Chapitre 11

Il contemple la pièce avec effarement. Des papiers jonchent le sol, déjà poussiéreux. Des cartons sont disséminés ici et là, sans souci de l'ordre qu'il avait établi. Sans parler du liquide noirâtre qui s'étend tant sur le jean de sa fille que sur...

« Ma raquette de tennis ! Tu sais combien elle m'a coûté ? Ce n'est pas Dieu possible d'être si maladroite ! Vraiment tu aurais pu faire attention ! »

Les épaules de Maëlle s'abaissent, petit à petit. Son excitation est douchée en un instant. Complètement dans son monde, elle n'a pas fait attention à la réalité. La chevauchée dans cet univers parallèle, plus heureux et coloré si belle qu'elle en a tout oublié. Ses émotions l'enserrent. Elle retient ses larmes, sachant que cela ne va rien arranger. Au contraire. Elle serre les dents, se redresse. Fait appel à son sale caractère pour sortir la répartie attendue :

« J'ai fait ce que j'ai pu. Et puis, ce n'est pas comme si tu t'en servais. »

Sans lui laisser le temps de répondre, elle quitte la pièce, le menton haut et une expression de dédain peinte sur son visage. Elle a remis sa carapace en place et ne la laissera plus s'en aller. Elle n'aurait d'ailleurs jamais dû glisser de son cœur. Parfois, elle ne comprend pas ce qui se passe. Bien que protégée, les barrières tombent d'un coup d'un seul sous le coup d'une remarque, d'un regard ou d'un sous-entendu. Sous le coup de la joie ou de ce pétillement incertain qui l'habite souvent.

Elle traverse le salon en un battement d'aile. Liam la regarde avec un drôle d'air mais elle refuse d'y prêter la moindre attention. Même, elle se redresse encore, bombe le torse et sort dans le jardin.

A la lueur des étoiles, il lui paraît féérique. Elle aurait presque l'impression d'être dans un roman fantastique. Elle pose son regard sur la lune, s'attendant sans doute à ce qu'un dragon vienne la prendre sur son dos. Mais rien ne se passe. Ce monde est bien trop réel pour ça. Trop figé. Elle avance, pieds nus, dans l'herbe. Une remarque de plus dans son prochain sermon quant au fait que sortir sans chaussures et sans manteau le soir est mal, ne lui changera plus rien. Tant qu'à faire, autant profiter de la clémence de la Lune, de la beauté des étoiles, de la magie de l'instant présent. Elle aimerait envoyer un message à son ami mais elle sait qu'à cette heure-ci, il dort. Alors, elle s'assied sur une chaise longue et contemple le ciel.

Soudain, elle perçoit un mouvement derrière elle. Ambre s'approche et lui dépose un plaid à ses pieds. S'assied sur le transat juste à côté d'elle. Sans un mot, sans un regard, elles restent là. La nuit ne leur est jamais apparue si puissante si... enivrante.

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A l'abri de l'encre nocturne, Philippe darde sur son épouse un œil noir. L'obscurité l'a toujours mis mal à l'aise et il ne se sent en pleine possession de ses moyens qu'éclairé par les leds de leur chambre. Les murs lui fournissent un cadre que la nature ne peut lui procurer. Il se tient au milieu de la pièce, debout contrairement à sa femme, assise sur le lit et enveloppée d'une couverture en polaire. Elle le fixe en silence. L'air est chargé de son parfum capiteux, qu'elle juge entêtant. Comme un goût de fer dans la bouche, comme des boulets à ses pieds, elle reste immobile. Essaie de devenir invisible. La lumière des ampoules est trop vive, trop claire, trop nette pour elle. Elle préférait la douceur de la nuit qu'elle partageait avec Maëlle.

« Ambre, il faut que tu fasses quelque chose pour ta fille. Elle est incontrôlable. Terriblement entêtée, horriblement maladroite ! Et n'oublions pas son égocentrisme et..."

Il cherche ses mots,

"...sa vanité ! Sérieusement, cette gamine est insupportable ! Avec son frère nous n'avons pas eu ce genre de problèmes. Liam n'est pas fainéant pour deux sous et va devenir docteur. Docteur ! Il sort avec une jeune fille très bien, dont les parents...

- Où veux-tu en venir, Philippe ? le coupe son épouse.

- Ma chère Ambre, je veux te faire comprendre que ta fille a sérieusement besoin d'être redressée. Elle a besoin d'un cadre, besoin de devenir plus performante aussi. Elle ne peut pas continuer à se comporter comme une enfant de 8 ans qui répond et tire la langue à la moindre contrariété ! Il faut lui mettre un peu de plomb dans le crâne, séri...

- Si tu répètes encore une fois le mot « sérieusement », je sors d'ici !

- Enfin Ambre, calme toi!

La manière dont il a prononcé son prénom lui donne la chair de poule,

- Tu sais bien que je ne veux ni la blesser ni te blesser. Seulement, il serait bien qu'en ta qualité de mère tu serres un peu la vis. Tu comprends ?

Sans voix, Ambre ne peut que se contenter de hocher la tête. Son mari a le don de lui "couper la chique", comme aurait dit sa grande-tante,

- Bien, je ne te retiens pas plus longtemps, je file me laver les dents.

Tandis qu'il passe la porte de la salle de bain attenante, il lui lance :

- Je te laisse le bon soin de retranscrire cette conversation à Maëlle.

- Oui et bien sûr, ces remarques ne viennent pas de toi

- Je vois que tu as compris ....

Et il sortit de la pièce, un sourire froid sur le visage.

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« Tu m'exaspères Maëlle ! Tout tourne toujours autour de toi mais sache une chose jeune fille, je ne suis pas dupe. Tu veux juste que notre attention soit focalisée sur toi mais à quoi bon ? Tu es incapable de faire quelque chose de bien. Tu te caches derrière des excuses stupides pour éviter de travailler. Tu nous fais des crises qui ne sont plus de ton âge, tu te comportes comme une... une empotée et une fainéante. Tu ne fais rien ne ta vie et ce stupide œdème en est bien le rappel. SI tu t'étais bougée plus tôt, si tu avais bien voulu faire des efforts, tout cela ne serait pas arrivé ! Tout ne va pas tomber tout cuit dans ton bec alors tu as intérêt à te ressaisir, à faire attention et crois bien que ton père et moi serons là pour te surveiller. Les sorties au ciné, au food truck, tout ce qui est extérieur au lycée tu oublies !. Si seulement ... »

Si seulement elle était comme son frère. Mais ça, sa mère ne le lui dira jamais. Elle ne comprend pas comment elle peut être aussi différente. Non pas qu'elle soit véritablement une rebelle ou une délinquante mais elle ose lui tenir tête et surtout, rêve en grand. C'est ce qui insupporte Ambre. Il n'y a pas de rêves. Seulement des petites passions ridicules, nuisibles à un avenir qui se doit d'être glorieux. Liam l'a compris dès son plus jeune âge et assez rapidement pour un petit garçon, est rentré dans le moule en décidant de devenir docteur, comme son père.

Maëlle comprend aussitôt que sa mère pense à Liam. Cet idiot trop parfait pour être réel. Ce robot sans cœur et sans espoir si ce n'est celui d'être un cardiologue renommé. Elle souffle et tourne les talons, laissant son insupportable génitrice seule avec ses pensées.

Philippe est le père de Liam. Froid, distant mais surtout imperturbable et de l'ancienne époque. Pour lui, tout doit être géré par sa femme et tant qu'elle s'occupe de tout, il la laisse tranquille. Il parle peu à Maëlle, ne pouvant supporter son esprit trop aiguisé et ses délires qui l'amènent à s'imaginer romancière. Il ne lui fait jamais de remarque en face, laissant le soin à Ambre de s'en charger. Pour la jeune fille, il est seulement le parent invisible qui n'ose pas prendre son parti face à son dragon de femme, lui adressant parfois des remarques deci-delà. Mais si elle savait...

Elle se serait rendue compte qu'Ambre tient réellement à elle, qu'elle essaye d'arranger les choses dans cette famille qui paraît au premier abord parfaite mais qui est en réalité brisée. Il y a tout un pan de leur vie que Maëlle ignore, un voile qui une fois levé changerait le cours de son existence.

Nous ne sommes pas ici pour vous conter cette histoire mais celle d'une jeune fille en particulier. Cette dernière se trouve dans sa chambre, décorée avec soin par sa mère et qui semble être celle d'une enfant modèle. Les murs, le parquet et les meubles sont soit blancs soit noirs. Aucune trace de couleur ne vient perturber ce décor monochrome. Elle s'assoit rageusement sur son lit, froissant les draps parfaitement bordés et dérangeant l'alignement méticuleux des cousins. Elle se saisit d'un papier, d'un stylo, noir bien entendu et se met à écrire en ayant préalablement lancé sa playlist.

7 décembre 2022

366 Arroïlabaita bidea, 64500 Urrugne

Harold,

J'en ai assez ! Je n'en peux plus! Trop, c'est trop ! Ma famille a dépassé les bornes. Ils me reprochent de faire ma crise d'adolescence en retard ! Je ne sais même pas quoi dire ! Juste pour une chose bénigne, pour un petit rien ils me font des montagnes de reproches. Quand vont-ils me comprendre ? Parfois, je me demande si je suis vraiment leur fille, s'ils ne m'ont pas adoptée.

Je leur ressemble physiquement, c'est vrai ( enfin on va dire que ma couleur capillaire n'est pas véritablement logique dans une famille de blonds et roux) mais ... à l'intérieur c'est tout autre chose. Je veux voir le monde, vivre. Ils veulent me garder dans cette prison qu'est devenue notre maison. Je ne veux pas d'une vie pépère, bien rangée. Je suis différente par bien des égards. Je ne souhaite pas finir mes vieux jours dans une chaise roulante en me demandant ce que le monde avait à m'offrir. Je ne peux pas passer la suite de mon existence les fesses collées sur une chaise à m'occuper de la paperasse et à faire de la comptabilité. L'univers a bien plus à donner qu'un simple bureau, qu'un travail qui finalement ne fera pas mon bonheur. Je ne veux pas attendre que le temps passe. Je ne veux plus suivre des yeux cette petite aiguille qui, bien que minuscule, dirige ma vie. Mon souhait le plus cher est de profiter de chaque instant, de chaque moment. Suivre mes rêves et faire ce que je désire, sans me soucier du regard d'autrui.

Le pire, c'est Ambre. Elle tyrannise l'entièreté de la maisonnée et me charge de montagnes de reproches. Elle ne me voit pas telle que je suis Elle me considère comme une pièce qu'elle peut meubler à sa guise, en se souciant uniquement de l'aspect final et non pas de l'harmonie du mobilier. Cette femme aux cheveux blond vénitien, aux yeux de jade et au teint plus blanc que la porcelaine est ma mère. Cette même dame qui refuse de se voir vieillir et qui, au lieu d'accepter les signes de l'âge, préfère utiliser la chirurgie et se faire refaire les seins. Quelle idée ! A-t-elle peur que les regards se détournent d'elle, que l'intérêt que lui portent les hommes et son mari s'envole avec le temps ?

J'ai eu la mauvaise idée de croire que nos relations s'étaient arrangées depuis quelques temps puisque nous courions ensemble et en profitions pour discuter. Mais j'ai eu tort et plus jamais je n'irai avec elle. Elle me l'a interdit. Elle a refermé cette porte avec force, me laissant seule de l'autre côté du couloir.

Bien sûr, son charmant époux n'a pas tenté de l'en dissuader ni de la retenir. A quoi bon ?

Son mari, qui est aussi mon père. Philippe Lordfort le troisième. Philippe, le célèbre médecin que tout le monde admire. Lui-même qui reste stoïque devant les remarques acerbes de ma mère et qui ne prend jamais ma défense de peur de la réaction de sa femme. On peut dire bien des choses à son sujet mais je sais que, quand il s'agit de moi, il est tout sauf courageux. Il ne me parle que peu, ne se préoccupe pas de mes états d'âme. Il vit dans sa bulle et n'accorde d'attention qu'à Liam.

Eh oui, Liam. Mon frère aîné. Le petit-ami de ma pire ennemie et le futur cardiologue de la famille. Celui qui répond à toutes les attentes familiales. Celui qui a toujours raison et qui est sans aucun doute le « chouchou » de nos parents. L'élève émérite que tous les professeurs saluent. Il est dur, parfois, de passer après lui. D'avoir les mêmes enseignants qui disent à tout va « Liam par ci, Liam par là. » et qui vous comparent sans cesse. La comparaison ! Quelle idée farfelue, inventée par des personnes jalouses qui voulaient se sentir supérieures.

Tu sais, quand j'étais enfant je voulais être une princesse. Pas pour l'argent ni pour le titre. Non, je voulais être différente des autres. Je ne voulais pas leur ressembler, être un copié collé. Je voulais être moi mais en même temps quelqu'un d'autre. Une princesse aide les autres. Une princesse est à la fois un modèle de perfection et d'assurance, de générosité. Tout ce que je ne suis pas. Le vilain petit canard qui se métamorphose en cygne. L'histoire d'une petite fille malingre aux yeux rêveurs qui espérait ardemment devenir une personne meilleure que celle qu'elle était.

Quand je voyais les avions passer, je les saluais dans l'espoir qu'une personne me voie et qu'elle vienne m'emmener loin, très loin de chez moi. A un endroit où je n'aurais plus à me soucier de ce que je dois dire ou faire. Un lieu où ma cage serait brisée et où je pourrais enfin... être moi.

Adolescente, je le suis encore. Je continue de vouloir me fondre dans la masse,je conserve ce besoin qu'on ne me regarde pas. Je m'enfouis dans des pulls larges et me cache derrière mes cheveux. Mais en même temps, il y a cette petite voix en moi qui me rabâche sans cesse : "Lève la tête ", " Sois toi-même," Arrête de te cacher". Cette petite voix, c'est souvent Eliott qui lui donne corps. Un drôle de personnage, mon Eliott. Il irradie sans s'en rendre compte et m'entraîne avec lui sous la lumière. Je lui dois beaucoup, même si je réalise que je ne le lui dis pas assez.
Mes émotions sont des tsunamis qui m'emportent au large. Comment pourrais-je les lui jeter en pleine face ?

Je me fâchais contre mon frère trop parfait, contre mes parents idiots. J'étais une vraie tornade et je veux bien l'admettre ; un petit diable. Je voulais leur faire du mal. Leur prouver que je n'avais pas besoin d'eux. J'écris au passé, comme si cela était révolu. Pourtant, ce n'est pas le cas. Certes, je me suis améliorée et mes coups de sang sont moins virulents et fréquents mais... soyons honnêtement, je ne suis pas un modèle de calme et de douceur. Grand bien m'en fasse !

Maintenant, à 17 ans et des brouettes, on me serine que je suis adulte et que je dois être responsable. Mais responsable de quoi ? Je dois vivre chez mes parents et m'inscrire dans la fac d'à côté ou, au mieux en Belgique (qui reste relativement près de la France, je tiens à le préciser). Moi qui voulais tant voyager ...

Mes parents ont trop peur que je m'éloigne. Je crois moi, que ma mère ne se fait pas à l'idée que bientôt, elle ne pourra plus me contrôler.

Merci de me prêter une oreille (une plume) attentive.

J'espère que je ne te dérange pas avec mes états d'âme.

Maëlle.

Ps : Merci infiniment pour ton sage conseil, Eliott et moi nous sommes réconciliés et c'est bien la chose la plus heureuse qui me soit arrivée durant ces deux dernières semaines !

Elle soupire, agacée d'être coincée dans ce lit. Elle a découvert il y a peu la liberté et les grands espaces, cette sensation de bien-être qu'ils lui procurent. Mais tout cela vient de lui être arraché en un claquement de doigts. Elle s'enfonce un peu plus au milieu des coussins et regarde par la fenêtre. Dehors, il fait beau. Elle a envie de pleurer. Qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour sortir prendre l'air, pour respirer un grand coup. Mais elle n'a pas le droit. Pas aujourd'hui du moins. Elle a l'impression d'être claustrophobe, que les murs se resserrent et l'étouffent. Pour lutter contre cette sensation désagréable, elle envoie un message à Eliott et un à Jacob. Deux fois plus de chances pour que quelqu'un lui réponde.

« Pas bête la guêpe » se dit-elle tentant de se faire rire elle-même. Elle attend une réponse et, la patience n'ayant jamais été son fort, se retrouve à faire la liste des Petshops les plus mignons. Une activité étrange qui a au moins le mérite de la faire penser à autre chose. Elle évite surtout de regarder son pied, gonflé comme une pastèque. Elle a l'impression qu'il va exploser, que ses petits orteils vont être réduits en bouillie et qu'elle va en retrouver des petites bouts partout dans la pièce. Elle frissonne de dégoût et abandonne le classement. Ce n'était pas une idée d'enfer en fin de compte.

Elle revérifie pour la quinzième fois en deux minutes qu'elle n'a reçu aucun message et que non, la batterie de son téléphone n'est pas à sec. Elle s'assure aussi qu'elle a du son et du wifi. Tout marche à la perfection. Alors pourquoi ne répondent-ils pas ?

Sans doute parce que Jacob est en répétition avec sa troupe et qu'Eliott est au lycée. Il ne sera donc pas connecté avant trois bonnes heures. Quelle déception !

Pour se réconforter, elle lance La Belle et La Bête sur son ordinateur et sans s'en rendre compte, sombre dans un sommeil sans rêves.

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Dans l'embrasure de la porte, Ambre regarde sa fille endormie. Elle ne la distingue presque plus au milieu de tous ces coussins. Pourtant, elle voit ses cheveux chocolat dépasser du fouillis. Elle s'approche lentement, sur la pointe des pieds, peu désireuse de la réveiller.

Elle s'installe dans un fauteuil noir à motifs géométriques dans le coin de la chambre, tout proche de la fenêtre, gardant un œil sur Maëlle. Elle est perdue. Elle ne sait que faire.

Doit-elle le prévenir ? Doit-elle garder le silence ? Ambre lui a déjà caché tellement de choses, elle lui a tu son existence. Et il ne sait rien de sa vie. Pour lui, ce serait comme si elle n'avait jamais existé. Mais cela, Ambre ne se le permettrait pas.

Toujours endormie, Maëlle se tourne, orientant son visage vers celui de sa mère.

Elle a les cheveux indomptables de son père. Sa crinière qui le rendait si fier. Elle a sa forme du visage aussi, plus arrondie. Un léger ronflement sort de sa bouche et Ambre se retient de rire. Maëlle a toujours assuré que c'était son maudit de frère qui ronflait et non pas elle. Combien de fois lui a-t-elle prié de se soigner ?

Maëlle, son petit rayon de soleil. Elle soupire, c'est si dur et ce n'est pourtant que le début. Elle qui avait cru que les choses iraient en s'arrangeant. Alors un souci de plus, un souci de moins, qu'est-ce que ça change après tout ?

Décidée, elle sort son téléphone et rédige son message.

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DING !

La sonnerie de son téléphone tire violemment Maëlle des bras de Morphée. Encore ensommeillée, elle se frotte les yeux et s'étire paresseusement. Le monde lui semble moins lourd lorsque son esprit demeure au pays des rêves. Cette douce torpeur la quitte progressivement et c'est d'une main fébrile qu'elle se saisit de son smartphone. Qui lui a répondu ? Eliott ou Jacob ?

Aucun des deux. Devant le prénom affiché à l'écran, elle réprime une moue boudeuse. Clara. Clara lui a envoyé un message. Ce doit être son satané frère qui lui a donné son numéro ! Qu'il brûle en Enfer celui-là. Ce n'est pas parce qu'elle a dit qu'elles s'entendaient mieux qu'elles sont devenues amies ou même copines.. Puis elle se souvient que Liam et elle ont leur application "contact" en commun. Elle soupire, soulagée. Ce n'est pas un tour des petits bonhommes verts ! Il faut vraiment qu'elle arrête de paniquer pour un rien.

Elle râle un bon coup, soulageant la tension qui l'a envahie depuis qu'elle est sortie de l'univers onirique, peuplé de fées et de pirates, et ouvre son message.

« Liam m'a dit que tu ne pouvais plus venir à la salle. C'est dommage, j'aimais bien te coacher et puis, j'en connais qui vont être déçus de ne plus te voir... comme le vieux au short rouge, tu sais, celui qui passe sa vie à te reluquer ???

Ne me laisse pas y aller seule trop longtemps, ma survie en dépend.

Bises,

Soigne-toi bien. »

Plusieurs choses dans ce texto lui semblent bizarres. Tout d'abord Clara ne l'a jamais coachée sinon houspillée pour qu'elle « se donne à fond ! » et « dépense toutes ces calories vas-y ! . Et puis comment ça « J'en connais qui vont être déçus de ne plus te voir... comme le vieux au short je sais plus quelle couleur » ? Aucun des tarés ne l'avaient regardé et elle s'en réjouissait. Les regards lubriques qu'ils adressaient à Clara la faisaient frémir.

Alors qu'elle allait lui répondre un merci poli doublé d'un smiley qui sourit pour ne pas paraître trop froide, elle se souvient de la fois où Clara était malade et l'avait laissée seule aller au sport. Et elle se dit que finalement, la jeune femme n'avait peut-être pas eu tort.

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Maëlle, rouge de sueur et assoiffée, se précipita sur la fontaine à eau. Sa bouteille était vide et elle n'en pouvait plus. Elle allait mourir de déshydratation, elle en était persuadée. Tandis qu'elle relevait la tête, de l'eau dégoulinant le long de son menton, elle croisa le regard d'un trentenaire qui s'échinait sur le tapis de course. Elle lui sourit, d'une façon tant embarrassée que polie. Lorsqu'elle se remit au travail, il la fixait toujours et il continua de la dévisager avec insistance tout du long de sa séance.

En passant la porte de sortie et n'y tenant plus, Maëlle lui demanda s'il la connaissait. Il lui répondit que non, avec un air espiègle peint sur son visage dont les dents blanches semblaient briller. Cela l'avait rendue perplexe mais le klaxon de son père et le savon qu'elle s'était pris derrière pour une autre de ses notes qui n'était pas fabuleuse lui avait totalement fait oublier ce qui s'était passé et ce que cela signifiait. Jusqu'à maintenant.

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Elle en a le souffle coupé. La vache ! Elle aussi avait eu le droit à son lot de regards torves ! Quelle horreur. Et dire qu'elle ne s'en était pas aperçue, trop occupée à limiter ceux que l'on lançait à Clara.

Elle se sent sale tout un coup ; comme si les regards et sourires charmeurs avaient laissé sur son corps des traînées de boue. Elle se gratte le bras, nerveuse et essuie mentalement ces comportements pervers. Même après coup, de savoir ce que ces hommes ont pu penser d'elle la met terriblement mal à l'aise. Alors elle saute, enfin elle s'extirpe de son lit aussi rapidement que son pied le lui permet, et file sous la douche pour laisser l'eau dissoudre ces mauvaises impressions.

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13 décembre 2022

6 rue Garat, 64310 Ascain

Maëlle,

Tu m'as semblée bien énervée dans ta lettre. Par respect pour ta vie, je ne vais pas te demander pourquoi mais plutôt te demander de t'essayer à un véritable jeu d'acteur : te mettre à la place de tes parents. Les parents sont toujours un mystère pour leur progéniture. Elle ne les a connus qu'en tant qu'adulte responsable. Elle ne comprend pas qu'eux aussi ont eu une jeunesse, se sont plantés et ont eu des gueules de bois. Pour vous, les parents sont toujours des rabats-joie et des moralisateurs de première catégorie. Pour vous, ils ne sont que « papa et maman ». Depuis que vous êtes nés, fruits de leur amour parfois incertain, ils ont dû oublier une partie d'eux même pour se concentrer sur votre éducation.

Je sais que c'est dur, que ton père et ta mère ne sont pas de réels ... pédagogues ? Je peine à trouver le mot adéquat.

Mais, Maëlle, la vie d'un parent est loin d'être de tout repos. On essaie de vous protéger mais en même temps de vous laisser vivre. De vous laisser vous tromper alors que vos défaites nous font grincer des dents. On essaie de vous aider à tenir sur ce vélo bancal qu'est la vie. À tout moment, tu peux tomber, te relever ou te blesser. Tu peux pleurer, tu peux rire et sourire. Tu peux contempler le paysage en faisant attention à ne pas foncer dans un grillage.

Être un parent, c'est devoir jongler entre sa peur, son envie de rendre son enfant heureux mais aussi contre sa nature profonde. En réalité, nous sommes des animaux qui luttent contre leur instinct premier, qui se battent jour et nuit, sans relâche pour que vous soyez heureux. Je ne veux pas te faire culpabiliser ou t'enfoncer mais tu as le droit et surtout le devoir, de comprendre cet univers qui n'est pas le tien. Il est facile de juger une chose, une pratique quand on n'y connaît rien. L'ignorance nous fait devenir aveugle. Nous ne voyons que ce que nous pensons distinguer. La vie est faite ainsi et nous sommes parfois tenté de tout envoyer balader.

On veut vous protéger. On veut vous câliner. On vous a appris à marcher et maintenant vous voulez courir sans nous.

J'ai eu du mal au début à accepter que mes enfants puissent se débrouiller seuls. On a tant l'habitude de vous bercer, de vous protéger que quand vous grandissez, on se sent... impuissant. Impuissant face à ce monde qui risque de vous dévorer tout cru. Héloïse me traitait de papa poule. Elle m'assurait que tout allait bien mais je ne la croyais pas. Je voulais être le meilleur papa mais pour ça, il fallait apprendre à lâcher prise. Mais comment ? Comment laisser la chair de ma chair, le sang de mon sang vivre loin de moi ? Quand Alizée est partie, j'ai eu le cœur brisé. Mais c'est de cette façon-là, qu'elle est devenue la femme formidable qu'elle est aujourd'hui. Tu sais, elle est revenue il y a quelques jours. Elle m'a fait une surprise ! Elle m'a demandé d'aller chercher un colis qui l'attendait chez une de ses amies : Elodie. Je l'ai toujours bien aimé cette petite. Mais ce n'est pas là le sujet.

J'y suis allé, bien entendu. Tu ne peux imaginer ma surprise quand, ma fille que je n'avais pas vu depuis des mois et des mois (je crois que ça faisait même plus d'un an) m'a ouvert la porte. J'en suis resté pantois. Pour une fois, à court de mots. Je l'ai serrée si fort contre mon cœur. J'ai senti le sien battre sur le mien et c'était comme si je rentrais à la maison. Quand elle a relevé son visage, j'ai contemplé son sourire. Sa dent de devant, cassée depuis qu'elle a sauté du haut d'un arbre pour s'envoler tel un Pégase, m'a ramené tant d'années en arrière. Dans ses yeux, j'ai retrouvé la petite fille qu'elle était et qu'elle est restée. Mais dans sa manière de se tenir, dans cette nouvelle confiance qui l'habite, j'ai découvert la femme qu'elle s'est permis de devenir. Je suis si fière de mon enfant. D'Alizée. De ce petit bout qui refusait d'attendre que chaque personne soit servie avant de commencer son repas. J'aime son odeur, son parfum qui a évolué petit à petit. J'aime comment elle ressemble à Héloïse par certains aspects et la manière dont je me retrouve en elle. En une expression, en une mimique, je revois le petit garçon que j'étais.

Si un jour tu as un enfant, n'oublie jamais mon conseil. N'oublie jamais que toi aussi tu es passée par là. Que toi aussi tu as été une enfant, une adolescente et une jeune femme.

Veux-tu que je te raconte quelque chose ? Une chose assez étrange, même pour moi.

Alors voilà : quand j'avais 16 ans, j'avais soif d'aventures et de vie. Je voulais à tout prix que la fille qui me plaisait tombe éperdument amoureuse de moi... alors tu devines la suite. J'ai économisé, je me suis acheté une belle moto et une veste en cuir. Je me sentais le roi du monde. Mes cheveux étaient en brosse, j'avais le look du hard rocker de base. J'étais un peu ce gars, beau gosse (comme vous dites les jeunes) et sûr de lui. Quand je revois les photos, je ris comme un petit fou. J'étais ignorant. Je me la jouais tombeur et charmait les filles pour mon seul plaisir. L'amour était un défi perpétuel et source de blagues entre mes amis.

La fille m'a quitté quand elle a vu qu'un terminal avait une plus jolie moto. Elle était rouge. Brillante. Et les sièges étaient en cuir. Ma petite vespa ne supportait pas la comparaison. J'étais triste ce jour-là mais surtout en colère contre moi-même.

Je me suis rendu compte que je rentrais dans le cadre de l'époque pour plaire aux autres. Que mon bonheur dépendait du leur. Alors j'ai arrêté. Je suis devenu le vrai Harold. Celui qui chante, mal mais qui chante. Celui qui danse sous la pluie (même avec sa canne). Celui qui aime dormir à la belle étoile. Harold. Le seul et l'unique. Car oui, il n'y a pas deux personnes semblables sur cette Terre. Jamais deux copies. Même les jumeaux ont des caractères propres, des identités définies. Nous ne sommes pas faits pour nous ressembler mais pour nous emboîter ; chacun apportant sa particularité et sa définition de la communauté.

Alors trouve-toi Maëlle. C'est mon conseil, le deuxième en une lettre, je fais fort dites-donc.

Je te souhaite bien du courage et si tu as besoin de quelqu'un à qui parler, si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas, je suis là et prêt à t'aider.

Harold Berckley

Il repense à cette fille : Elisa. Celle que tous admiraient parce qu'elle était riche et qu'elle avait des cheveux à la Brigitte Bardot. Celle avec qui tous les garçons voulaient sortir parce qu'elle était l'exemple parfait de l'amoureuse transie. Il rit. Il rit en se rappelant sa joie quand elle avait accepté d'aller au parc avec lui. Il rit de sa bêtise quand il dépensait tout son argent de poche pour lui offrir une glace. Il était bête. Il était jeune.

Dans le miroir, il ne voit presque plus cet adolescent fanfaron qu'il avait été. Son visage s'est émacié, ses yeux sont délavés et il ne lui reste que quelques mèches blondes au milieu de sa tignasse blanche. Au moins ne porte-t-il pas de dentier.

« Alors papa, tu comptes tes rides ? »

Dans le reflet, il croise le regard de sa fille. Il ne se détourne pas aussitôt de son image, et lui répond, à travers la glace :

« Il n'existe pas un nombre assez élevé pour ça. Il faudrait que je puisse compter le nombre de rires, le nombre de larmes, le nombre de sourires qui ont parsemé ma vie.

Il pivote et se place face à elle :

« Et ce serait bien trop long. Pour l'instant, j'ai autre chose à faire avec ma fille adorée »

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