le contenu de ces révélations... Si vous voulez en savoir plus, demandez à Gérard même si je doute qu'il vous répondra un jour.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
28 avril 2023
6 rue Garat, 64310, Urrugne
Maëlle,
L'encre et le papier sont mes instruments les plus précieux; mais aussi mes armes. Plus efficaces qu'une bombe, plus évocateurs que n'importe quelle singerie, ils sont en quelque sorte, le reflet de notre âme. Ou tout du moins, une partie de ce que l'on accepte de montrer. Avec les mots, il y a parfois des connotations, des sens qui peuvent être cachés ou plutôt, fumeux. Cependant, quand on apprend à les connaître, à approfondir ce que l'on suppose être leur première signification, on se rend compte qu'ils sont incapables de nous mentir.
Par la courbe d'une lettre, on en dit plus qu'avec un de ces "émojis". Ces petites icônes qui ont remplacé nos véritables émotions, nos sensations. Combien de personnes ont-elles avoué leurs sentiments par message au lieu de se les révéler en face ? Combien ont-elles rencontré "l'amour de leur vie" sur une stupide plateforme de rencontre? Il est vrai que les plus beaux rendez-vous sont ceux auxquels on ne s'attend pas. Des rendez-vous surprises avec notre futur. Une simple seconde peut changer tout le cours d'une vie. Alors pourquoi s'enfermer alors que c'est dehors que notre présent change et que notre avenir se redéfinit ?
Les mots sont nos alliés. Grâce à eux, on est plus fort, plus à même de comprendre la complexité de la vie...
Je ne sais pas pourquoi j'écris cette lettre. Je laisse simplement mon cœur guider ma plume tout en m'assurant que mon cerveau fait son travail et évite les fautes d'orthographe. Elles sont un véritable fléau! Tu sais, quand j'étais petit ( et oui, c'est arrivé; je ne suis pas né vieux et ridé comme le pense mon petit-fils) j'en faisais tout le temps. Mon maître s'arrachait littéralement les cheveux avec moi et je ne compte pas le nombre de zéro dont j'ai écopé en dictée. Les maths, la géographie, les sciences ; je voulais bien mais la conjugaison, la grammaire, les accords... C'était au-dessus de mes forces. Les "b" devenaient des "p" et les "s" passaient à la trappe. J'ai souvent dû me battre à l'école. Me battre contre moi-même mais aussi contre mon esprit récalcitrant ... Quand j'avais huit ans, mon maître se nommait Monsieur Granm-Smith. Il était grand, très grand et un peu bourru. J'ai souvent inventé des histoires, persuadé qu'il était en réalité un géant ou un troll, venu sur la planète Terre pour nous étudier ou encore nous dévorer. J'ai traumatisé de nombreux enfants avec mes histoires et je n'en suis pas peu fier. Quoiqu'un peu affolé de ma capacité à être aussi machiavélique. Les enfants peuvent parfois être cruels envers leurs aînés. On a beau les raisonner, pour eux il n'y a aucun mal à se moquer. Notre pauvre instituteur ne comprenait pas pourquoi tous les élèves le regardaient avec effroi et tremblaient quand ils devaient passer au tableau. Pourtant, il était bien gentil avec nous. Il nous parlait comme à des adultes et nous faisait travailler sur des sujets vraiment intéressants. Il ne nous considérait pas comme des bébés, des inaptes à qui il devait faire rentrer du plomb dans la cervelle. Il voyait en nous l'avenir et le progrès. Nous n'étions pas pour lui une source d'ennui ou de tracas mais une mission. Il avait pour objectif de nous transmettre ses connaissances ainsi que ses valeurs. La transmission du savoir était, pour lui, sa raison d'être.
Je me revois encore avec mes cheveux blonds frisés et mes yeux verts dans lesquels se reflétaient toutes mes pensées. Le mot impassibilité n'avait aucun sens pour moi et je laissais toujours mes émotions transparaître sur mon visage. L'innocence d'un enfant. Le plus beau et cruel des présents. Je posais des milliards de questions et je n'étais pas forcément l'enfant le plus sage du monde. On aurait très bien pu le croire; avec mes traits poupins et mon sourire angélique. Un vrai angelot comme disait ma grand-mère. C'est peut-être pour ça que j'étais doué au théâtre... J'avais l'habitude de jouer un rôle, d'être ou ne pas être celui que l'on attendait de moi. Je savais jongler entre mes différentes facettes avec une main de maître uniquement dans le but d'être apprécié par mes pairs. C'est ainsi que je me laissais guider par les besoins, les envies des autres, tout en oubliant les miens. J'en avais oublié qui j'étais.
Mais, maintenant je sais. Avec le temps, on apprend, on grandit... on change. Non, on évolue plus que l'on ne change. Car, au fond, il demeure toujours la même essence; celle qui fait de nous qui nous sommes. Pour commencer, on passe d'un bébé inconscient du monde tournant autour de lui à un petit enfant, coquin et facétieux ne se questionnant pas un seul instant sur le futur, qui n'existe alors pas. Puis, on devient un adolescent. Chacun est différent, chacun voit cette période selon sa propre vision mais je pense que l'on se questionne tous. On se questionne sur le pourquoi du comment de la vie, sur les différentes strates du temps. Nous sommes des marins perdus en mer, oscillant entre retourner dans les terres connues de l'enfance ou découvrir de nouveaux horizons, de nouveaux paysages qui vont nous faire devenir des adultes.
Adulte. Ce mot m'effrayait en m'effraie encore. On y sent toute la responsabilité, tout son poids. Il peut parfois paraître trop gros, trop imposant. Un sac à dos que l'on aurait empli de pierres pour nous empêcher d'avancer. Mais si on les sort; ces petites pierres grises, noires ou encore colorées on peut les utiliser pour écrire ou dessiner sur le sol de la vie des messages de joie, de bonheur, d'espoir. Il suffit de rester attentif et de garder au plus profond de soi son âme d'enfant. Puis vient la vieillesse. Ce passage dans notre vie où l'on oublie tout ce qu'y a été appris. Où l'on redevient des enfants, des nourrissons incapables d'être autonomes.
Je déteste être vieux. J'aimerais tant me lever, danser un tango ou courir un marathon à New-York. Mais je suis las. Mon corps ne tient plus et il est à la traîne. Il menace en même temps mon mental. Pourtant, je refuse de me laisser abattre. Je suis un arbre, certes vieux mais qui refuse qu'on lui ôte ses branches. Je me bats contre les bûcherons qui tentent sans cesse de me couper mon tronc. Mes feuilles ne sont plus aussi vives, mes branchages se cassent parfois et mon écorce est emplie de stries. Des petites cicatrices que mon ami le temps m'a laissé en présent. Elles sont le reflet de ma vie, de mon parcours et je les apprécie. Elles font partie intégrante de celui que je suis. Ce sont elles qui me rappellent la manière dont j'ai façonné mon existence, les moyens dont j'ai usé pour me relever quand il m'arrivait de tomber. Pour moi, la vie est une sorte de forêt. On peut s'y égarer mais en suivant les étoiles, on parvient à retrouver son chemin. Les arbres, l'eau, le ciel. Tous sont nos alliés bien qu'il faille d'abord les accepter, les comprendre, avant qu'ils ne nous laissent les suivre. Ma forêt est douce. Belle et apaisante. Je m'y sens en sécurité, à ma place.
Accepterais-tu de jouer à un jeu avec moi ? ( tu as tout intérêt à répondre oui, crois-moi)
Alors ferme les yeux. Lentement. Imagine que devant toi se trouve une toile vierge. Blanche. Si blanche qu'elle en devient aveuglante. Puis, petit à petit, à leurrythme, des couleurs se déposent, envahissant ce tableau monochrome. Devant tes yeux, tu vois se dessiner une parcelle verdoyante, à ton image. Imagine les arbres, les fleurs et les cours d'eau. Sens leurs odeurs, la caresse du vent sur ta peau et la douceur de l'air. Dis-moi ce que tu vois. Dis-moi comment tu te sens et garde en toi ce souvenir de ce lieu magique. Ce havre de paix qui représente un petit bout de ta vie.
C'est le lot de tout être humain de vieillir et pour certain, il s'agit d'un privilège. D'une carte cadeau permettant de faire ce que bon ( ou mal d'ailleurs) nous semble. De cette façon, on peut doubler les petits jeunes dans la file ! c'est ce que m'a dit mon voisin. Tu sais, celui dont je t'avais déjà parlé. Je ne le supporte plus, il m'agace avec son comportement de vieillard qui veut à tout prix profiter des "avantages" de son âge.
Je voulais revenir sur un point de ta lettre. Tu dis que ces jeunes femmes qui se maquillent se dissimulent, qu'elles deviennent un mensonge cependant, je ne suis pas d'accord avec toi. Il est vrai que je n'ai pas d'avis tranché sur la question mais je pense que chacun à le droit d'être ce qu'il veut, de s'habiller ou de se maquiller de la manière qu'il lui plaît (sans que cela ne soit illégal, la police me fait peur). Le corps est une chose personnelle et n'appartient à personne d'autre que son propriétaire.
Tu sais, je suis allé en Espagne il y a quelques jours. J'aime ce pays, si près du mien où la langue ressemble à un ballet allant crescendo. J'aime ces différences de vitesse, ces accents que l'on juge tantôt cassants, tantôt suaves.
Je m'égare, je m'égare.
J'étais donc en Espagne et là, parmi le brouhaha ambiant, j'ai entendu une voix qui m'a marqué. Je pense que c'était un signe car, dans ce monde, rien n'est véritablement lié au hasard et chaque rencontre, chaque mot percutant notre mémoire a pour but de nous faire évoluer ou de nous préparer à quelque chose de plus grand.
Ainsi, ce timbre m'a percuté et, tout indiscret que je suis, je me suis mis à écouter la conversation de cette jeune femme. Je suis un malappris, je l'avoue.
Voilà ce que cette personne, nommée Felicity avait dit à son amie qui critiquait une adolescente de dix-sept dont le maquillage lui donnait, selon elle, des airs de « pétasse » (soit dit-en pensant, j'ai ce mot en horreur):
- Cela me fait mal de savoir que celles qui aiment se maquiller ou s'apprêter soient considérées et surtout jugées avec autant de mépris. Tout de suite, elles apparaissent hautaines, superficielles voire même provocantes. Mais parfois, au même titre que les vêtements ou encore la peinture, le maquillage leur permet de s'exprimer. De se faire belle aussi, quel mal y a-t-il à cela ? Laissons-les être une œuvre d'art, éphémère certes ,mais dont elles sont la pièce maîtresse. Nous n'avons déjà que peu d'opportunités de nous placer en premier rang, de nous choisir. Alors pourquoi leur reprocher cette liberté et ce choix ?
J'aurais aimé parler à cette demoiselle. Lui dire à quel point ces propos m'avaient touché. Cependant, je ne l'ai pas fait. Non pas par pudeur (tu me connais) mais je crois que, dans un certain sens, elle m'impressionnait.
Bref, je m'égare et je t'avouerai que je suis en retard pour mon rendez-vous chez le coiffeur (oui, j'apprécie toujours avoir une coupe soignée malgré le fait que je ne « date » personne).
Alors voilà, je te présente un nouveau point de vue car on a toujours besoin de remettre ses idées et préjugés - avouons-le, nous en avons tous - en question et d'apprendre des autres.
Je me suis emballé, à un tel point que je n'ai pas pris le temps de répondre à tes questions. Tu m'excuseras, je le sais, ce manque de politesse. C'est Jules en effet qui va devenir grand frère. Avoir un enfant n'est pas le souhait de ma fille et je la comprends parfaitement. Sa carrière et son bonheur sont ses priorités et la maternité n'est pas une chose qui lui fait envie. Comme elle le dit si bien « crouler sous un tas de couches sales et ne pas dormir tranquille, très peu pour moi.»
Tu sais, cela faisait bien longtemps que ses parents projetaient d'en avoir un deuxième mais la vie en a décidé autrement. Alors ils ont décidé d'adopter. Un petit garçon trouvera bientôt sa place dans notre famille. Un bébé de quelques mois qui a autant besoin de nous que nous avons besoin de lui. Il ne nous connaît pas encore qu'il est déjà aimé plus que cela ne devrait être permis.
En tout cas, ma chère Maëlle je te souhaite une bonne journée et te salue bien bas,
Harold.
PS : Sais-tu comment « date » se prononce ? Je sais bien que ce n'est pas comme la date mais je n'ose pas demander à Jules et descendre dans son estime. Je suis le papy djeuns et cool. Pas le papy qui s'empêtre avec les mots anglais.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
« Maëlle fais tes valises, tu pars dans deux jours. Pense à prendre des vêtements confortables et amples ! Et n'oublie pas tes gouttières. »
Maëlle tente de se convaincre que cette injonction recèle d'un semblant de normalité. Qu'elle part vraiment quelque part de sympa et qu'elle va profiter à « donf ! ». Tu parles. Ici, ce n'est pas l'éclate. C'est plutôt Désespoir Land. Entre son frère qui tire une tête de six pieds de long, son père qui râle à tout bout de champs et sa mère qui évite la maison le plus possible, l'ambiance n'est vraiment pas terrible en ce moment. Mais bon, c'est la vie. Il y a des jours avec et des jours sans. En ce moment, les jours sont majoritairement "sans" mais on ne sait jamais. Tout peut arriver. Elle glisse la lettre dans la poche avant de son sac à dos, elle n'aura pas le temps d'y répondre avant au moins une semaine. Elle s'en veut de faire patienter son ami mais si ses affaires ne sont pas prêtes dans les temps, elle va se faire ramoner.
Avec un soupir las, elle se dirige vers sa fenêtre, cherchant son pull préféré, celui qu'elle a trouvé dans le grenier. Elle scrute le sol, retourne ses coussins. Rien. Où a-t-il bien pu passer ?
La réponse lui apparaît, nette et implacable. Elle l'a oublié chez Eliott. La boulette ! Hors de question de lui demander de le lui rapporter, elle n'a pas forcément envie de voir sa tête aujourd'hui. Tant pis, elle va s'en passer. Elle n'aura qu'à en prendre un autre. Un bruit de moteur lui fait regarder en contrebas où une voiture rouge pétard fonce à toute allure.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Au volant de sa Clio rouge, Harold se dirige vers Biarritz. Il ne sait pas ce qui lui prend mais aujourd'hui, il n'ira pas à Sainte-Barbe. Quelque chose l'appelle ailleurs.
Il passe devant l'Île de la Fée Clochette et de Peter Pan, promontoire rocheux dont le nom a été donné par son petit-fils, il passe devant les boutiques où les touristes se pressent.
Il s'arrête au Café de Paris et s'assied à une table à l'extérieur. Même s'il apprécie particulièrement l'ambiance de la salle, il n'a qu'une envie: se prélasser au soleil, une chocolatine à la main.
Il prend son temps, savoure l'instant. Autour de lui, des couples discutent, des amis se rejoignent. Le monde tourne et lui reste là. Immobile à contempler ce flux sans fin. Il regarde les gens arriver, s'en aller. Des familles commander à manger, s'engueuler aussi. Il voit la vie. Non plutôt il la sent, dans chaque fibre de son être.
Il ne pense plus à rien, son esprit seulement tourné vers le calme et l'apaisement. Au milieu du bruit, il est chez lui. Bien qu'aimant la tranquillité de sa maison, être dehors lui procure une sensation de liberté indéniable.
Parmi le brouhaha ambiant, un bruit mince, ténu, le fait brusquement sortir de son état contemplatif. Il s'agit d'un reniflement. Léger. Un de ceux que l'on retient, comme des sanglots. Ne voulant pas se montrer trop indiscret, il regarde autour de lui en prenant un air évasif. Il ne sait pas s'il y parvient mais, lorsqu'il trouve la source de ce bruit, si l'on peut appeler un son si léger bruit, il manque de tomber de sa chaise. Il s'agit de la jeune fille qu'il a rencontré en Espagne. Enfin, plutôt celle dont il a écouté le discours engagé sur le maquillage.
Il ne croit pas aux hasard et voit ainsi un signe du destin. Certes, il n'a pas osé lui parler la première fois mais là.... Il en a la possibilité et ne compte pas gâcher ce présent que lui offre l'univers. A ses yeux, il est important d'encourager et de soutenir les autres. Et surtout ces autres qui nous sont inconnus.
Il ronge pourtant son frein, essayant de la laisser tranquille et de ne pas l'alpaguer dès son arrivée. Mais la patience n'étant pas son fort, il craque, se tourne vers elle, plonge ses yeux dans les siens et se lance :
« Je vous ai entendu l'autre jour. Vous étiez à Saint Sébastien et vous parliez à votre amie. Vous avez défendu une petite jeune qui s'était maquillée, vous vous souvenez ? Je voulais tout simplement vous dire combien j'avais trouvé vos propos admirables et sensés. »
La jeune femme rougit, guère attendue à recevoir ce genre de compliments.
«Je n'avais pas osé vous le dire, je ne voulais pas vous déranger mais maintenant que vous êtes seule et que vous attendez votre commande... Vous savez, je crois au destin et je pense qu'il est important de savoir reconnaître ses signes. Je pense que vous êtes importante mademoiselle. Sinon, pourquoi nous serions nous recroisés ? En tout cas, si jamais l'envie vous prend de discuter, n'hésitez pas. Je n'attends personne.
Il désigne la chaise vide en face de lui d'un vague signe de la main,
- A vrai dire, je n'en ai aucune idée. Je vous avoue que je me sentais un peu seule aujourd'hui, oubliée. J'aurais bien besoin d'un ami.
Elle esquisse un sourire timide. Elle ne veut pas le déranger mais il lui rappelle tant son grand-père, décédé quelques mois plus tôt. Elle aurait tant aimé se blottir contre lui dans le canapé, lui avouer à quel point elle en a assez de ses faux-culs d'amies et de leur constant besoin d'attention. Elle aurait aimé lui dire combien cela lui pèse de devoir toujours faire passer les autres avant elle, de devoir s'oublier. Elle aimerait lui expliquer qu'elle est le second choix, la roue de secours et que l'on s'intéresse à elle seulement pour ce qu'elle peut offrir. Elle donne tout, ne reçoit rien, sinon peu. Et elle en a plus qu'assez.
Alors, au lieu de vider son sac auprès de lui, elle en déverse le contenu sur une table face à la mer, elle expose ses soucis à un inconnu pas si inconnu qui l'écoute avec attention et lui serre la main quand elle menace de fondre en larmes.
Ils se sépareront comme ils se sont rencontrés, avec douceur. Plus tard, elle repensera à lui avec le sourire et ses conseils la porteront vers de nouveaux horizons...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top