Chapitre XX

– Que me voulez-vous, à la fin ? grogna le géant une énième fois.

Depuis que les jeunes filles avaient remarqué la clé à son cou, elles n'avaient pas prononcé une parole, ni esquissé le moindre geste. Et maintenant elles menaçaient de se faire jeter à la porte par le maître des lieux – ça ne pouvait être que lui. Or il leur fallait absolument récupérer la clé, même si elles n'avaient aucune idée de comment y parvenir.

Leira s'était rendue compte que même si Papy leur avait donné des informations plus précises, elles ne leur auraient été d'aucun secours. Elle grogna dans sa barbe et chercha un mensonge crédible pour pousser l'homme en confiance.

Malheureusement, Anaïs la prit de court et commit la plus grosse erreur de sa vie :

– Il s'avère que vous avez un objet qui devrait être en notre possession, déclara-t-elle de sa voix la plus assurée en désignant la clé d'or au cou du géant.

– Non... eurent le temps de gémir Leira et Léna avant qu'un formidable coup de poing les jette toutes les trois dans l'inconscience.

✰✰✰

Anaïs cligna des yeux.

La lumière vive l'éblouissait et elle était incapable de se rappeler quoi que ce soit. Elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, la pièce où elle se trouvait – dont elle discernait à peine les contours – semblait se trouver au sous-sol car aucune ouverture ne laissait passer de lumière du dehors.

Petit à petit, les souvenirs resurgirent dans la tête de la jeune fille. La Forge. Les paroles qu'elle avait prononcé en croyant bien faire, sa sœur, Leira et elle, l'imposant maître des Forges. Une histoire de clés. Oui, c'était sur ça que tout reposait, les clés.

Une voix vint l'interrompre dans ses réflexions. En se concentrant, elle parvint à saisir quelques mots.

– ... clés... filles... secret, je ne peux...

Une autre voix, plus grave, coupa la première :

– Pourquoi... assommées... pas être... contrat.

– Simple défense... ne voulais... aucun risque.

Au fur et à mesure que la jeune fille revenait à elle, son cerveau tournait à vive allure. Et elle redoutait ce qu'elle pensait avoir compris.

Une main rugueuse passa soudain sous son menton et lui releva la tête.

– Celle-ci est réveillée, dit la voix grave.

La vision d'Anaïs se fit plus nette et elle put distinguer les traits d'un homme devant elle. Son visage dur, ses yeux d'un gris glacé, sa courte barbe, rien de cela ne la mettait en confiance. Elle sentit sans pouvoir l'empêcher que ses mains, liées dans son dos, commençaient à trembler, et ses jambes les imitèrent bientôt.

Un frisson glacé lui remonta le long de l'échine, puis une pensée pernicieuse se forma dans son esprit :

Tu as été kidnappée par des adeptes de Sarhal, tu ne t'en sortira pas vivante !

– Que... que voulez-vous ? murmura-t-elle en essayant tant bien que mal de dissimuler le tremblement de sa voix.

La bouche de l'homme se tordit en un rictus dénué de toute joie.

– Des informations, ma jeune amie, uniquement des informations.

Anaïs ouvrit la bouche pour protester mais le regard gris de l'homme l'en dissuada.

Elle sentit sa tête tourner et des points noirs dansèrent devant ses yeux. Jusqu'où iront-ils pour obtenir les informations qu'ils veulent ? pensa-t-elle, paniquée. Elle eut un moment de vertige et lorsqu'elle ouvrit les yeux, l'homme aux yeux gris la fixait durement, attendant une réponse à une question qu'elle n'avait pas entendue.

– Je répète une dernière fois, articula-t-il sans la quitter de son regard glacial. Où sont les autres clés ?

Ne pas répondre, ne pas répondre, ne surtout pas répondre, se répéta Anaïs, en pinçant les lèvres de toutes ses forces. Et en espérant qu'elle ne regretterait pas son choix.

– Très bien, puisque que tu n'as apparemment pas l'intention de répondre, je vais me montrer plus convaincant. Sell !

Le dénommé Sell sortit un instant de la pièce puis revint avec un autre homme. Petit, le teint mat et les cheveux ras, ce dernier s'avança vers la prisonnière et tendit une main vers son visage. La jeune fille recula vivement, plus par instinct que par une quelconque réflexion. L'homme eut un sourire amusé et ses yeux sombres brillèrent d'un éclat mauvais. Il empoigna Anaïs par les cheveux et l'obligea à le regarder.

Une sensation étrange envahit la jeune fille. Ses pensées se firent lentes, enchaîner deux idées devenait un vrai combat. La sensation d'engourdissement gagna petit à petit son corps entier et ses muscles refusèrent de bouger quand elle le leur ordonna. Une conscience extérieur effleura plusieurs fois son esprit et une pensées qui n'était pas la sienne s'y imposa :

Dis-moi où sont les clés.

C'était une sensation horrible, que d'avoir cette autre voix à l'intérieur de sa tête. Une sensation horrible qui lui inspirait une forme de dégoût répugnant qu'elle n'avait encore jamais ressentie. La jeune fille lutta de toutes ses forces contre cette conscience qui opprimait son cerveau, mais ses forces diminuèrent rapidement et disparurent bientôt tout à fait.

Dis-moi où sont les clés.

– Elles sont... non !

Dis-moi où sont les clés !

– Dans ma... dans ma... arrêtez !

DIS-MOI OÙ SONT LES CLÉS !

– Elles sont dans ma botte !

Une violente détonation noya la réponse de la jeune fille dans un bang ! retentissant. Elle profita de la diversion pour se libérer de l'emprise de petit homme et roula sur le sol dur de la pièce où elle était. Les cordes qui enserraient ses poignets lui rentrèrent dans la chair et elle poussa un hurlement de douleur.

Une silhouette se précipita vers elle. Anaïs recula tant qu'elle pouvait mais se cogna contre un mur.

– Anaïs ! C'est moi, Léna !

Léna ! Ce n'était pas trop tôt ! Une seconde de plus et les supposés sarhaliens se seraient retrouvés en possession d'une clé. La jeune fille laissa sa sœur défaire les liens qui la retenaient prisonnière et elle claudiqua jusqu'à la sortie. Deux hommes étaient couchés sur le sol, probablement assommés par Leira.

Cette dernière les attendait, un petit poignard dans une main et un petit objet emballé dans un morceau de tissus sale dans l'autre. Lorsqu'elle vit les deux sœurs arriver, elle ouvrit le tissus pour leur montrer la clé d'or qui scintillait dedans, le referma, le glissa dans sa poche puis leur fit signe de ne pas faire de bruit et de la suivre.

Anaïs vérifia que sa propre clé se tenait toujours à l'abri au fond de sa botte et les trois jeunes filles déambulèrent pendant un long moment dans le labyrinthe des Forges, Anaïs et Laura boitillant et se soutenant l'une l'autre, Leira marchant en tête d'un pas alerte, avant de trouver une sortie. Une fois au-dehors, elles récupérèrent leurs chevaux dans le pré où elles les avaient laissé et partirent précipitamment.

Leira tint à faire un crochet à la bibliothèque pour dire deux mots au "vieux nain décrépit", fouilla tout le bâtiment mais Papy n'était nulle part. Les jumelles en furent secrètement réconfortées, elles ne tenaient pas à faire de nouveau face à un sarhalien, aussi décrépit qu'il soit. Leira, elle, dépitée, annonça qu'elles partaient dès maintenant, ayant déjà passé suffisamment de temps dans la ville. Elle ne le dit pas à haute voix mais les jumelles virent bien qu'elle était mécontente que tous ses plans aient été bouleversés de la sorte.

Elles récupérèrent leurs chevaux à la sortie de la bibliothèque et partirent au grand galop dans la plaine, en direction de Ti-Dyyr.

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