S&G Partie II: Auteurs de Troubles
- J'en conclue donc qu'on fera route ensemble ? Demanda fièrement Serynch.
- Ce n'est plus trop sûr de se balader seul de nos jours. On sera plus efficace à deux, affirma le bouffon.
- Quel est ton plan alors ? Demanda le grand homme.
- Trouver un endroit calme pour se reposer. Le plus loin possible d'ici, ah !
Alors les deux compagnons traversèrent une bonne partie de la forêt sans s'arrêter. Leur chemin improvisé et parsemé d'obstacles naturels les mena quelques fois sur des petits sentiers - qu'ils tentèrent pourtant d'éviter - ainsi qu'au milieu de clairières boisées.
Lorsque le soleil pointa enfin le bout de son nez, ils décidèrent qu'ils étaient assez éloignés pour ne pas être retrouvés, et établirent un petit campement précaire.
Le bouffon s'installa sous un arbre, toujours enveloppé dans son manteau, et tomba de sommeil presque en même temps que Serynch.
Quelques légères gouttes d'eau tombée d'un arbre ramenèrent l'homme grand au visage angélique du monde des rêves.
Il ouvrit difficilement les yeux, à cause du soleil déjà haut dans le ciel, et releva la partie supérieure de son corps douloureux.
- Jamais je n'aurais cru que tu étais un gros dormeur, dit l'homme fin et courbé, tout en restant dos à Serynch. Ça fait quoi de dormir dans une armure ? Ah !
Le grand gaillard se releva difficilement en gémissant de douleur.
- Heureusement que j'avais enlevé le casque au moins.
Le bouffon le regarda, attendant une réponse.
- C'est désagréable, mais en temps de guerre on peut s'y habituer, admit le guerrier.
- Nous sommes en temps de guerre, n'est-ce pas ?
Serynch se dégourdi les jambes autour du camp tout en faisant craquer ses articulations.
- Cela dépend de quel côté tu te places, répondit-il.
- Dans quel camp tu es, tu veux dire. Je me suis rarement penché sur le sujet des querelles seigneuriales ou familiales, mais je serais prêt à parier que tu offrais tes services aux Pyronn ! Ah ! S'exclama le bouffon.
- Tu perdrais ton argent alors. Serynch frappa son poing contre son plastron en faisant un clin d'oeil.
- Tu ne peux pas être un impérial, sinon tu aurais été dans une prison de guerre loin d'ici, exposa le bouffon perplexe.
- Pas si tu es jeté en prison par ton propre camp.
Le bouffon ouvrit de grands yeux amusés et se dressa de toute sa hauteur.
- C'est donc ça ! Sauta-t-il d'amusement. Tu es un révolté ! Ah ah ah ! Décidément, tu m'épates de plus en plus !
- Du calme l'ami, l'arrêta Serynch d'un geste de la main. Maintenant que tu connais mon identité et la raison de ma présence en prison, à toi de me donner des informations.
Le bouffon cessa toute activité d'excitation et prit une longue inspiration, comme si les mots ne voulaient pas sortir d'eux-mêmes.
- C'est sans importance.... Enfin c'est.... compliqué.... Disons qu'une vieille connaissance que j'avais dupé à fini par me retrouver, et m'a fait mettre en prison, recita-t-il.
- Et alors c'est tout ? Pourtant tu me sembles beaucoup plus malin que ça ! S'exclama le grand homme.
- La ruse et l'éloquence ne valent pas grand chose face au pouvoir et à l'argent, donna-t-il comme seule explication.
Serynch comprit que c'était dur pour lui de parler de choses sérieuses et personnelles. Cela ne semblait pas lui plaire autant que de se moquer du malheur des autres.
- Reprenons dont notre route au lieu de bavarder. Nous en savons assez, conclu sèchement le mystérieux comique.
Son compagnon acquiesça de la tête et ramassa ses affaires avant de le suivre dans la forêt.
Ils marchèrent, des heures durant, sans même s'adresser un mot - comme à leur habitude - tout en se frayant un chemin entre les broussailles, que le gaillard balayait de sa longue arme.
Soudain, leur pas ne furent plus les seuls bruits inhabituels de la forêt, puisqu'un son assez régulier se rapprochait.
Les deux compagnons se mirent au sol en scrutant l'étroit chemin de terre, derrière les feuillages.
L'angoisse commença à parcourir leurs échines à tout les deux et Serynch serra le manche de son arme dans ses larges mains.
Le bouffon ne quittait pas le chemin des yeux d'une seule seconde.
Tout les deux se préparaient à l'inattendu.
Enfin, le bruit put enfin être associé aux sabots d'un cheval battant la terre, chevauché par un homme en armure légère mais qui ne voyageait pas léger.
Ses cheveux lui frappaient le front à chaque fois que ses bottes touchaient les flancs du destrier marron.
Le voyant se rapprocher de leur position sans les voir, les fugitifs commencèrent à se relever.
Le bouffon, courbé, fit signe à Serynch de ne pas le suivre et de ne pas mettre son casque.
Il sortit seul des bois pour barrer la route au cavalier qui le regarda, aussitôt, d'un air inquiet.
Il tira sur les rênes de son cheval et porta une main à sa ceinture, où pendait son épée.
- Qui a-t-il ? Pourquoi me barrez-vous le passage ?
- Oh je suis désolé Messire, je me suis égaré avec mon ami qui est blessé là-bas dans la forêt ! Vous êtes le seul qui puisse lui venir en aide ! Menti le bouffon.
Dans le fourré voisin, Serynch épiait la comédie de son compagnon d'un oeil aussi amusé qu'admirateur.
Il ne bougeait pas, si ce n'est que pour respirer, mais il se tenait prêt à intervenir à n'importe quel moment.
L'étranger reprit son interrogatoire avec la même expression faciale de surprise ou d'inquiétude.
- Qui es-tu ? Je n'ai jamais entendu parler d'un bouffon vivant dans la forêt... Continua-t-il en dirigeant sa main vers le manche de son épée.
- Messire, vous n'y êtes pas du tout, je suis le bouffon du seigneur de Noirlac, expliqua-t-il en essayant de ne pas trop regarder l'homme dans les yeux.
- Brivord est la citadelle la plus proche et Noirlac se trouve à des lieux d'ici. Comment peux-tu te trouver si loin de ton logis ? Demanda l'étranger en fronçant les sourcils.
- C'est sans importance Messire, le temps presse et mon ami se vide de son sang juste là-bas ! Cela me fait perdre les mots et la raison ! Ah !
- Je regrette, reprit l'homme en rabattant ses cheveux en arrière de sa main qui se reposa sur son épée, mais j'ai une affaire des plus urgentes à régler. Laissez-moi passer et j'irai dire aux hommes d'armes les plus proches de venir vous aider et vous escorter jusqu'à Noirlac.
- Seriez-vous en train de parler des gardes de la prison derrière la forêt ? Reprit l'homme mesquin, soucieux.
- Tout juste, souligna l'étranger. Je leur ferai part de votre détresse; sur mon honneur. Maintenant laissez-moi passer, j'ai à faire !
Le bouffon se prit le coude et le menton tout en baissant les yeux vers les sabots terreux du cheval.
Il réfléchissait en silence.
Il ne fallu pas beaucoup de temps à Serynch pour se rappeler des mots du bouffon, la veille, pour réagir.
Il attrapa sa hallebarde et la lança en direction du torse du cavalier, tout en sautant en dehors du fourré.
La pointe métallique de son arme vint frapper le côté droit de la poitrine de l'étranger en plein coeur, lui faisant perdre un jet de sang en même temps que son équilibre. Son corps lourd vint s'écraser au sol brutalement.
Le bouffon regarda son compagnon de route en esquissant un large sourire inquiétant. Serynch attrapa l'homme au sol qui s'agrippait tant bien que mal à une des sacoches qui étaient tombées de son cheval. Le grand gaillard aux traits angéliques voulut l'interroger à son tour, mais il était déjà pratiquement mort.
Il le relâcha pour le laisser mourir en paix alors que le bouffon se saisissait de la sacoche.
Il regarda à l'intérieur et vit un objet enveloppé dans du parchemin. Il l'analysa, l'ouvrit et lu à haute voix:
"Le seigneur Ulro Vandor de Thernom, vous place sous sa protection et vous donne sa bénédiction pour retrouver la marionnette de Kólasi et la lui rapporter en main propre et en un seul morceau.
Il vous est interdit de divulguer ne serait-ce que le moindre petit détail concernant cette mission de la plus haute importance, à qui que ce soit.
Veuillez me rapporter cette objet au plus vite pour percevoir votre paiement de 6000 pièces d'or.
N'oubliez pas qu'il vous est fortement déconseillé d'utiliser l'artefact avant même qu'il n'ait été examiné par nos chercheurs, ici à la cour.
Je mettrai à votre disposition dix de mes meilleurs hommes d'armes qui vous escorteront tout en restant discrets. Merci."
- Il y a le sceau et la signature du seigneur de Thernom ! S'exclama Serynch en parcourant le bout de parchemin abîmé des ses yeux verts.
- On vient de trouver la clé qui ouvre la salle du trésor, ah ! Répondit l'homme frêle. Dommage que tu sois mort, tu passes à côté de la chance de ta vie ; c'est pas très sérieux tout ça, fit-il en regardant les yeux vides du cadavre d'un air amusé. Ah ah !
- Méfions-nous de toute cette histoire et reprenons notre route vers une autre direction où nous ne risquerions pas de tomber entre les mains de son escorte, réfléchi le gaillard.
- Il est vraiment stupide de se promener seul, tu vois ce que je te disais...
Le bouffon rouvrit le sac et en sortit la marionnette délicatement.
Elle était faite entièrement en bois sculpté, mais n'avait aucun trait de visage ni aucun habit qui aurait pu l'associer à quelqu'un, mis à part les cinq petites ficelles qui pendaient de chaque membre articulé et de la tête, qui l'identifiaient comme une marionnette. Celle-ci n'était pas très grande et pouvait tenir pratiquement dans les deux mains du bouffon.
Celui-ci ouvrit de grands yeux brillant et assoiffés d'or en la fixant.
Serynch fit de même mais reprit ses esprits quelques secondes plus tard en secouant la tête.
Il se frotta les yeux.
- J'ai l'impression que cette marionnette est....envoûtante, expliqua-t-il à l'autre.
Le bouffon avait toujours les yeux fixés sur l'objet comme si il était gelé; et Serynch aurait parié qu'il n'avait toujours pas cligné des yeux.
L'homme en armure et avec la tête nue se saisit du pantin qu'il fourra au fond du sac d'un geste vif.
Le bouffon secoua la tête plus longtemps que son acolyte et se frotta longuement les yeux.
- Je disais que cet "artefact" est dangereusement envoûtant, répéta-t-il dans les oreilles de l'autre.
- Et j'admets que tu as raison, c'est dingue. Ah ! Se reprit l'homme maquillé de blanc et de vert.
Il chercha dans les autres sacoches qui étaient toujours accrochées au cheval, et trouva des vivres et un autre petit morceau de parchemin qu'il lu, dans sa tête cette fois.
"Ces vivres appartiennent à Goswin Qarster en mission pour le seigneur de Thernom."
Le bouffon voulu ricaner mais il se retint tant bien que mal.
- Quelque chose d'intéressant dans ce sac ? Demanda son acolyte en lui adressant un regard par dessus l'épaule.
- Oui des vivres, cela nous sera très utile pour le long voyage qui s'annonce, dit-il en déchirant le morceau de papier discrètement.
Serynch reprit sa hallebarde et remit la sacoche sur le dos du cheval qui avait cessé de s'agiter.
- Alors on fait route vers Thernom ? Mais je ne pense pas que nous allons y arriver avec tes pauvres connaissances géographiques, répliqua le guerrier.
Le bouffon se retourna vers son interlocuteur et eut un fou rire soudain, qu'il n'aurait pu avoir avec personne d'autre.
- Nous n'avons qu'à aller à la citadelle de Brivord pour acheter une carte du continent. Ah !
- Mais il va nous falloir de l'argent pour ça, commenta l'autre en enfilant son casque lourd. Nos actes douteux ne marcheront pas entre les murs d'une forteresse, où nous serons pris au piège.
- Sauf si la forteresse est en ruine, ah ah ah !
- Tu ne t'arrêtes jamais avec tes blagues, toi.
- Tiens je vais te donner une information sérieuse sur moi si tu veux, ah ! Lança-t-il.
Serynch arrêta aussitôt toute activité et se tourna vers l'autre avec un regard choqué, puis ferma les yeux en secouant doucement la tête.
- Vas-tu continuer longtemps à te moquer de moi ? Souffla-t-il, agacé.
- Goswin Qarster, annonça-t-il en se dressant solennellement.
- Eh bien ? Fit le gaillard en marchant aux côtés du cheval tout en le tenant par les rênes.
- Mon identité. Ça ne sonne pas assez bien pour toi ? Ricana le bouffon.
Le grand homme armé s'arrêta net et serra la main du bouffon encore une fois.
- Ravi de te connaître enfin.
C'est donc à la suite de cette mésaventure que les deux fugitifs poursuivirent leur route ensemble avec, cette fois-ci, un objectif précis en tête: se partager la prime qu'ils iraient d'abord chercher.
Après un long trajet dans les fourrés boisés aux côtés du cheval - et un repas improvisé composé de pain dur et de fruits secs - ils arrivèrent enfin en vue de la petite citadelle grise de Brivord.
Celle-ci était scindée en deux par une rivière calme et apaisante, et un unique chemin en pierre menant à la grande porte permettait d'y pénétrer.
Les sommets des tours de garde à l'entrée de la petite ville apparurent à travers la brume, alors que la palette de couleur du couchée de soleil, s'estompait peu à peu dans le ciel.
Serynch et Goswin observaient tout deux quelque chose avec la même intensité, mais leurs regards étaient dirigés dans deux directions différentes.
Serynch analysait la défense et la sécurité de la citadelle, au loin, tandis que Goswin s'attardait sur un amas de tentes et de chahut, à l'extérieur de la ville, vers lequel se dirigeaient des groupes joyeux de villageois.
- La foire d'hiver, commenta le bouffon sans la quitter des yeux, en voilà une opportunité pour deux fugitifs talentueux mais sans le sou ! Ah !
- C'est parfaitement ce qu'il nous fallait pour ne pas que l'on se fasse trop remarquer, rétorqua le gaillard en armure.
- Bon, fit le bouffon en se tournant vers l'autre, on doit se procurer une carte et sans doute un moyen de se rendre à Thernom le plus discrètement possible. Cet endroit me paraît parfait pour rencontrer des informateurs avides d'argent, renchérit-il, en montrant la foire de sa main qui ne tenait pas les rênes du destrier.
- Mais nous n'avons même pas une pièce de bronze sur nous, alors il faut trouver un moyen d'en gagner.
- Il nous faut donc de l'argent pour récupérer notre argent, ah ! Quelle idée stupide ! S'exclaffa Goswin en essuyant un peu de son maquillage, du revers de sa main.
- On pourrait le vendre dans le pire des cas, exposa l'homme d'arme en fixant le cheval qui lui faisait les yeux doux. Ou le pantin ! Qui sait combien de pièces un stupide collectionneur serait prêt à débourser pour se procurer un objet insignifiant, si il a un "don" ?
- Jamais ! Jamais on ne vend cette marionnette pour moins de six mille pièces d'or ! La plupart des commerçants d'ici n'ont touché qu'une pièce d'or dans toute leur vie, alors ce n'est pas la peine de leur proposer, expliqua fermement l'homme courbé, appuyé sur un chêne. Il doit y avoir des dizaines d'autres façons de faire grossir sa bourse dans ce festival.
- Allons voir de nos propres yeux pour en avoir le coeur net. Dans le pire des cas, on aura une chambre assez confortable contre le cheval, proposa-t-il.
Le cheval lui renvoya un regard de pitié et approcha ses naseaux de ses cheveux.
- On va avoir besoin de toi, fit Serynch en regardant l'oeil droit du cheval qu'il caressait.
Le trio s'immisca alors au coeur des festivités qu'ils allaient sans doute altérer.
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