Chapitre XV

Anaïs se réveilla et promena son regard autour d'elle. Elle eut un hoquet de surprise en reconnaissant sa chambre, cette chambre où elle dormait depuis sa plus tendre enfance. Elle chercha des yeux les objets familiers qui la décoraient en temps normal mais elle ne vit rien. La pièce était complètement vide, le seul mobilier présent était le lit sur lequel la jeune fille était allongée.

Sans qu'elle veuille se l'avouer, l'espoir que toute cette histoire ne fut qu'un rêve s'était formé dans son esprit, et la douleur la submergea quand elle comprit que le rêve, ce n'était pas son voyage à Engamella mais le moment présent.

La porte s'ouvrit alors en grinçant et Anaïs, dans un réflexe infantile, se cacha sous sa couette.

– Anaïs ? fit une voix douce dans l'obscurité.

– Maman ? ne put s'empêcher de répondre la jeune fille, le cœur palpitant.

Une main retira doucement le drap qui la couvrait.

– Que faites-vous ici ? gronda l'adolescente en reconnaissant Dame Elea.

– En voilà des manières de m'accueillir, sourit la femme avec tendresse.

Un doute s'incimisa alors dans l'esprit d'Anaïs et elle murmura, si bas qu'elle-même ne s'entendit pas :

– Est-ce que... Est-ce que vous êtes ma mère ?

Une larme roula sur la joue parfaite d'Elea.

– Ta mère... N'est plus de ce monde, chuchota-t-elle douloureusement. Elle est morte après votre naissance...

La jeune fille sentit un étau lui broyer le cœur. Inconsciemment, elle espérait tant retrouver cette mère inconnue, et voilà qu'on lui enlevait cet espoir, celui qui l'empêchait de s'effondrer.

– Et... Et mon père ? eût-elle le courage de demander.

Dame Elea la fixa sans un mot, de la pitié plein les yeux, et la jeune fille s'effondra.

✰✰✰

Anaïs fut tirée du sommeil par un petit coup de pied dans les côtes.

– Aïe ! couina-t-elle en jetant un regard mauvais à l'autrice du coup en question.

– Debout ! intima la voix dure de Leira.

La jeune fille sortit à contrecœur de ses draps et tituba quelques instants sur le parquet encombré.

– Fais tes affaires, ordonna à nouveau leur hôte en réveillant sa sœur.

Anaïs ne fit aucun commentaire, peu envieuse de provoquer une dispute avec cette fille au caractère salé avec qui elle risquait fort de passer les prochains jours.

Elle ramassa son sac, remit son lecteur de musique à l'intérieur et le ferma. Pendant ce temps, Léna s'était levée et elle regardait Leira avec un regard mauvais.

– Pourquoi crois-tu que nous allons te suivre sans mot dire ? attaqua-t-elle. On ne sait rien de toi et tu imagines qu'on va t'obéir aveuglément, te faire confiance comme ça ? C'est un peu facile !

Anaïs avait cessé de bouger et regardait sa sœur avec attention. Visiblement, la nuit lui avait fait changer d'opinion. Peut-être qu'elle aussi a rencontré Elea..., pensa-t-elle.

Un lourd silence pesait sur la pièce. Léna et Leira se fixaient en chien de faïence, une lueur agressive dans le regard. Finalement, leur hôte s'approcha d'elle, d'une démarche féline et menaçante.

– À ce que je sache, déclara-t-elle, la fixant d'un regard glacial, vous ne connaissez rien à ce monde. Sans moi, vous êtes perdues. Où auriez-vous passé la nuit si je ne vous avais pas logé ? Dehors ? Vous ne savez même pas utiliser l'argent d'ici !

Léna ne trouva rien à redire. Elle semblait figée sur place, incapable de faire le moindre mouvement. Sa sœur finit par se décider à venir à son secours, mais elle eut à peine le temps de faire un pas en avant et d'ouvrir la bouche qu'elle fut interrompue par un miaulement furieux. Un chat, noir comme la nuit, venait d'entrer dans la pièce, visiblement mécontent de trouver des inconnus chez ce qui semblait être chez lui. Il sauta agilement de la fenêtre par laquelle il venait de passer et se colla à la jambe de Leira. Ses pupilles sombres avaient le même éclat glacé que celles de sa maîtresse. Il miaula de nouveau, toutes griffes dehors.

La jeune fille posa sa main sur la tête de l'animal dans un geste à la fois doux et possessif.

– Vous allez me suivre, articula-t-elle sans lâcher les jumelles des yeux. Et sans faire d'histoires. Vous avez besoin d'aide, je suis probablement la seule disposée à vous en donner à des kilomètres à la ronde alors, dans votre propre intérêt, n'allez pas à l'encontre de mes décisions.

Les sœurs obtempérèrent donc sans un mot et furent prêtes à partir en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Leira, elle, avait déjà préparé ses affaires et elle n'eut qu'à se saisir du sac en toile qu'elle avait posé près de la porte avant de pousser cette dernière. Elle descendit dans le hall de l'hôtel, les jumelles à sa suite, et posa une clé rouillée sur le comptoir avant de sortir dans la rue.

La matinée était claire, les habitants vaquaient à leurs occupations, la pierre ornant leur Léden scintillant sur leur front dans les rayons du soleil. Leira marchait en tête du petit groupe qu'elles formaient, se dirigeant vers l'extérieur du village. Les deux sœurs virent aux regards que lui lançaient les gens que leur guide n'était pas appréciée de tous, ici. Il fallait bien dire que ce n'était pas la personne la plus simple à cerner, ni la plus pacifique qu'il leur fut donné de rencontrer. En effet, la jeune fille marchait la tête haute et répondait aux regards méfiants – voire même haineux pour certains – par des coups d'œil hautains et agressifs.

Lorsqu'elles atteignirent la sortie de l'agglomération, le chat noir réapparut soudainement et Anaïs se rendit compte qu'elle aurait été bien incapable de dire à quel moment il avait disparu.

– C'est... C'est ton chat ? demanda prudemment Anaïs à Leira.

– Oui, répondit simplement cette dernière, sans intonation particulière dans la voix.

– Et il a un nom ? continua la jeune fille, qui ne savait pas bien elle-même pourquoi elle tentait d'engager la conversation avec une personne au tempérament si instable, et surtout pourquoi elle essayait d'en savoir plus sur un animal qui lui faisait froid dans le dos.

– Non, elle n'en a pas, fit sèchement son interlocutrice.

Le chat appuya ce propos d'un regard glacial et Anaïs n'insista pas. Elle ralentit un peu afin de laisser sa sœur la rattraper et elles marchèrent toutes les deux en silence. Elles étaient sorties du village et se dirigeaient vers un enclos dans lequel des créatures qui de loin semblaient être des chevaux broutaient l'herbe grasse. Cette théorie se confirma lorsque les trois adolescentes se retrouvèrent à deux pas de la barrière fermant l'enclos des animaux.

Leira força la porte d'un cabanon à côté du champ en ressortit avec un tapis, une selle et un harnais sur le bras.

– Allez en chercher et venez ici, dit-elle sans croiser leur regard.

Les jeunes filles s'exécutèrent.

– Je ne suis jamais montée à cheval ! s'écria Léna à mi-voix, paniquée, une fois hors de vue.

– Et moi ça fait une éternité ! chuchota furieusement sa sœur. Mais il est hors de question que je me tape la honte devant elle !

– Mais qu'est-ce que je fais ? paniqua Léna, et Anaïs s'aperçut que ses yeux brillaient et que ses mains tremblaient.

– Calme-toi, dit-elle doucement, en tentant de lutter contre les vagues de panique qui suintaient de sa sœur par tous les pors. Elle ne peut pas nous obliger à monter si on ne sait pas faire.

– Bon, vous vous dépêchez un peu ! retentit justement la voix de Leira dehors.

Les jumelles s'emparèrent chacune d'un équipement et rejoignirent leur guide qui les attendaient. Une magnifique jument noire comme la nuit – décidément, c'était sa couleur de prédilection – était harnachée et attachée à la barrière de l'enclos.

– Choissisez une monture et préparez-la, leur dit la jeune fille en flattant la sienne.

– À vrai dire, je ne suis pas montée à cheval depuis... très longtemps ! rit nerveusement Anaïs.

– Et moi, jamais... hésita Léna.

La jeune fille aux cheveux noirs les regarda en ouvrant des yeux consternés.

– Mais alors... Comment vous déplacez-vous... euh... là d'où vous venez ?

– Eh bien... En voiture, ma foi ! répondit Anaïs.

– En quoi ? fit-elle, les yeux plissés.

Les jumelles se regardèrent, ne sachant pas comment expliquer ce qu'était concrètement une voiture à une personne qui n'en avait jamais vue.

– C'est... hésita Léna, un assemblage de pièces en métal et en plastique qui roule et... et dans lequel on se déplace...

– Du plastique ? s'étonna la jeune fille. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Les sœurs étaient de plus en plus embêtées, surtout qu'elles allaient complètement à l'encontre de ce que leur avait dit Elea.

– Enfin bref, se ressaisit Leira, mettant fin à leur embarras. Je ne sais pas d'où vous venez, mais visiblement ce n'est pas la porte à côté, et je ne suis pas sûre de vouloir savoir.

Un ange passa, la jument renâcla.

– Bon... soupira la jeune fille, je suppose que c'est moi qui vais devoir vous apprendre à monter...

C'est ainsi que, une heure plus tard, les jumelles se retrouvèrent sur le dos de deux petits alezans, répondant respectivement aux noms de Thao et Lao, issus de la même portée et selon Leira, les plus calmes du troupeau.

Elles étaient mal à l'aise, mais tout de même assez équilibrées pour pouvoir trotter sans finir par terre. Les jeunes filles étant trop concentrées pour discuter, la matinée se passa en silence. Leira avait installé son chat sur sa monture et l'animal était resté étonnement calme.

À midi, les trois cavalières s'arrêtèrent au bord de la rivière qu'elles avaient rejoint puis suivi toute la matinée. Leur guide leur avait brièvement expliqué que la Hënne traversait le nord de la Plaine de Shist en partant des Montagnes Célestes – la chaîne de montagnes qui divisait le Royaume en deux parties – jusqu'à Ti-More où, devenue fleuve, elle se jetait dans un précipice gigantesque répondant au nom de Faille des Sirènes.

Elles attachèrent les chevaux à un arbre et s'assirent sur des rochers plats pour manger. Les jumelles avaient des crampes dans tous les muscles des jambes, elles tombaient de fatigue et furent bien heureuses de pouvoir se reposer.

Quand elle eut fini de manger, la jeune fille aux cheveux ébène inspira un grand coup et déclara :

– Je crois qu'il est temps de vous raconter mon histoire...

Elle capta immédiatement l'attention des jumelles qui en oublièrent même leurs courbatures et leur fatigue pour ouvrir grand leurs oreilles.

– Je ne connais pas mes parents, commença Leira. J'ai été abandonnée à la naissance puis recueillie par une vieille femme qui m'a enmené ici, dans ce village où je vous ai rencontrées, pour m'élever. Elle aussi était une Intouchable et se fichait donc de mon statut social. Elle est morte quand j'avais dix ans et j'ai grandi à la rue. En vivant de la sorte, j'ai appris très vite à me débrouiller seule. Je volais ce que je pouvais pour me nourrir et je me suis entraînée au combat en observant d'autres le faire. Voilà... Ce n'est pas une histoire très palpitante.

– Quel âge as-tu, demanda Anaïs, curieuse ?

– Je ne connais pas la date exacte de ma naissance mais j'aurai seize ans l'automne prochain.

– Et pourquoi nous aides-tu ? interrogea encore la jeune fille, méfiante.

– Un secret contre un secret. Dîtes-moi qui vous êtes et je vous dirai pourquoi je vous aide.

– Je ne reçois d'ordre de personne, protesta la brune. Et je trouve ça bizarre que tu nous aides sans savoir qui nous sommes.

Leira se pencha sur elle, une lueur inquiétante au fond de ses yeux noirs.

– Des choses se trament, souffla-t-elle d'une voix mystérieuse. Personne n'en parle car tout le monde a peur. On murmure dans l'ombre que les Serviteurs du Chaos s'agitent, que les Légendes sont toujours vivantes. Des rumeurs courent sur des Élues venues d'ailleurs, on chuchote sous les portes qu'un évènement important se prépare, la nouvelle se répand plus vite que le feu sur la poudre : un combat comme on en a jamais vu va être livré d'ici peu.

Elle laissa planer un silence inquiétant, que même le chat noir ne brisa pas. La même lueur de folie que dans l'œil de sa maîtresse brillait dans le sien.

– Et je sais que vous n'y êtes pas étrangères, conclut-elle en se redressant, d'une voix qu'on aurait presque pu qualifier de joyeuse. Je ne vous tirerai pas les vers du nez car j'ai un minimum de manières. Cela dit, n'essayez pas de me cacher des choses ou de me mentir, car je suis bien plus perspicace que vous ne le croyez. Sur ce, en route.

Elle se leva et alla ranger leurs affaires dans les sacoches des chevaux et les jumelles en profitèrent pour se jeter un regard inquiet.

– Où est Atlas ? demanda Anaïs à voix basse.

Sa sœur ferma les yeux un instant puis les rouvrit, visiblement surprise.

– Juste là, laissa-t-elle tomber.

Au même instant, le loup surgit de derrière une colline et se précipita vers les jeunes filles. Anaïs eut un mouvement de recul mais Léna resta parfaitement immobile.

– Reculez ! cria soudain Leira dans leur dos, son arc la main, prête à tirer sur la bête.

– Non ! paniqua Léna. Ne tire pas !

– Mais c'est un loup, enfin ! s'énerva l'autre en tendant encore plus la corde de son arme.

Alors qu'Atlas n'était plus qu'à dix mètres de son amie, Leira ouvrit les doigts.

– NON ! hurla Anaïs en se jetant devant sa sœur pour faire barrière de son corps.

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