Chapitre XXVI

Anaïs était émerveillée : elle n'avait jamais vu une ville telle que celle où elle se trouvait maintenant. De hautes tours de pierre brute s'élevaient à des hauteurs vertigineuses, leurs murs percés de meurtrières et leur sommet protégé par une rangée de créneaux, tandis que de nombreuses petites maisons et échoppes diverses s'agglutinaient à leur pied. Le Duc leur avait expliqué que la ville fonctionnait ainsi, chaque tour protégeait un petit groupe de maisons qui pouvaient se réfugier entre ses remparts, et qui, en échange, fournissait aux soldats tout ce dont ils avaient besoin. Chacun de ces groupes, appelés synikias, était dirigé par un officier qui faisait régulièrement un rapport au Duc sur la production et le bon fonctionnement de son groupe.

Le château où résidait le Duc et sa famille était lui aussi une place forte imprenable. Les quatres murs extérieurs, taillés dans un roc extrêmement résistant que les ouvriers tiraient d'une carrière à l'ouest de la cité, étaient composés de deux remparts et l'espace qui les séparait recueillait tous les déchets verts des habitants de la ville, qui se transformaient ensuite en un terreau qui était utilisé par les jardiniers. En revanche, le château en lui-même était bien plus chaotique. Il s'agissait plus d'un assemblage de tours hétéroclites que d'un véritable château. On y voyait des constructions de tous les styles et de toutes les époques, reliées entre elles par des passerelles, des canaux, des arcs et des ponts couverts. La plus grande tour, le donjon, s'élevait à plus de trois cents mètres dans les airs, et était couronnée d'une coupole de verre permettant de voir toute l'activité sur la terre et la mer à des kilomètres à la ronde.

Le matin même, après le réveil d'Anaïs, le majordome du Duc – un certain Gilfar, grand, sec et chauve – les avait mis dehors sans grand ménagement, assurant qu'elles n'avaient aucune raison de rester maintenant que la brune était guérie. Les trois jeunes filles avaient protesté tant qu'elles pouvaient car elles avaient décidé de révéler leur mission au Duc, après l'avoir vu en grande conversation avec son guérisseur, mais elles ne pouvaient pas utiliser cet argument contre le majordome et il avait fini par leur claquer la porte au nez en leur disant qu'il essaierait de leur obtenir un rendez-vous avec son maître. Depuis, elles se promenaient dans la ville, tentant de paraître détendues alors qu'elles n'avaient qu'une envie : faire ravaler sa bile au vieux chauve.

Pour le moment, en tout cas, elles erraient sans but entre les synikias, dévorant des yeux tout ce qui s'offrait à elles. Les rues étaient larges et propres, et de nombreux badauds les peuplaient, les enseignes des marchands se balançaient en grinçant dans le vent qui soufflait sur la ville depuis la veille et une atmosphère détendue régnait dans l'air. Elles virent quelques Intouchables mais ces derniers restaient en retrait, assis sur des perrons de maisons ou discutant par petits groupes en marchant rapidement. Aucun d'eux ne s'arrêtaient aux étalages des boutiques et les trois jeunes filles prirent le parti de les imiter.

En fin d'après-midi, le soleil commença à décliner et l'air se rafraîchit rapidement. Les trois adolescentes n'avaient pas mangé à midi et les ventres de jumelles criaient famine. Leira, elle, habituée à ne pas manger, ne semblait pas le moins du monde affectée par la faim. Elles se mirent donc à chercher un abri pour la nuit, une mission bien plus difficile que ce qu'elles avaient cru au premier abord. Évidemment, personne ne voulait les héberger, mais elles ne trouvèrent pas non plus d'auberge disposée à les recevoir, ni même de grange ou de grenier dont le propriétaire serait disposé à leur prêter sa paille.

Lorsque la nuit eut recouvert la ville et que les derniers badauds furent rentrés chez eux, les trois jeunes filles se retrouvèrent seules dans cette grande ville inconnue. En désespoir de cause, Anaïs proposa de voir s'il n'y avait pas un hôtel pour Intouchables quelque part, mais Leira avait vivement refusé, disant qu'elle préférait encore dormir dans le caniveau que dans une de ces bâtisses horribles qui coûtaient en plus un prix incroyable. Elles résolurent donc à leur sort et s'installèrent sous le porche d'une grange qui leur paraissait un peu plus accueillant que les autres.

Transies par le froid de la nuit, sans couvertures ni même un pull supplémentaires – leurs affaires étaient restées au château du Duc et celui-ci était fermé –, les adolescentes se blottirent les unes contre les autres, avec plus ou moins de réticence, et s'endormirent de longues heures plus tard.

Elles furent réveillées au petit matin par des grognements puissants. En ouvrant les yeux, Anaïs faillit faire un infarctus quand elle découvrit un grand loup couleur cendre dont le museau se trouvait à quelques centimètres de son visage. Elle poussa un long soupir de soulagement en reconnaissant les yeux dorés si particuliers d'Atlas. La jeune fille se leva tandis que l'animal allait réveiller sa jumelle en lui léchant copieusement le visage. Toute engourdie, la brunette fit quelques pas hésitants dans la rue encore baignée de la lueur pâle et grise de l'aube avant de sentir un poids soudain sur son avant-bras, qu'elle avait tendu en avant pour se dégourdir les muscles. Elle ajusta sa vision encore floue et sourit en reconnaissant Crizée, son plumage nuancé d'une infinité de bruns différents, sa patte parfaitement rétablie, et, elle le remarquait pour la première fois, ses yeux dorés semblables à ceux d'Atlas.

La buse émit un cri doux et prit son envol. Anaïs la regarda tournoyer dans le ciel, plissant les yeux pour ne pas la perdre de vue sur le fond de ciel éblouissant. Quand Leira et Léna furent debout à leur tour, la petite troupe se dirigea vers le château du Duc, Crizée surveillant les alentours depuis les hauteurs. Anaïs se sentait bien, le soleil matinal réchauffait sa peau et sa nuit de sommeil lui avait fait beaucoup de bien. Une légère douleur persistait dans son épaule, mais la jeune fille s'y était habituée et elle n'y faisait presque plus attention.

Elles arrivèrent devant les portes du château près d'une demie-heure plus tard. Le soleil était bien levé et les rues commençaient à s'animer. Une fois en face des imposants battants de bois, les trois amies restèrent indécises. Devaient-elles sonner ? Si oui, comment ? Aucune cloche n'était visible. Crizée se posa sur l'épaule intacte d'Anaïs et lança un glapissement sonore qui faillit percer le tympan de la brunette. Elle battit des ailes et s'envola à nouveau, légère comme un oiseau de papier. La jeune fille put presque sentir dans son cœur la joie et la liberté que ressentait son Amilial.

Elle fut ramenée à la réalité lorsque la porte qui leur faisait face s'ouvrit dans un grincement lugubre, découvrant la tête chauve de l'horrible majordome du Duc.

– Vous ! grinça-t-il en retroussant le nez tandis que ses petits yeux méchants les détaillaient de haut en bas. Qu'est-ce que vous faîtes là ? Et quel est cet animal ? ajouta-t-il en découvrant Atlas.

– Oui, nous ! rétorqua Leira en levant le menton. Nous voulons voir le Duc, et vite si tu ne veux pas que le loup t'ouvre le ventre pour se nourrir de tes entrailles !

Atlas retroussa les babines et poussa un grognement menaçant. L'effet fut immédiat : le majordome fit un bond en arrière, sans même relever le tutoiement de la jeune fille, puis tourna les talons.

– Je vais chercher le maître ! glapit-il avant de leur claquer la porte au nez.

S'en suivit un silence pesant.

– Et... maintenant ? demanda Anaïs.

– On attend, lui répondit Leira.

La brunette ouvrit la bouche pour protester mais finit par renoncer et poussa un soupir résigné en croisant les bras.

Dix minutes plus tard, la porte s'ouvrit à nouveau et Gilfar leur fit signe de le suivre, sans lâcher Atlas des yeux une seule seconde.

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Et joyeux Noël à tous et à toutes ! (personne lira ce chapitre le jour de sa publication mdrrr)

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