L'Homme-corbeau
Les chasseurs avaient battu la campagne tout le jour. Ils étaient tous très satisfaits de leur battue et rentraient pour la nuit à Yzmir, la ville fortifiée où ils pourraient vendre leurs viandes fraîchement récoltées.
Ils choisirent de couper à travers le bois profond afin de grignoter quelques kilomètres, au lieu de prendre le risque de passer à travers les douaniers.
Le convoi de vingt-cinq chevaux progressait dans la forêt depuis une bonne heure déjà : il était à peine visible puisque le soleil caressait déjà les vieux chênes et le lierre qui les enveloppait tel un linceul vert sombre.
Tout à coup un cri brisa le silence au centre du groupe de voyageurs, surprenant tout le monde.
Un bruit sourd de chute suivit. Les voyageurs peinèrent à calmer leurs chevaux en train de ruer.
Un des leurs mit pied à terre et s'approcha du cadavre de son compagnon, dont le visage présentait une ultime grimace de douleur. Dans son flanc droit était planté un poignard.
« Planquez la viande, que tout le monde soit sur ses gardes ! » s'exclama-t-il, en dégainant son épée courte et un couteau de chasse.
Au moment où le conducteur descendit de son siège et posa la main sur la toile de jute, une flèche sortie des ténèbres de la forêt vint s'enfoncer entre ses omoplates. L'attaque lui arrachant un gémissement de surprise, il tomba au sol, tirant de tout son poids sur la toile qui s'envola de la marchandise et vint le recouvrir.
« Peste ! Aux armes ! Aux armes ! » cria Ulrick, le premier homme.
Les chevaux furent rassemblés et mis croupe à croupe. Tous les cavaliers dégainèrent leurs épées et leurs haches.
Plusieurs minutes s'étaient écoulées, un brouillard gris souris vint envelopper le chemin de terre.
L'un des chasseurs mit un coup de lame dans le crâne d'un de ses camarades. Ce dernier perdit connaissance et s'affala brusquement sur sa monture. ses congères commencèrent à lui hurler dessus mais il ne répondit pas sur le moment ; ses yeux étaient écarquillés de frayeur et son visage était blême.
Ils continuèrent à faire monter le ton afin de le voir réagir.
Ils ne réalisèrent la cause de cette action de folie uniquement quand Yohl, le plus jeune des chasseurs, vit lui aussi le visage spectral dépassant de la tête d'un de ses compagnons.
Il poussa un gémissement de stupeur et lança un couteau en direction de l'apparition.
Le couteau vint se planter dans la gorge d'un homme en première ligne : ce dernier s'effondra sur le sol sans cri, tué sur le coup.
C'en était trop pour les équidés qui hennirent et se cabrèrent violemment, désarçonnant leurs maîtres un à un et fuyant dans toutes les directions.
Au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient, leurs formes s'agitèrent, se débâtirent, s'évanouirent dans la brume épaisse.
Deux autres voyageurs étaient morts, piétinés par leurs montures.
Un autre n'arrivait pas à trouver la force de se lever de par le poids de sa cuirasse.
Le silence de la forêt était horriblement pesant, pas un seul chant d'oiseau, pas un seul craquement de branche n'atteignait leurs oreilles, et pourtant la nuit n'était toujours pas tombée.
Certains hurlèrent à tout va, d'autres comme Ulrick s'avancèrent vers le chemin de terre battue en levant leurs bras vers le ciel et en jurant :
« Qui est là, bordel ?! » fit Ulrick, « Montrez-vous ! Sortez de la brume et venez-vous battre comme de vrais guerriers ! »
Mais personne ne lui répondit.
Ses partenaires le virent progresser sur le chemin, accompagné par quatre autres hommes, resserrant sa poigne sur son épée.
Il continua à jurer dans la brume qui ne laissait entrevoir que sa silhouette opulente et trapue, quand un coup d'épée s'abattit, net, tout près du petit groupe.
Ulrick s'effondra au sol tel un faisan abattu en plein vol. Personne n'avait idée de ce qui l'avait frappé. Personne ne se trouvait en face de lui.
Personne, pourtant il fut tué devant tout le monde.
« Ulrick ! » cria Yolh qui était descendu de son cheval pour l'accompagner. Lui et les trois autres voyageurs brandirent leurs lames à l'aveuglette, espérant toucher le mystérieux meurtrier.
Un froid insoutenable parcourut tout le convoi. Les hommes restés près du charriot tremblèrent, certains se mirent à glapir d'effroi.
Ils s'alertèrent mutuellement d'une présence : le spectre au visage blanc était de retour, passant et repassant derrière les chasseurs. Personne ne le voyait dans sa totalité, toujours une main posée, un visage fixe, un regard mauvais toisant, lançant quelque prédiction funèbre.
Soudain, la viande commença à s'agiter dans la carriole, frémissante, horrible masse de chair flageolante, faiblarde, ce qui rajouta des braises dans le feu d'enfer où ils étaient plongés.
Mais l'enfer ne tarda pas à se déchainer.
Quatre coups furent portés, quatre sons métalliques de fers croisés, en provenance de l'avant du convoi où les hommes armés se battaient contre leurs ombres.
La brume se retira calmement, nonchalamment, du chemin.
Ce fut là qu'ils le virent, dans sa totalité, l'assassin-fantôme : piétinant les quatre cadavres, il maintenait le dernier « survivant » debout du fil de son épée, comme paralysé sur place.
L'assassin était maigre et grand, très grand, dépassant tout le monde de deux têtes, droit comme une croix.
Il était vêtu d'un long manteau noir clouté d'argent effleurant le sol, sa cuirasse supérieure en cuir ébène était ornée de plumes de corbeau sur l'épaule gauche.
Aucun carré de peau ne dépassait de sa tenue.
Seul son visage était visible à travers le tissu de son capuchon : tout le monde le reconnut sur-le-champ, le même visage qui déambulait entre leurs rangs, dépourvu de couleur, de paupières et de lèvres.
Ses yeux étaient complétement blancs.
« C'est lui ! Peste ! C'est l'homme-corbeau, je vous dis ! »
Le spectre, dans un geste vif, retira sa lame de la nuque du chasseur debout.
La tête de ce dernier chuta et roula sur l'herbe déjà tachée de rouge.
Il s'avança au pas de course, évitant les pierres jetées dans un élan de désespoir.
Quelqu'un de plus intelligent que ses collègues lui lança un poignard en visant le cœur, mais l'homme-corbeau se déporta sur la droite et empoigna la lame, ses gants épais l'empêchant de se tailler les doigts.
Il riposta en renvoyant le poignard qui fusa comme le vent et vint se planter dans la carotide de la cible la plus proche.
Ils étaient maintenant tous à portée de son cimeterre.
Le chaos se déchaina.
Les quinze pauvres survivants du premier massacre ne purent trouver aucune faille, aucune chance d'arrêter cette machine à tuer, cet homme-corbeau.
Les coups plurent sur lui mais il para et riposta avec une facilité affolante.
Il n'eut aucun mal à les vaincre conservant la même botte pour chacun des chasseurs d'esclaves.
La tuerie était finie, une fois le dernier homme décapité.
Une fois le dernier homme décapité, il rengaina lentement son épée, fourreau dans le dos, en prêtant particulièrement attention aux sons qui l'entouraient : hormis les chevaux, il ne voulait aucun fugitif du convoi.
Quelques instants après il s'approcha de la carriole, le but de cet embuscade sanglante : d'un geste de la main, il déverrouilla le cadenas en fer trempé, sans clé.
Il peina à faire descendre la « viande » encore tremblante par le spectacle qu'elle avait subi, mais au bout du compte, elle sortit : pères, mères, jeunes filles, les esclaves furent libérés.
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