Chapitre XXV

Anaïs se rendit bien vite compte que ce qu'elle avait pris pour la Mort ne l'était pas du tout.

Le noir dans lequel elle était plongée forma comme un cocon autour d'elle, l'entoura, la protégea, réunifia son corps et rassembla ses cellules éparpillées. Doucement, très doucement, elle sentit que le monde des vivants l'appelait et elle se laissa volontiers tirer vers cet appel réconfortant.

Elle marcha dans l'obscurité pendant ce qu'il lui sembla être des heures. Enfin, elle aperçut une lumière pâle et dorée au loin. Elle se mit à courir, ses membres se recomposant plus elle approchait de la source de vie qui pulsait devant elle.

Elle ouvrit les yeux dans ce qui lui sembla tout d'abord être un cabanon poussiéreux. Elle mit quelques instants à s'habituer à la luminosité ambiante, qui, même faible, faisait un net changement avec la noirceur dont elle sortait. Une odeur âcre envahissait la pièce et Anaïs se mit à tousser, comme si ses poumons n'avaient pas fonctionné depuis des jours. Elle tenta de se redresser mais quelque chose l'en empêcha. En baissant les yeux, elle vit qu'une sangle de cuir était passée en travers de sa poitrine, l'empêchant de faire le moindre geste.

Dans un élan de panique, la jeune fille tenta de se libérer, son cerveau produisant des centaines d'hypothèses toutes plus folles les unes que les autres, persuadé qu'elle avait été kidnappée. Mais la jeune fille sentit une faible douleur pointer dans son épaule et un second coup d'œil lui apprit qu'un épais bandage recouvrait celle-ci.

En levant la tête, elle constata que la pièce dans laquelle elle se trouvait était beaucoup, beaucoup plus grande que ce qu'elle avait pensé au premier abord. Le lit dans lequel elle était allongée – et prisonnière – se trouvait dans un angle et une étagère en bois sombre se trouvait un peu plus loin. Le reste de la pièce était invisible à ses yeux mais elle la devinait dans le reflet que lui renvoyait un miroir posé contre le mur en face d'elle. En se tordant le cou, elle put voir un homme penché sur une table à l'autre bout de la pièce. Il semblait très concentré sur elle ne savait quoi et ne l'avait pas vue bouger.

Après un débat enflammé entre sa raison qui lui disait de se manifester et sa peur qui l'enjoignait à ne surtout pas alerter l'homme, Anaïs voulut montrer qu'elle était réveillée en appelant l'homme mais tout ce qui sortit de sa poitrine fut un cri rauque, un cri animal qui lui fit presque peur. En revanche, il fut très efficace car l'homme qu'elle voyait toujours du coin de l'œil eut un sursaut si violent qu'il décolla du sol en envoyant valser ce qu'il tenait dans ses mains. Il se retourna finalement, lentement, posant sur la jeune fille un regard terrorisé. Voyant qu'elle ne s'était pas transformée en créature assoiffée de sang, il parut rassuré et s'approcha.

Anaïs le regarda venir vers elle avec appréhension. L'homme parut comprendre ce qu'elle ressentait car il sourit et lui présenta ses mains en signe de paix. La jeune fille le détailla du regard, pas tant rassurée que ça. Il devait avoir une bonne soixante d'année – si ce n'était plus –, ses cheveux d'un blanc immaculé étaient retenus dans son dos par un petit cercle d'argent et ses yeux étaient d'un bleu éléctrique. Son regard était chaleureux et son sourire engageant, bien qu'hésitant. Il portait une sorte de longue toge de couleur crème qui lui descendait jusqu'aux pieds, ceux-ci chaussés de sandales de cuir.

Le temps qu'Anaïs finisse son inspection, il était arrivé à son chevet et la regardait avec un mélange de bonté et d'inquiétude.

– Comment vas-tu ? demanda-t-il, et sa voix était grave et profonde.

La jeune fille ne répondit pas, trop désorientée.

– Détachez-moi ! finit-elle par demander, mais encore une fois sa voix lui fit défaut et elle ne put produire qu'un crissement qui lui vrilla les tympans.

L'inconnu fronça les sourcils et se retourna afin de prendre quelque chose dans l'étagère. Il revint vers elle avec un petit flacon contenant un liquide bleuté.

– Non ! cria la jeune fille en tentant de se dégager, s'imaginant qu'il s'agissait d'une forme quelconque de chloroforme destiné à la replonger dans les ténèbres de l'inconscience.

Cette fois-ci, l'homme parut comprendre et suspendit son geste. À la place, il attrapa un tabouret qu'il posa près du lit de la jeune fille, mais tout de même à une distance respectable. Il remit le flacon de potion sur l'étagère, s'assit et regarda Anaïs, qui le regarda à son tour, les yeux emplis d'incompréhension et d'effroi.

– Est-ce que tu m'entends ? interrogea-t-il. Hoche la tête si oui.

Anaïs hocha vigoureusement la tête.

– Très bien, fit-il, et il parut soulagé.

Il poussa un long soupir en se redressant sur le tabouret.

– Écoute-moi bien, ordonna-t-il, mais d'une voix sympathique.

Anaïs, n'ayant pas d'autre choix que d'obéir, ouvrit grand ses oreilles. Voyant qu'il avait toute son attention, l'homme reprit.

– Pour te résumer la situation... Je suis le guérisseur royal du Duc de Dyyr, et tu te trouves actuellement dans son château. Tu es arrivée il y a deux jours avec ta sœur jumelle et cette autre jeune fille, une flèche dans l'épaule et quasiment plus de sang. Tes deux amies ne se sont pas gênées pour venir directement toquer à la porte du Duc et c'est une chance que son fils ait été là ou tu ne serais jamais rentrée à temps. Elles t'ont amenée directement ici et j'ai tout fait pour te ramener à la vie, et je te le dis en toute honnêteté : ce n'était pas chose facile. Je te passerai les détails, mais sache que la pointe de flèche qui t'a touchée était profondément enfoncée dans ta chair, et qui plus est, fortement empoisonnée. C'est un miracle que tu aies survécu.

Anaïs avait souri à la mention du courage de ses amies mais était revenue grave quand elle avait entendu le guérisseur parler de poison.

C'est donc pour ça que j'ai frôlé la mort... du poison.

– Vous dites que je suis ici depuis deux jours ? dit-elle plutôt. Mais elle avait oublié le détail de sa voix d'outre-tombe.

L'homme reprit le flacon de liquide bleu et le lui tendit en lui disant que si elle voulait pouvoir retrouver l'usage de la parole, elle avait tout intérêt à le boire. Méfiante, la jeune fille renifla le flacon puis l'avala d'une traite, faisant sourire le vieil homme. Le liquide lui fit l'effet d'une coulée de miel chaude et elle sentit sa gorge se détendre. Elle répéta sa question et fut heureusement surprise de constater que sa voix avait retrouvé son timbre habituel.

– Oui, répondit finalement le guérisseur. Et tu es restée inconsciente durant trois jours avant d'arriver.

La jeune fille blêmit. Dire que son cauchemar, ou plutôt le spectacle de sa mort, avait duré cinq jours... Elle frissonna.

– Suis-je hors de danger ? demanda-t-elle au guérisseur, qui la fixait de ses yeux dont le bleu électrique la mettait mal à l'aise, comme s'il la passait au rayon X.

– Oui, assura-t-il.

Il marqua une pause, comme s'il hésitait, puis regarda Anaïs droit dans les yeux, guettant sa réaction.

– Cela dit, quelque chose m'étonne. Lorsque j'ai ôté la flèche de ton épaule, tu avais déjà perdu une grande quantité de sang et après cela, tu as continué à saigner pendant plus d'une journée. Aucun humain normalement constitué n'aurait pu perdre autant de sang, car il s'en serait vidé bien avant. J'en ai conclu que le tien se régénère à une vitesse phénoménale. Sais-tu quelle en est la raison ?

Anaïs pinça les lèvres, ne sachant pas quoi répondre.

– Je... Non, je... Enfin je... bafouilla-t-elle finalement.

Le vieil homme se leva et s'approcha d'elle, si près que leurs nez auraient pu se toucher. La jeune fille, franchement inquiète, se redressa sur ses coudes, tentant de s'éloigner le plus possible de lui.

– Je ne sais pas si tu es au courant, reprit-il dans un souffle rauque, mais être guérisseur ne signifie pas uniquement soigner les gens. Ça veut aussi dire entretenir un rapport privilégié avec les Légendes, et même si elles ne sont plus de ce monde, leur force, ce que tu pourrais appeler magie, est encore bien présente dans l'air qui nous entoure. Et c'est de cette force que je me sers pour soigner mes patients, c'est cette force qui t'a permis de rester en vie, sans elle tu ne serais pas ici mais loin dans les profondeurs de la mort.

Sur ces paroles inquiétantes, il se recula sans laisser à Anaïs le temps de réagir et retourna au bureau où il était quelques minutes auparavant.

– Repose-toi encore un peu, je vais avertir tes amies que tu es remise sur pied, lança-t-il par-dessus son épaule.

La jeune fille ouvrit la bouche pour répliquer qu'elle n'était pas fatiguée mais un long bâillement l'en empêcha.

La magie des Légendes, hein, ricana-t-elle intérieurement. Je t'en ferai voir de la magie des Légendes, moi.

Et elle tomba endormie.

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