Chapitre 20
13 avril 2023
6 rue Garat, 6410, Ascain
Ma petite Maëlle,
Te savoir mal me brise le cœur. Les gens sont parfois si cruels, si barbares. Les animaux sont, à mon humble avis, bien plus intelligents et sensibles. Ils ont la plus belle qualité du monde : ils ne sont pas humains. Ils ne jugent pas sans savoir et dès leur naissance, portent en eux un caractère doux et aimant. C'est la folie des hommes qui leur retire cette partie d'eux, pourtant aussi précieuse que de l'or.
Pour te remonter le moral, je vais te parler de ma rencontre avec Juliette. Rien de mieux pour se changer les idées qu'une histoire qui se termine bien.
Il sourit à l'évocation de ce souvenir. Sa petite Juliette, sa jolie perruche. Mais surtout son amie. Celle qui a partagé son quotidien durant de longues années et qui lui a redonné envie de vivre après la mort de sa femme. Il se saisit d'un cadre où la photo, pas encore décolorée par le temps, montre un homme souriant à la caméra, un oiseau jugé dans ses cheveux. C'était un belle journée de printemps où son petit-fils s'était improvisé photographe. Harold chérit cette image. Elle est unique, représentative de son bonheur. Il reprend alors le cours de son écriture...
Juliette n'était encore qu'un tout petit oisillon quand je l'ai connue. Elle appartenait à un couple de banquiers qui avaient une petite fille. Je m'en souviens, elle s'appelait Victoria et avait un vrai caractère de cochon. Ils habitaient dans une petite maison en bord de mer, dans un lieu touristique, ensoleillé certes mais surtout bondé de monde. C'étaient des amis des cousins d'Héloïse et étant veuf depuis peu, ils m'avaient proposé de garder leur maison le temps qu'ils partent au ski. Il faut dire qu'ils avaient « les moyens » et qu'ils adoraient se rendre à la montagne. En effet, cela faisait « chic ».
J'avais besoin de m'évader, de quitter quelque temps notre maison. celle qui abritait nos souvenirs les plus beaux comme les plus douloureux. Je ne pouvais continuer comme ça. Continuer à la chercher à chaque embrasure le profil de son visage, continuer à humer les oreillers en quête de son odeur.
C'était le compromis idéal. Les Mandeson avaient quelqu'un pour s'occuper de leur maison adorée et de leur perruche tandis que moi, j'avais un endroit où dormir. Un endroit qui ne me rappelait pas constamment la femme que j'avais perdue et qui me manquait éperdument.
Quand je suis entré dans la maison, une voix sortant d'outre-tombe m'a accueilli. « Je suis le seigneur de cette demeure et tu es mon esclave » Un rire sinistre a alors empli la pièce et il faut bien avouer que j'ai eu assez peur. Pourtant, en allumant la lumière, je suis tombé nez à nez avec une petite perruche verte qui me fixait, ses prunelles noires me dévisageant sans vergogne. Les ailes déployées et le menton levé, elle semblait me défier d'approcher. Je me suis agenouillé et lui ai tendu la main :
« Honorable Madame perruche, je suis à votre entière disposition.
-Va me chercher des cookies, greeedin ! » Je me souviens encore de son regard méprisant et j'avais pensé que si cet oiseau était désagréable à ce point, mon séjour allait être un désastre monumental.
Cependant, nous nous sommes apprivoisés mutuellement. Nous étions tous deux en manque d'affection, d'amour. Personne ne l'avait jamais câlinée ou donné la becquée. Ses maîtres ne se souciaient pas d'elle. Je lui ai appris de nouveaux mots et elle se révéla dotée d'une intelligence remarquable. Pour moi, ce n'était pas qu'une vulgaire perruche comme les Mandeson le pensaient mais mon égale. Nous étions « amis » et je déplorais la fin de mes vacances. Sa petite bouille et son caractère de chipie allaient drôlement me manquer. Finalement, je m'étais attaché à elle et en perçant sa carapace, je l'avais découverte. En retirant cet amas de plumes, de mépris et de désintérêt on pouvait apercevoir une petit cœur battant sauvagement. Un petit cœur qui méritait qu'on lui accorde de l'attention. Un cœur aimant, souffrant d'un manque constant de présence.
Quand ses maîtres sont revenus de vacances, ils ne paraissaient même pas ravis de la retrouver. J'ai senti mon cœur se pincer. Elle méritait tellement plus. Plus d'amour, de compassion. Elle méritait de savoir conjuguer le verbe aimer au pluriel. A nous.
Je suis parti le cœur et les bagages bien lourd, en ayant presque les larmes aux yeux. Je me souvenais de la première fois où elle avait daigné se rapprocher de moi ; de cette fois où elle m'avait picoré mes chaussettes pour y faire des trous, dans le but de me prouver qu'elle ne m'aimait pas. L'air triste, je quittais cette maison, cette amie en me disant que la vie était emplie de joies intenses, vite remplacées par d'innombrables chagrins (Marcel Pagnol m'inspirait).
Une fois installé dans le taxi, je laissai tomber mon sac à mes pieds après avoir donné au chauffeur l'adresse de l'aéroport. Toujours en soupirant, je sortis une boîte de cookies pour lui en proposer. Je sais pertinemment qu'il ne faut pas manger dans une voiture qui n'est pas la nôtre mais les émotions, ça creuse ! J'ai toujours trouvé du réconfort auprès de petites pâtisseries ou de bons gâteaux bien gras, empirant mon taux de cholestérol.
Me voici donc à sortir mes Granola et les lui tendre quand soudain, il se mit à crier. Non d'émerveillement devant d'aussi bons cookies mais bien de panique. Il s'arrêta net et sortit de la voiture en courant. Derrière nous, résonnait un concert de Klaxons et d'injures, de cris et de mots d'oiseaux. Éberlué, je saisis l'objet de sa peur et l'amenait vers moi avec précaution, ne sachant pas à quoi m'en tenir.
Bien entendu, tu l'as deviné, une petite perruche verte s'y trouvait, le bec emplit de miettes et endormie, son ventre se soulevant au rythme de sa respiration. Mon cœur explosa de joie. Elle était venue. Malgré le fait qu'elle avait une famille, une maison, elle m'avait choisi moi. Je comptais alors pour quelqu'un ; je valais quelque chose. Je n'étais pas qu'un veuf inspirant pitié et ayant passé la fleur de l'âge.
Je pense qu'il est important de se remémorer ceci : on compte pour quelqu'un, même si l'on ne s'en rend pas forcément compte. On compte pour une personne qui guette notre sourire, notre passage. On compte pour cette personne avec qui l'on parle, l'on rit. On compte pour nos amis, nos amours. Certains ne le disent pas, préfèrent se taire plutôt que d'être expansif. Il te suffit seulement de savoir, Maëlle, comment les gens te regardent. Comment ils font attention à toi, combien ils prennent soin de toi.
Tu sais, ton frère n'est pas le seul à se fermer la porte de l'amour.
Harold.
Quand Maëlle reçoit la lettre d'Harold, elle la pose sur la table basse, face cachée. Elle a peur de la réponse, peur de ne pas être assez forte pour la lire. Et s'il lui pose des questions ? Et s'il a deviné ? De toute façon, elle est trop fatiguée. Elle ne parvient pas à suivre le fil de ses pensées. Tout se mélange dans sa tête, rien n'a de sens. Ses paupières papillonnent plusieurs fois avant de se fermer. Elle s'endort alors, vautrée sur le canapé du salon...
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« Merde ! »
Cette pensée fuse dans son esprit et retentit dans tout le salon. Heureusement, elle est seule. Elle s'est endormie.... NON, NON , NON.
Elle avait rendez-vous chez Eliott. Il fallait qu'ils travaillent. Ils devaient faire... quoi déjà ? Elle ne s'en souvient plus. Tout ce qu'elle sait c'est qu'elle l'a oublié. Qu'elle a oublié et ne l'a pas prévenu.. ET que cela va déjà faire deux heures qu'il poireaute ! Oh la loose ! Pour ne rien arranger, ce n'est pas comme si leur relation était incertaine en ce moment. Depuis l'épisode de la porte en plein nez, Eliott et Maëlle ne savent comment se comporter. Alors l'exposé sur lequel ils devaient travailler leur est apparu telle une épée de Damoclès. Ça passe ou ça casse. Soit ils se rabibochent et tournent la page, soit c'est la fin. Dramatique ? Sans doute. Mais ils sont comme ça : tout feu tout flamme. Entiers.
Elle se rue vers sa chambre, attrape un cahier en quatrième vitesse, tente de mettre la main sur son téléphone ; en vain. Tant pis, elle sort précipitamment, se souvient qu'elle n'a personne pour l'emmener, qu'elle était censée demander à son père mais elle a oublié. Elle rentre à l'intérieur, ne retire pas ses chaussures et fouille la maison à la recherche de son portable. Elle en a absolument besoin pour appeler Philippe. Et prévenir Eliott aussi ; ce serait pas mal. Elle laisse des traces de boue derrière elle mais n'y prête pas attention. Elle a autre chose en tête. Enfin, elle met la main dessus. Il était tombé sous les coussins du sofa, bien caché et en mode avion. Sinon, ce n'est pas drôle.
Sans prendre la peine de lire les messages d'Eliott, elle appelle son père. Qui ne répond pas. Elle bascule automatiquement sur la messagerie impersonnelle du paternel, ce qui a pour mérite de la rendre dingue. Sa mère est à l'association, elle ne pourra pas venir la chercher. Son frère ? Même pas en rêve, il refuse de lui parler et rester dans la même pièce qu'elle lui demande un effort sans nom. En désespoir de cause, elle essaie de joindre Madeline, la mère d'Eliott. Elle sait qu'elle finit souvent ses cours à cette heure-ci et ne sait pas sur qui d'autre elle pourrait compter. Si seulement elle avait le numéro de téléphone d'Harold... mais elle n'oserait pas le faire déplacer pour si peu. Et puis, ce serait contraire à ses objectifs et irait à l'encontre de son projet.
La série de bip la rend nerveuse. Elle ne veut pas laisser Eliott en plan. Elle ne veut pas manquer cette deuxième chance. Au bout de la cinquième sonnerie, Madeline décroche, légèrement essoufflée :
« Oui allô ?
- Oui Madeline ? C'est Maëlle.
- Oh Maëlle, comment vas-tu, ma jolie? Tu es avec Eliott ? Il m'a dit que tu devais passer mais il ne me répond pas et je commençais à m'inquiéter,
Elle ricane,
- Je sais bien que c'est ridicule et qu'il est grand maintenant mais... je suis une maman que veux-tu.
- Justement, je suis chez moi. Je me sentais un peu patraque et je me suis endormie. Sauf que personne ne peut m'emmener et je dois absolument aller voir Eliott.
Elle marque une pause.
- Pour le travail. Je ne veux pas le laisser tout faire tout seul, tu comprends ?
- Oui, oui bien sûr. Je viens juste de sortir, je passe te prendre d'ici cinq à dix minutes, c'est bon pour toi ? »
Madeline n'est pas dupe, ni née de la dernière pluie. Travailler, tu parles ! Mais elle aime beaucoup Maëlle et elle a toujours été là pour son fils alors... ça ne la gêne pas de faire un détour. Parce que oui, elle était presque arrivée chez elle, au niveau du rond-point qui dessert leur parking. Alors elle change brusquement son clignotant, se rabat et écope d'une douzaine de jurons et de trois coups de klaxons. Tant pis, ça en valait la peine.
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Ça y est. Elle y est. Avec un peu de chance, Eliott ne lui en tiendra pas rigueur. Après tout, elle n'a que... presque quatre heures de retard. Cela aurait pu être bien pire ! Nerveuse, elle tire sur les manches de son pull, celui qu'elle a trouvé au grenier et qui a la douceur d'un nuage.
Madeline entre dans l'appartement la première et tombe nez à nez avec une Eglantine rouge de colère. Ses petites joues sont gonflées, ses sourcils froncés et elle serre les poings avec une violence inouïe. Jamais sa mère ne l'a vue dans un tel état de rage, même après que sa voisine lui ait cassé sa figurine dinosaure. Elle se penche et lui ouvre les bras, connaissant le caractère de la petite dernière. Être en colère pour ne pas pleurer, elle tient ça de son père. L'enfant s'y réfugie et marmonne :
« Eliott c'est un gros pas beau et un petit con.
-Eglantine !
Elle la force à la regarder dans les yeux.
- Non mais, mademoiselle, c'est quoi ces manières !
- Mais c'est vrai maman ! Eliott c'est un gros nul et un méchant. Il a fait qu'insulter Maëlle alors que Maëlle je l'aime bien moi et quand je lui ai dit qu'il était pas gentil et ben il m'a dit de retourner à mes coloriages ! Comme si j'étais un bébé stupide et sans cervelle ! Mais moi, je lui ai dit que je ne voulais pas qu'il me parle comme ça et il s'est trop énervé et il m'a puni dans ma chambre. Et après y a quelqu'un qui a sonné à la porte alors je suis allée voir mais j'ai pas ouvert parce que tu m'as dit qu'il fallait jamais ouvrir aux inconnus. J'ai juste regardé dans le petit rond là et j'ai vu une tête de fille. Alors j'ai crié bien fort : « va-t-en t'es pas au bon endroit » mais Eliott il est arrivé et il a ouvert la porte. Il m'a encore grondée et m'a forcée à retourner dans ma chambre. Mais moi je m'ennuie toute seule et j'ai pas le droit d'aller le voir. »
Sa tirade terminée, des larmes pointent dans le coin de ses yeux. Son frère a été méchant avec elle et cela lui a brisé le cœur. Il est son super-héros, son compagnon d'aventure. Pas ce stupide garçon qui l'a punie.
Elle serre sa maman fort contre elle puis se redresse fièrement. Elle ne pleura pas. Mais la tristesse se lit sur son visage. Maëlle, qui était juste derrière, s'avance et la prend par la main.
« Viens ma puce, tu as goûté ?
Elle secoue la tête de gauche à droite,
- Alors suis moi, je vais te préparer des pancakes...."
Elle regarde Madeline avec effarement, consciente qu'elle ne lui a pas demandé son avis avant. Mais cette dernière lui sourit gentiment et hoche la tête :
« Parfait, pendant ce temps je vais aller voir Eliott. Il est temps qu'on ait une petite discussion lui et moi. »
Tandis qu'elle se dirige vers la chambre de son fils, sa haute queue de cheval fouettant l'air d'agacement, Eglantine et Maëlle commencent à sortir les ingrédients. La lycéenne protège la table à l'aide de torchons et passe à Eglantine la balance. De bon cœur, elles se mettent à l'ouvrage et bientôt, une bonne odeur règne dans la cuisine.
« A toi ! Retourne-moi ce pancake comme une crêpe ! »
Si elle la regarde avec consternation, le jeu de mot étant pour elle « à côté de la plaque », elle s'empare pourtant de la poêle que tenait jusqu'alors la jeune fille et d'un geste expert du poignet, jette le pancake en devenir en l'air. Elle adresse un sourire de vainqueur à Maëlle et en oublie momentanément le bout de pâte qui s'en va retomber sur le sol. Toutes deux s'y précipitent et tentent de l'y ôter avant qu'il ne faille passer un coup de serpillère. A vrai dire, Eglantine reste observer Maëlle qui, agenouillée, racle comme un beau diable. Brusquement, l'enfant tourne la tête et se fige avant de s'éloigner de Maëlle et de la cuisine. L'adolescente n'y prête pas attention tout de suite, concentrée sur sa tâche. D'un geste vif, elle retire son sweat et le pose sur la table. Elle commence à avoir chaud à force de frotter. D'ailleurs, elle se demande si la petite n'a pas mis trop de lait parce que vraiment, elle n'a jamais vu un pancake coller autant.
Un raclement de gorge la fait sursauter violemment et elle se redresse en vitesse. Des étoiles tournent devant ses yeux et elle tente de les chasser d'un revers de main qui se révèle, bien entendu, inefficace.
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Ses cheveux sont ramenés en une tresse dont des mèches châtains s'échappent. Ses joues sont roses, plus émaciées aussi. Si elle possède désormais quelques rondeurs, elles n'atteignent pas son visage. Sa peau est plus pâle que d'habitude mais ses yeux, quant à eux, rayonnent tout autant.
Eliott s'imprègne presque à contre-cœur de cette personne qu'il déteste autant qu'il aime. Il ne veut pas lui parler. Il sait que, s'il le fait, il lui pardonnera instantanément, incapable de lui faire du mal avec ses mots. Alors il la fixe, d'un air qu'il réserve usuellement aux personnes qui ont le malheur de lui déplaire.
Elle ne détourne pas le regard, le fixant elle aussi. Tellement absorbé par la jeune fille devant lui, il n'entend pas Gwendoline, la fille du cinéma, arriver derrière lui.
« Bon Eliott, je vais y aller.
Elle se plante devant lui et l'embrasse sur la joue. Il a l'impression qu'un crapaud lui bave dessus mais reste coît,
- C'était super cet aprem,
Elle détaille Maëlle de la tête au pied, peu amène, avant de continuer :
- On se voit au lycée, bye ! »
Ses baskets résonnent sur le parquet et Maëlle peut entendre ses bracelets dorés cliqueter à chacun de ses pas. Elle ne l'a pas regardée. A refusé de voir son visage.
« Désolée d'avoir été en retard, j'ai eu un imprévu.
Elle désigne la porte qui vient tout juste de se fermer, ôtant Gwendoline à leur vue.
« Sympa comme compagnie, tu t'es pas ennuyé à ce que je vois. Déclare-t-elle d'un ton fielleux ,Ce ne serait pas elle par hasard la fille terriblement ennuyante qui passe sa vie à parler de l'alimentation des hippopotames et qui préfère te prendre en photo plutôt que de regarder un film ?
-Oui, c'est elle et sache qu'elle ne parle pas que de...
- Oui, oui, c'est ça, le coupe Maëlle. Quant à toi, sache que ce n'est pas très plaisant de se faire remplacer par... ça.
La moue dédaigneuse qu'elle aborde sur son visage finit par énerver Eliott et par lui dénouer la langue. Tant pis, il parlera et réussira à ne pas lui pardonner. Son égo et son constant manque de sérieux sont les reproches sur lesquels il peut s'accrocher pour ne pas sombrer. Car loin de lui apporter du réconfort, ce pardon risque tout bonnement de le noyer :
« Tu as tout le temps des imprévus en ce moment. Tout le temps un rendez-vous pas prévu, une visite à une grand-mère éloignée que je ne connais pas ou je ne sais quoi. Tu manques des soirées parce que tu es fatiguée tout le temps ! C'est toujours la même rengaine et j'en ai assez. Quand je veux t'aider tu me claques la porte au nez, littéralement. Alors excuse-moi de faire autre chose de mes journées que de t'attendre, excuse-moi de passer du temps avec une fille autre que toi !
Rouge de colère, répétition de " temps", ce mot qui a tant de symbolique pour lui. Le temps, il a l'impression qu'il lui court après, qu'il s'en va sans qu'il ne s'en aperçoive.
- Mais je t'en prie ! Amuse-toi avec toutes les filles de la Terre si ça te chante ! J'en ai rien à faire. s'emporte Maëlle
- Ah oui ? Alors pourquoi dès que je parle d'une que j'apprécie un tant soit peu tu te fermes ou tu te moques de moi ?
Elle blêmit,
- Pourquoi tu t'obstines à m'attirer, pour ensuite me repousser quand je t'approche de trop près ? Pourquoi tu me rends dingue à ce point ?
Elle ne lui répond pas et il sent qu'il va lâcher. Qu'il a envie de lui pardonner pour que tout redevienne comme avant. Mais, se rend-il compte, il ne veut plus de cet avant. Cet avant de lui suffit plus. Alors il carre les épaules et prend une grande inspiration.
« Tu sais quoi ? Je ne veux plus que tu diriges ma vie. Je n'ai pas envie de t'attendre des heures sans que tu te pointes, je n'ai pas envie de t'attendre tout court alors que je ne sais même pas si un jour tu ouvriras les yeux.
Maëlle le dévisage avec surprise :
- Attends, quoi ? De quoi tu me parles là ?
- Du fait qu'on est pas forcément meilleurs amis ?
- Mais qu'est-ce que tu me chantes, là ?
- T'as pas compris, Maëlle ?
Elle secoue la tête, l'air embrumé
- Je ne te considère pas comme ma meilleure amie et je pense que toi non plus. Tu es... il prend une grande inspiration, Plus que ça à mes yeux. Et j'aimerais qu'on définisse cette relation qui est la nôtre.
Les mots planent dans l'air, telles des bulles de savon. Pourtant, elles n'en ont pas la légèreté. Eliott a peur. Il a suivi les conseils de sa mère, il s'est jeté à l'eau. Il préfère savoir que de retarder un peu plus l'inévitable.
Il n'aime pas Gwen, dans un certain sens, il espérait juste que Maëlle la voit, qu'elle soit jalouse. Et il se déteste pour ça. Mais il en a assez des faux espoirs, des coups de chaud puis de froid. Il a besoin de savoir. Savoir s'il a bien fait d'espérer.
Maëlle est figée. Au sens propre du terme. Elle a l'impression que son cœur ne bat plus. Que tout son être est plongé dans une drôle de mélasse. Elle ne sait pas quoi dire. Jamais elle n'avait ressenti cela : cette plénitude et cet état qui la prend lorsqu'elle est à ses côtés. Mais comment en parler ? Rien ne sort. Elle le fixe juste, immobile, sans mots dire. Parce que la honte la paralyse certes mais aussi une sourde terreur l'enserre ; lui murmurant à l'oreille « à quoi bon ? Tu sais bien comment ça va se finir, tu vas lui faire plus de mal encore. Il ne mérite pas ça ».
Le jeune homme se méprend sur le silence de son amie. Il se renfrogne et tourne les talons, quittant l'atmosphère chaleureuse de la cuisine aux tons boisés. Tandis qu'il passe la porte, il lance, la voix meurtrie par la rage :
« Tu connais le chemin de la sortie ».
Il n'en faut pas plus à Maëlle pour se sauver, sous l'œil médusé d'Eglantine qui s'était réfugiée dans le canapé. Elle quitte l'appartement en vitesse sans un mot, sans un au-revoir. Plus tard, dans son lit, elle repassera ce souvenir, changera le scénario mille et une fois mais il n'empêche que la gifle magistrale qu'elle aurait rêvé de lui asséner, elle, figurera dans chacun.
Elle dévale les escaliers à la hâte et se retrouve dans le hall d'entrée. Elle ne sait pas comment faire pour rentrer. Elle s'est rendue compte dans la voiture de Madeline qu'elle avait encore oublié le sien. Ne souhaitant pas lui demander de faire demi-tour et lui causer plus de tracas, elle s'était dit qu'elle pourrait emprunter celui de son meilleur ami pour rentrer. Meilleur ami, tu parles peste-t-elle amèrement. Ami de rien du tout oui ! En plus,elle se gèle. Car oui, elle a oublié son pull adoré chez ce maudit... elle n'achève pas le cours de sa pensée puisque la concierge, remarquant sa détresse, lui demande gentiment :
« Je peux faire quelque chose pour vous, mademoiselle ?
- Je pourrais emprunter ton téléphone, s'il te plait ? ose demander Maëlle, passant automatiquement au tutoiement sans que son interlocutrice ne semble s'en offenser.
- Bien sûr!
Elle lui tend l'appareil et la jeune fille s'empresse de composer le numéro. Lorsque sa mère décroche et qu'elle entend le son de sa voix, elle sent la tension descendre d'un seul coup. Sa poitrine se desserre, son souffle s'apaise. Quoi qu'elle en dise, elle l'aime énormément et sa présence, même à l'autre bout du téléphone, la rassure. Elle lui narre en quelques mots ce qui s'est passé et lui demande de venir la chercher. Lorsqu'elle rend son téléphone à Miss Verdier, cette dernière lui sourit gentiment et lui propose une tasse de thé. Maëlle décline et elles restent ainsi, dans un silence pesant, jusqu'à ce que des bruits de pneu se fassent entendre. Elles se saluent avec une politesse dictée par la distance et Maëlle s'engouffre dans la voiture.
Elle n'adresse pas un mot à sa mère, si ce n'est un « merci » léger comme la brise mais pourtant lourd de sens.
Ambre attend quelques minutes puis lui tend son téléphone, chargé. Tout en gardant un œil sur la route, elle observe sa fille le saisir fébrilement, le déverrouiller et enfin ouvrir ses messages. Enfin son message, délivré il y a deçà plus de quatre heures.
« Plus la peine de venir.
Eliott »
Bon, ça c'est fait. Maëlle plonge son regard dans la nuit noire, retient ses larmes comme elle peut. Mais lorsque sa mère lui prend la main, elle arrête de lutter.
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