Chapitre XIII
Anaïs se réveilla bien après que le soleil soit levé. Elle mit quelques minutes à comprendre où elle se trouvait. Soudain, les souvenirs de la nuit déferlèrent dans sa mémoire, mais elle leur fit face et se leva, s'efforçant de les chasser de son esprit.
Léna était assise au bord de la rivière et elle était penchée sur la carte du Royaume, un biscuit entre les dents. Anaïs s'approcha d'elle et s'assit à ses côtés.
– Tiens, tu es réveillée, remarqua Léna.
– Ça fait longtemps que tu es debout ? interrogea sa sœur en se saisissant d'une pomme qu'elle croqua.
– Une petite demie-heure.
– J'ai fait un drôle de rêve, cette nuit, dit Anaïs après quelques secondes.
Léna ne dit rien, la laissant poursuivre.
– Il y avait une femme, elle m'a dit s'appeller Elea. Et elle m'a dit plein de choses sur notre quête.
– C'était un simple rêve ou... ? murmura Léna, les yeux perdus dans les remous de l'eau.
– Je lui ai demandé, répondit Anaïs sur le même ton. Elle m'a dit "oui et non".
Les lèvres de sa sœur s'étendirent dans un léger sourire.
– Comme c'est précis, fit-elle avec un haussement de sourcil.
La jeune fille se saisit de la carte et attrapa un stylo dans son sac. Elle la fixa quelques secondes puis y marqua les dix points indiqués par Dame Elea dans son rêve.
– Ti-More, Golf de Dyyr, énuméra-t-elle, Plaine de Sahël, petite île, Hirtydor, Forêt de Myrte, Plaine de Shist, Glaciers des Dragons, Fridjy et Grande Pointe.
Léna se pencha sur le dessin et soupira.
– On va pas faire ça en une journée...
– C'est sûr.
Les jumelles restèrent en silence à regarder l'eau. Les pensées traversaient l'esprit d'Anaïs sans pour autant s'y arrêter. Un étrange phénomène la tira de sa torpeur. Devant elle, l'eau s'était mise à tourbillonner et formait un petit tentacule qui ondulait doucement à quelques centimètres au-dessus de la surface.
– Qu'est-ce que c'est que ça ? s'inquiéta la jeune fille en reculant.
Léna ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés sur la petite vague. Elle fit un discret mouvement du poignet et la chose disparut.
– C'est... C'est toi qui fait ça ? s'étonna Anaïs avec des yeux ronds.
– Hm-mmm, acquiesça sa sœur.
La jeune fille ne bougea pas et continua de la fixer d'un air éberlué.
– Qu'est-ce qu'il y a ? finit par demander Léna. Tu fais bien la même chose avec le feu !
Anaïs faillit protester mais se ravisa, sa sœur avait raison. Même si elle ne le contrôlait ni ne le comprenait, elle avait fait jaillir une flammèche dans sa paume, elle ne pouvait dire le contraire.
– Bon, on y va ? s'exclama Léna après quelques secondes.
Atlas sauta sur ses pattes et regarda son amie avec impatience, comme l'aurait fait un chien.
La jeune fille rit doucement et, après avoir pris leurs affaires, les deux sœurs se mirent en route.
Le soleil tapait fort et les jumelles furent rapidement en nage. Heureusement, la rivière qu'elles suivaient toujours les abreuvait dès qu'elles avaient soif.
En début d'après-midi, les premières maisons du village qu'elles avaient repéré se profilèrent devant elles. Elles s'arrêtèrent avant qu'on puisse les repérer et mirent au point leur programme.
– Donc il faut que l'on trouve des chaussures pour remplacer nos baskets, réfléchit Anaïs, éventuellement une meilleure carte du Royaume, on mange un petit quelque chose et on cherche s'il n'y a pas des matelas gonflables ou quelque chose de similaire pour ne plus avoir à dormir sur le sol.
– Et aussi d'autres choses pour le camping, ajouta sa sœur. Une tente ou ce genre de matériel.
– Le tout en restant discrètes et en évitant qu'on nous remarque.
– Tu viens de dire la même chose deux fois.
La jeune fille leva les yeux au ciel.
– Les liens de parentés commencent à se faire ressentir...
– Bon, on y va, oui ? rit Léna.
– Et lui ? fit sa sœur en désignant Atlas. On ne réussira pas l'objectif "rester discrètes" si on se balade avec un loup sur les talons.
– Pas faux, grimaça la jeune fille.
Elle réfléchit un instant puis dit à son loup, en le fixant dans les yeux :
– Tu vas aller te balader un peu dans les collines, ou faire ce que tu veux mais ne te montre pas aux villageois, d'accord ? Je te rappellerai quand nous partirons, sans doute demain.
L'animal hocha la tête, comme s'il avait compris, puis détala.
– Tu parles à un loup, fit remarquer Anaïs, une pointe d'ironie dans la voix.
Sa jumelle haussa les épaules.
– Bon, on y va maintenant ?
– C'est parti.
Elles marchèrent jusqu'au village en silence, imaginant des dizaines de scénarios invraisemblables sur ce qu'il allait s'y passer.
– Et au fait, tu t'appelles Lizia et moi Solem, ajouta Anaïs alors qu'elles s'engageaient dans le bourg.
Tout d'abord, les jeunes filles marchèrent en silence dans une rue déserte, observant avec curiosité les bâtiments qui s'élevaient de chaque côté de la chaussée pavée. Mais après quelques minutes, elles débouchèrent sur une place ronde fourmillante d'activité. Des étals étaient disposés tout autour de l'espace et les gens allaient et venaient, un panier sous le bras, achetant diverses marchandises. Les jumelles notèrent que tous payaient avec des piécettes de couleur semblables à celles que contenanit la bourse trouvée dans la ferme la veille.
Anaïs avisa un petit café à l'ouverture d'une rue, quelques mètres plus loin, et les jeunes filles se frayèrent un passage dans la foule pour y aller. Une fois sur place, elles s'assirent à l'une des tables en bois disposées à l'intention des clients et observèrent les alentours. La première chose qu'elles remarquèrent fut que tous les badauds portaient autour du front une sorte de bandeau, un cercle très fin de bois – ou du moins semblait-il – orné d'un joyau couleur or ou argent au niveau du front. Elles n'en virent pas un qui n'avait pas cet étrange accessoire. La deuxième chose qu'elles constatèrent fut que la plupart des gens avaient une peau basanée, certes pas autant que la leur mais tout de même assez pour qu'elles ne se fassent pas remarquer.
Après un certain temps, un homme sortit du café, un torchon sur le bras, et s'approcha des sœurs.
– Je... Mesdemoiselles, je vais devoir vous demander de partir, dit-il en se tordant nerveusement les mains. Nous ne servons pas de... de gens comme vous.
Anaïs et Léna se regardèrent, interloquées. Qu'avaient-elles fait ?
– Au revoir, insista le serveur.
Les jeunes filles se levèrent donc, hésitantes, sans comprendre ce qui se passait. Elles virent avec inquiétude qu'elles avaient attiré un public qui les regardait maintenant avec un mélange de dégoût et de moquerie. Elles s'empressèrent de quitter la place du marché et s'enfuirent par une ruelle attenante, leur sac à la main. Les gens s'écartaient sur leur passage, jusqu'à ce qu'elles fussent hors de vue de la place.
Au fur et à mesure qu'elles s'enfonçaient dans le village, les maisons autour d'elles étaient de plus en plus miteuses, de moins en moins entretenues. Des groupes de jeunes, à la limite entre l'adolescent et l'adulte, les regardèrent passer d'un air mauvais, machonnant une sorte de gomme brunâtre. Des enfants, certains de moins de cinq ans, couraient dans les rues, ne portant sur le dos que de sales guenilles.
– Voilà un aspect bien moins positif de ce village, souffla Léna à sa sœur.
– Et tu as remarqué ? fit celle-ci. Aucun d'eux ne porte cet étrange bandeau que les autres avaient, sur la place.
– Ça doit être un signe de richesse...
Après quelques minutes, les jumelles sortirent enfin de cette zone misérable du village. Les rues redevinrent plus propres, les maisons plus entretenues et les habitants plus distingués.
– Où allons-nous exactement ? finit par demander Anaïs.
– Si tu crois que je le sais, soupira Léna.
Elles s'arrêtèrent devant une boutique de vêtements qui leur parut de bonne qualité.
– Où croyez-vous aller comme ça ? fit une voix railleuse dans leur dos.
Les deux jeunes filles se retournèrent vivement. La voix appartenait à une adolescente, qui devait avoir à peu près le même âge qu'elles. Elle était vêtue d'une chemise tachée et d'un pantalon déchiré qui lui descendait sous les genoux. Ses longs cheveux noirs encadraient un visgae fin et pâle, sur lequel se détachaient ses yeux, eux aussi d'un noir corbeau. Un sourire qu'on pourrait qualifier de cruel étirait ses lèvres minces.
– Alors ? les relança-t-elle. Que venez-vous faire ici ?
– Nous voulons... euh... acheter des vêtements, bafouilla Anaïs.
L'inconnue éclata de rire, si violemment que les sœurs eurent un mouvement de recul.
– Vous ? fit-elle en reprenant sa respiration. Vous, vous voulez acheter quelque chose ? Mais laissez-moi rire !
– Et qu'est-ce qui nous en empêcherait ? s'énerva Léna en faisant un pas en avant.
– Mais voyons, rit encore l'adolescente, vous ne pouvez pas en avoir le luxe !
– Et pourquoi pas ?
L'inconnue sembla soudain hésiter.
– Mais... Mais parce que vous êtes comme moi. Vous n'avez pas le Léden, vous êtes des orphelines.
Les jumelles se regardèrent, sans comprendre.
– Le quoi ? interrogea Anaïs, sceptique.
Le regard de l'inconnue se fit cette fois franchement inquiet.
– D'où venez-vous ? leur demanda-t-elle.
Les sœurs ne répondirent pas. Dame Elea avait clairement dit qu'elles ne devaient en aucun cas révéler d'où elles arrivaient.
– Bon, qu'importe, se résigna l'autre. De toute façon je ne vais pas m'encombrer de vous.
Et elle tourna les talons.
– Je... Elle nous a laissé en plan, là ? s'ébahit Anaïs.
– On dirait bien, répondit sa sœur. Et avec encore plus de questions...
– On fait quoi ? On lui court après ?
– Pour quoi faire ? elle a été claire : elle ne veut pas de nous.
Elles n'eurent pas le temps de réfléchir plus longtemps qu'une bande de jeunes à l'air beaucoup plus dangereux que la fille d'avant les aborda.
– Alors, les pouilleuse, lança celui qui semblait être le chef du groupe, l'oiseau de malheur vous a laissé en vie ? Eh ben on va se charger du travail à sa place, pas vrai les gars ?
Les autres ricanèrent.
– Qu'est-ce qu'on fait ?! souffla Anaïs à l'oreille de sa sœur, paniquée.
– On se bat, répondit-elle d'une voix dure.
– Mais avec quoi ?
– Avec nos pouvoirs. Ils ne savent pas que nous les possédons.
– Mais Léna tu es folle ! Je ne maîtrise pas du tout le feu ! Tu as bien vu comment ça s'est fini la dernière fois !
– On a pas le choix, sœurette.
Les jumelles se redressèrent donc dans une attitude de défi, bien que leur corps trembla.
– Allez-y ! brailla le leader belliqueux. Mettez-les en pièces !
Et ils se jetèrent sur les jeunes filles.
Anaïs se concentra de toutes ses forces pour tenter d'invoquer le feu dans sa main. Elle tâcha de se rappeler les sensations qu'elle avait eu la première fois et, après quelques secondes, une flammèche timide naquit sur sa paume. La clé qu'elle portait au cou se mit à chauffer, renforçant la langue de flamme dans sa main. À côté d'elle, Léna assaillait leur adversaires avf des vagues de liquide de plus en plus faible. Elle fatiguait.
La jeune fille banda ses muscles et projeta un torrent de flammes sur les adolescents face à elle. Ceux-ci poussèrent des hurlements de douleur, et s'enfuirent, les vêtements en feu.
Trois d'entre eux restèrent immobiles sur le sol.
Morts.
– J'ai changé d'avis, fit une voix féminine derrière elles. Suivez-moi.
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